Chapitre VIII : La pluie avant la tempête
Chapitre VIII : La pluie avant la tempête
Cette impression que l'air que je respire est vicié en permanence. J'étouffe . Je ne me sens plus bien nulle part. Je fuis même ma cabane. Je me traîne dans la ville. Je n'ai pas de destination fixe. Je ne regarde personne. Je n'ai envie de rien sauf de partager mon mal-être avec une autre personne.
Mes pieds s'arrêtent devant l'immeuble de Clémentine. Tiens... mon inconscient me joue des tours.
Je monte jusqu'à son étage. Je suis devant sa porte. Il y a de la fraîcheur dans le couloir et une odeur de citronnelle de détergents industriels. Je frappe à sa porte. Elle ouvre. Son appartement est dans le noir, à demi éclairé par quelques bougies. La musique du dernier opus de Massive Attack lui confère une ambiance douce mais électrique.
Son regard semble surpris. Elle est rigide et froide. Elle se retourne sans un mot et se dirige dans la pénombre vers une baie vitrée qui donne sur le balcon.
Je referme la porte et m'avance derrière elle. Elle a changé de parfum. Une odeur boisée et moins synthétique. Elle n'est pas comme d'habitude. Elle porte une fuseau noir, un petit débardeur noir et des talons aiguille noirs. Ses cheveux généralement apprêtés sont tirés en queue de cheval. Elle regarde vers la fenêtre, sa cigarette électronique à la main, les bras croisés.
J'ouvre la porte vitrée et m'assois à même le sol, le flan droit sur la barrière pour surplomber du regard la rue piétonne.
Clémentine me suit et s'installe entre mes jambes. Étonnamment, je me sens bien. La musique me berce calmement. Ce moment est normal. Rien ne le complique.
Le silence apaisant est tourmenté par la voix de Clémentine qui chuchote :
- Je sais que tu en aimes une autre. Mes amis ne parlent que de ça. Une fille... Alex... son copain a fait un esclandre à la bibliothèque de Psycho.
- Chuuuuut, lui dis-je gentiment à l'oreille, en mettant mon doigt sur sa bouche.
J'ai un léger sourire. Marck jaloux. Il sait donc qu'il ne rivalisera pas avec moi. Ça ne fait que renforcer ma jouissance de cet instant. Je trouve même cette révélation délectable.
Une dizaine de minutes que nous végétons dans cette position. J'aperçois dans la rue, la vierge de Carl, traçant rapidement sa route. Rhoo... Alex la suit. Elle fouine. Encore. Je vois où tu espères aller, Alex.
Je pousse Clémentine, me relève et me dirige vers la porte. Je la sens derrière moi, troublée. Elle me laisse partir comme je suis venu.
Alex a pris de l'avance vers les bois. Je prends un raccourci et l'intercepte juste à l'entrée.
- Je sais que t'es là, me dit-elle.
J'ai envie de profiter de ce prétexte pour la toucher, la sentir, posséder ce que je peux encore posséder chez elle. J'aimerais juste...
- Tu m'as évité, Alex, ces derniers jours... Ce n'est pas bien, ça...., lui-dis je, en murmurant, au creux de son oreille, pour mieux apprécier son parfum capiteux.
- Cela t'étonne ?
- Tu m'as repoussé l'autre jour... Tu me résistes... Pourtant, j'entends ton cœur battre dans ta poitrine...
Je comprends pourquoi les Vampires aiment dévorer leur victime. Il doit y avoir un rapport charnel, proche de celui que je ressens en ce moment. J'ai envie de la bouffer. Je l'embrasse dans la nuque en devinant un frissonnement. Je suis troublé à son contact. Elle m'agace d'être autant dans la retenue. J'ai envie qu'elle reconnaisse, en se soumettant, le côté incontrôlable qu'on ressent l'un pour l'autre. Cette rigidité dont elle fait preuve est exaspérante.
- Tes amis Vampires ont tué mon amie... Maintenant, ils vont s'en prendre à Christie...
Tente-t-elle de me culpabiliser ? Christie fait ses choix en âme et conscience, je n'ai donc pas de pitié.
- Ce ne sont pas mes amis..., lui dis-je.
- Mais alors, qui sont-ils ?
Tais-toi Alex... laisse-moi, pendant ces quelques secondes, profiter de toi...
- Je te déteste..., dit-elle dans un murmure.
Dans sa bouche, ce mot « déteste » raisonne comme un « je t'aime ».
- Oui... Moi aussi....
Je sais que nous avons les mêmes sentiments l'un pour l'autre, mitigés, selon le moment, entre l'amour et le rejet.
Elle tente de se dégager en reprenant sa quête. Je l'en empêche, l'agrippant par la main et invoquant le sort de téléportation. Efficace. On se retrouve dans sa chambre.
Je lui dérobe ma main, coincée dans la sienne. Elle pourrait renverser le mouvement.
- Stop, Alex, ça devient dangereux pour toi..., lui dis-je. Mais je sais que ces mots ne raisonneront pas dans son esprit.
Je sors de sa chambre et de son immeuble.
Je perçois un reflet dans le buisson. Ce sont les yeux de Steeven à l'état sauvage. De ma main, je claque deux fois sur ma cuisse. Il s'extrait de sa cachette et me suit dans les rues piétonnes.
Je m'assieds sur les marches d'une petite place. Steeven vient me lécher le visage. Il sait que je n'aime pas ça.
- Arrête, gros bêta, lui dis-je, en riant.
J'allume une cigarette et recrache la fumée. Steeven s'est couché, la tête posée sur mes genoux. Des pieds se sont arrêtés devant moi, je reconnais les talons aiguille de Clémentine. Je l'avais quasi oubliée. Elle a dû me chercher. Je lève la tête. Elle me regarde, me tendant la main pour me relever. Ce que je fais. Nous retournons chez elle. Steeven nous quitte avant qu'on entre dans le bâtiment. Il doit être agacé de mes changements de faveurs. J'ai besoin de normalité. Clémentine, sans ses jérémiades habituelles, est presque fréquentable. J'aime quand elle se tait et que je n'ai pas besoin de parler. Passer juste un moment hors de mon temps, de mon univers et entrer dans une bulle sourde, sans émotions parasitantes.
Quelques jours plus tard, à la fac de Psycho, mes goules m'apprennent que Carl a prévu de se rendre avec son « staff » à un bal organisé par la fac de Christie. Ils sont tous excités de pouvoir rencontrer de quoi se mettre sous la dent pour une nuit. Je suis énervé. Personne ne m'a prévenu. J'imagine bien pourquoi. Alex y sera et on connaît l'issue.
Le soir, je vais voir Carl. Il savait que je viendrais. Il a des côtés fourbes. Je pense même qu'il avait planifié ma venue.
Dans ses quartiers, nous entamons une discussion :
- Pourquoi m'as-tu caché que tu comptais te mêler à la population, l'espace d'une soirée ?
- Je ne te l'ai pas caché. La preuve : tu le sais.
Je m'en doutais. Mais que cherche-t-il à la fin ? Cherche-t-il réellement la paix au sein de l'île ? Il suffit juste qu'il laisse passer l'année sans remous. Pourtant, ce n'est clairement pas ce qu'il fait. Peut-être pense-t-il s'octroyer un statut plus universel au sein de la communauté. Je n'arrive vraiment pas à comprendre. Peut-être s'ennuie-t-il, et qu'il a trouvé de quoi s'occuper.
- Pour quelle raison fais-tu ça ? Pourquoi vas-tu au bal de la fac de Christie, alors que tu sais pertinemment qu'Alex, étant sa colocataire, y sera ?
- Je pense que je suis amoureux. Cette fille à une odeur...rien que d'y penser, j'en bave déjà.
- Carl, arrête de me faire croire n'importe quoi. Pas à moi ! Depuis quand te laisses-tu aller à l'odeur de la viande ? Tu vas outrepasser tes droits en la transformant. Je sais que tu vas le faire.
- Tout le monde a outrepassé ce droit-là. Pourquoi pas moi?
- Car c'est peut-être celle de trop. Ensuite, tu es le chef. Un chef ça respecte les codes.
- Max est mort, toi tu me tournes le dos. J'ai besoin d'une compagne. Toi, maintenant, tu as une âme sœur... Tu ne te sens plus seul, n'est-ce pas ?
C'est vrai que je n'avais pas pensé à ça...Il est vrai que Carl n'est pas un solitaire. C'est assez risible finalement. Pauvre petit prédateur en mal d'amour...Mais... une chose me trouble... n'est-il pas encore en train de m'attirer sur une fausse piste ?
- C'est avant l'arrivée d'Alex que tu as rencontré Christie, lui dis-je.
- Et après ? Ca ne change rien.
Ha si, ça change tout. C'est qu'il me ment délibérément !
- Tu provoques Alex, admets-le...
- Oui et toi, tu vas faire en sorte qu'elle reste calme ce soir-là.
- Tu veux que je gère les conséquences de tes actes ?
- Je ne retiendrai pas mes coups...
- Je ne retiendrai pas les siens. Tu mets tout en danger pour une goule.
- Ce n'est pas une goule, c'est bientôt ma femme.
- T'es ridicule. Mais à quoi cela te sert-il d'exagérer la situation actuelle ?
- Mais... tu ne comprendras jamais les Vampires... On a une vie éternelle... Qu'est-ce qu'on en a à faire de toutes vos règles ? A quoi ça sert de vivre autant d'années, si ce n'est que pour vivre dans un carcan ?
- Un vampire avec des états d'âme, qui pleure sur son immortalité, car il s'ennuie... Donc, tu joues... Tu joues avec nous tous. Tu sautes d'un pied à l'autre, car tu sais que cette fois, tu peux perdre cette immortalité. D'un côté, perdre ta vie et ton pouvoir te fait peur, mais la fureur de vivre autre chose est plus fort...
- Peut-être... Et je veux une compagne...
Il me joue la carte du Vampire lover...
Cette conversation ne mène nulle part. Je ne sais même pas si je suis plus éclairé qu'en venant. Je trouve ça... presque décevant. Je décide de partir. J'ai l'impression, maintenant, d'être le point de colle entre Carl et Alex. Deux personnes guidées par leurs pulsions propres et irraisonnées. Autant dire que nous connaissons déjà la suite des événements pour ces deux entités incontrôlables.
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