IV. Dimitri
Après avoir salué Astéria, le Messager vit arriver au loin Dimitri. Elle s'approcha de lui pour discuter.
- Bonjour Dimitri. Comment allez-vous ?
- Jeune louve ! Je suis content de voir que tu vas mieux ! Tu es redevenue une créature ?
- Comme toujours, je suis des deux espèces. Mais c'est vrai que depuis quelques mois je me suis installée chez Rama et chez votre fils donc, dans un sens, je suis plus créature qu'humaine.
- J'espère pour toi que tu trouveras un jour ta voie, jeune fille.
- Je ne suis plus si jeune, vous savez. J'ai quatre-vingt-dix ans maintenant !
- Pour moi, tu resteras toujours la jeune fille que nous avons découverte. Et puis, je suis un dinosaure moi. J'aurai bientôt deux-cents quatre-vingt ans !
- La jeunesse, c'est la tête !
Dimitri regarda le Messager. Oui, elle semblait toujours aussi jeune. Aussi jeune qu'au début de leur amitié.
- Il faut modifier la loi sur l'union inter-espèces, décréta Marie B. A l'heure actuelle, si le tuteur créaturien est contre, ou si un membre de la famille est puissant ou Ministère, jamais une dérogation ne sera acceptée pour une créature souhaitant épouser un humain.
La femme était à la tribune. Aussitôt, Natacha se leva et riposta. Elle ne voulait pas de nouvelle modification. Cette loi était déjà pour elle une infamie, dangereuse pour les créatures.
- Moi, je suis d'accord avec le Messager.
Natacha se tourna vers son mari. Dimitri s'était levé pour prononcer cette phrase, alors contre son propre avis. Il avait rejoint le Ministère peu de temps avant et s'opposait déjà à elle. Et face à une de ses pires ennemies. Que prenait-il à Dimitri pour soutenir ainsi cette modification de loi ?
- Le Messager a raison, ajouta-t-il. Les conditions de cette loi sont trop sévères et restrictives. Nous parlons ici d'amour et de couple, pas de clan.
- Auriez-vous oublié, Dimitri, que lors d'un mariage, si l'amour doit être présent, c'est le clan qui prévaut et non le couple ?, rétorqua Ulysse, venant au secours de la comtesse.
- Ulysse est la voix de la raison ! Nous devons écouter sa sagesse. Cette loi est déjà une grande transgression de notre culture. Hors de question que les conditions soient, en plus, modifiées !, ajouta Natacha.
Le débat continua encore quelques temps avant que le vote n'est lieu. Heureusement pour Natacha, la majorité des créatures étaient frileuses concernant une union entre les deux espèces et la proposition de modification de la loi fut rejetée.
Marie B se leva et sortit, furieuse. Cette société était vraiment vieillissante et il était temps qu'elle évolue. Rama et Wladimir la rattrapèrent dehors, rejoints par Dimitri.
- Merci de m'avoir soutenue, Dimitri. Même si cela n'a servi à rien, murmura la femme. Ces vieux schnocks commencent à me saouler...
- Tous les vieux ne sont pas exaspérants, rétorqua Dimitri avec un sourire aux lèvres.
- Je ne voulais pas vous froisser Dimitri..., s'excusa Marie B.
- Pour la faire pardonner, je t'invite à la maison dans trois semaines. Nous mangerons tous les quatre avec Rama, proposa Wladimir. Bien sûr, toi seul.
- Ne t'inquiète pas, mon fils. Je n'aurais pas ramené ta mère. Je sais que tu es toujours fâché contre elle.
Sur cette conclusion, Wladimir et Rama prirent avec eux la femme afin de rentrer chez Rama.
Orlando, seul un soir de plus suite au départ de Marie B pour le Ministère, avait été invité chez Ho Sang et Shinji. Il essayait de raisonner la chinoise, qui était toujours en colère contre sa femme.
- Elle aurait pu, elle aurait dû nous en parler. Et t'en parler à toi, rétorqua Ho Sang.
- Elle a voulu nous protéger, expliquer Orlando. Elle ne voulait pas nous inquiéter.
- C'est elle qui a besoin d'une protection !, s'exclama Shinji.
Orlando était d'accord avec eux. Elle était en danger et le leur avait caché. Il avait du mal à comprendre pourquoi. Elle voulait certes les protéger, mais sa vie en dépendait. Et si ce nouveau Messager la tuait, il serait anéanti.
- Sa plus grande crainte, c'est qu'il nous arrive quelque chose, tu le sais, Lóng, ajouta Orlando. Elle ne veut pas que nous nous inquiétions pour elle. Elle a envie que nous vivions normalement, comme si elle était humaine.
- Mais elle ne l'est pas, rétorqua la Chinoise. Et nous l'avons accepté ! Alors, je suis désolée, mais non, je ne l'accepte pas !
La discussion se poursuivit, les deux hommes tentant, en vain, de convaincre Ho Sang.
- Je ne comprends pas pourquoi tu as défendu ce projet de modification de loi !, hurla Natacha dans la voiture qui les ramenait, son mari et elle, à leur chambre d'hôtel.
- Parce que notre société doit changer.
- Et que fais-tu de la différence d'espérance de vie entre nous et les humains ?
- Et toi, que fais-tu de l'amour ?, hurla Dimitri. Aurais-tu oublié le bonheur qui transcendait notre fils lorsqu'il était avec sa femme ?
- Ne me parle pas d'elle !
- Et te souviens-tu de l'état dans lequel il s'est trouvé lorsqu'elle a été retrouvée morte ?
- Il aurait été dans le même état si elle était morte de vieillesse bien avant lui !
- Non, c'est là que tu te trompes, soupira Dimitri. C'est là que tu t'es toujours trompée...
Orlando et Shinji avaient réussi à convaincre Ho Sang et de venir prendre l'apéritif chez Marie B et son mari. Une semaine s'était écoulée depuis la dernière réunion du Ministère. Marie B ignorait tout de ce rendez-vous et, comme à son habitude, elle travaillait sur des projets de lois créaturiennes dans leur chambre, ayant éparpillé les documents sur la totalité de son bureau. Elle leva les yeux vers la fenêtre, au-dessus du bureau, lorsqu'elle entendit les enfants des voisins passer en vélo. Elle soupira. Elle se déconcentrait beaucoup trop facilement, et cela ne lui ressemblait pas. Elle fit pivoter sa chaise et fixa l'affiche de film qui se trouvait près de la porte de la chambre, sur le mur opposé à elle. « Expendables », un film qu'elle avait particulièrement apprécié, tant les scènes d'actions et les répliques étaient et se voulaient ridicules. En dessous de l'affiche se trouvait une commode, la « sœur » de celle qui jouxtait le bureau. Contre le mur situé à sa droite, l'armoire qui contenait une partie de leurs vêtements, le lit et la bibliothèque occupaient tout l'espace disponible. Elle eut un sourire triste en lisant les titres des livres. Tous en français ou anglais, aucun en créaturien. Aucun humain ne devait savoir qu'elle était en partie créature, comme si cela devait être une honte. Elle savait que son ancien tuteur créaturien le lui avait interdit pour sa sécurité, mais elle souffrait de cette imposition. Cependant, elle savait que, dans quelques semaines, elle allait devoir redevenir une humaine comme les autres.
Elle entendit quelqu'un frapper à la porte de leur maison, à l'opposé de sa chambre. Elle écouta son mari ouvrir et elle fut surprise de percevoir la voix de Shinji. Elle referma son porte-document et l'enferma dans le bureau, avant de mettre la clef dans sa poche. Lorsqu'elle pénétra dans la salle, elle aperçut les deux Chinois sur dans l'entrée.
- Tu nous as trahis, grogna Ho Sang.
- Bonjour à toi aussi, Lóng, rétorqua la femme.
Tous les quatre s'installèrent dans le canapé et Marie B tenta de s'expliquer.
- Je ne voulais pas vous inquiéter. Je serai toujours en danger, je ne vais pas vous ennuyer à chaque fois...
- Depuis que tu es entrée au Ministère créaturien, tu es de moins en moins humaine. Tu n'es plus qu'une créature !, critiqua Ho Sang.
- Alors vous serez ravis d'apprendre que je reprends un travail « humain » le mois prochain. J'ai signé mon contrat hier.
- Mais, ma chérie, c'est magnifique !
Orlando était heureux. Il avait l'impression qu'il allait enfin vivre une vie normale avec sa femme, oublier la menace omniprésente qui pesait sur eux. Des amis, des vacances, des soirées et des week-ends. Voilà ce à quoi il aspirait. Rien de bien compliqué, héroïque ou inatteignable. La vie de « monsieur tout le monde » en quelque sorte.
Il attira sa femme à lui et l'embrassa. Il sentait que Ho Sang était toujours fâché, mais espérait qu'elle allait bientôt accepter les décisions de mensonges par omission de Marie B...
Lorsque Dimitri sonna à la porte de chez son fils, ce fut Marie B qui lui ouvrit, lui accordant un sourire immense. Il la prit dans ses bras pour l'embrasser et la suivit dans la salle à manger, saluant au passage son fils et Rama, qui préparaient le dîner dans la cuisine. Il aida la femme à mettre la table, heureux de pouvoir, depuis si longtemps, faire une chose aussi simple. A Moscou, dans leur demeure, sa femme et lui avaient de nombreux domestiques qui s'occupaient de toutes ces tâches pour eux. Et, pourtant, le simple fait de placer des couverts sur une table le ramena bien longtemps en arrière, alors qu'il n'était qu'un enfant. Ses parents avaient dû quitter précipitamment la France à la Révolution française, laissant derrière eux leur château et presque tout ce qu'il contenait. Ils avaient demandé asile à leur clan et se fut César Thorsen, une autre créature de leur clan, qui leur offrit l'hospitalité. Bien que sa femme et lui furent très riches, ils n'aimaient pas la présence de domestiques, et préféraient s'occuper seuls de leur château, avec leurs deux enfants. A leurs côtés, Dimitri avait appris à s'occuper d'une demeure, s'occupant volontiers de la mise en place de la table, ainsi que de la cuisine.
Marie B s'arrêta un instant de mettre la table pour poser ses yeux sur Dimitri, qui semblait en pleine réflexion. Il contemplait avec une joie à peine dissimulée la table qu'il venait de décorer, et la femme sourit en le voyant. A chaque fois, elle se disait qu'il ressemblait beaucoup à Wladimir, ou plutôt que son fils avait pris bon nombre de ses traits. La créature faisait près de deux mètres, ses cheveux étaient, comme ceux de Wladimir, lisses et noirs, mais leur coupe était plus courte, et ils n'atteignaient pas les épaules de Dimitri. Son visage était doux, légèrement creusé, ses doigts fins et longs. Son majeur gauche était orné d'une chevalière hexagonale en or blanc, creusée d'une tête de loup, qui servait, toujours à l'heure actuelle, à faire les sceaux des Kergianov. Ses yeux étaient vairons, l'un était bleu ciel, tandis que l'autre était noisette, là où ceux de son fils étaient du même vert émeraude que Natacha. Marie B trouvait cette particularité très belle, et elle ajoutait un charme certain à la créature mâle.
Elle sourit en voyant Wladimir et son frère d'armes entrer dans la pièce. Rama n'était décidément pas de la même famille. Là où les deux Kergianov avaient des traits fins, une musculature fine, bien qu'existante, son frère d'armes possédait une musculature puissante et développée et des traits de visage bien plus marqués. Mais, pour elle, ses deux amis avaient leur charme et des atouts bien à eux.
Durant le repas, tous quatre discutèrent du Ministère, des tournées de Wladimir, des tatouages que devaient bientôt créer Rama, ainsi que de la vie d'Orlando et Marie B. Puis, ils s'installèrent dans le salon pour boire un digestif auprès de la cheminée. L'hôte de la soirée était content de voir que la femme et Dimitri se rapprochaient. Son père avait pris conscience auprès d'elle que leur société devait évoluer. Si d'autres créatures se laissaient convaincre, ils pourraient peut-être mettre fin à ce racisme antihumain qui était courant.
- Je vais avoir un travail humain, informa Marie B.
- T'y sens-tu prête ?, demanda son ancien tuteur créaturien.
- Oui. Et je le dois bien à mon mari. je suis à moitié humaine.
- L'amour ne connait aucune frontière, acquiesça Dimitri, souriant à la femme.
- La haine non plus, murmura, pour lui-même, Wladimir.
Le souvenir de la mort de Blanche hantait toujours son esprit...
Et voilà, un chapitre en un seul morceau (sinon, je le trouvais vraiment trop court...) !!!
Alors, contents d'en apprendre un peu plus sur Dimitri ? Que pensez-vous de lui ???
Et l'amitié entre Ho Sang et Marie B ? Des idées de la suite ???
N'hésitez pas à bavarder, voter, tout ça, tout ça ^^
Sanguinement-vôtre,
Gothycka
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