16 - Le retour du soleil
Quelque chose glissa sur l'épaule de Watson, le tirant de sa profonde torpeur.
C'est ainsi qu'il surprit Holmes en flagrant délit de tendresse. Le détective venait de rabattre la couverture sur son ami, de peur qu'il ait froid.
-Je suis désolé, Watson, souffla le coupable, je ne voulais pas vous réveiller.
-Il n'y a pas de mal, répondit le docteur, constatant au passage que sa gorge était beaucoup moins douloureuse.
On avait dû le faire boire pendant son évanouissement. Mais il lui semblait que son corps était lourd... Si lourd...
-Il faut que vous mangiez un peu, repris gentiment Holmes en se saisissant d'un bol de potage, jusque-là posé sur la table de nuit.
Le docteur regarda autour de lui pour comprendre où il se trouvait.
Dans une chambre. Une chambre coquette avec deux lits. La lumière chaude du soleil entrait à flots par la large fenêtre, derrière laquelle se devinait un paysage champêtre.
Il ferma un instant les yeux, goûtant la douceur du lit de plume, du soleil et de la présence rassurante de son ami.
-Watson ! Paniqua légèrement Holmes en le voyant refermer les yeux.
-Je suis là, je suis là... répondit aussitôt le docteur en soulevant ses paupières.
Holmes lâcha un soupir discret et tenta de reprendre son habituelle visage nonchalant. Mais sa crédibilité était sérieusement entachée par le soin qu'il mit à caler le dos de son ami avec des coussins, pour mieux lui donner à manger.
-Je vais le faire, Holmes...
-Les malades ne discutent pas !
-Ce n'est pas comme si vous étiez docteur, soupira l'autre en levant les yeux au ciel.
-Peut-être, mais c'est ce que vous m'avez répété pendant trois jours l'hiver dernier, lorsque j'ai eus la grippe. Je me venge comme je peux.
-Ben voyons, répondit le médecin en souriant.
Quelques minutes s'écoulèrent en silence.
-Racontez-moi, dit enfin Watson.
-Non, vous d'abord, mon cher. Je vous expliquerai ensuite les mystères qui vous auront échappé...
-Comme d'habitude, donc...
Ils échangèrent un regard complice, et Watson commença :
-Il n'y a pas grand-chose à dire, j'en ai peur. À la gare, j'ai croisé un homme charmant, qui disait avoir lu mes histoires. Il m'a indiqué le chemin pour venir jusqu'ici à pied, et un autre individu à la mine plutôt sympathique s'est proposé pour faire le trajet avec moi. J'ai accepté. J'en avais assez de la solitude.
Holmes eut le bon grès d'arborer un air coupable.
-Nous sommes arrivés à proximité du château. Mon compagnon de route a émis l'hypothèse que nous le visitions, avec pour m'allécher quelques histoires de fantômes – que je suppose inventées de toutes pièces... Bref, nous n'étions pas entrés dans la tour qu'il me dit d'un air gave : « Je suis vraiment désolé, docteur Watson ». Il avait un revolver, dont il m'a menacé jusqu'à ce qu'il trouve dans la tour un endroit qui lui convienne. Avant de m'attacher, il m'a ordonné d'enlever ma veste et ma chemise, et de me dépouiller de tous mes effets personnels... Le reste est plutôt monotone. Il venait une fois par jour, le matin, m'apporter de l'eau et de la nourriture, en répétant qu'il était profondément désolé. J'ai tenté de l'interroger, mais je n'ai rien obtenu de plus. Des fois, j'entendais des voix, dans le château. Mais j'avais beau m'époumoner, personne ne venait jamais... J'ai même cru vous entendre, une nuit.
-C'était bien moi, admis le détective d'un air triste. Je suis désolé, Watson, avec trois grammes de jugeote, j'aurais pu...
-Ne vous frappez pas, Holmes. Vous m'avez sauvé la vie. Hier, aujourd'hui... quelle différence ?
Le détective se retint de dire que s'il l'avait délivré hier, il ne serait pas dans cet état. Mais il enferma sa culpabilité au fond de lui et incita d'un mouvement de tête son ami à poursuivre.
-Ces derniers jours, continua donc Watson, mon ravisseur me paraissait plus nerveux.
-Vous avez remarqué quelque chose en particulier ?
-Non sinon un parfum de femme...
-De femme ?
-Oui, il me semble bien... C'était avant-hier. Je ne l'ai pas revu depuis. En fait, j'ai presque cru mourir dans cette cave...
-Presque ?
-Je me doutais bien que vous alliez venir me chercher, un jour ou l'autre. Et maintenant, racontez-moi votre partie de l'histoire !
-Il n'y a pas grand-chose à ajouter, déclara Holmes en faignant l'indifférence. Je commençais à me demander pourquoi vous ne m'écriviez pas de lettres. Mais j'étais trop occupé par mes affaires pour vous rejoindre.
-Ben voyons.
-Et j'ai vu dans le journal...
Il tira de sa poche la une du Times, froissée, pliée et dépliée des dizaines de fois.
-Oh, dit simplement Watson, sans faire de commentaire sur le fait que son ami avait le journal dans sa poche.
-J'ai donc décidé de mener l'enquête, continua le détective comme s'il s'était agi pour lui de la chose la plus aisée du monde. Vous vous doutez bien que j'ai découvert assez vite la supercherie. Il ne me restait qu'à vous retrouver.
Il haussa les épaules avec une indifférence crasse et bourra sa pipe.
-Eh bien, commenta un peu amèrement Watson, je suis heureux de ne pas vous avoir donné trop de soucis...
Les mains de Holmes se mirent soudainement à trembler, et sa pipe lui échappa. Le regard flou, il ramassa à la vas-vite le tabac qui s'était répandu sur le sol et reposa sa pipe sur la commode.
Puis il s'assit sur le bord du lit de Watson, la tête baissée. Une main, sur son bras, le fit sursauter.
-Holmes ?
-Ne me refaites plus jamais ça, Watson, souffla-t-il. Plus jamais.
-Allons, Holmes...
-Vous ne comprenez pas ! s'emporta soudain Holmes, tous ses projets de donner le change désintégré. J'aurais fait quoi, moi, si vous étiez vraiment mort ? Si j'étais resté tout seul ? Si...
-Vous m'excuserez, mon cher Holmes répondit Watson, profondément touché, mais ça me semble une juste revanche pour Rienchenbach...
Le détective soupira, planta ses coudes dans ses genoux et enfouis sa tête dans ses mains.
Le docteur se releva difficilement et s'assit à côté de lui, son corps tout entier appuyé contre le sien.
-Mais vous avez raison, Holmes, murmura-t-il a son oreille. Je ne vous quitterai plus jamais.
-Jamais ? Souffla le détective.
-Jamais. Je vous le promets. Sauf si vous êtes trop insupportable, bien sûr, ajouta-t-il sur un ton de plaisanterie.
Le détective laissa échapper un rire. Puis, brusquement, il se retourna, le fit à nouveau basculer sur le lit et s'allongea sur lui pour l'embrasser.
-Et maintenant ? Demanda Watson.
-On va résoudre l'enquête. Mais reposez-vous un peu, avant. Je vous attendrai...
Il n'avait pas fini sa phrase que ses yeux s'étaient déjà fermés, rattrapant les deux nuits blanches qu'ils avaient subis. Watson ramena la couverture sur eux et s'endormit à son tour, blottis au creux de ce corps long et sec qui cachait l'âme de l'homme qu'il aimait le plus au monde.
(Je voulais finir ce soir, mais vu l'heure tardive - il est 3h ici- ça sera pour demain ou après demain ;) merci de me lire! 😘)
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro