Chapitre IV : Arrête, je resterai Yann !
Les jours passent, je la croise de temps en temps. Chaque fois, je revois cette image d'elle en train de danser dans sa chambre. Je me sens comme un vieux pervers, donc ça me gène. Je suis honteux et je détourne la tête. Il n'y a pas que quand je l'aperçois. Parfois le soir, allongé sur mon lit, quand une chanson me plaît, je me demande comment elle se déhancherait au son de la mélodie. Parfois, je l'imagine rependre une danse folle chez elle. Quand je m'ennuie, j'imagine toujours des choses pour passer le temps. A ma décharge, il faut reconnaître que cette image-là est agréable. Imaginer Steeven galoper dans les bois, c'est moins excitant.
Ce soir, c'est le rendez-vous au repaire.
Dans notre clan Vampire, nous faisons une réunion officielle le mercredi.
Ces rencontres formelles ne sont pas bien structurées. Il y a Carl sur son trône pour « officier » ; les autres sont debout et interviennent sans retenue. Je trouve que personne ne sait se tenir dans ce troupeau d'affamés. Ca crie, ça n'écoute pas, ça agit n'importe comment... Aucune discipline. D'ailleurs, pour certains, ce sont de vrais déchets. Mais Carl est persuadé que le nombre est important et qu'un faible peut servir de chair à canon. Il est rare qu'une personne dévorée ne soit pas transformée. Elles ne sont pas toutes lâchées avec les autres. Il y a des cellules dans les caves pour en soumettre certaines. Il nous arrive de les éliminer si elles sont trop récalcitrantes. Donc, elles sont assez nombreuses, même si la moitié ne sert à rien et reste principalement au repaire. Carl les entretient dans le vice du sang bleu, créant ainsi une dépendance pour les manipuler plus facilement, d'où mon importance.
Le sujet du jour, c'est évidemment la Sorcière.
Carl m'a demandé d'exposer les renseignements que j'avais sur elle.
A un moment, il me coupe d'une main levée et me dit :
- Attends Yann.... A quel clan appartient-elle ?
- Le clan des Fédérateurs.
Exaspéré, il pose le bout des doigts sur son front, en fermant les paupières.
- Tu les connais ?
- Oui. Ils portent très bien leur nom. Ils viennent dans un endroit et le fédère. Nous avons déjà eu affaire à eux quand tu étais tout petit et avant ta naissance. Ils veulent décimer les vampires récalcitrants qui ne voudraient pas travailler pour eux. Comme des chiens domestiques. Il ne sera jamais question de ça ici !
Il s'arrête un instant. De colère, il ferme le poing et le fait claquer sur l'accoudoir. D'une voix forte, il s'écrie :
- Il faut qu'elle parte !
Deux Vampires accros à mes gélules bleues s'avancent près de Carl et disent :
- On peut s'en occuper si tu veux, chef ?
- Ok, allez-y ! leur envoie-t-il d'une impulsion de la main.
Je suis un peu surpris de la rapidité de la prise de décision de Carl.
- Arrête ! Tu oublies qu'elle peut éventuellement être un atout!
- Je ne prendrai pas de risque. La meilleure défense, c'est l'extermination. Va avec eux.
Il n'a pas complètement tort... si elle devient ingérable, mais de là à la tuer... c'est tout à fait une pratique vampiresque.
Les deux vampires m'accompagnent dans ma voiture, en route vers la ville. Il y a une drôle d'ambiance sur le chemin. Ils sont placés sur la banquette arrière de la voiture. J'ai besoin de les tenir à l'œil dans le rétroviseur. Ils sont tellement en attente de leur friandise que je sens leur regard fixé sur ma nuque. Ils savent que je ne saurais pas faire quoi que ce soit car ils sont imbibés de gélules. Mais la peur de Carl est si forte, qu'ils n'osent pas bouger... Ils se délectent déjà à l'idée de boire l'élixir vital de la Sorcière.
L'étrangeté de l'ambiance est appuyée par une musique d'Agnès Obel qui passe à la radio. La froideur du paysage enneigé presque endormi et cette nuit descendue forment un climat calme et mélancolique.
Arrivés à proximité, nous sortons lourdement nos carcasses de la voiture. Ma peau est pincée par le froid.
Il n'y a pas âme qui vive à l'horizon. La ville est déserte.
Les deux Vampires commencent une chasse à la Sorcière, rappelant l'inquisition. Chez elle, personne. Ils décident de partir à sa recherche en contournant le bâtiment. On la voit rentrer chez elle.
Je suis un peu méfiant. Je ne sais pas trop comment réagir. Elle ne mérite pas ce qui l'attend, d'un autre côté, je sais qu'elle s'entraîne souvent au combat. C'est peut-être aussi une manière de la tester.
Je soupçonne même que c'est l'idée de Carl... Ces deux Vampires ne sont pas une perte. Des épaves entretenues dans le vice ne font pas partie de l'élite.
Elle semble sentir qu'on la suit. Je la perçois suspicieuse et aux aguets.
S'arrêtant brusquement, elle reprend sa marche.
Un des deux vampires marche sur une branche qui craquelle. Elle l'entend et se fige.
Elle crie :
- Qui est là ?
Un des Vampires se lance sur sa proie.
Mais... Mais... Chaque coup qu'elle encaisse, je l'encaisse aussi. Je me tords de douleur et me retire dans la pénombre. Je suis trop affaibli. Je ne pensais pas être connecté physiquement à elle de cette manière. Est-ce quand on est à proximité ? J'ai besoin que ça s'arrête. J'ai peur de ne pas pouvoir résister longtemps. Je ne suis pas endurant comme elle... heureusement, je la vois maîtriser la situation. Que ce serait-il passé si ça n'avait pas été le cas ? C'est bien la première fois que je me « repose » sur les capacités d'une fille. Je regarde furtivement autour de moi, adossé contre un mur. Je pense qu'on est surveillé par les loups-garous. Ça me rassure d'y penser. Ils interviendront en cas de non-résistance d'Alex.
J'ai l'impression d'avoir des marques sur les bras. Je me redresse et m'approche du réverbère éclairant la scène de fin du combat.
Les deux vampires ont été carrément pulvérisés. Elle semble un peu abasourdie.
J'aimerais savoir jusqu'où s'étend cet échange d'énergie. Ressent-elle les mêmes choses ? Je sors de l'ombre pour avoir une conversation avec elle. Je ne sais pas comment l'aborder. Donc, j'applaudis pour attirer son attention.
Elle me regarde, l'air étonné.
- Pas mal, lui dis-je en fumant ma cigarette allumée pour donner une contenance à ma douleur.
- Ça ne te dérange pas de regarder quand je me fais agresser ? T'es aussi lâche qu'eux, me dit-elle d'un air agacé.
Je n'ai pas trop envie de lui expliquer que je me tordais de douleur dans la pénombre et que je n'aspirais qu'à une chose... que cela s'arrête. Ca indiquerait une faiblesse de ma part. Elle n'a pas à le savoir.
- Je ne voulais pas perturber le spectacle.
- C'était quoi ?
- Je suis sûr que tu as une idée sur la question.
- Pourquoi ne t'ont-ils pas attaqué aussi ?
- Car ils savent qui je suis.
Que répondre à ça? De plus, elle le saura tôt ou tard. Ou peut-être que non...
Je tente de m'approcher, mais... mais...Ca recommence ! C'est quoi cette fois ? Elle ne se bat pas, rien de menaçant...Ce sont mes tatouages qui se manifestent en irritant ma peau. C'est un genre de brûlure légère et de picotements. J'ai l'impression que mon sang est rempli de gaz et pétille comme du Perrier.
Elle nous sort du mutisme en s'insurgeant :
- C'est étonnant le pouvoir que ça a, cette légende est donc vraie !
Elle regarde ses bras tendus.
A qui le dit-elle ?! Ca commence à bien faire ces manifestations de nos pouvoirs communs. Ce manque de contrôle m'exaspère.
Un long silence interrogateur s'ensuit et s'empare de cet instant.
Elle a un regard inquisiteur qui ne me facilite pas les choses. Je tente de soutenir son regard. Je n'aime pas son air dominateur.
Ensuite, de manière décontractée, en parfait contraste avec ce que j'ai vu d'elle ces dernière minutes, elle me dit :
- Tu as mangé ?
- Non, lui dis-je.
Livré à moi-même, je ne me souviens pas qu'on m'ait posé une fois la question. C'est le côté sociable dont parlait Steeven. Très décontenançant. C'est une tout autre éducation.
Enfin de compte, je ne côtoie que rarement les Humains. Le côté protocolaire « amical » m'est complètement étranger.
Mais il y a cette puissance qui nous rapproche et qui me pousse à la suivre.
J'ai l'impression que la magie veut manipuler mes sentiments. Je l'accompagne jusque chez elle.
Normalement, la magie n'utilise que les éléments. Possible que ces pouvoirs de « l'âme sœur » ouvrent d'autres portes qui m'étaient fermées jusqu'à présent.
Nous rentrons dans son immeuble. Elle a une partie communautaire qui est à un demi-étage du couloir des chambres. Je n'ai encore jamais vu ce type de logement dans l'île. Ça ne dépend pas de mes biens immobiliers, mais de l'université elle-même. Il faut dire aussi que je n'ai jamais été invité par des habitants de cette île, ou plutôt que les tentatives d'approches dont j'ai fait l'objet ne m'intéressaient guère. Découvrir un milieu de vie et s'engouffrer dans l'univers et l'existence d'une personne... je n'aime déjà pas qu'on vienne chez moi... Contrairement aux idées reçues, et aux légendes véhiculées, les Vampires n'attendent pas qu'on les invite. Quand j'habitais au repaire, j'étais souvent envahi. D'où le système de gélules. De plus, ça leur permet de faire un stock au cas où je serais absent, ou... que je décéderais. On peut aussi, grâce à ça, contrôler l'ingestion de cette façon.
Elle me fait entrer dans sa cuisine. Je m'installe en bout de table pour mieux l'observer.
Elle va dans le freezer de son frigo et en retire deux barquettes.
Je ne m'attendais pas à ça. Je pensais qu'on allait manger un vrai repas. Je ressens une espèce d'attirance incontrôlable qui me donne envie de... de...de fusionner !
Elle sort du silence dans lequel nous nous sommes plongés et me dit :
- Pourquoi tu n'as pas été attaqué ?
- Car ils savent que je suis un Sorcier.
Son regard est interrogateur.
- Tu n'es pas au courant, je vois. Les Sorciers se marient depuis bien longtemps ensemble. Certains disent que nous avons le sang bleu. Selon eux, à cause de notre consanguinité, notre sang aurait manqué d'oxygène et serait devenu bleu. Mais t'inquiète pas, il est bien de couleur rouge. Personnellement, je viens d'une Sorcière et d'un Humain. Mais comme le côté Sorcier vient de la mère, comme tu le sais... et que ça fait longtemps que ça dure, le sang Sorcier est devenu bleu de manière définitive. Donc, j'ai le sang bleu même s'il n'est pas pur. De plus, comme nous avons des pouvoirs spéciaux, nous ne souffrons pas de notre consanguinité.
- Et alors ?
- Et alors ? Le sang de Sorcier a des atouts très prisés chez les Vampires, car il a le don de régénérer rapidement celui qui est dans un état critique, voire même de le ressusciter dans certaines conditions. Mais... dès qu'un Vampire goûte au sang de Sorcier, c'est pire que l'héroïne. Il ne sait plus s'arrêter et l'abus de sang bleu peut, à forte dose, le rendre fou et avoir l'effet inverse de dégénérescence. Donc, ils prennent le sang des Sorciers et le transforment en gélules qu'ils diluent avec du sang Humain, pour en avoir une petite dose. Là, les effets secondaires sont minimes.
- Comment sais-tu tout ça ?
- Ma mère est morte de l' étreinte d'un Vampire.
- Oh, excuse-moi !
- Non, ne t'inquiète pas, cela fait longtemps.
Ça fait longtemps. C'est vrai. J'aurais quand même aimé savoir qui elle était.
Elle prépare la table. A chaque fois qu'elle me frôle, des pétillements sur tout mon corps me poussent vers elle. Je me contrôle. Elle reste complètement impassible. Moi aussi. En tout cas, je tente de l'être.
Je trouve que son comportement est arrogant. Elle ne peut ressentir que la même chose, alors pourquoi joue-t-elle cette mascarade ?
Elle se met en face de moi, au bout de la table. Je me sens comme un paria.
« Non monsieur, on ne mélange pas les chiffons et les serviettes ».
Je veux faire exploser sa froideur apparente.
Elle m'apporte mon plat, et prend place.
Elle m'horripile. Je me calme, me recentre, pose mon regard sur le sien et lui dit :
- Pendant combien de temps vas-tu encore faire semblant de ne pas voir ce qui se passe entre nous?
Mes mots raisonnent dans la pièce, tellement fort que j'ai l'impression qu'ils font trembler les murs.
Elle me regarde avec ses petits yeux plissés. Se lève d'un coup. Utilise la chaise comme marchepied pour se hisser debout, perchée sur la table. La grande classe.
Je n'en crois pas mes yeux. C'est une réaction complètement inattendue que je n'aurais jamais su prévoir. D'une démarche chaloupée, elle se dirige vers moi dans une maladresse contrôlée. Du pied, elle fait place nette sur la table.
Un réveil de volcan étincelant.
Sa main se pose sur le col de ma chemise et, dans un geste de domination, elle m'incite à la rejoindre sur la table. Je suis presque enivré par le moment.
Avec un petit air satisfait, elle me dit :
- C'est assez démonstratif pour toi, là ?
Plus aucune retenue ne fait obstacle et elle m'embrasse de manière charnelle.
Rien ne nous résiste, rien ne nous retient. Une alchimie violente a raison de nous. Brutale et délicate à la fois. Je sais même percevoir ce qu'elle ressent dans cette union quasi totale. Mes rencontres nocturnes ne peuvent pas égaler ce que je vis à ce moment précis. Cette sensualité qu'elle dégage... Elle arrive à m'ensorceler...
Après cette étreinte, étendu à coté d'elle, je ne peux m'empêcher de cogiter.
Ses actes sont-ils gratuits ? Peut-être pas. C'est peut-être encore un acte calculé par la magie ou par elle-même, qui est tellement maître de son attitude. Je me suis laissé émouvoir un instant par cette femme dans mes bras. Elle s'est endormie d'épuisement. Cette magie est très intense et l'énergie déployée est dévastatrice. Je tiens grâce à ma constitution.
Une certaine mélancolie me submerge. Je finis par m'endormir.
Le matin, je sens son regard sur moi. Son corps se réveille, collé contre le mien. Là, sans hésitation, je sais qu'elle regarde les tatouages de mon dos.
Je lui dis :
- Curieuse.
Je me lève de la table, m'assied sur une chaise. Je suis un peu désorienté. Il me faut une cigarette pour me canaliser.
J'ai fait une erreur. J'ai laissé mes sentiments prendre le pas. Des émotions purement et simplement dictées par un enchantement. De plus, je viens de la mettre en danger. Si Carl sait qu'une relation s'installe entre nous, il pensera que l'ennemi s'est immiscé dans le clan Vampire. C'est plus deux Vampires toxicos qu'elle va avoir à affronter, mais une armée de Vampires suivis de goules. Encore heureux que les loups-garous ne s'en mêleront pas... Et encore... Avec le Wolfy, il faut s'attendre à tout ! D'un autre côté, ce n'est pas leur combat et ils respectent les Humains, les Sorciers et tous les autres. Mais pas les Vampires. Il faut que j'arrête ça immédiatement avant qu'il ne soit trop tard. Me questionner si tôt le matin, mes idées ne sont pas bien en place. Il faut néanmoins que j'agisse.
Elle me coupe dans mes idées noires et me dit d'un ton enjoué :
- Tu as remarqué, plus nous sommes ensemble, plus nous avons de contacts, plus nous nous transmettons nos connaissances. J'en sais plus sur les Vampires qu'il y a quelques heures, alors que je ne les connais pas. Tu dois certainement avoir des connaissances sur la magie, non ?
Je dois stopper net cette relation naissante. Mes mots sortent de ma gorge comme des lames de rasoir qui me déchirent les chairs. Cette magie me rend idiot.
« Il ne faut plus qu'on se voie ».
Un silence pesant atomise la pièce et me claque au visage. Comme si lui faire mal me fragilisait. Je continue néanmoins sadiquement à enfoncer le clou.
- Nous ne sommes pas du même monde, lui dis-je, même si tu es mon âme-sœur. Je suis condamné à rester dans le monde auquel j'appartiens. Je ne veux plus que tu m'approches.....
Le sourire affiché auparavant sur son visage se décompose. Elle semble abattue.
Je me débarrasse de ma cigarette, me comportant comme un goujat, prenant sa cuisine pour un cendrier géant. Plus le souvenir qu'elle aura de moi sera toxique, plus les envies de contact seront rares. Cette magie est tellement puissante, qu'il lui faudra bien ça pour me résister. Je ressens un tremblement de mal-être. C'est douloureux.
Je m'habille rapidement sans mot dire, sans même la regarder. Je n'ai pas envie d'affronter son regard interrogateur.
J'ouvre la porte et m'engouffre dans la sortie. L'air froid qui fendille mon visage me fait presque du bien.
Je m'arrête derrière la porte. J'ai envie d'effacer mes derniers actes. Ma raison me dit de partir. J'ai l'estomac si acide que j'ai la sensation qu'il fond sous l'effet des sucs gastriques. Ma main lâche la poignée. Mes pas me conduisent vers ma voiture.
De toute manière, je suis incapable de réagir autrement. Je ne suis pas éduqué pour être aimable. Je dois respecter mes origines.
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