J'étais bien sans Alex sur l'île. Je ne me posais pas de questions. Mon avenir était tracé. C'était établi. Elle est venue tout dévasté, par sa simple présence. Ma froideur est devenue tiède, elle qui me protégeait du reste du monde. Maintenant, je me sens faillible.

Entre Alex et moi, il n'y a que moi qui étais capable de faire ce que j'ai fait. Le seul à garder les idées claires, afin de mettre un terme à ce qui nous liait.

Alex étant morte une seconde avant moi, ses souvenirs n'ont pas pu revenir dans le temps. C'est moi, qui ai fait ce retour en arrière. Elle ne se souvient plus de rien. Tant mieux. Elle aurait pu vouloir rester. Et je ne suis pas certain d'être en mesure de refaire appel à ce pouvoir. C'était étrange. C'est comme si on m'avait ouvert une porte à ce moment-là, et que je savais quoi faire précisément.

J'ai mis Alex à genoux, avec une telle dureté ! Ça me tourmente.

Tenace et têtue, il faut que j'aille encore plus loin. Si je n'enfonce pas le clou, cette petite obstinée pourrait me faire chavirer. Il faut que je l'éloigne, et que je me préserve de ses tentations. L'amour renforcé par de la magie donnent un cocktail détonant.

J'ai chargé Steeven de suivre Alex, même après son départ de l'île. Étant liés l'un à l'autre, je ne veux pas risquer qu'il lui arrive quelque chose. On a donc décidé qu'il se changerait en chien et l'apprivoiserait. Ce qu'il est parvenu à faire.

La situation me rend jaloux. L'imaginer blotti la nuit contre elle... car je sais qu'il le fait. Je les ai vus. Je continue à l'observer. Ceci dit, grâce à lui, je suis rassuré face aux menaces éventuelles. Les Vampires continuent à rôder, pour tenir Carl informé des agissements d'Alex.

Mon autre plan d'attaque, c'est Clémentine. Mon lapin sorti du chapeau. Un lapin à la vanille synthétique !

Elle n'a pas manqué de se manifester....

Mielleuse, charmeuse. Toujours cette mimique de séduction, qui ferait détaler un homme normalement constitué. Malgré ma froideur apparente, j'ai tenté de lui faire croire qu'elle comptait à mes yeux.

A dire vrai, elle ne me trouble pas. C'est une façon de ne pas tromper Alex, par mes sentiments envers une autre. Clémentine est la seule personne au monde pour laquelle je suis sûr de ne pas éprouver le moindre attachement. Malgré tout, par certains côtés, elle arrive à me toucher quand elle ne se cache pas derrière cette façade ridicule de « petite madame proprette, bien pensante » qu'elle s'est constituée. Elle me renvoie tellement à moi-même, que je ne suis pas capable de l'aimer. Qui s'aimerait soi-même, mis à part un parfait narcissique ?

Elle m'a dit, après quelques semaines de relation, d'apparence soutenue :

- Yann,... où va-t-on, toi et moi ?

- Je ne comprends pas vraiment le sens de ta question.

- J'ai l'impression que tu m'utilise pour oublier cette fameuse Alex, que j'ai aperçue au bal, et mes amis me disent de me méfier.

- Depuis quand écoutes-tu les fabulations d'autrui?

- La scène au bal n'a pu que donner raison à ces commérages. Maintenant, je veux une garantie.

Mon petit lapin vanillé serait-il tenté de m'échapper ?

- Le mariage est une garantie suffisante pour toi ?

Je la vois se réjouir. C'était bien cette finalité que j'avais envisager, pour me désunir définitivement d'Alex, ou pour être plus clair, de quoi me mettre définitivement à l'abri de ses faveurs. En même temps, je ne pouvais pas montrer plus de détermination envers Clémentine, que par le mariage.

Par la suite, nous avons prévu de déménager, ensemble, au mois d'août, dans un des quartiers les plus huppés de l'île. Elle a choisi l'appartement. Je n'arrive pas me projeter dedans avec elle. Comme si j'étais spectateur de notre présent, de notre futur. Une ombre qui suit parallèlement, enfermé dans un autre monde, une autre réalité. Un genre de théorie des cordes, à la sauce Yann.

Croiser Alex est insupportable. Je ne la regarde pas. J'échange juste de temps à autre des regards avec Steeven. Il m'informe régulièrement sur leur situation. Dernièrement, il m'a appris que notre entreprise avait fonctionné. Alex est décidée à rentrer en Belgique. Il était un peu révolté, car Alex lui a fait faire des vaccins, et a hésité à le castrer. « Tu te rends compte, si elle avait décidé de le faire ? Inconscient sur la table d'opération, je n'aurais pas pu partir ! T'imagine avec mes... avec mes.... en moins ? J'aurais eu l'air de quoi.... ? Tu m'embarques dans des histoires... qui... qui.... ». J'admets que j'avais un petit rictus. Avouons que la situation était particulièrement amusante.

Alex, pensant avoir recueilli un chien dont elle doit s'occuper, et lui, ne pouvant révéler son identité de peur que ses sentiments envers moi ne resurgissent, en sentant que je suis toujours bien présent dans sa vie... On se croirait dans une série pour ados !

Le jour des résultats, Clémentine et moi avons été chercher sa bague de fiançailles. Le mariage est fixé pour mi-août. Quelques jours avant notre emménagement.Puis, il y aura le voyage de noce aux Maldives. Elle est tellement fière qu'à chaque fois qu'elle croise une copine, ou une vague connaissance, elle ne manque pas de lui faire remarquer la taille de son cailloux au doigt. Elle a au moins changé de parfum, une odeur plus boisée, comme celui d'Alex. Ça la rend légèrement plus supportable. Quand je la touche, ce parfum me remémore le grain de peau d'Alex, ses courbes, ses imperfections, ... Cela m'aide à endurer cette insupportable mascarade. C'est de la torture consciente.

Elle a le beau rôle, Alex. Tout ce qu'elle a à faire, c'est de me détester et de partir. Dans quelques mois, elle n'y pensera plus, et filera le parfait amour avec Steeven, qui lui aura dévoilé sa vraie nature. Elle tombera éperdument amoureuse de lui car MONSIEUR la protège.

Ce sont les personnes que j'aime le plus au monde, c'est encore pire de penser à ça.

Il y a un côté « chose », « objet » dans mon raisonnement. Ce sont les miens, à moi. J'ai pas envie de les partager, même si c'est l'un avec l'autre.

Je n'existerai plus, juste un lointain souvenir dans leur vie. « Tu te souviens de Yann... Ha oui, celui sans qui nous ne nous serions jamais rencontrés... et blablabla... ». Alors que moi, je les aurai présents chaque jour à l'esprit. C'est facile de haïr une personne qui s'est rendue détestable, pas une personne qui ne l'est pas, comme Alex.

Nous sommes devant ma fac pour prendre les résultats de la meute, et les miens. Mes goules m'avaient presque manquées.

Clémentine est à mes côtés, gigotant, se pavanant à mon bras.

Alex surgit avec Steeven et ses acolytes. Un moment que je redoutais. Je mets mon masque de bourreau. J'arbore un léger sourire.

Alex s'avance :

- Tu as cru me mettre à genoux, mais tu n'arriveras pas à m'abattre...

En avant pour le spectacle. Elle semble en forme. Je dois pouvoir changer ça.

- Oui, oui ... je t'ai bien mise à genoux. En plus, je n'ai même pas dû me battre. Tu vois, ça c'est une femme, en lui montrant du doigt Clémentine, et tu ne lui arrives pas à la cheville.

Steeven me regarde. J'ai un peu honte devant lui. Mais il faut faire face.

- ça...Si on aime les déchets parce qu'on a peur d'être surpassé par une nana, je ne suis effectivement pas la personne dont tu as besoin, et tu as trouvé ce qu'il te faut !

Je dois admettre que ce qu'elle me dit me fait un peu de mal. Il est clair qu'elle a le sens de la répartie... C'est dur de voir comment elle me perçoit, alors que...

- Tiens, tu ne dis plus rien ?, reprend-elle. Alors, tu n'as pas envie de me remettre à genoux sans te battre ? Et puis ferme la bouche, tu vas avaler les mouches.

Je ne sais pas quoi lui répondre. Je décide de lui laisser la main. Je n'ai pas trop le choix. Je suis déstabilisé, et je ne veux pas qu'elle le perçoive. C'est une finaude. Alors, Alex... j'attends un coup de poker.

Elle prend de l'assurance. Elle se retourne vers les goules et leur dit :

- Alors... Vous venez prendre votre dérouillée? Ou vous avez peur ?...

Ses amis tentent de l'arrêter, et l'emmènent loin de la scène. Fin de l'acte, où je me suis encore montré sous mon plus beau jour. Je ne lui en veux pas de ne pas comprendre. Par contre, je lui en veux de me laisser tout le sale boulot, en se victimisant.

Quelques jours plus tard, Steeven est venu me faire ses adieux. Je n'ai pas su lui témoigner ce que j'avais envie de lui faire passer. Je ne le savais pas moi-même. J'étais confus. Le voir partir me fait beaucoup de peine. Une page se tourne, et une amitié de vingt ans ne sera bientôt plus que des souvenirs à ressasser sans cesse.

J'ai un cafard monstrueux. Je suis allé près du ferry les voir partir, au loin... Je me sens vraiment seul, à présent.

Je vais devoir m'inventer une vie normale, avec Clémentine. Elle ne saura jamais d'où je viens. Je ne pourrai jamais rien partager avec elle.

Dans quelques années, je divorcerai et payerai une pension énorme à mon ex-femme, qui sera botoxée de partout, car elle ne voudra plus voir ses rides et le temps perdu à mes côtés. Ensuite, je ferai des recherches sur Alex, et je verrai qu'elle s'est mariée avec Steeven, qu'ils ont des enfants hybrides, qui sont sujets à pinailles dans les différents clans. Je me morfondrai, et je deviendrai alcoolique, dépravé et scandaleux.

Soit.... Merci Alex d'avoir mis une sacrée pagaille dans ma vie ! On peut dire que rencontrer mon âme sœur aura été un franche réussite.