I.Cauchemar
Saison Automne 3015 - Lunaison 12 - Lune 5
Identification : Ethan 45678
Je me réveille en sueur. Mon vêtement épidermique ne fait plus qu'un avec ma peau transpirante. Quel était ce cauchemar ? Cet horrible songe ?
Les dernières images brouillonnes qui me parviennent du fond de mon sommeil paradoxal paraissaient tellement réelles que j'ai du mal à m'en remettre. Des flashs violents saturent mon esprit. Je place mes paumes sur ma poitrine. Mon cœur bat à une vitesse inhumaine. Il faut que je réussisse à ralentir son rythme, ou je vais défaillir. J'inspire profondément. Je tente de reprendre mes esprits en massant de mes doigts tremblants le petit boîtier lové sous ma peau, implanté dans mon cortex. Mon cerveau me fait atrocement mal. J'ai l'impression qu'il va exploser et se répandre sur le sol de mon habitacle. Des bribes de cauchemar me harcèlent, ne me laissant aucun répit. Je décide de m'abreuver avec le peu de Bleuté qu'il me reste en réserve.
Je me concentre sur mon Dreamcatcher en lui transmettant la sensation de déshydratation. Un bruit métallique retentit ; un tuyau transparent vient d'apparaître. Nous, les Magéliens, l'appelons « l'Essentiel ». Comme son nom l'indique, il est indispensable à notre survie.
Je saisis le tuyau et me force à n'avaler que deux petites gorgées de Bleuté. Ce liquide épais ne m'a jamais semblé naturel. Son goût chimique me répugne. Rien de bien appréciable pour le palais humain, même si j'ai fini par m'y habituer.
Un mystère inviolable entoure le Bleuté. Personne ne sait exactement ce qu'il contient, mais tout le monde sait que l'espèce humaine lui doit la vie. Des légendes racontent que dans l'Ancien Monde, les humains buvaient un liquide pur et limpide nommé « eau ». Ces légendes ont réussi à traverser les âges, décrivant un monde majestueux parcouru de « plaines » et de « ruisseaux ». Ces mots n'ont aucun sens concret pour moi mais ils me font rêver. Je les ai appris au détour de vieux livres égarés qui circulent secrètement dans la Cité.
* *
Bleuté, n.m. : Liquide bleu fluorescent aux grandes facultés désaltérantes et soignantes. Il fut inventé lors de la grande crise de l'eau potable en 2443 par la cellule d'urgence de la Haute Sphère.
Essentiel, n,m. : Fin tuyau relié à la source principale de Magélan, Hydris. Il achemine le Bleuté dans chaque habitacle, au sein des Centres de soin et sur les lieux de travail.
* *
Quand l'eau a commencé à cruellement manquer, le Bleuté a sauvé les derniers humains. Grâce à la Haute Sphère, la race humaine ne s'est pas éteinte et elle continue à survivre comme elle le peut sur une Terre qui lui est devenue hostile.
Je déglutis avec difficulté après la seconde gorgée. La puissance de cette substance est miraculeuse, malgré son goût. Mon corps est instantanément irradié par une sensation de fraîcheur intense. Je ferme les yeux pour savourer les effets extraordinaires du Bleuté. Après quelques secondes à peine, je me sens pleinement désaltéré et éveillé.
Je consulte ensuite mon Dreamcatcher. Une petite voix aiguë résonne dans ma tête et m'informe que ma réserve de Bleuté est presque vide. Il faudra que je fasse très attention à ma consommation au cours des prochaines lunes. La Haute Sphère diminue nos doses saisonnières à chaque Grand Passage, nous forçant à travailler de plus en plus au fil du temps afin de remplir nos réservoirs.
Au Sommet, la Sphérienne Suprême et les Hauts Sphériens évoquent des problèmes de production dus à une défaillance du système bioélectronique. Pourtant, je suis certain que, s'il existait un défaut de ce genre, l'intégralité de l'organisation de la Cité s'écroulerait. Je pense que la Sphérienne Suprême nous ment. Mais pourquoi ? Je n'en sais rien et j'ai l'impression d'être le seul à m'en rendre compte, même si tous savent pertinemment que, sans le système bioélectronique de la Haute Sphère, tout ce qui reste de l'humanité disparaîtrait, privé de Bleuté, de vivres et d'oxygène. Cette pensée me fait frissonner.
* *
Nacre, n.f. : Crème épaisse composée de nano-organismes qui nettoient la peau et préservent l'épiderme des maladies.
* *
J'enlève mon tee-shirt épidermique et le jette dans le bac de recyclage situé dans mon Oasis. Tous mes vêtements sont unis, jetables et biodégradables. Ils sont créés à partir de mes propres cellules souches et possèdent de microscopiques capteurs sensoriels. C'est une sorte de confortable seconde peau. Ils permettent aux Dreamcatchers de Magélan de mieux entrer en contact avec la conscience de chaque être vivant présent dans la Cité. En effet, ces vêtements enregistrent en temps réel l'état de nos fonctions vitales. Ces informations sont ensuite transférées grâce aux Dreamcatchers vers les différents Centres de soin présents dans chaque secteur de Magélan. Les boîtiers implantés dans nos cerveaux ainsi que ces habits permettent par ailleurs de nous contrôler. Des scanners psychiques et épidermiques sont postés un peu partout dans la Cité, au Constitusium, au Végétarium, dans les salles capsulaires et dans nos habitacles. Nous sommes étudiés et décortiqués en permanence jusque dans nos songes ; nos pensées conscientes échappent à la Haute Sphère, mais pas nos rêves ni nos cauchemars.
Plongé dans ces réflexions, je me dirige vers ma fenêtre artificielle. L'aube semble pointer son nez. De petits nuages faits de pixels caressent un ciel qui se marbre de tons orangés. Je regarde au loin, perdu dans mes pensées, lorsque le cauchemar me frappe dans toute son horreur. Tout me revient à présent. Des images affreuses m'assaillent.
* *
Dreamcatcher, n.m. : Machine connectée à un individu via un boîtier greffé dans le cortex de celui-ci. Elle communique avec lui par des ondes électromagnétiques. Elle permet de subvenir à ses besoins, contrôle son état de santé et enregistre ses rêves grâce à une connexion directe à son subconscient, et plus particulièrement à son sommeil paradoxal. Le Dreamcatcher fut inventé par la Haute Sphère en l'an 2697 pour prévenir les dérèglements psychiques.
* *
Dans ce rêve cauchemardesque, j'étais attaché sur un large fauteuil, pieds et mains liés par des sangles transparentes et gélatineuses. Une lumière aveuglante transperçait mes pupilles rétrécies. J'avais du mal à m'y habituer. Je n'arrivais pas à distinguer la provenance de cette forte luminosité.
Après quelques instants d'adaptation, tout est devenu moins flou autour de moi. J'ai balayé du regard ce qui m'entourait. Je me trouvais dans ce qui ressemblait à une gigantesque sphère transparente, une sorte de capsule de soin étrange. Je n'arrivais pas à voir au-delà : j'étais trop aveuglé par la vive lumière dans laquelle je baignais.
Peu à peu, j'ai pu distinguer d'autres objets placés dans la sphère à mes côtés. J'ai aperçu des bras robotisés prolongés par des scalpels et des pinces. Un silence de mort régnait, implacable, angoissant. J'étais totalement seul. J'avais l'impression que mon cœur allait exploser dans ma poitrine. Je le sentais qui cognait de plus en plus fort contre ma cage thoracique.
J'ai fermé précipitamment les yeux pour faire disparaître la sphère et ses objets diaboliques, mais rien ne semblait vouloir changer. Je les ai rouverts après ce qui m'a semblé être une éternité. Rien n'y faisait : j'étais toujours là, ligoté, prisonnier et terrorisé.
Je me suis mis à paniquer et à gesticuler, forçant énergiquement sur mes attaches. Mais, en réaction, les liens gélatineux se sont resserrés violemment autour de mes poignets puis de mes chevilles. J'ai pris le temps de regarder mon corps : il était parcouru de câbles transparents qui bougeaient au rythme de ma respiration.
Tout à coup, j'ai entendu un bruit métallique. Les bras mécaniques se sont mis en mouvement et se sont approchés de mon visage. À cet instant précis, j'ai su que quelque chose d'effroyable aller m'arriver.
J'ai crié de toutes mes forces : pourtant, aucun son n'est sorti de ma bouche. J'ai crié plus fort, mais rien n'y faisait. J'avais l'impression que mes hurlements étaient absorbés. J'ai paniqué et tenté de me débattre. Les liens gélatineux se sont resserrés un peu plus.
J'ai senti mes os craquer sous la pression de mes entraves. J'ai capitulé. Les bras robotisés étaient à présent très proches de ma tête, trop proches. Un scalpel était fixé au bout de chacun d'eux.
En voyant les lames tranchantes s'approcher de mon cuir chevelu, je me suis remis à crier. J'étais pris au piège. Qu'allait-il m'arriver ? Mon cœur allait sûrement lâcher tant il battait vite. Je ne savais pas qu'il pouvait battre aussi irrégulièrement. Je tremblais de tout mon corps. Mes muscles me faisaient atrocement mal tant ils étaient crispés.
Les deux lames tranchantes se sont posées doucement de part et d'autre de ma tête. Elles étaient glacées. J'étais horrifié. Je commençais à comprendre ce qui allait m'arriver et j'ai été pris de convulsion.
Dans mon délire horrifique, j'ai senti la veine de mon bras droit me faire terriblement mal. Un liquide chaud a embrasé mon sang, irritant l'intérieur de mes vaisseaux sanguins. Je n'avais pas remarqué le petit appareil greffé dans le creux de mon coude.
Petit à petit, mon corps et mon esprit se sont apaisés. J'ai lâché totalement prise. Je n'étais plus moi. Je me suis senti flotter, comme si mon esprit s'était dissocié de mon corps.
Une fois en position, les lames se sont mises à couper minutieusement ma chair. Étrangement, je n'ai ressenti aucune douleur. Mon sang coulait sur mon visage immobilisé. Ma vue est devenue trouble, puis la sphère a disparu derrière un rideau rougeâtre.
Que me faisaient-ils ?
Qui était derrière tout ça ? Malgré la drogue qui circulait dans mon organisme, ma conscience savait bien, dans le brouillard de mon esprit, que la situation était grave, très grave. Je n'arrivais pourtant pas à paniquer, même si je savais que la fin était proche.
Les scalpels ont terminé leur course à l'arrière de mon crâne et sont retournés à leur position initiale. Un bras robotisé armé d'une pince rétractile s'est activé et s'est avancé vers moi jusqu'à ce que je ne puisse plus distinguer la pince. Je l'ai senti enlever délicatement quelque chose. Le bras robotisé s'est rétracté et j'ai vu apparaître avec une horreur immense la peau de mon crâne retenue par la pince. Mon cuir chevelu suintait de sang. Face à cette vision insupportable, j'ai sombré dans les ténèbres, emporté dans un noir absolu.
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