XV-Enkidar
XV
J'avançais lentement dans le jardin, les yeux agrandis par un mélange de stupeur et d'émerveillement. Sur mon poignet, ma pierre pétillait, soudain animée d'une douce chaleur qui montait le long de mon bras et se propageait dans mon corps, comme si elle se voulait rassurante. Je n'osais pas trop faire de mouvement brusque de peur que l'illusion s'évapore, tel un rêve éveillé...Les mots sortirent tous seuls:
"Je suis en train de rêver...
-Non Anna" répondis mon père avec douceur.
Ses ailes étaient magnifiques. Elles devaient mesurer environ quatre mètres d'envergure. Elles étaient époustouflantes.
Quand je ne fus qu'à quelques pas de mon père, je m'immobilisai, muette, n'osant plus m'approcher d'avantage.
Je ne cessais de me répéter les faits, pour m'obliger à intégrer la nouvelle.
Mon père avait des ailes!
Deux ailes sombres, qui bougeaient, bel et bien vivantes...
Malgré ma réticence, la curiosité fini par l'emporter et je commençai à le contourner, me rapprochant progressivement.
Mon père ne bougeait pas, il me suivait simplement du regard, un étonnant sourire que je ne lui connaissais pas aux lèvres.
Continuant mon observation, je me baissai, passant sous une de ses ailes pour examiner son dos.
Je laissai alors échapper un cri étouffé qui inquiéta mon père. Il tourna la tête pour me voir, et pris un air compatissant en comprenant ma découverte:
"Ne t'inquiètes pas Anna, ce n'est rien..." tenta-t-il de me rassurer.
Mais ces mots ne s'accordaient pas avec ce que je j'avais sous les yeux....
Ses ailes naissaient au niveau de ses omoplates, barrant le haut de son dos de deux larges cicatrices formant un "V". Un mince filet de sang s'écoulait de l'une d'elle tandis qu'une croute s'était déjà formée sur l'autre. J'en ressentis moi-même un frisson désagréable dans le dos, n'osant imaginer la douleur de mon père. Malgré ma cruelle envie de détourner le regard, je ne pouvais pas arrêter de fixer son dos.
Mes pensées se bousculaient dans mon esprit.
Les cicatrices étaient tout à fait semblables à celles de l'agent qui tondait la pelouse au collège...C'était donc un Enkidar!
Mon père se retourna alors, repliant son aile gauche pour m'éviter, un air inquiet dans le regard. D'un sourire, je lui indiquais que je tenais le coup. Mais je ne pus m'empêcher de poser une question, tant elle me brulait les lèvres.
"Ça fait mal?"
Je regrettai aussitôt ma question, redoutant déjà la réponse.
Mon père rit:
"Pour être honnête, oui, ça fait très mal la première fois qu'elles traversent ta peau. Et hormis la douleur, tu as l'étrange impression de te vider et de te remplir à la fois...C'est assez désagréable...
Et c'est devant ma mine horrifiée et dégoutée qu'il poursuivit:
Mais on s'y habitue assez vite. Apres, tu n'y pense plus, elles font partie de toi et les déployer devient aussi simple que de lever un bras!"
Je souris malgré moi, sentant encore la présence d'un frisson désagréable au creux des épaules...
"Et alors...c'est sur, Je suis une Enkidar? Moi aussi j'aurai des ailes?
Je réalisai alors l'étrangeté de ma question.
-Tu les as déjà Anna, elles sont juste terrées sous nos omoplates, en nous. Et quand surviennent les quinze ans, nous basculons dans le réveil.
Sous mon regard inquisiteur, il poursuivit:
-Lors du Réveil, nos ailes se développent et ne prennent vie qu'à l'instant même où nous découvrons notre don. Elles percent alors la peau, et se déploient pour la première fois.
-Notre Don? C'est-à-dire?
-Tous les Enkidars ont un don, une sorte de pouvoir si tu préfère, que nous possédons en nous, et que chacun doit découvrir.
-Comme quoi par exemple? M'enquiers-je, les yeux pétillants comme une enfant.
-C'est très varié...Il existe des dons d'esprit, des dons en lien avec le nature ou les éléments, des dons de combats...
-Et c'est quoi le tiens?
-Saches que c'est très intime.
-Ah! Eu...pardon, balbutiai-je, confuse.
-Ne t'inquiètes pas c'est normal...Le mien est de communiquer avec les arbres et les plantes. »
J'en restai muette. J'imaginai alors mon père parler à un arbre...Puis je me rendis soudain compte que je l'avais déjà surpris, assis seul au milieu du jardin... Moi qui croyais qu'il méditait... Je ne pus m'empêcher de sourire.
« Et...comment ça marche ? On s'en sert comme on veut ?
Mon père eut l'air amusé.
-Normalement, on ne peut s'en servir qu'en ayant les ailes déployées. Mais il se peut qu'il y ait quelques exceptions...
Je le revis assis dans le jardin. Je n'avais jamais vu ses ailes...je m'en serais souvenu sinon.
-Comment ça se fait ?
Il compris instinctivement où je voulais en venir.
-A vrai dire, je ne sais pas...c'est de famille j'imagine, ta grand-mère était comme moi.
-Et ce réveil, comment on sait qu'il arrive ?
-Il peut arriver n'importe quand, admit-il.
Voyant ma mine soudain apeurée à l'idée qu'il m'arrive au collège ou autre, il poursuivit :
-Mais il y a des signes avant-coureurs. Tu commenceras à sentir ma présence, tu percevras certaines choses...Je saurai les remarquer et je te promets que je serais là lorsque ça arrivera.
Je souris devant cette autre facette de mon père, si attentif et protecteur, que je n'avais jamais eu l'occasion de percevoir...
-A ce moment là, tu feras parti des nôtres.
-Mais être Enkidar, ça implique quoi exactement ? Tu m'as dis hier que vous, enfin que Nous protégions les hommes...
-Oui. Alors pour faire simple, disons que les Enkidars sauvent la vie des vivants et aspirent l'âme des morts.
Je l'imaginais alors sauver des vies et faire de même, telle une héroïne dans l'ombre...Ce devait-être fantastique...
En revanche, l'image de mon père « aspirant » les morts ne me semblait pas réelle et me répugnait...Et savoir que ça faisait partie de ma nature ne m'enchantait guère...
Qui avait-il de bien à « aspirer » un mort ? En quoi cela consistait-il ? Malheureusement, je n'étais pas sure de vouloir entendre les réponses... Alors que je commençais à douter de vouloir en savoir d'avantage, mon père continua ses explications.
-Notre nature nous permet de savoir si une personne est en danger, de même si une autre meurt.
-Et à ces moments-là, vous faites quoi ? M'enquis-je.
-Quand c'est un sauvetage, on ressent une sorte de picotement au niveau des reins. Plus tu t'approches de la personne en danger, plus la sensation augmente, et la douleur s'ajoute, te rappelant qu'il faut être agir vite.
-Et comment tu sais où elle se trouve et ce qui doit lui arriver ?
-On capte des bribes d'images. Nous entrevoyons les lieux, plus ou moins précisément, et le futur proche de la personne dans des visions désordonnées. Ensuite, c'est à toi de les remettre dans l'ordre et de t'y adapter dans un temps limité. C'est une question de minutes, parfois même de secondes...
Je scrutai son visage, attentive à la moindre information, excitée par la curiosité.
-Pour que le Sauvetage fonctionne, il ne faut pas dévoiler notre nature. Et quand tu as enfin réussi, quand c'est terminé, tu es envahie d'une sensation extraordinaire... Ce n'est comparable à rien d'autre... Après ça, tu te sens...différent.
Je l'écoutais, rêveuse... ça devait être merveilleux de sauver des vies, de permettre aux gens de poursuivre leur existence...et ressentir cette étrange fierté, d'avoir rendu un service inestimable.
Mais ce n'était là qu'un côté des Enkidars...Et je redoutais déjà l'autre...
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