9 - Morgue
-Ah, monsieur Holmes ! s'exclama l'inspecteur Brakenrid en sautant sur lui au moment où il sortait de la chambre d'Émilie. Vous avez pu parler à tous le monde ?
-En effet, acquiesça le détective.
-Des choses intéressantes ?
-Beaucoup. Des incohérences, surtout.
-Des incohérences ?
-Apprenez, inspecteur, que ce ne sont pas les indices élégamment fournis par les témoins qui vous aideront à résoudre une enquête. Les choses les plus intéressantes sont celles qui ne sont pas à leur place... Que savez-vous de ce Crowley ?
-Ahah ! Vous aussi, vous le suspectez !
-Oui... Et non. Quelle raison aurait bien pus pousser cet américain à tuer Watson, qu'il ne connaissait que depuis quinze jours ?
-Et s'ils s'étaient déjà rencontré ? Et que le docteur était venu exprès ici ?
-Dans ce cas, il ne m'aurait pas proposé de venir avec lui.
-L'inverse, alors ?
-Sauf que d'après l'aubergiste, Crowley est ici depuis près d'un mois et demis. Bien avant que Watson ne projette de se rendre dans cette auberge.
-Un hasard ?
-Une coïncidence de cette ampleur ? Nous ne sommes pas dans un roman de gare !
-Et si...
-Inspecteur, arrêtez-là les hypothèses. Spéculer dans le vide n'amènera à rien. Faites des recherches sur ce Crowley, et informez-moi du résultat, voulez-vous ? Vous n'avez qu'à télégraphier à Lestrade, à Scotland Yard. Pour ce qui est imagination, les forces de l'ordre laisse à désirer, mais pour classer et recenser, elles font autorité !
-Certes, répondit l'inspecteur, qui ne savait pas trop comment prendre ce demi compliment. Au fait, je venais vous demander si vous désireriez inspecter la scène de crime.
-À quoi bon, rétorqua l'autre. Il a plu, cette nuit, et vous avez retiré le corps. Tous les indices intéressants ont dû disparaître. Décrivez-moi simplement l'endroit.
-Euh... Un petit coin tranquille, derrière l'église, près du cimetière. Habituellement, ce sont plutôt les amoureux qui s'y rendent. Mais j'ai dans l'idée qu'on ne les y reverra pas de sitôt...
-Je vois, murmura Holmes.
Il prit une profonde inspiration, se focalisa sur l'enquête, et déclara d'une voix ferme :
-Emmenez-moi voir le corps.
~
-Notre médecin, monsieur Hector, s'est chargé de l'autopsie, apprit Brakenrid au détective consultant, qui ne l'écoutait pas.
Ce dernier était occupé à se concentrer, avant de rentrer dans la pièce. Se composer la figure la plus impassible possible.
Puis il poussa le battant, et fit un pas en avant.
Son regard parcouru l'officine du médecin de campagne, glissant sur le drap blanc qui recouvrait la table, au milieu de la pièce, sans vouloir le voir.
Non, il ne se sentait pas prêt. Pas encore.
Il se dirigea d'office vers un petit tas de vêtements,qui traînait sur le bureau d'Hector, apparemment absent.
Il avait cru trouver dans ces objets banals un certain éloignement, mais c'était pire. Bien pire.
Sa main tremblante se saisit de la montre, posée bien en évidence au-dessus de la pile.
Il caressa le métal doré avec la même tendresse que s'il s'agissait de la joue de son propriétaire. Il connaissait par cœur chaque rayure de cette montre. Il se souvenait avoir impressionné le docteur, quelques jours après leurs rencontre, en déduisant la vie de son ancien propriétaire. Watson n'en avait jamais racheté de neuve, même quand ses finances, renflouées par son cabinet de médecine et ses rentes d'écrivain, le lui permirent.
Il ne pouvait pas reposer cette montre. C'était trop dur. Comme laisser Watson derrière lui une nouvelle fois.
Il la glissa fiévreusement dans sa poche, sous le regard en coin de Brakenrid qui, compatissant, fit semblant de ne rien voir.
Pour se donner une contenance, Holmes farfouilla un instant les vêtements, laissant son incroyable cerveau tirer tout seul les déductions qui l'avaient rendu si célèbre.
-Tiens, murmura-t-il pour lui-même en inspectant la ceinture. Watson avait maigrit.
Il fronça les sourcils.
-Beaucoup maigris, même.
Ne comprenant pas ce qui se passait, l'inspecteur se racla la gorge, faisant perdre à Holmes le fils de ses pensées.
Le détective se retourna pour foudroyer du regard l'inspecteur...
Qui se trouvait de l'autre côté du drap blanc.
Holmes s'approcha.
Il était rentré, au cours de sa longue carrière, dans des dizaines de morgues. Il avait vu, sans exagérer, des centaines de cadavres recouvert d'un drap blanc.
Mais c'était la première fois que la mort lui faisait aussi peur. Qu'elle le prenne, lui. Mais son ami...
Il s'usa les yeux à essayer de voir à travers le drap les traits de son visage. Comme un fantôme dont on aurait effacé la face, Watson était réduit, sur cette table, à une silhouette blafarde.
Un petit tas de chair.
Rien.
Holmes tendit la main.
Il tressaillit lorsque ses doigts entrèrent en contact avec le tissu.
Il fallait simplement qu'il le soulève. Un geste, un seul geste... Et il pourrait voir...
John.
Il lâcha le tissu blanc, fit volte face et sortit de la pièce en trombe, sous le regard triste de l'inspecteur.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro