17 - Déclaration
-Vous êtes sûr que vous pouvez vous lever ? s'inquiéta Holmes en voyant Watson s'asseoir sur le bord de son lit.
-Je ne veux rien rater de cette enquête ! J'en ai vu le début, je compte bien en connaître la fin.
-Comme vous voudrez... Abdiqua Holmes, secrètement ravi que le docteur l'accompagne. Il préférait l'avoir en permanence sous les yeux, pour se rassurer.
-Que me vaut un aussi étrange regard de votre part ? s'amusa Watson en s'habillant maladroitement, ses muscles toujours endoloris par sa longue captivité.
-Je vous regardais vivre, souffla Holmes en s'approchant de lui.
Sa main en coupe sur posa sur la joue du docteur, qui s'y lova avec tendresse.
-J'ai cru vous avoir perdu, reprit-il, la voix rauque. J'ai cru que vous étiez mort. J'étais en train d'essayer d'apprendre à mon cœur à vivre sans vous connaître, à marcher dans un monde où vous n'étiez plus. Et soudain, je vous retrouve. Alors que je n'espérais plus rien. Vous êtes là. Vous souriez comme avant. Vos yeux pétillent des mêmes étincelles. Votre voix se pare des mêmes inflexions. Vos mains effectuent les mêmes gestes. Votre être irradie la même bonté et de la même tendresse. Je veux m'abreuver de tous cela. J'ai besoin de m'abreuver de votre présence. Pour réparer mon cœur, et lui faire oublier son angoisse. Pour lui donner l'autorisation d'aimer à nouveau.
Et soudain, il prit conscience de ce qu'il était en train de dire, rougit, retira sa main et fit volte-face en se raclant la gorge.
-Hum. Dépêchez-vous. L'enquête nous attend.
Watson resta une seconde immobile, au milieu de la pièce, le cœur en bataille. C'était assurément la plus belle – la seule véritable, en fait – déclaration que Holmes lui ait faite.
-Watson ? s'agaça le détective, irrité d'avoir tant dévoilé son cœur.
-Euh... Oui, oui, Holmes, j'arrive. Descendez, je vous rejoins dans un instant. Vous pourriez peut-être commander un petit déjeuner ?
-Manger pendant une enquête, mon cher Watson, est une perte de temps...
-Vous préférez que je m'évanouisse d'inanition, peut-être ?
-Je vais commander de quoi tenir la journée, abdiqua aussitôt le détective. Hâtez-vous.
Holmes descendit donc les marches qui menaient à la salle commune, sa cane battant joyeusement la mesure sur sa jambe. Il flottait sur un nuage heureux. Il avait retrouvé Watson. Il avait une enquête à résoudre. La vie était belle.
Il demanda à l'aubergiste un petit déjeuner, puis se ravisant et en commanda deux. Son ami était capable de refuser de manger jusqu'à ce qu'il en fasse de même.
Puis il prit place dans le coin le plus isolé, et attendit.
Mr Smith, l'aubergiste, apporta des œufs brouillés pour deux, du bacon, du thé, des toasts et de la confiture à profusion. Holmes posa les coudes sur la table et attendit Watson.
Qui ne venait pas.
Un regard irrité à sa montre lui apprit qu'un quart d'heure déjà s'était écoulé depuis qu'il avait laissé le docteur dans sa chambre.
Un frisson d'angoisse lui transperça le cœur. Ses gestes se figèrent. Il sentit son épiderme se couvrir d'une sueur glacée. Et si quelque chose lui était arrivé ? Et si quelqu'un lui avait fait du mal ? S'il était tombé, trop faible ? ... Pire encore, et si tout cela n'avait été qu'un délire de sa part ? Si Watson était vraiment mort ?
Son cœur battait de plus en plus vite. Il avait peur. Une terreur affreuse qui paralysait ses pensées dans la même boucle infernale. Il n'aurait jamais dû le quitter des yeux. Jamais...
-Holmes ?
La voix l'arracha brutalement à ses sombres pensées, comme un rayon de soleil déchire l'obscurité.
-Vous n'avez pas l'air très bien, s'inquiéta Watson en s'asseyant en face de son ami, alléché par l'odeur qui se dégageait du petit déjeuner.
-Je... Répondit Holmes en tentant de reprendre son souffle et de décrisper ses mains, qui tenait le bord de la table aussi fermement qu'un noyé sa planche de salut. Qu'est-ce qui vous a pris autant de temps ?
-Je suis désolé, s'excusa son ami, penaud, j'ai eu un mal fou à fermer mes boutons de manchette. Finalement, j'ai abandonné, et je suis revenu au port du chandail. Moins élégant, plus confortable.
-Vos boutons de manchette ?
-Mes poignets ont un peu gonflés, expliqua Watson en se saisissant de son couteau dans l'intention de faire un sort à son bacon.
Il sursauta lorsque Holmes lui saisit les poignets et rapprocha sa chaise de la sienne pour mieux les examiner.
Ils étaient striés de marques rouges, qui gonflaient et bleuissaient la chair de toutes les teintes de mauves, interrompues par endroit par une cicatrice mal refermée. Holmes enregistra douloureusement chaque meurtrissure. Quelque part, c'était de sa faute.
Et, sans prévenir, il se pencha sur les poignets de son ami et les porta à ses lèvres, pour déposer un baiser sur la chair abîmée.
Le docteur frôla la crise cardiaque pour la deuxième fois de la journée et rougit avec un air qui arracha au détective un sourire de tendresse.
Le deuxième réflexe de Watson, au grand dam du détective, fut de balayer la pièce du regard, afin de vérifier que nul n'avait surpris le geste de Holmes.
-Vous ne devriez pas, chuchota le docteur à son ami, qui avait repris sa place. Pas ici ! Pas en public !
Holmes l'ignora superbement et vida d'un trait sa tasse de thé.
-Holmes je vous en prie, gémit Watson, assez bas pour qu'on ne l'entende pas. Ne faites pas ça devant...
-Les gens sont des idiots, mon cher Watson, qu'y puis-je ?
Une ombre passa dans les yeux du docteur.
-Rien, hélas...
-Ce point étant réglé, je vous conseille de manger, avant que tout n'ait refroidis.
-Mais promettez-moi...
-Vous pouvez finir le thé.
-Pour moi. Faites-le pour moi. Vous avez dit que vous ne vouliez pas me perdre. Jurez-moi d'être plus prudent.
-Comment en est on arrivé à cette conversation ? Soupira Holmes en levant les yeux au ciel. Faites une vague allusion à une femme dans votre prochaine histoire et vos lecteurs seront ravis.
Mais Watson avait l'air si malheureux qu'il ajouta, à contre-cœur :
-Je vous promets de prendre un peu plus garde en public.
Il fut récompensé d'un sourire rayonnant, que ses lèvres ne purent s'empêcher de suivre.
Cette question étant réglée, Watson se jeta sur la nourriture avec la vélocité d'un rapace sur sa proie. c'est à dire rapide et sans pitié.
Il venait à peine de finir la dernière miette de son assiette que Holmes bondissait sur ses pieds.
-C'est bon, Watson ? Alors en route ! Nous avons déjà perdu assez de temps !
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