Prologue - 3
Système Sven, 2251
Avec les maigres armes dont disposait le Nayaka, Tialm aurait bien tenté de défendre la planète contre les alephs. Mais ils auraient tôt fait d'être pris dans le feu d'Égide.
Donc, désorbitation.
Almira était sanglée sur un siège à mémoire de forme, entre deux membres d'équipage. Les passagers avaient tous revêtu une tenue spatiale. Si les fibres micrométriques de titane et de céramique pouvaient affronter le vide, en arriver là signifiait surtout tomber de la stratosphère sans parachute.
Une porte s'ouvrit et 112 entra dans le module de survie. Ses pas sonnaient comme un compte à rebours métallique. Arrivé devant Almira, ol tira de son dos un pistolet à décharge et fit feu à bout portant sur les deux okranes de l'Exadiel.
La tête de plasma, un microscopique projectile électrique porté à vaporisation, traversa sans peine leur combinaison et laissa des blessures béantes déjà cautérisées.
La gravité artificielle régnait toujours, mais elle serait coupée pour la descente, remplacée par la pression de la décélération. Bien que le Nayaka disposât d'amortisseurs inertiels, il n'avait jamais été prévu pour une désorbitation.
Dans le coin de sa visière, elle vit les autres passagers se sauver du module. Personne n'avait une arme à opposer à 112, et sans doute ne tenaient-ils pas à perdre leur vie en essayant de maîtriser l'aleph. Après tout, ils seraient sur Mondor dans quelques minutes.
112 resta debout, face à elle. La nitescence des murs blancs de l'habitacle, conçus pour résister à tout prix à la rentrée atmosphérique, le nimbait d'une aura irréelle. Ol n'avait pas changé depuis le début du voyage. C'était toujours sur son visage la même expression amicale, portée avec la régularité d'un masque confortable.
« Nous avons quelques minutes pour discuter, semble-t-il. Pour commencer, que penses-tu de cette fin de monde ? »
La visière du casque de sa combinaison spatiale gênait la vision périphérique d'Almira. Elle chercha les canaux de communication internes. Rien. Le vaisseau était silencieux. Comme s'il n'y avait plus qu'elle et lui, qui pointait son arme avec une nonchalance affectée.
« C'est vous.
— Évidemment. »
Ol s'assit dans un siège désormais inoccupé, considérant Almira sans cacher son intérêt.
« Cela te surprend-il ?
— Vous êtes un monstre.
Cette remarque le déçut.
— Almira, cela fait longtemps que nous avons dépassé ce stade de la discussion. Si nous reprenions ce moment où tu devenais la seule à comprendre ce que je voulais faire ? Ah, ce n'est pas étonnant. Au fait, je regrette vraiment d'avoir essayé de te tuer à toutes ces précédentes reprises, mais que veux-tu, je ne pensais pas que tu étais aussi importante à l'époque, qu'il était intéressant de te laisser vivre.
Faisant semblant d'être distrait, ol joua avec son arme et reprit :
— Parlons donc de toi. Comment as-tu survécu en 2143 ? Lorsque je t'ai laissée, tu étais sur la trajectoire d'un million de tonnes de roches en fusion. Et sauf erreur, elles se sont effectivement écrasées sur toi. »
Almira sourit.
Elle était en position de force.
Ol était ignorant ; cette ignorance le dévorait comme un poison.
« C'est gratifiant, pour moi, répliqua-t-elle. Je suis heureuse d'être enfin celle qui en sait plus pendant que vous cherchez les explications. Finalement, vous avez perdu.
— Au contraire. La moindre des choses que l'on attend d'une expérience révolutionnaire, c'est qu'elle nous surprenne. C'est ce qu'attendait le créateur de la conscience artificielle. C'est ce qu'attendaient les généticiens qui ont inventé la vie artificielle. C'est ce que j'attendais de toi, Almira, et je déclare donc officiellement que tu as dépassé toutes mes espérances. »
Une violente secousse parcourut le sol, se répercuta dans tout son corps, et elle perdit pied. La descente commençait.
La décélération la propulsa vers l'arrière et la plaqua aux sièges désormais vides. 121 avait accroché une sangle sur sa poitrine et n'avait donc pas bougé de sa place, d'où ol la regardait toujours en abusant de son expression de victoire.
« Tu ne me demandes pas comment moi, je ne suis pas mort en 2143 ?
— Je savais que vous n'étiez pas mort.
— Aucune admiration pour ton créateur, Almira ? J'ai quand même eu toutes les peines du monde à survivre. Pendant un instant, j'ai été réellement compromis. Je n'avais plus qu'un seul corps, celui d'un enfant.
— Pourquoi est-ce que vous faites ça...
Sa combinaison avait tenu le choc, c'était le moins qu'elle pouvait faire. Mais une traînée de sang coulait à l'intérieur de son casque.
— Je suis désolé que tu aies toujours dû souffrir, dit-ol. Je suis vraiment désolé. Je suis aussi désolé que tu doives mourir. J'y ai longuement réfléchi, et même si je t'apprécie beaucoup, je pense que tu seras de trop dans le monde que je suis en train de créer.
— Vous n'êtes pas en train de créer quoi que ce soit. Ce que vous faites ne fait pas de vous un créateur.
— J'ai toujours été un créateur, Almira. Il y a toujours une part de destruction dans la création. »
Les amortisseurs inertiels atténuaient les effets de la décélération en deçà du supportable. Aléane se remit debout, menaçante. Il ne bronchait pas.
« Tu ne veux voir que la part de destruction. Mais tu es toi-même un élément de la part de création. Ton génome est une petite partie de ce plan. Tu t'en es déjà rendue compte.
— Nous sommes en train de descendre sur Mondor, hésita-t-elle.
— Depuis que j'ai le contrôle de ce vaisseau, nous nous écrasons sur Mondor. Nous en profitons d'ailleurs pour détruire une petite ville. As-tu peur de la mort, Almira ? »
Passé son sourcil, la traînée de sang était tombée devant son œil droit, descendant jusqu'à la commissure des lèvres : désormais elle voyait trouble, pleurait et sentait un goût salé. Rien en comparaison de ce que l'homme en face d'elle avait fait à la Terre, et de ce qu'elle avait vécu. Rien face à la souffrance qu'il lui avait causée.
Elle éclata d'un rire qui se voulait sinistre, sans parvenir à l'impressionner, tout juste à susciter son intérêt.
« Je ne mourrai pas, dit-elle avec force.
Il sembla accepter la sentence avec indifférence.
— Nous verrons bien, Almira. Je suis curieux de ce qui va arriver. Sans doute aussi un peu excité. Un monde nouveau va naître de tous ces décombres.
— Vous n'avez aucune considération pour les almains.
— Humains et okranes sont intéressants lorsqu'ils se battent pour vivre. »
Almira se projeta en avant, mais la poussée contraire la ralentissait. L'aleph attrapa son poignet de sa main gauche et la renvoya au sol d'un simple pivotement du bras.
« Je suis surpris, Almira. Tu es une hybride, n'est-ce pas ? Où sont tes capacités suralmaines ?
— Je vieillis, dit-elle.
— Tu es déjà une antiquité, comme moi.
Elle se releva encore et tituba, mal assurée. Un coup d'accélération la projeta de nouveau contre les sièges.
— Nous devrions entrer bientôt dans l'atmosphère, dit-ol.
— Je vous détruirai.
— Je n'en doute pas, Almira. Peut-être dans une autre vie. En tout cas, c'était un plaisir de parler avec toi de nouveau. Sais-tu que nous sommes le dernier projectile qui tombe sur cette planète ? Après celui-ci, le bouclier Égide entrera de nouveau en activité. Plus rien ne rentre. Plus rien ne sort. À l'abri d'Égide, Mondor pourra devenir le monde dont j'ai toujours rêvé.
— Vous vous souvenez de toutes vos morts ?
Il parut intrigué par la question.
— La plupart de mes avatars n'étaient pas connectés à moi lorsqu'ils sont morts. Je ne me souviens pas de tout. Je me souviens... non, pourquoi dis-tu cela ? »
Sans sommation, il pointa son arme vers elle et tira. Almira lâcha le siège auquel elle venait de s'accrocher, et dévala l'allée, se heurtant cette fois à une porte de service. Il dégrafa sa sangle et marcha vers elle tranquillement, arc-bouté au sol qui déviait vers le bas, muscles tendus pour ne pas être lui aussi emporté.
Le système de refroidissement interne du module tenterait jusqu'au bout de les protéger de l'échauffement qui dévorait le reste du vaisseau. Mais il serait inefficace contre l'impact. À cinq mille kilomètres à l'heure, le Nayaka était une bombe, dont il ne subsisterait pas le moindre fragment.
« Je veux bien croire que tu aies survécu la dernière fois, mais pas aujourd'hui. »
Il la poussa du pied pour voir distinctement la blessure. Le plasma avait fait fondre les fibres de la tenue, traversé les couches isolantes et protectrices, creusé dans la chair et carbonisé les alentours. Mais il avait tiré trop haut, touchant l'épaule alors qu'il visait le cœur.
Alors qu'il la pensait inconsciente, Almira projeta un bras vers lui, enserra son cou et lui arracha son arme. Elle roula sur le côté et, malgré sa blessure, pointa le canon vers lui.
« J'ai comme une impression de déjà-vu, dit-il.
Il regarda les doigts désarticulés de sa main droite et indiqua :
— Tu étais vraiment très forte, Almira. Je suis fier de toi. »
Elle fit feu en pleine tête. Des éclats de plastique et des traînées de nanomachines éclaboussèrent les sièges, sur lesquels 112 tomba comme un mannequin.
C'était le commencement.
Un monde allait naître de la folie de C ; elle devait le sauver de son emprise, expurger la malédiction de son créateur.
Il le fallait.
Elle ne pouvait pas mourir.
Tu ne peux pas mourir.
La traînée de feu du vaisseau se poursuivit une éternité, comme une nuit de printemps. L'impact surgit pourtant et déchira le monde.
Aucun œil ne verrait, sous cette lumière insoutenable, le souffle qui balayait les habitations, les usines, les lignes de train, les ponts, les arbres, les immeubles. Personne ne pouvait voir le rêve d'un seul être devenu réalité, dans cette proclamation qu'il faisait maintenant. Le créateur d'un nouveau monde, l'égal des dieux.
Un monde tomba dans l'oubli, résumé en un souvenir brûlant, réduit à un seul jour honni.
Alors, comme l'astre de la nuit prend sa place dans les cieux, naquit son successeur.
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... fin du prologue !
Nous pouvons donc attaquer sereinement l'année 2387.
Résumé par Gudule : C est un méchant. Almira est une gentille. Mondor est sous les verrous de l'Égide pendant 136 ans. Donc, pendant 136 ans, les Mondores plantent des choux.
Merci de lire ce bouquin passionnant.
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