
XIV. Maman
Le Messager attendait dans la salle d'attente une nouvelle fois. Étrangement, ces derniers temps, le deuil de son mari lui avait fait beaucoup repenser à la mort de sa mère. Et ce fut le sujet de discussion qu'elle décida d'aborder avec la psychologue.
Juin 2012. La sonnerie du téléphone réveilla Marie B de très bonne heure, l'arrachant à cette impression de bien-être que traversait sa mère lors de ces derniers instants de vie. L'hôpital la prévint que sa mère était en train de mourir. Avec Orlando, ils se levèrent et s'habillèrent. La jeune femme décida de prendre, malgré l'urgence de la situation, le temps de boire un thé brûlant et de fumer une cigarette. Les derniers mois l'avaient épuisée physiquement et elle craignait qu'ils n'arrivent pas à conduire sans ses excitants habituels. Ensuite, ils se rendirent à l'hôpital. Lorsqu'elle entra dans la chambre de sa mère, le sourire que portait cette dernière au moment de sa mort marqua Marie B. Elle était morte paisible et heureuse, malgré la lente agonie due à sa maladie. Son visage était reposé, dans le même bien-être que celui qu'avait ressenti la jeune femme en dormant ce matin-là... Si sa mère avait réussi à être en paix avec elle-même, elle aussi pouvait réussir. Lorsqu'elle quitta la chambre, Marie B étouffa un sanglot dans sa gorge. Comme pour son père quelques années auparavant, elle se sentait partagé entre le soulagement de savoir que plus jamais sa mère ne souffrirait et la peine de ne plus la revoir.
Orlando tentait de ne pas pleurer, attristé par le décès de celle qui le considérait comme un fils. Il voulait tenir pour sa compagne. La mort de son père avait été la seule fois où il s'était vraiment senti utile pour elle. A chaque problème qu'elle avait rencontré dans sa vie de créature, il ne pouvait rien faire. Il était décidé à aider la jeune femme à surmonter ce deuil injuste. Elle avait déjà perdu son père et voilà qu'à même pas vingt-six ans elle devait affronter la mort de sa mère. Orlando était en colère. Il avait l'impression que la vie s'acharnait sur Marie B et qu'elle ne pouvait que faire face à des problèmes pour lesquels elle n'avait rien semé.
Une fois qu'ils eurent quitté l'hôpital, le couple se rendit chez Jigoro et Rachelle. Si la journaliste était partie travailler, le Chinois était présent et les consola de son mieux, leur servant une tasse de thé et des petits gâteaux qu'il avait cuisinés la veille. Orlando ne parvint à rien toucher. Marie B eut l'impression malsaine de se retrouver au décès de son père, mangeant inlassablement chaque biscuit présent dans l'assiette et ne répondant que par grognements à leur hôte. Elle devrait bientôt affronter le notaire, les pompes funèbres, l'hôpital, les anciens collègues de sa mère,leurs amis... Elle n'en avait pas envie. Et, pourtant, elle savait que tout ce que l'on devait faire durant la vie n'était pas forcément volontaire et positif, loin de là. Elle attrapa son téléphone et contacta en premier le funérarium...
Marie B dut attendre dix jours avant de pouvoir faire incinérer sa mère.L'incinérateur avait été mis hors service à cause d'un fusil dans un cercueil.Lorsque l'employé des pompes funèbres avait téléphoné à la jeune femme pour lui apprendre la nouvelle, elle avait ri nerveusement, posée dans le canapé de Jigoro et Rachelle. Ensuite, s'ensuivit un problème concernant le corps de la décédée, qui ne pouvait pas rester à la morgue de l'hôpital (qui ne pouvait pas le garder plus de cinq jours), ni être récupéré par les pompes funèbres (car le corps n'avait pas le droit d'être déplacé après les cinq mêmes jours). Marie B ironisa sur le fait qu'elle n'avait plus de place dans son congélateur, personne ne voulant conserver sa mère. Finalement, devant la stupidité de la situation,la morgue de l'hôpital garda le corps.
Pour la crémation, la jeune femme ne prévint parmi les créatures que Wladimir. Elle l'appela trois jours après le décès, en lui demandant de ne pas venir et de ne pas prévenir les autres. Son tuteur créaturien accepta ce choix, qu'il comprenait. A ce moment-là, elle ne voulait être qu'une simple humaine,préparant la crémation de sa mère humaine, avec ses proches humains. Lui était encore en Russie, chez ses parents, affairé à régler des problèmes familiaux. Mêmes'il entretenait toujours des liens avec Marie B, il savait qu'elle lui en voulait toujours d'être parti, tout comme elle était encore en colère envers Rama. Elle avait décidé de faire une pause dans sa vie créaturienne, et ce n'était pas maintenant, alors qu'elle était fragilisée, qu'elle leur demandait de l'aide, Wladimir le savait très bien. Sa protégée était bien trop fière pour cela...
Le jour de la crémation, Marie B et Orlando assistèrent seuls à la fermeture du cercueil. Comme pour son père, la jeune femme posa sur les mains de sa mère deux Edelweiss. La fleur préférée de ses parents, et la sienne également. Puis, ils rejoignirent les personnes qui assisteraient à la crémation. Ils avaient tous deux écrits deux discours, qu'ils lurent avec émotion mais sans aucune larme. Les yeux de Marie B étaient trop secs pour pleurer.
Lorsque les cendres furent refroidies, Marie B et ses proches se dirigèrent vers le jardin du souvenir du cimetière du village. La mère de la jeune femme rejoignit ainsi son mari, et sa plaque commémorative fut scellée juste en dessous.
Jigoro, Rachelle, Ho Sang et Shinji aidèrent Marie B et Orlando, bien sûr, qui était très affecté. Marie B regretta de ne pas avoir près d'elle Wladimir et Rama, mais elle ne voulait pas revenir vers eux juste parce qu'elle avait besoin d'eux. Sa fierté et sa conscience le lui en empêchaient. Si elle devait revenir, ce serait pour eux et non parce qu'elle avait besoin d'aide. Elle resta donc seule avec les humains, le cœur brisé.
Après avoir mangé chez Jigoro et Rachelle, le couple rentra chez ce qui était maintenant la maison de Marie B. C'était une petite bicoque sans prétention et sans grande valeur, mais que la jeune femme avait promis à sa mère de conserver. Elle aimait le côté apaisant du bois qui se trouvait un peu partout, des meubles massifs à la cuisine rustique. Beaucoup de gens auraient pensé que ce bois, additionné au vieux carrelage, faisait vieillot mais, comme pour leur studio, Marie B n'en avait que faire. Elle aimait sa décoration, son univers. Elle ne voyait pas pourquoi quelqu'un aurait à critiquer ce monde qu'elle s'était créé et dont elle ne voulait plus sortir...
Ce choix de garder la maison de ses parents imposa au couple une vie peu ordinaire à leur âge. Dans leur studio la semaine, il rejoignait presque tous les week-ends la maison « de campagne » comme disaient les parisiens, mais dont ils disaient juste qu'elle était « leur maison », et leur studio, leur « appartement de ville ». En plus, Jigoro et Rachelle habitant le même village, ils y avaient un ancrage et y voyaient souvent Ho Sang et Shinji. Cette habitation devint leur monde, leur domaine, celui dans lequel ils se sentaient vraiment chez eux et à l'abri. Ils entamèrent des travaux d'enduit, de peinture, de décoration, et en firent leur lieu de prédilection. Marie B aimait à s'occuper des rosiers, des arbustes, nettoyer les pare-terres, et regarder la vie évoluer au rythme des saisons, impassible, comme si rien ne s'était jamais passé. Pas de Messager de la Vie et de la Mort, pas de rencontre avec les créatures, pas de décès de ses parents. Aucun regret, aucun deuil, aucun cœur transpercé et douloureux.
Quelques mots après le décès de sa mère, elle décida de se faire tatouer en souvenir de ses parents un Edelweiss sur le haut du bras gauche. Ce symbole devint celui de sa vie mouvementée. Heureusement pour elle,pensait-elle presque tous les jours, sa Licorne était là. Ho Sang et Shinji également. Elle n'était pas seule dans son deuil, elle n'était pas abandonnée de tous... Elle n'avait juste plus ses amis créaturiens...
- Et comment les créatures ont-elles accepté de ne pas avoir été prévenues ?, demanda la psychologue.
- Disons que ça a été quelque peu compliqué... Mais Rama a refait son apparition peu de temps après...
- Et comment avez-vous vécu le décès de votre mère ?
- On va dire que j'ai essayé de faire avec ! C'était injuste... Je n'avais même pas vingt-six ans et plus de parents... Je me suis noyée dans mon travail et dans mon couple.
- Et le monde créaturien ?, demanda Hélène.
- Eh bien, il est revenu comme il était arrivé, par surprise !, ironisa le Messager.
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