- Il y a une réunion du Ministère dans deux semaines. Voudras-tu venir avec nous ?, demanda Wladimir au Messager.

- Je ne sais pas... Ça fait quelques temps que j'ai quitté ce monde..., répondit la femme, pensive.

Cela ferait bientôt un an que son mari était décédé. Elle apprenait à vivre sans lui et sans ses amis humains. Mais elle ne savait pas encore ce qu'elle voulait faire du temps qu'il lui resterait... Au fond, elle ne savait pas si elle désirait qu'il lui reste encore du temps... Allait-elle retourner au front et tenter à nouveau de faire bouger cette société qu'elle avait trouvée si archaïque ?

Après l'attaque de Satan, Marie B fut aussitôt ramenée dans le manoir, allongée et soignée par Wladimir et Rama. L'utilisation de son pouvoir sur un temps si long et dans un moment aussi stressant n'avait pas permis à son corps de suivre. Lorsqu'elle avait combattu Satan, elle avait dépassé ses limites et son lien avec les animaux lui avait aspiré toute son énergie. Sa capacité de régénération en pâtissait, au point que les deux créatures avaient dû lui transfuser presque un litre de leur propre sang et qu'elle avait dû dormir une journée durant. Lorsqu'elle s'était réveillée, elle était bouleversée par les événements qui s'étaient déroulés la veille.

Une fois Marie B soignée et hors de danger, les membres permanents du Ministère furent informés de la situation par Wladimir, qui dut appeler sa mère malgré lui. Les dix-neuf créatures, chacune représentant un clan (excepté celui de Satan, dont le chef venait de décéder), décrétèrent en urgence l'organisation de la cellule d'enquête dont ils auraient la charge. Tous se retrouvèrent au manoir de Wladimir le lendemain et l'enquête fut rapidement menée.

Cette cellule d'enquête vint interroger Marie B chez son ancien tuteur, lorsqu'elle fut enfin réveillée et assez en forme pour parler. Ne sachant pas quoi faire, la femme passa sous silence les révélations concernant Belzébuth. Elle ne voulait pas que son nom soit entaché. Même s'il n'aurait pas été renié, la prescription ayant lieu, la femme ne voulait pas que l'on se souvienne de lui comme d'un meurtrier. Il avait payé son meurtre par le poids de sa culpabilité. Il avait le droit de ne pas être vu ainsi, comme un ancien membre du clan de Satan. Il avait été un repenti, et c'était ce qui comptait pour elle. En plus, Rama n'était au courant de rien. Elle ne voulait pas qu'il l'apprenne ainsi.

Une fois que l'enquête fut finie, trois jours après les décès de Belzébuth et Satan, le tribunal créaturien composé des membres de la cellule d'enquête, se rassembla dans l'hôtel particulier de Paris.

Les preuves contre Satan étaient nombreuses et indiscutables. S'il avait été encore en vie, il aurait été accusé de trois faits : viol de la propriété d'un membre d'un autre clan, meurtre d'un membre d'un autre clan, tentative de meurtre d'un membre d'un autre clan. Puisqu'il était mort, c'était son nom qui serait à présent porteur de ces accusations. Et la sentence tomba pour son souvenir. Plus personne n'aurait le droit de prononcer son nom, hormis pour désigner son ancien clan. Tous ses anciens faits d'armes seraient archivés et scellés. Ils ne seraient pas détruits, car les créatures se faisaient forts de garder toutes les traces de leur passé et des leurs. Mais personne n'aurait le droit de consulter ces archives. Son nom serait définitivement banni de leur société. Et, avec lui, son souvenir.

Comme Marie B était encore marquée par les événements, Wladimir obtint l'autorisation de la représenter. Il la laissa donc avec Rama, non sans une certaine appréhension, car tous deux étaient fortement marqués par les jours précédents. Il se rendit donc au tribunal et fut soulagé : la décision fut rapide concernant la femme ; le tribunal créaturien tranchant en sa faveur. Légitime défense. Du point de vue de la justice, en quelques jours, elle fut blanchie. L'ancien tuteur créaturien put donc rejoindre ses deux amis, non sans être passé rapidement prévenir Orlando de la décision du tribunal créaturien.

Après les jugements, le corps de Belzébuth fut enfin remis à Lucifer. La créature eut la lourde tâche d'organiser l'incinération de son frère. Elle eut lieu de nuit, comme le voulait la coutume, dans le seul funérarium créaturien de France, situé en région parisienne dans le château qui voyait toutes les cérémonies de passage et d'adieu de chaque créature du pays. Pour l'occasion, une très grande partie du clan Kergianov et de leurs clans alliés firent le déplacement, vêtus de leurs tenues de cérémonies, mettant entre parenthèses mésententes et querelles pour rendre un dernier hommage à l'un des leurs.

Marie B et Rama, totalement hagards et sous le choc des révélations des jours passés, furent accompagnés par un Wladimir au visage fermé et sérieux, veillant sur ses deux amis comme on surveillerait des enfants. Il craignait à chaque minute que l'un ou l'autre ne disjoncte et fut soulagé lorsque la cérémonie s'acheva après la remise des cendres à Lucifer. Wladimir entraina ensuite ses deux amis dans sa voiture et les ramena chez lui. Ni Rama ni Marie B ne desserrèrent les dents durant tout le trajet et leurs regards se perdaient dans le vide. L'état de choc ne les lâcha pas et ils finirent par s'endormir tous les deux dans le salon, au bord de la cheminée, sous le regard bienveillant de Wladimir.

Une fois Belzébuth incinéré et ses cendres récupérées, Lucifer et Uranie le ramenèrent chez eux, dans le sud de la France. Ils bravèrent le froid de l'automne, toujours vêtus de leurs tenues de cérémonies, et montèrent sur la plus haute colline de leur domaine. La nuit commençait à fuir et à laisser place aux pâles rayons de ce lever de soleil. Tous deux se regardèrent dans les yeux, la main posée sur le couvercle de l'urne. L'heure était venue pour Belzébuth de rejoindre ses ancêtres. Ils dévissèrent l'urne et, dans un mouvement commun, dispersèrent les cendres dans leur domaine.

Le corps de Satan, quant à lui, fut récupéré par ses alliés, Lucifer ayant refusé de s'en occuper. Ceux-ci procédèrent à sa crémation au même incinérateur, une autre nuit. Seule une partie des membres du clan de Satan fut conviée à cette cérémonie, sous la surveillance des membres permanents du Ministère. Il leur fut interdit de vêtir le corps du défunt en tenue de cérémonie. Il était un paria, et seules les créatures dignes avaient ce privilège. S'il était décédé après avoir payé pour ses crimes, il en aurait été autrement. Mais là, son nom payait pour lui. Cette sanction, très dure, ainsi que la présence des membres permanents ne passèrent pas inaperçues dans le clan de Satan. La tristesse de la mort de leur chef se lisait sur tous les visages mais, plus que celle-ci, c'était l'envie de vengeance qui prédomina.

Une fois la cérémonie achevée, les membres permanents du Ministère récupérèrent les cendres pour les faire disparaître. Satan n'aurait pas le droit de rejoindre ses ancêtres en s'envolant dans la nature. Il ne méritait, pour la société créaturienne, que les égouts. Puis, les membres permanents observèrent le clan de Satan quitter l'enceinte du funérarium créaturien avant de fermer celui-ci. Les deux principaux alliés de Satan n'avaient plus qu'un souhait. Achever l'œuvre du défunt...

- Ça va mon ange ?, demanda Orlando.

Une semaine après la mort de Satan, la femme s'était enfermée dans son mutisme. Elle était rentrée chez elle depuis seulement deux jours car Wladimir avait préféré être à ses côtés le temps de l'enquête et de la crémation. Son mari avait été tenu au courant de tous les événements par son ancien tuteur créaturien et il tentait de cacher son malaise et son embarras en essayant de changer les idées de sa femme. Malheureusement, il ne savait pas quoi faire en de telles circonstances. Il avait déjà aidé Marie B à traverser les décès de ses parents. Il avait été là pour elle lors de son bun-out. Mais là, c'était bien différent. Elle avait tué Satan. Il savait que cela la rongeait mais ne parvenait pas à la faire parler. Il avait donc décidé d'inviter Ho Sang et Shinji chez eux, persuadé qu'ils pourraient l'aider et, surtout, aider sa femme.

Marie B releva la tête vers son mari, toujours silencieuse. Elle ne parvenait pas à oublier ce qui venait de se passer et ce qu'elle avait dû faire. Elle avait tué une créature, qui plus est, son propre créateur. Elle avait vu Belzébuth expirer dans ses bras. Elle avait entendu son ancien allié avouer le meurtre de la sœur de Rama. Ce Belzébuth. Celui qui avait présidé sa cérémonie de passage dix ans auparavant. Celui qui avait donné sa vie pour tenter de la protéger. Comment cette même créature avait-elle pu assassiner de sang-froid une petite fille de deux ans ? Elle n'en avait pas parlé à son frère d'armes. Elle ne savait pas s'il valait mieux taire cette information ou la confier au principal intéressé... Comment Rama pourrait-il réagir à ce secret que Belzébuth lui avait toujours caché, lui qui venait à peine de connaître le meurtrier de ses parents ? A peine entrée à nouveau dans le monde créaturien, elle se demandait déjà si elle n'allait pas le regretter...

- Eh ho, Marie B !, s'exclama Ho Sang. Réveille-toi !

- Oui, oui, c'est bon, maugréa l'intéressée.

- Je sais ce que c'est, Marie B, que d'avoir la mort de quelqu'un sur sa conscience, avoua la chinoise. Tu te souviens, quand je t'avais parlé du juge O'neil ?

- Oui, je me suis doutée à l'époque vu la réaction de Shinji qu'il devait y avoir quelque chose dans le genre..., répondit Marie B.

- Oui. Moi-aussi, j'ai dû tuer pour me défendre.

- Et comment fais-tu pour vivre avec ?

- J'ai sauvé ma vie et celle de mes proches. Ça vaut bien quelques sacrifices. Comme celui que tu as dû faire...

- Es-tu sûre de vouloir rester dans le monde créaturien ?, demanda Orlando, inquiet.

- Oui, j'en suis sûre. De toute façon, j'ai tué Satan. Je ne suis pas à l'abri d'une vengeance...

Orlando eut du mal à déglutir. Il n'avait pas pensé que sa femme pourrait être victime de quelconques représailles. Encore une fois, il avait l'impression qu'il était impuissant pour la protéger... L'espèce humaine était bien trop faible face aux créatures et, d'un point de vue légal, Marie B était une créature...

Les deux alliés de Satan décidèrent de fuir quelques temps avec le trésor que leur avait confié la créature et de retourner se cacher dans leur repaire. Cependant, l'un d'eux retourna au château de Satan. Il y récupéra tout ce dont ils auraient besoin, puis mit le feu au domaine. Aucune trace ne devait subsister.

Le clan Kergianov attendit l'approbation des membres permanents du Ministère pour pouvoir se rendre chez Satan. Lorsque celle-ci leur fut envoyée, Wladimir, Rama, Lucifer et Uranie se dépêchèrent d'aller au château. Mais ils y arrivèrent trop tard. Les pompiers étaient déjà là. Apparemment, les flammes les retenaient depuis déjà plusieurs heures. Le pyromane devait déjà être bien loin et n'avait laissé aucune preuve de qui il était. Cependant, les quatre créatures savaient qu'il ne pouvait s'agir que du clan de Satan. Ses membres avaient fait le ménage derrière leur chef. Une fois le feu étouffé, tous les quatre décidèrent tout de même de fouiller les décombres, afin de retrouver la trace des alliés de Satan et de ce qu'ils avaient bien pu vouloir cacher au point de mettre le feu à l'ancienne demeure de leur clan...

- Ça va aller Petit loup ?, demanda Wladimir à la femme.

- Oui, oui..., répondit-elle, le regard dans le vide.

- Il faut que tu oublies ce qui s'est passé, tu nous as sauvé la vie. Sans toi, nous serions morts ! Et tu as failli le payer de ta propre existence...

Wladimir eut une boule au ventre en prononçant ses mots. Il avait eu très peur pour sa protégée. Elle avait fait une énorme erreur en utilisant son pouvoir de manière inconsidérée. Il espérait qu'elle ne le referait plus jamais.

- Moi, c'est surtout Rama qui m'inquiète... Il t'a parlé depuis que nous l'avons informé de ce que Belzébuth avait fait à sa sœur ?

- Non... Il est resté enfermé depuis plusieurs jours...