Partie II: YANN

Chaque année, au mois de septembre, une équipe part à Londres pour la « mission ».

Mon groupe de goules, Carl, Max et moi.

Carl et Max sont deux Vampires. L'un est mon géniteur. Enfin.... c'est le corps de mon père, avec l'esprit d'une bête assoiffée de sang. Ça reste mon père tout de même, car il m'a élevé. Un milieu particulier, qui n'est que peu courant pour un enfant, mais j'y ai ma place.

Les Vampires peuvent garder, après leur étreinte, une obsession de leur ancienne condition. J'ai eu de la chance de rester son obsession, même si, au fil du temps, elle s'estompe.

Max, lui, est le « Vampire de main » de Carl. Il est discret... il agit dans l'ombre.

Je n'ai aucune confiance en lui. Il a un esprit particulier, que je n'affectionne pas. Je ne le vois quasi jamais. Il n'a peur de rien. Même pas de perdre sa vie éternelle. C'est ça qui le rend si terrifiant à mes yeux. De ce fait, il n'a aucune limite.

Pour je ne sais quelle raison, je suis le maître. Pas le maître des Vampires, mais le maître de l'entente entre les Vampires et les Loups-garous. Ils sont assez dominants dans ma région. Depuis ma naissance, sans trop que je ne sache pourquoi, j'ai réuni ces deux clans. Je n'appartiens ni à l'un, ni à l'autre.

Moi, je suis un Sorcier. Le seul de l'île. Parfois, ça me manque de ne pas appartenir à un groupe qui aurait des similitudes avec moi. Pouvoir partager ce que je suis.

En fin de compte, je ne me connais pas. Mais d'un autre côté, ça ne me déplaît pas tant que ça. J'aime ce petit côté solitaire et indépendant que cela fait naître.

J'ai à peine connu ma mère. Une Sorcière elle aussi. Je n'ai aucun souvenir de ça. Je pense que c'est une bonne chose. Je n'ai rien à regretter... ou du moins je m'en persuade. Elle est décédée si tôt dans mon existence, que je ne peux pas me souvenir de son visage, ni de sa voix, ni de son parfum... Ni des gestes tendres qu'elle aurait pu avoir envers moi, ni « le degré de sécurité » que je pouvais avoir dans ses bras. Peut-être que m'en souvenir aurait créer un manque plus aigu.

En tant que maître, je suis parfois envoyé pour les missions particulières d'un clan ou de l'autre. Ici en l'occurrence, le clan Vampire.

Cette mission n'est pas récente. Elle a toujours existé depuis la création de l'université sur Nauladge-Island. Cette île a été colonisée pour libérer l'Angleterre des Vampires. En échange, elle leur offre les parias, les exclus de la société en pâture. C'est rude à entendre, je le conçois. Mais l'humanité n'est pas toujours ce qu'on peut croire.

Chaque année, depuis la création de l'île, qui remonte à la reine Victoria, un groupe se déplace à Londres, pour rapatrier soit des Vampires intronisés la même année par ses escapades au sein du pays, soit éliminer certains Vampires récalcitrants.

Un rituel est en place. Le premier septembre, une personne nous donne, dans un lieu précis, une enveloppe avec le nom des Vampires à éliminer. Dans la foulée, elle nous livre les Vampires qui sont désireux de coopérer. Cette mission dure plus ou moins un mois.

Je ne participe pas à cette chasse à l'homme. Je suis juste le lien. Toujours ce point de colle entre tous.

La violence du côté Vampire, n'est pas une chose à laquelle je me suis familiarisé. Ces hurlements...l'odeur du sang... cette manière de traquer une proie.... sont des choses que mon côté Humain a rejeté, tellement expulsé, que je n'y pense même plus. Un peu comme si ma conscience les avait occultés.

Néanmoins, j'aime cette période de l'année.

J'en profite aussi pour rencontrer des personnes de passage dans ma vie.

Ces filles, qui ne demandent ni qui tu es, ni ton numéro de téléphone, et qui ont la délicatesse de partir le lendemain matin. Ces demoiselles qui sont intenses pour une nuit, qui te font l'honneur de la partager avec toi de manière gratuite et voulue.

Les étudiantes de Nauladge-Island, savent toutes qui je suis. L'homme à séduire pour certaines. Le fait que je possède la moitié de la ville, ne passe pas inaperçu. Donc, je préfère côtoyer une fille d'un soir, qui a vraiment envie de passer un peu de temps avec moi, qu'une fille qui me convoite car elle est vénale. Je n'ai aucun respect pour des femmes de ce genre.

Clémentine, qui est depuis trois ans à Nauladge, a la ferme intention de me harponner. Je ne la regarde même pas. Ça ne m'intéresse pas d'être l'objet d'une personne. Je suis déjà assez vampirisé comme ça dans mon milieu. Les Vampires sont si dépendants du sang de Sorcier quand ils y gouttent... Je ne représente qu'une réserve de friandises à leurs yeux. Un distributeur de cafétéria. Je n'ai pas envie de ne vivre que ce genre de relation.

Dans ma chambre d'hôtel, assis sur un fauteuil miteux, une cigarette à la main, je regarde le corps nu qui gît dans mon lit. Parfois, cela me satisfait. Mais d'autres fois, comme ce soir, je me sens sale et profiteur. Du coup, pris de remords, de l'autre main, je bois du whisky. Je déteste le whisky, ça me rend agressif...

Le monde des Humains me semble si loin de moi... J'aime contempler ce corps. L'âme qu'il renferme est si insouciante et si innocente, que je le jalouse presque. J'aime entendre ces jeunes femmes rire. Mais je ne les accompagne jamais dans ces élans d'euphorie.

Londres représente pour moi le moment de l'année où je peux me confondre avec ce qui me manque, et donner le change. La vie des autres en somme.

La mission tire à sa fin. Carl et Max ont fait le nettoyage avec les goules. Je ne veux pas les accompagner. Contrairement à eux, je n'en tire aucun plaisir. Bien au contraire, ça me conforte dans cette sensation de saleté. Étant le point de colle, j'ai l'impression, en tant que responsable de mission, d'être le commanditaire de cette boucherie. Ce qui, soyons francs, est le cas.

Le corps dépouillé est parti de ma chambre depuis une heure, emmenant ma bulle d'oxygène avec lui. Nous nous préparons à rejoindre Nauladge-Island. J'ai les pieds de plomb.

Je suis en fac de Psycho. Peu m'importe de réussir ou pas. Je peux prendre ou perdre mon temps. Je n'ai que ça à faire sur cette île. Je sais... ça fait pauvre garçon riche. Je l'assume. De plus, si je voulais, je pourrais prendre la responsabilité de mes finances internes à l'île. Mais j'ai préféré les léguer à une personne qui travaille pour moi. Ça ne m'intéresse pas. Les cours ne sont qu'une occupation. Je n'ai pas grand-chose à rêver pour mon avenir. Il est, et restera à Nauladge-Island.

Nous empruntons le ferry. Une fois arrivé au port, je quitte l'attroupement, prenant ma voiture pour retourner dans mon antre. C'est une vielle bicoque en bois. Je m'y sens isolé. C'est chez moi. Rien qu'à moi. C'est là où je suis bien.

J'ai un autre domicile. Un château. Il se transmet de génération en génération chez les Macurtis. Il est retiré sur une île annexe, qui appartient à un archipel. Je n'y vais jamais. J'ai bien pensé à le vendre, mais c'est le seul lien que j'ai encore avec mes ancêtres. Il est gardé par une armée de domestiques.

Je n'y vais que pendant l'été, quand la ville universitaire est en saison morte.

Ma cabane me convient mieux. Elle est en bois, et elle respire. Cette petite maison appartenait à ma mère. Je n'y tolère aucune visite, mis à part Steeven, qui est mon ami d'enfance. C'est un Loup-garou. C'est mon seul ami, et la seule personne en qui j'ai une confiance absolue.

Il ne parle pas pour ne rien dire, il va droit au but. Il a un regard sur les choses, que j'apprécie. J'aime beaucoup son contact et son amitié.

Lui, c'est un pisteur, et aussi un très bon guerrier. Il ne se bat que si le besoin s'en fait sentir. Pour une question de survie , ou pour aider l'un des siens.

Les Loups-garous peuvent avoir plusieurs formes. Mais chaque étape de la transformation peut être contrôlée et arrêtée suivant leurs besoins. Ils peuvent s'adapter. Etre juste un homme un peu plus fort, une bête, un animal.... Les transformations sont assez vastes. Il n'y a pas d'étape bien précise... C'est comme une transformation à la carte. Cela dépend du Loup-garou, de sa personnalité et de ce qu'il a voulu développer le plus. Lui, en tant que pisteur, il est souvent en loup.

Il sait me retrouver quasi n'importe où. C'est frustrant quelques fois.