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Le mystère de la bête

D'aussi loin qu'il s'en souvienne, Rémy a toujours eu peur en forêt. Sans le bourdonnement d'une ville, le silence laisse place à d'autres sons : les craquements des branches, les feuilles qui tombent des arbres, et parfois ce qui ressemble un peu à des bruits de pas...

La forêt et la campagne, Rémy, ça n'a jamais été son truc. Du coup, il n'a pas franchement sauté de joie quand son père lui a annoncé qu'ils partiraient vivre au fin fond des montagnes de Lozère, dans un petit patelin de trois cent habitants. En fait, il l'avait senti venir : ça faisait deux mois que ses parents avaient divorcé. Sa mère avait décidé de partir faire le tour du monde. Alors évidemment, c'est avec son père qu'il était allé vivre. Si Rémy était né à Paris, son père était un campagnard pur souche, et les grands espaces lui manquaient. Donc quand sa femme est partie, il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour plaquer son job, vendre l'appartement et charger toutes leurs affaires dans la Kangoo familiale.

Tout ça les avait menés là, sur cette petite route un peu boueuse. Alors que son père s'extasiait sur les monts et les prairies, Rémy cherchait désespérément la 3G sur son téléphone. Il broyait du noir : il avait laissé tous ses amis à Paris, et Joris, le mec avec qui il voulait sortir depuis des années, commençait enfin à s'intéresser à lui. Il allait entrer en terminale et devenir le roi du bahut, bref, tout se goupillait parfaitement ! Au lieu de ça, il était parti pour passer un an dans ce trou paumé et l'an prochain, ce serait pas simple de trouver un appart à Paris pour aller à la fac... Et apparemment son père considérait qu'il avait de la CHANCE.

-Encore sur ton téléphone ? Éteins ça Rémy, regardes ce que tu loupes ! C'est pas magnifique ? Et respire cet air pur !

Pressant un bouton sur sa portière, il ouvrit la vitre côté passager. Rémy se prit en pleine face le vent de cette fin d'été. Même si l'automne n'était pas encore là, on sentait nettement l'air se rafraîchir. Il y avait une odeur d'herbe coupée, de feuilles mortes et...

-AH mais ça pue la bouse de vache ?!

-Râle pas Réré ! C'est normal ici ! Moi j'aime bien cette odeur.

C'était le ponpon : il l'emmenait se planquer dans le trou du cul du monde, respirer de la bouse. Ses conclusions étaient donc correctes, son père avait bien perdu la boule suite au divorce. Un dernier virage dévoila un petit village niché au creux d'un vallon. Même Rémy ne pouvait qu'admettre qu'il avait du charme : en cette fin d'après-midi, le soleil dardait ses rayons droit sur les murs des maisons, donnant aux parois de pierres une couleur éclatante. Au centre du village on distinguait une église manifestement très ancienne, d'où partaient plusieurs ruelles qui serpentaient entre les habitations. Alors qu'il était plongé dans la contemplation du village, un panneau lui boucha un instant la vue. Celui-ci indiquait qu'ils entraient dans la commune. On pouvait y lire son nom en grosses lettres noires : Bestia. Sous le panneau, un autre avait été cloué, représentant une sorte d'animal aux yeux rouges, dessiné un peu comme dans les tableaux moyen-âgeux.

-Tu as vu ce panneau ? Ça fait un peu peur hein ?

-Euh... Pourquoi ? Ça devrait ?

-Bestia veut dire "bête" en latin. Il y a une légende qui dit que c'est ici que la Bête du Gévaudan a été tuée. Tu va voir, c'est la fierté du village.

En effet, les quelques commerces avaient tous un nom en rapport avec la légende : Pub du Gévaudan, Café le Bestia, boutique Les délices de la Bête... C'était d'ailleurs étonnant qu'il y ait des commerces dans un patelin aussi petit. Ça devait être un endroit très touristique. Leur voiture passa le village et alla s'enfoncer un peu dans la forêt, avant de s'arrêter devant une petite maison en pierres, sans aucun voisin. Rémy frissonna : il n'aimait pas être aussi isolé, il avait peur de s'ennuyer tout seul et pire que tout, est-ce qu'il y aurait le wifi ? Décidément, les choses étaient mal parties...

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Deux mois s'étaient écoulés depuis la rentrée. Halloween approchait, et le vert des arbres avait laissé place à de belles couleurs marrons et oranges. Rémy s'était à peu près intégré, mais peinait à vraiment s'attacher aux gens de sa classe. Paris lui manquait toujours, et il continuait d'être intrigué par Coraline. Pas une fois il ne l'avait vue parler à un autre élève sans qu'elle n'y soit obligée. Et ils avaient beau habiter le même village, il ne l'avait jamais croisée en dehors des cours. Une fois sortie du bus, elle récupérait son vélo attaché devant l'église, prenait la même route que lui puis bifurquait sur un minuscule sentier.

Sa curiosité touchait à l'obsession. Il avait même cherché le sentier sur google map : le chemin s'enfonçait dans la forêt avant de grimper les collines qui surplombaient la vallée. C'était probablement un sentier conçu pour les bergers et les randonneurs, parce qu'il ne menait à aucune maison ! Qu'est-ce qui la poussait à partir se promener dans les bois tous les soirs, alors qu'il faisait déjà nuit ? Plus le temps passait et plus il brûlait de comprendre pourquoi elle était aussi bizarre. Il savait que ce qu'il allait faire n'était pas une bonne idée, mais sa décision était prise.

Le soir du 31 octobre, il accéléra le pas pour ne pas perdre Coraline des yeux. Lorsqu'elle tourna sur le sentier, il attendit quelques minutes puis s'y engagea à son tour...

La forêt était gorgée d'humidité et le froid passait presque à travers son gros manteau. Les odeurs de mousse humide, de bois mouillé et de feuilles mortes l'assaillaient à tel point qu'il en perdait presque le sens de l'orientation. Il était mal à l'aise, mais déterminé à découvrir la vérité sur Coraline. Le sentier était nettement visible au milieu de la végétation, et Rémy partit du principe qu'elle était obligée de le suivre, ne pouvant pas sortir du chemin avec son vélo.

Alors qu'il marchait sur le chemin, il entendit quelque chose passer derrière lui. Il se retourna brusquement : personne. Était-ce l'angoisse qui le faisait halluciner ? Continuant sa route, il sentit que quelque chose avançait en même temps que lui, à sa gauche, dans les buissons touffus. Son coeur se mit à battre si fort dans sa poitrine qu'il l'entendait pulser dans ses oreilles. Sans le vouloir il repensa à la sculpture grotesque dans la vieille église de Bestia. Était-on vraiment sûrs d'avoir tué la bête ?

Rémy accéléra le pas et la chose dans les fourrés accéléra aussi. Il aurait bien tenté de piler, pour voir si elle le ferait aussi, mais pour tout l'or du monde il ne se serait pas arrêté. Son pas rapide se transforma peu à peu en course et il se mit à détaler, oubliant qu'il fonçait droit vers l'inconnu. À sa gauche, il entendit un grondement furieux et la chose, quelle qu'elle soit, sauta sur le chemin pour se mettre à sa poursuite. Par-dessus les battements de son coeur et les bruits de ses pieds martelant la terre battue, il entendit des petites pattes ainsi qu'un bruit de glissement. Rémy n'osa pas se retourner pour voir à quoi il avait affaire.

Poussé par la peur, il courait mais entendait la menace gagner du terrain, les bruits de pattes se faisant toujours plus proches. La nuit était maintenant complètement tombée et la lumière de la pleine lune donnait à la forêt des airs de paysage de cauchemar. Rémy sentait ses forces l'abandonner, d'autant plus qu'il portait toujours sur son dos son sac de cours. Soudain, alors que la chose était toute proche, il entendit les bruits de pattes s'arrêter une fraction de seconde, juste avant de ressentir une douleur à l'arrière du mollet gauche. Une rangée de dents acérées venait de s'enfoncer dans son jean, manifestement avec délice, comme on mord dans un bon steak. Rémy poussa un hurlement, autant de douleur que de surprise, et s'écroula. Il n'eut pas d'autre choix que de se retourner, et contempla avec sidération son agresseur.

Il s'agissait bien d'une bestiole, mais comme il n'en avait jamais vue. On aurait dit un imposant serpent noir, doté à l'avant de deux petites pattes griffues. La tête de l'animal ressemblait à celle d'un gros chat cinglé, avec de grandes oreilles noires et des yeux jaunes, ronds comme des billes, qui le fixaient avec gourmandise. Sa gueule était pleine de dents pointues. En fait, grâce au tissus de son jean les dents ne s'étaient pas enfoncées trop profondément. C'était surtout la peur qui avait multiplié la douleur. Par contre, maintenant que l'animal était bien accroché il semblait décidé à lui bouffer le mollet. Rémy secoua la jambe, tandis que les dents s'enfonçait toujours plus loin. Il n'osait pas pousser la bestiole, de peur qu'elle décide plutôt de lui dévorer la main : celle-ci n'était pas protégée par de la toile de jean.

Rémy roula par terre pour essayer de se débarrasser de l'étrange serpent-chat-requin, lui donnant des coups avec son autre jambe. Alors qu'il se battait avec l'animal, celui-ci eut un violent spasme qui stoppa leur bataille quelques secondes. Rémy en profita pour se redresser et s'aperçut qu'il n'était plus seul.

Le spasme venait d'un grand coup de bûche que l'animal avait reçu sur la nuque. Derrière lui se tenait Coraline, un gros rondin à la main, l'expression furieuse. Son vélo était abandonné sur le chemin, donnant l'impression qu'elle en était descendue à toute vitesse pour lui venir en aide. Elle portait un gros sweat noir dont la capuche masquait partiellement ses cheveux, et ses mèches aux pointes roses s'agitaient furieusement dans le vent d'automne. Le temps sembla suspendu lorsque les deux adolescents se firent face, mais reprit vite son cours quand l'animal se secoua et le mordit à nouveau. Rémy recommença à secouer la jambe, plus surpris qu'endolori. Coraline s'écria :

-Mais arrête de gigoter ! Il faut que je l'assomme, crois-moi, tu veux pas que je le tue !

-Trucide-le si tu veux, je veux récupérer ma jambe !

Il continuait à lui donner des coups avec son autre jambe, mais ça ne servait à rien et il n'osait toujours pas y mettre les mains. Les crocs commençaient à s'enfoncer plus profondément et il craignait que cette blessure bénigne ne devienne bien plus grave. Il ressentit soudainement une douleur à l'autre jambe: en essayant d'assomer l'animal à nouveau, Coraline l'avait accidentellement frappé. Rémy passa de la peur à la colère :

-Mais fais gaffe !

Alors qu'il reportait son attention sur la bestiole, il la vit lâcher prise d'un coup. Les yeux se firent globuleux, puis la tête s'affaissa et le corps tomba en premier : son cou avait été tranché. Levant les yeux, Rémy réalisa que Coraline tenait fermement une petite hache à la pointe très effilée et au manche rose vif, aussi rose que ses mèches de cheveux. Malgré sa victoire contre l'animal, elle semblait toujours en état d'alerte. Rémy prit appui sur ses mains pour se redresser : il avait mille questions et il ne savait même pas par où commencer.

-Wow ! Où t'as trouvé cette hache ? Comment t'as fait pour être aussi précise avec ? T'aurais pu me couper la jambe !

-Nan, j'aurais pas pu. Mais maintenant, on est dans la merde !

Deux taches rouges coloraient ses joues : sur son visage se lisait un mélange de fureur et de panique. Pourtant, l'animal était mort... Rémy ne comprit pas cette réaction et se demanda un instant si ce sale caractère expliquait qu'elle n'ait pas d'amis au lycée.

-Qu'est-ce que tu racontes ? C'est bon là, non ? Tu l'as tué !

-Il faut jamais tuer un Tatzel ! Après...

Rémy n'eut pas le temps de lui faire répéter ce drôle de mot. Des fourrés s'éleva un bruit de plus en plus puissant : un mélange de glissements et de martèlements de petites pattes, un peu comme les bruits produits par l'animal maintenant coupé en deux... mais multiplié par cent. Rémy ouvrit la bouche pour poser une question mais à ce moment-là, une centaine de paires d'yeux surgit de la pénombre. Coraline l'attrapa par le sac à dos et l'entraîna jusqu'à son vélo en hurlant.

-COURS !

Elle lâcha son sac à dos pour se jeter sur son vélo et, toujours en courant, elle le redressa puis grimpa dessus. Elle avait déjà commencé à pédaler alors que Rémy grimpait sur le porte-bagages. Un Tatzel s'agrippa à son sac à dos et il le chassa d'un bon coup de poing cette fois. Ils prenaient de la vitesse, mais eux aussi : Rémy avait la sale impression que les bestioles étaient non seulement derrière eux, mais aussi autour d'eux.

Coraline pédalait à toute vitesse, à peine gênée par le poids de Rémy à l'arrière du vélo. Au loin, il apercevait les lumières du village qui filtraient à travers les arbres. Alors qu'il les croyait sortis d'affaire, un Tatzel plus gros que les autres bondit des fourrés et fondit sur Coraline. Le vélo tomba à la renverse et Rémy roula sur le côté. Le gros Tatzel enfonça ses dent dans la cuisse de Coraline et elle poussa un cri de douleur. Il fit un pas vers elle, mais elle semblait avoir les choses en mains : elle maniait sa petite hache avec une dextérité impressionnante, et donnait du fil à retordre à son agresseur. En entendant les autres monstres leur foncer dessus, Rémy réagit cette fois au quart de tour : il enfonça la main dans sa poche de jean et sortit un briquet, qu'il gardait sur lui pour d'éventuels fumeurs histoire de se faire des amis. Il attrapa une branche au bout touffu sur le bord du chemin et enflamma les feuilles, qui créèrent un halo de lumière dans la pénombre des arbres. Les Tatzel, qui lui foncaient dessus deux secondes plus tôt, stoppèrent net : ceux de devant dérapèrent et ceux de derrière se cognèrent les uns aux autres dans un tumulte de dents et de couinements. Plutôt fière de son idée, Rémy recula lentement jusqu'au vélo, sans oser détourner les yeux de la bande de monstres, à l'arrêt mais furieuse. Derrière lui, il avait remarqué que les bruits de luttes avaient cessé.

-Coraline ? Ça va ?

-NON, ça va pas ! Et c'est de ta faute !

Il jeta enfin un oeil derrière son épaule et n'aima pas ce qu'il vit. Coraline avait mis en fuite le gros Tatzel mais elle était assise par terre dans une mare de sang. Son pantalon était déchiré au niveau de la cuisse où une sale plaie s'étalait. La jeune fille appuyait sur le haut de sa jambe dans un geste visiblement savant, sans doute pour empêcher l'hémorragie. Rémy comprit que c'était à lui d'agir. Il la vit arracher ce qui restait de la jambe droite de son pantalon pour faire un bandage, et dès qu'elle eut terminé, il lui tendit la branche enflammée.

-Prends ça et oriente-la vers les monstres, cette fois c'est moi qui conduis.

Il redressa le vélo et aida Coraline à s'asseoir à l'envers sur le porte-bagages. Face au feu, la fureur des Tatzel semblait diminuer, comme si la difficulté de la tâche leur donnait envie d'abandonner la poursuite. Rémy enfourcha le vélo et se mit debout sur les pédales : tout à l'heure, Coraline avait filé comme le vent alors qu'il était assis sur le porte-bagages, donnant l'impression que c'était plutôt facile. En fait, deux personnes sur un vélo, c'était bien plus lourd qu'il ne l'imaginait ! Peu à peu, il prit de la vitesse et le bruit de la bande de monstres s'éloigna. Le vent finit par éteindre les feuilles mais il n'y avait plus d'assaillants à repousser.

Quand il fut sûr qu'ils étaient suffisamment loin, il freina et posa les deux pieds à terre. Il avait couru au hasard puis pédalé dans le seul but de s'éloigner des monstres. Il ne savait plus où il était ni comment rentrer au village, et il devait se dépêcher à cause de la blessure de Coraline. S'efforçant de maintenir le vélo droit pour éviter qu'ils ne s'écroulent tous les deux, il se tourna vers elle.

-C'est par où le village ?

-Le village ?

-Bah ouai, je te ramène !

-Tu plaisantes là ?

La voix de Coraline vibrait, mais pas de douleur : plutôt de colère. Elle semblait avoir du ressentiment contre lui et il ne comprenait pas pourquoi. Il repensa à tout à l'heure, face au gros Tatzel, quand elle avait dit que c'était de sa faute. Qu'est-ce qui pouvait bien être de sa faute ? Coraline se leva péniblement et boîta pour se mettre face à lui. Elle ne semblait pas seulement en colère : elle avait l'air paniqué.

-Tu sais que tu m'as mis dans une merde noire ?

-Euh, c'est ma faute si ce machin a essayé de me bouffer la jambe ?

-À cause de toi, j'ai du en tuer un. Du coup tous ses copains ont rappliqué et maintenant j'ai la jambe en charpie. Et j'ai un truc très important à faire ce soir donc : tu m'emmènes.

Rémy resta estomaqué. Un truc important à faire ? Dans les bois ? Bestia comptait trois cent habitants à tout casser et était à trente bonnes minutes en voiture du village le plus proche. Qu'est-ce qui pouvait bien arriver ? Rémy sentait la colère monter face aux accusations de Coraline, mais il était curieux aussi.

-Mais qu'est-ce qu'il peut bien y avoir de plus important à faire que dormir ? Il fait nuit et on est au milieu de nulle part !

-J'ai du boulot et je peux pas y aller comme ça, alors tu viens avec moi.

Comme si cette explication suffisait, elle reprit place à l'arrière du vélo et lui indiqua la direction à prendre. Rémy était tenté de la laisser là : il n'aimait pas qu'on se paie sa tête, et il trouvait cette quête complètement absurde. Mais d'un autre côté, il avait très envie de savoir où elle voulait en venir. À nouveau, il se mit debout sur les pédales et emprunta le chemin qu'elle lui indiquait.

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Ils filèrent à travers les champs et les bois pendant plusieurs dizaines de minutes. Sous la lumière de la lune, les paysages prenaient une couleur bleutée et une apparence un peu surnaturelle. Rémy réalisa qu'il n'avait même pas eu le temps de demander à Coraline ce qu'étaient exactement ces bestioles. Il avait beau être un citadin, il connaissait un peu les animaux, enfin... comme tout le monde. Et il n'avait jamais entendu parler des Tatzel. Quelles autres bestioles inconnues pouvaient bien ramper dans l'ombre ?

Le chemin caillouteux avait laissé place à un petit sentier de moyenne montagne. Les pentes devenaient escarpées et Rémy peinait à les grimper, non seulement en vélo mais en plus avec Coraline sur le porte-bagage. Pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, il se sentait un peu coupable, et voulait vraiment faire de son mieux pour ne pas la mettre encore plus en colère. C'est finalement au pied d'une butte qu'elle lui commanda de s'arrêter. Autrement dit, au milieu de nulle part. Rémy mit pied à terre et s'apprêta à aider Coraline à descendre. Mais à peine avait-il passé sa jambe par dessus le vélo qu'elle était déjà debout et boitait vers la butte. Il tenta de la suivre et elle le stoppa d'un geste autoritaire de la main.

-Tu peux me laisser, merci.

-Euh, toute seule ? Ici ?

Il se rendit soudain compte d'un truc : essoufflé par cette "balade" en vélo, il n'avait pas réalisé que le sol tremblait légèrement. Alors qu'il baissait instinctivement le nez vers ses pieds, Coraline se remit en marche vers la butte, mais s'écroula quelques mètres plus loin avec un cri de douleur. Paniqué, Rémy accourut pour glisser son bras autour de ses épaules et l'aider à se lever. Coraline grogna :

-Là bas... Il y a une grotte... Dépêche toi !

Au pied de la butte se dessinait effectivement une petite ouverture de la taille d'un personne à genoux. Rémy l'aida à clopiner jusqu'à l'entrée. Il n'avait aucune idée de ce qui se passait, mais il sentait que les choses étaient graves. Et il avait aussi l'impression que les tremblements dans le sol avaient augmenté en intensité.

Une fois devant la grotte, Coraline s'écroula à moitié puis s'engagea dans l'ouverture. Réalisant que Rémy la suivait, elle planta son regard dans le sien.

-Tu ne peux pas me suivre. Attends-moi dehors si tu veux m'aider. J'aurais besoin de toi pour repartir.

Sans attendre sa réponse, elle se détourna et disparut dans la pénombre. L'intensité dans ses yeux était si forte que Rémy se sentait obligé d'obéir. Mais il avait un très sale pressentiment. Les tremblements dans le sol étaient toujours plus forts et il se doutait qu'il y avait un rapport avec la mystérieuse "mission" de Coraline. Les minutes s'écoulaient et elle ne ressortait toujours pas. Montant de la grotte, il entendit des bruits sourds et lugubres, comme des sortes de tambours. Puis soudain, un hurlement, irréel, indescriptible, qui n'avait sûrement pas été poussé par la jeune fille. Rémy bondit sur ses pieds et s'engouffra dans l'ouverture. Ce n'était plus de la curiosité : quelque chose de grave se passait et Coraline n'était sûrement pas capable de l'affronter avec une jambe blessée.

Le trou dans la butte menait à un petit tunnel creusé dans la terre. Avançant à quatre pattes, Rémy voyait devant lui une curieuse lumière orangée, étonnamment forte. Mais rien ne l'aurait préparé à ce qu'il allait trouver en arrivant dans la grotte.

L'endroit était bien plus grand que ce à quoi il s'attendait. Il s'agissait d'une grande caverne manifestement creusée dans la pierre, mais ce ne fut pas ce qu'il remarqua en premier. D'un côté de la salle, un immense trou rougeoyait d'une terrible lueur incandescente, et sur le bord du trou s'aggripait... une gigantesque main, à l'aspect carbonisé.

-Ramène toi !

Coraline l'appelait depuis l'autre côté de la salle. Sa hache dans les mains, elle tentait de se tenir debout sur une jambe. Sans hésiter, il courut vers elle, sans tourner le dos à la Main géante.

-Coraline, qu'est-ce qui se passe ?

-Qu'est-ce que tu fais là ? C'est dangereux !

-Je veux t'aider !

Il fit de son mieux pour avoir l'air déterminé. Comme au premier jour d'école, quand il l'avait vue au fond de la classe, elle semblait le scanner de son regard. L'instant d'après, elle secoua la tête comme pour reprendre ses esprits.

-D'accord. Prends ma hache, je dois m'occuper de ça.

En parlant, elle désigna du pouce quelque chose derrière elle. Il prit conscience qu'elle tournait le dos à une statue qu'il n'avait pas remarqué, trop absorbé par le trou et la Main. Elle représentait un immense loup, mais pas comme celui de l'église. Celui-ci était assis dans une posture très digne, et semblait avoir été taillé dans la pierre il y a des centaines d'années. Devant était posée une bassine de pierre, entourée d'un vieux grimoire, de bocaux et d'herbes.

-Qu'est-ce que je dois faire ?

-Surveille la main. Quand tu vois la tête, préviens-moi !

-Et la hache c'est pourquoi ?

-Tu tapes avec !

Rémy n'avait jamais frappé personne. Tremblant sur ses pieds, il fit face à la vision surréaliste du trou. Alors que Coraline s'agenouillait devant la bassine, il réalisa avec horreur qu'une deuxième main agrippait maintenant le rebord de l'ouverture. Une affreuse odeur de souffre envahissait la caverne et les bruits de tambours se faisaient si forts qu'il dut crier pour se faire entendre.

-Coraline... Y'a du nouveau !

-Attends, j'y suis presque...

La fin de sa phrase fut noyée par un nouveau hurlement semblable à celui qu'il avait entendu à l'extérieur. Une bosse émergea du trou, ce qui semblait être le sommet d'un crâne. Et tout alla beaucoup trop vite. Une tête puis un corps sortirent de l'ouverture, et Rémy se trouva face à une créature humanoïde gigantesque, à la peau carbonisée. Il tenta de crier pour avertir Coraline mais aucun son ne sortait de sa gorge nouée. La créature étendit le bras vers la jeune fille accroupie et sans même réfléchir, Rémy se jeta dans sa trajectoire, si bien que la main se referma sur lui et le traîna vers le trou. Il se sentait comme la pauvre femme dans King Kong, le côté érotique et les buildings en moins. Son corps semblait agir tout seul, son cerveau n'étant plus capable d'assimiler la situation. Tenant la hache à deux mains, il donna des coups aux gigantesques doigts, provoquant un nouveau cri infernal. Les gestes de la créature avaient ralenti mais elle continuait à le tirer vers le trou.

Désespéré, il continua à taillader la main, tout en sachant au fond de lui qu'il n'avait plus aucune chance. Tout près de l'ouverture, l'odeur de souffre se faisait suffocante. Son coeur battait si vite qu'il se serait évanoui s'il n'était pas si déterminé à découper cette main qui le retenait prisonnier. Soudain, elle s'ouvrit d'un coup et le libéra de sa mortelle étreinte. Tombant au sol, Rémy prit à peine le temps de respirer et rampa à toute vitesse loin du trou. Il se retourna pour voir ce qui avait détourné l'attention de la créature.

Un immense loup avait fondu sur la bestiole humanoïde, les babines retroussées sur des crocs de la taille de bras humains. Son pelage d'un blanc pur, brillait d'une clarté lunaire dans la pénombre infernale de la grotte. La gueule de l'animal se referma sur la tête de son ennemi, qui se préparait à la frapper de ses poings. Le temps resta suspendu, tandis que le loup géant resserrait son emprise. Un craquement surnaturel résonna dans toute la caverne, et soudain la tête de la créature fut littéralement broyée. Son corps se transforma alors en une sorte de cendre qui, au lieu de tomber au sol, fut dispersée dans toute la pièce en une formidable explosion noire. Les tambours s'étaient tus, le sol s'était arrêté de trembler et la lueur rouge au fond du trou diminuait à présent.

Le loup immense retomba sur ses quatres pattes et Rémy eut la conviction qu'il n'avait rien à craindre. Coraline s'approcha de l'animal en clopinant et celui-ci baissa la tête vers elle. Il dut quand même réprimer un frisson en voyant cette gueule pleine de dents frôler sa camarade. Le bout du nez de la bête toucha la jambe meurtrie de Coraline, qui eut instantanément un sourire de soulagement. Puis le loup releva la tête et, sans un regard pour Rémy, il s'approcha de l'estrade où se tenait la statue... Qui n'était plus là. À mesure qu'il traversait la caverne, l'animal rapetissait de plus en plus. Il s'assit sur la stèle et l'instant d'après, se transforma en pierre. C'était fini. La jeune fille se tourna vers lui, l'air épuisé.

-Alors le bagarreur, on bouge ?

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Ils avaient remonté le tunnel en silence. Une fois dehors, Coraline s'était dirigée vers son vélo, la jambe miraculeusement guérie. Rémy réalisa qu'elle comptait repartir sans la moindre explication. Il était venu chercher des réponses, il avait finalement plus de questions !

-Attends ! Tu veux pas m'expliquer ?

-T'expliquer quoi ?

-M'expliquer quoi ? Il s'est passé quoi là-dedans ? C'est quoi ton rapport avec tout ça ?

Coraline laissa échapper un long un soupir et ses épaules s'affaissèrent. Elle poussa son vélo par terre, s'assit à côté et tapota le sol pour l'inviter à faire de même.

-Ce que tu as vu se reproduit tous les ans à la fête de Samhain. Je suis chargée d'empêcher le portail de s'ouvrir. Cette année, ça a failli mal tourner parce que je suis arrivée en retard à cause d'une certaine personne... On a eu chaud.

-Mais pourquoi toi ?

-C'est mon rôle. Depuis que maman est morte. C'est comme ça.

-Et tu es toute seule ?

Son ton se durcit. La jeune fille observa l'horizon et il vit ses sourcils se froncer. Elle semblait avoir beaucoup de rancoeur.

-Normalement non. Je fais partie d'un groupe mais depuis quelques temps, il sont tous occupés ailleurs. Je dois me débrouiller pour aider la bête.

-La bête ?

-La bête du Gévaudan ! Elle est belle hein ?

Pour Coraline, il semblait que ces explications suffisaient. Elle se releva et redressa son vélo avant de partir vers le sentier. Rémy contempla, atterré, la butte qui cachait la caverne. Quand il reprit ses esprits, Coraline était déjà à quelques mètres et il se dépêcha de la rejoindre.

-Tu sais, si t'es toute seule moi je peux t'aider !

-Toi ? T'es tout maigrichon...

-Oui mais je suis super doué à la hache !

-On verra petit gars ! Commence par apprendre à pédaler plus vite !

Rémy se demanda s'il découvrirait de nouveaux monstres en compagnie de Coraline. Ce n'était plus la peur qui l'habitait, mais l'impatience.

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