6 - Anna Grandel
L'aubergiste était un spécimen tout à fait représentatif de son métier. Rond comme un ballon, visage amical, joues roses et le tablier blanc en prime. Sa femme était plus atypique. Fine et légère sous sa coiffe de cheveux blanc, elle arborait un air de gentillesse qui la rendit sympathique aux yeux du détective.
Malheureusement, aucun des deux n'avait d'informations intéressantes à lui fournir. Ils étaient catastrophés. Le docteur Watson était très gentil et apprécié de tous (ce qui ne surprenait pas Holmes). Un meurtrier, ici ? Dans leur petit village ? Ils ne voyaient pas comment c'était possible. Ça devait être quelqu'un de l'extérieur. Forcément. Un voleur, un bandit de grand chemin ? Ils ne voyaient pas qui d'autre...
Le détective les laissa continuer entre eux leur conciliabule et grimpa les marches qui menaient aux chambres, à l'étage. D'après l'inspecteur, les principaux suspects y étaient consignés, pour favoriser les interrogatoires.
Holmes frappa à la première porte. Une jeune femme vint lui ouvrir.
Le détective admit que, selon les normes en vigueur, elle devait être très belle. En tout cas, nota-t-il en remarquant les traces de maquillage et le soin apporté à la mise et à la coiffure, malgré une certaine gêne financière visible aux ourlets retravaillés, elle se donnait du mal pour l'être.
La jeune femme avait les yeux rougit mais les joues sèches, la mise propre, et la coiffure en parfait état. Elle était certes un peu triste, mais sa grande détresse n'était que de façade.
-Anna Grandel ? Lança-t-il en entrant dans la pièce.
-Elle-même, répondit la jeune fille, surprise. À qui ai-je l'honneur ?
-Sherlock Holmes.
-Qui ?
Un regard de travers lui fit ravaler sa remarque.
-Je suis détective. Un ami du docteur Watson.
-Oh... Ce pauvre docteur... souffla Anna en s'asseyant sur le bord de son lit. Vous enquêtez sur sa mort, je suppose ?
Le détective hocha la tête pour éviter que sa voix ne le trahisse.
-Quelles relations entreteniez-vous avec lui ? Demanda-t-il soudain, la voix sèche.
La demoiselle rougit.
-Je suis venu ici pour réparer mon cœur brisé, expliqua-t-elle. J'ai sauté dans le premier train pour n'importe où. Mais le docteur était si gentil... Et... Euh... Beau garçon... Alors j'ai tenté ma chance...
-Il vous a repoussé ? Finis Holmes en tentant de ne pas laisser paraître une pointe de sadisme.
-Oui, acquiesça-t-elle avec mélancolie. Mais vous savez, quelle que soit la personne qui l'a tué, je suis sûre que ça a un rapport avec une femme...
-Une femme ?
-Son cœur appartenait déjà à une autre. Une femme sent ses choses là, monsieur Holmes. Il y avait une histoire, derrière le docteur Watson. Une histoire sombre. Parfois, je surprenais des remarques... Des regards tristes... Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais ça s'est mal terminé. Très mal.
Holmes hocha un sourcil sceptique en ironisant intérieurement sur « l'instinct féminin ».
-Que pouvez-vous me dire sur le jour de sa mort ? Lança-t-il pour changer de sujet.
-Pas grand-chose, j'en ai peur... Comme d'habitude, il s'est levé tôt pour faire sa randonné quotidienne (le détective fronça les sourcils : Watson n'était habituellement pas très matinal). Une fois, je lui ai demandé où il allait comme ça. Il m'a répondu qu'il se rendait au vieux château à moitié en ruine, pas loin d'ici. Il paraîtrait qu'il est hanté.
Holmes eut un petit sourire. Voilà qui ressemblait plus à son ami. L'attrait du mystère... Et une petite aventure peut-être ?
Mais pourquoi ne pas lui avoir écrit sur le sujet ? Ils avaient eu ensemble de si longues conversations sur les fantômes et l'autre monde en général...
-Et ensuite ? embraya-t-il pour éviter de se perdre dans ses souvenirs.
-Il revenait toujours à temps pour le déjeuner qu'il passait, la plupart du temps, avec cet insupportable Crowley. Le plus étrange, c'est que je pouvais bien voir, moi, qu'il ne l'aimait pas ! Et pourtant, il continuait à rechercher sa compagnie en permanence... Enfin, bref. Il a joué un peu aux cartes avec moi et l'adorable Émilie, puis nous nous sommes séparés sur les coups de quatre heures. Je suis monté lire dans ma chambre. Je n'en suis redescendu qu'au dîner où j'ai appris... J'ai appris que... Oh, monsieur Holmes ! Il faut que vous retrouviez celui qui a fait ça !
Une larme coula le long de la joue d'Anna, qui l'essuya d'un geste ample.
Holmes se retourna, se saisit de sa canne et de son chapeau et, sans un mot de plus, sortit de la pièce.
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