CHAPITRE UN
Rédacteur : M. Ian Midas
Avertissement : contenu impliquant des scènes qui pourraient choquer les plus sensibles. Faites comme vous le sentez, je ne me suis juste pas retenu.
L'assemblée se tut. Le maire, Monsieur Philibert B., faisait tinter une petite clochette pour attirer l'attention sur lui. Au village, personne ne disait jamais son nom de famille. Une lettre suffisait. Le petit homme grimpa sur l'estrade communale composée d'un simple muret, et se racla la gorge avec sensualité. Le bourgmestre méritait bien sa profession : il avait le physique parfait de ce que représentait la République pour tous les villageois, à savoir la forme exacte d'une poire grasse, à laquelle on aurait greffé quatre courts membres. Monsieur B. réajusta ses lunettes qui, glissant sur son nez plat, se rabattaient sur ses joues prédominantes, puis il passa la main dans son unique mèche de cheveux restante, avant de proclamer :
« Mes amis, mes ennemis, moi, Monsieur le maire, vous souhaite à tous une très bonne journée. Voilà maintenant onze ans jour pour jour que l'hôpital psychiatrique de Saint-Laurent Les Abat-jours a fermé, manque de personnel, de budget et de matraque pour nous contenir. Tous ont fui, ces lâches. Les gardiens comme les infirmiers comme les docteurs, il a suffi d'une étincelle pour que la paille fuie devant le dragon que nous sommes...
- Abrège, couillon ! Gueula Édouard J., l'homme le plus respecté du village car étant le gérant de son unique bar.
- Nous nous sommes donc réfugiés dans ce magnifique village de Gribourg, où tous les anciens habitants nous ont gentiment laissé leurs maisons. Alors, en commémoration de ce jour où la crise nous a rendu notre liberté : vive Gribourg, vive nous ! »
Puis tous hurlèrent d'éclatants « vive nous ». Édouard J. offrit à tous une tournée, tandis que le maire fila aller chercher l'habituel clou du spectacle.
Au village, chacun connaissait les problèmes de chacun, sans quoi l'inexistante harmonie qui y régnait serait encore plus perturbée. Ainsi, personne ne fut surpris quand le tenant du bar se mit à trembler de toutes ses forces de sauterelle, devenu rouge pivoine, sous l'effet de la joie.
Philibert B. revint bientôt accompagné de Paul M., qui avait tant tardé à cause de sa routine imperturbable : tous les jours à dix heures, ce jeune cul-de-jatte porté sur échasse attentait patiemment les extra-terrestre qui, selon lui, lui avaient emprunté ses jambes pour les lui rendre un jour en quatorze fois meilleure (et il insiste bien sur ce chiffre : quatorze fois !) ; le problème étant que les aliens n'ont pas précisé de quel jour il s'agirait.
Le maire tirait derrière lui un lourd et antique tonneau, rempli à ras-bord de pétards et fusées du 14 juillet. Avec cérémonie, et sous les regards empressés de la foule de villageois, le bourgmestre enflamma une longue allumette, et se pencha jusqu'au bout du tonneau où la mèche commune à tous les explosifs patientait. On dut retenir un ou deux pyromanes qui commençaient à baver et à donner du pied un peu partout.
Philibert B. embrasa la ficelle. Ici, on ne connaissait pas les normes de sécurité, et on ne voulait plus jamais en entendre parler. Ainsi, les villageois restèrent à côté du tonneau comme s'il eût été un membre à part entière de la communauté, jusqu'à ce qu'un terrible sifflement fende l'air. Quelques fusées partirent en l'air, puis, mécontentes de leur solitude, retombèrent comme une capote-ballon que l'on dégonfle.
Tous levèrent la tête... comment était-ce possible ? On avait pourtant mis des dizaines d'autres feux dans le baril...
Mireille L., une sadomasochiste extrême (au point de s'être fait interner) tordit son visage recouvert de scarifications pour le plonger au dessus du tonneau. Elle hurla, recula de deux pas avant de tomber fesses à terre, horrifiée. Puis on entendit les crépitements des cent autres fusées, comme si elles fonctionnaient à plein régime. Et pourtant rien ne sortait encore de la pandore mystérieuse. Puis, tout doucement, éclairé du rouge des feux d'artifices, un visage sortit du récipient, puis une tête, puis un corps entier.
La foule resta abasourdie. Certains s'évanouirent, d'autres hurlèrent et quelques uns restèrent impassibles. Devant le village entier se dressait un cadavre, porté par cent fusées clouées à même sa chair, et qui ondulait comme une limace au réveil. La petite danse (à approcher d'un tango au ralenti exécuté par un tronc d'arbre) dura quelques secondes encore avant que le corps humain ne soit plus propulsé et s'écrase mollement. Le macchabée se prosternait désormais devant le maire, immobiles.
Ce dernier avait maintes fois rendu son déjeuner lors du spectacle, et renouvela l'action quelques fois encore avant de recouvrer un semblant de lucidité. Sans pouvoir contenir son érection (ne cherchez plus pourquoi on avait tenté de l'enfermer, celui-là), il contempla le travail : la dépouille devait être une femme, qu'on a mise a nu, écorchée, puis recouverte d'argile qui au contact du sang avait pris une teinte mi-rouge. Du reste, les clous avaient laissé une centaine de petits trous dans la carapace de terre cuite, et le sculpteur avait laissé le masque rouge prendre les traits de la victime dans une fantastique position d'épouvante magnifiée.
Édouard se rua sur le maire qui commençait à défaire sa ceinture tandis que la place se vidait de ses paranoïaques et paniqués. C'est alors que Melvin Q., couché sur l'unique branche restante de l'arbre surplombant la grand-place, daigna sortir son nez boutonneux de l'entrejambe de Jeanne D.. Les deux adolescents étaient les seuls enfants pensionnaires de l'hôpital, et avaient donc rapidement développé une amitié sans bornes, qui se mut rapidement en un amour cru, sec et rugueux, basé sur la reproduction des gestes d'amours si compassionnels de leurs amis perturbés mentalement. Melvin tomba de la branche pour s'étaler au sol. Son steak de cheveux bouclés d'un bruns-étron (comme dirait sa bien-aimée) demeura imperturbable tandis que ses petits yeux de vipères frétillants sautaient de visage en visage.
Le tenant du bar lui demanda, offusqué :
« C'est toi qui as fait ça, Mel ? »
L'adolescent baissa les yeux en titillant une verrue de son menton, tandis que Jeanne se ramassait au sol derrière lui, ayant fini de remettre sa jupe et son corset. Elle se releva péniblement, et, de sa main creusée d'anorexique involontaire, se plaça à côté de son amant, le menton dans son épaule. Pour tous ceux qui étaient ici, il était évident que le fautif était ce jeune monsieur Q.. Interné pour troubles psychiques multiples manifestés dès le plus jeune âge (énurésie, bipolarité, caractère sur-agressif, torture sur animaux divers, pyromanie latente, confort au sein des éléments macabres) : l'adolescent était le type même du psychopathe de film d'horreur. Or, nous sommes dans un livre, et Mel est tout de même plus discret que cela quand il assouvit ses pulsions.
« Non, lança-t-il simplement. Ce n'est pas moi. »
Peu convaincu, Édouard retroussa ses moustaches jaune moutarde avant de menacer :
« Je vais réveiller tu-sais-qui, si jamais tu ne me dis pas la vérité.
- Je n'ai rien fait.
- Tiens ! Aboya Mireille entre deux crises d'épilepsie. Et comment veux-tu nous le prouver ?
- C'est très simple, répliqua Melvin. Je n'aurais pas fait comme ça. »
Puis, s'approchant du cadavre désarticulé, le touchant aux endroits cités ci-dessous :
« J'aurais commencé par inciser juste ici. Comme ça, les fusées auraient juste poussé le corps au dessus du tonneau, pour qu'il asperge tout le monde de ses tripes. Après, je pense que je l'aurais violée, deux fois, et que vous retrouveriez des traces d'implants siliconés un peu partout, pour qu'elle soit difforme à l'intérieur mais bien moisie à l'extérieur, pas l'inverse.
- T'es vraiment un grand malade, lui souffla Jeanne avec une pointe d'excitation dans la voix. »
On entendit soudain un bruit de verre se brisant : Loïc F. laissa tomber du deuxième étage de sa ferme réaménagée le télescope grâce auquel il espionne habituellement les femmes du village dans leur intimité. L'appareil de vision se fracassa au sol avec violence, tandis que Loïc fit son apparition sur le pas de la porte.
C'est bon, le tour des notables du village avait été fait ; le maire, Édouard et maintenant lui.
Loïc F. était un grand breton baraqué, chapeau de cow-boy au crâne chauve, autoproclamé shérif, qui passait son temps à tabasser son fils. Jusqu'à ce malheureux jour où le garçon mourut, et où Loïc dut prétexter un déséquilibre mental majeur pour éviter la prison, pour au final devenir pensionnaire de l'hôpital psychiatrique comme tous les autres. Le shérif explosa :
« Nom d'une mer de bain de diou d'sa mère la vide-burne ! Prune ! »
Tous en restèrent pantois : on avait tant discouru des modalités de détérioration du cadavre que personne n'avait tenté de reconnaître la personne qui se cachait derrière. En effet, on n'avait pas non plus remarqué l'absence de Prune F., la femme improvisée du shérif de Gribourg. Elle était une sorte de légume, assommée par les années de médicaments en surdose et par ses tentatives de suicide successives. Elle passait ses journées à mâcher le journal devant une radio éteinte, et Loïc ne l'avait épousée en face du maire que pour pouvoir posséder un réceptacle à libido permanent et qui ne râlerait jamais. Du reste, les hormones prises à l'hôpital l'avaient rendue stérile et chauve ; le shérif faisait d'une pierre deux coups.
Mais désormais, ne restait de Prune F., anciennement Prune E. qu'un cadavre emprisonné dans la terre. Loïc s'était rué sur son épousée, virant les adolescents d'une volée de main. Il l'embrassa de toutes ses forces et se mit à pleurer à chaudes larmes, comme s'il regrettait un réel amour perdu.
Jeanne se pencha à l'oreille de Melvin et lui susurra en postillonnant :
« Tu es sûr que tu n'y es pour rien ?
- Sûr et certain. »
Tout à coup, le shérif Loïc F. se rehaussa de toute sa splendeur bretonne. Il beugla au monde entier :
« Quel que soit l'enciré d'troufiac du fond des abysses du trou d'ton chat l'auvergnoise dévergondée qu'a fait ça à ma Prunelle, j'le retrouverai. J'y mettrai toutes les balles de ma matraque s'il le faut, mais je t'enfoncerai ton nez si profondément dans ton crâne que tu vas pouvoir sentir la merde que j'm'en vais l'y chier dedans d'ces quatre ! Aaah ! Tu vas crever ! »
Édouard J. se détourna de ce pitoyable spectacle pour s'adresser à tous les villageois à peu près lucides restants :
« Écoutez-moi bien, tous. L'heure est grave. Jamais notre village n'a connu une pareille crise. Je veux que chacun d'entre vous me ramène tous les p'tits culs du village. Je vous avoue moi-même que tous autant que nous sommes, on n'a jamais été bien sages ni bien sociables. Ni bien lucides. Ni bien clairvoyants, ni bien pacifiques, ni bien aimables. Ni bien courageux, ni audacieux, ni bien sympathique. En fait, on n'a jamais été tout ce que les personnes « normales » sont et font. Mais je veux que ce soir à dix-huit heure, tous les habitants viennent au bar, tournée pas offerte, pour qu'on en discute de tout ça. Je pense pas que le shérif rattrapera jamais celui qui a fait ça, s'il est malin. Il faut qu'on s'organise.
« Mes amis, il y a un monstre à Gribourg. Et si on ne le débusque pas bientôt, il va pas nous manquer. Ah ça non. »
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