Chapitre 9 : La clinique
Quand je me réveille, je ne reconnais pas là où je suis. Je regarde autour de moi et je comprends : je suis dans une chambre d'hôpital. Mes paupières sont encore lourdes de sommeil que mon cerveau se rappelle : la forêt, la pluie, les pierres. À cette dernière pensée, mon corps semble se réveiller et mon ventre me tiraille. Je soulève doucement le vêtement blanc et, sous mes doigts, ma peau est colorée d'hématomes. Soudain je sursaute : une infirmière suivie de mes deux parents entrent dans la pièce. La première fait son travail sans réel entrain puis s'en va, sans un mot. Mes parents, eux, ont pris place sur les chaises à droite de mon lit. Je fixe le plafond et, pendant un moment, le malaise flotte dans la pièce. Ma mère est la première à fendre le silence :
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demande-t-elle, la douleur dans la voix.
- Rien qui ne te regarde, maman.
Je ne la regarde pas mais je sais que je l'ai touchée. Ce n'est pas ce que je veux, mais ce qui se passe entre Cirice et moi, ça ne regarde que nous. Après quelques secondes, elle se lève comme un diable.
- Rien qui ne me regarde ?! Tu plaisantes j'espère ? Tu fugues, tu pars sans rien dire, et quand on te retrouve tu es couverte d'hématomes. Comment ça pourrait ne pas me regarder ?!
- Si tu continues de crier, on va te mettre dehors, j'ose et, comme synchronisées, une infirmière, différente de la première entre et fait sortir ma mère, qui ne proteste pas. Mon père, lui, reste là, à me fixer. Dans ses yeux flottent l'incompréhension et la souffrance et je suis obligée de détourner les miens. Jamais je n'ai voulu provoquer la douleur de mes parents.
- J'imagine que tu sais ce qui t'attends, m'annonce-t-il.
J'avale difficilement ma salive.
- Nous avons parlé avec ses parents.
Ma respiration se bloque. Mon père se lève et s'approche doucement de moi.
Je ne veux pas entendre la suite.
Il me caresse le front et assène le coup :
- Tu ne reverras plus Cirice, ma puce.
*
ll y a plus d'une semaine de ça que je suis rentrée de l'hôpital. Je n'ai plus goût à rien. Tous les matins, je me bats avec ma mère pour ne pas aller en cours, et elle cède à chaque fois. Je mange peu et je reste toute la journée couchée sur mon lit à ne rien faire. Je n'ai même pas la force de m'occuper de Xénon.
Il est sept heures du matin. J'observe les flocons de neige, dehors, se déposer sur les voitures les bancs, les toits des maisons. Comme chaque matin, ma mère entre dans ma chambre. Elle ouvre la fenêtre et un courant d'air froid pénètre dans la pièce, me faisant frissonner. Elle vient près de mon lit. D'habitude, elle me dit de me lever, et je finis par lui citer des symptômes que je n'ai pas - maux de ventre, tête qui tourne, nausées. Mais ce matin, elle me pose une question différente :
- Tu ne veux pas aller au lycée, Haatlae ?
Je la regarde, surprise. Au début, je crois qu'elle a enfin compris et qu'elle va me laisser tranquille.
- Non, maman, je réponds.
Elle s'assoit en tailleur à terre et nos têtes se retrouvent au même niveau. Elle vient caresser doucement mon front.
- Tu sais que tu ne peux pas rester toute ta vie dans ton lit ?
Je soupire. C'est raté, pour la tranquillité.
- Je sais, je dis.
- Ton père et moi en avons parlé. On a pris notre journée aujourd'hui et on va essayer de trouver une solution.
- Comment ? je demande, sans conviction.
Elle se lève et me dit :
- Habille-toi, ma chérie. On t'emmène chez le docteur.
Elle sort de ma chambre et au bout de quelques minutes, je décide d'obéir. Après tout, elle a raison : je ne peux pas rester toute ma vie dans mon lit. Je me lève difficilement, ouvre mon placard et en sort un pantalon noir avec un haut de la même couleur. En les enfilant, je me rends compte qu'inconsciemment, je cherchais la robe, mais elle ne s'y trouve pas. Je ne sais si c'est la pensée de ce vêtement ou le fait qu'il ne soit plus là, mais j'ai mal au cœur. Une fois habillée, je fais face à la porte ouverte. J'entends les cris joyeux de mon petit frère. Je prends une grande inspiration et avance.
Sur la table se trouvent du pain, de la confiture, du beurre, le grille-pain branché dont une odeur de grillé s'échappe, du lait, du cacao et du jus d'orange. Quand je m'assois, deux tranches de pain sautent hors du grille-pain. Je n'ai pas grand appétit mais devant les efforts de mes parents et le sourire de ma mère, je fais griller une tranche puis la tartine une fois chaude. Une fois que nous avons fini de manger, et que tout est rangé, nous nous préparons pour partir. Quand j'enfile mes chaussures, ma mère est plantée devant moi, toujours un sourire sur le visage. Elle me tend Xénon et après une seconde d'hésitation, je le prends dans mes bras. Je ne sais pas comment va se passer le rendez-vous chez le docteur alors je préfère faire plaisir à ma mère le plus possible. Nous montons dans la voiture pendant que le stress fait tambouriner ma poitrine.
Nous attendons un petit moment dans la salle d'attente, pas assez longtemps à mon goût. Qu'est-ce que je suis censée dire ? Que la personne que j'aimais le plus m'a lapidée pour je ne sais quelle raison ? Repenser à ça me fait avoir un haut-le-cœur. Puis, mon cerveau se met en marche : pourquoi Cirice m'a fait ça ?
Je n'ai pas le temps de plus réfléchir que le docteur appelle mon nom. Mes parents et moi nous levons ensemble pendant que je me questionne encore.
Arrivés dans le bureau du docteur, elle nous demande pour qui est-ce, et la raison. Je reste muette mais à mon soulagement, ma mère explique tout. Elle approuve d'un signe de tête, puis elle me fait faire quelques examens, comme mesurer ma taille et contrôler mon poids, qui, je remarque, a descendu depuis la dernière fois que je me suis pesée. Elle remplit finalement une ordonnance, puis nous explique enfin ce à quoi je vais avoir droit.
- Je pense que, face au mal-être d'Haatlae, le mieux pour elle est la clinique psychiatrique.
Je tressaille à l'entente de ce terme. Je commence à protester :
- Je ne veux pas être mise dans un asile.
Elle sourit suite à ma réponse.
- Une clinique psychiatrique est très différente d'un hôpital psychiatrique, me reprend-elle. Plusieurs activités te sont proposées pour t'aider à aller mieux. Il y aura également un suivi avec un psychologue et un psychiatre au besoin, informe-t-elle mes parents. Je vous propose de vous y rendre pour avoir plus d'informations. Ils sont ouverts à cette heure-là, dit-elle en nous tendant une brochure.
Une fois sorti du cabinet, en attendant l'ascenseur, mes parents me demandent mon avis.
- Je n'ai pas envie, je réponds, mais il faut bien trouver une solution.
Nous nous rendons à l'adresse indiquée sur le dépliant et, une fois à l'intérieur, une femme, relativement jeune, vient à notre encontre. Mes parents leur explique la situation en lui donnant l'ordonnance. Je n'ai pas lu ce que le docteur a écrit dessus, mais je commence à sérieusement penser que je n'ai pas le choix d'intégrer cette clinique. Après lecture du papier, la femme nous lance un radieux sourire et nous informe qu'elle peut m'accueillir aujourd'hui-même.
- Vous pouvez rentrer chez vous puis pour qu'elle puisse préparer ses affaires et revenir ce soir. Nous fermons à vingt-et-une heure.
- Très bien, répond ma mère, et nous nous allons chez nous.
J'ai préparé en vitesse ma valise : tous mes vêtements, avec mon pyjama. J'ai voulu prendre mon maquillage mais mes parents ont refusé. Après réflexion, je ne prends rien de plus. Après tout, je vais essayer d'aller mieux, alors autant prendre le moins possible d'affaires me rappelant tout ce qu'il s'est passé.
Toute l'après-midi, nous regardons des films et, à dix-neuf heures, ils décident de m'emmener au restaurant. Ils me laissent le choix de ce dernier, et j'opte pour un où nous pouvons faire nos propres pizzas et gratins. À la fin du repas, mes parents m'offrent un cadeau inattendu : un carnet.
- Comme ça tu pourras écrire tout ce qu'il se passe à la clinique, se justifie ma mère.
Je prends le carnet orange foncé des mains de ma mère en pensant qu'ils avaient prévu que j'aille à cette clinique, mais je ne leur en veux pas. Je mange une dernière coupe de glace à la vanille puis nous nous rendons à la clinique, là où je vais habiter pendant quelques temps. À l'intérieur, je dis au revoir à mes parents et la même femme que tout à l'heure, Rose de son prénom, m'emmène à ma chambre. Elle m'annonce que je la partagerai avec une autre fille, ce qui me fait un peu peur. Arrivées devant une porte, Rose l'ouvre et une jolie brune lève les yeux vers nous. Je remarque ses cheveux châtains mi-longs et ses yeux verts.
- Louise, je te présente Haatlae. Elle est nouvelle ici et partagera ta chambre. Elle vient juste d'arriver alors je lui ferai faire le tour du bâtiment demain. Je te la laisse pour cette nuit, fait-elle avec un clin d'œil. Puis, elle repart, et je me retrouve seule avec cette Louise. Elle me sourit, et je suis soulagée qu'elle n'ait pas l'air en colère. Elle m'aide à placer mes vêtements sur les étagères et me montre la salle de bain et les toilettes. J'apprends que chaque chambre a sa salle de bain privée.
Nous nous couchons et, dans le noir, mon esprit ne peut penser qu'à une seule chose : les marques de scarification de Louise.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro