42 - Un appel
– Pourquoi ?
J'ai plus crié que parlé mais je n'ai plus le loisir de m'en inquiéter.
Hugues, qui regardait dans le petit confessionnal, se retourne lentement. Je le reconnais sans peine malgré la pénombre. Il se met à ricaner et ce son agresse mes tympans comme des ongles sur un tableau noir. Il s'avance presque décontracté malgré toutes les coupures qui ornent son visage. Édouard n'a pas réussit à lui faire du mal, juste à le retarder...
– Tu peux pas comprendre, gamin.
Je réprimande un frisson. Il veut parler ? Tant mieux.
– Je suis capable de comprendre bien plus de choses que vous.
Mon ton emplit d'assurance m'étonne mais apparemment ça ne lui plaît guère. Il fronce les sourcils puis tend vers moi un doigt accusateur.
– Toi, t'as la belle vie, gamin. Tu peux pas comprendre les gens comme moi, ceux qui doivent se battre pour vivre, ceux qui ont plein d'idées dans la tête mais qui doivent chasser leurs démons.
Je frissonne à nouveau, pas pour ses paroles démentes, mais pour Laura qui n'a pas bougée. Discrètement j'essaye de la pousser avec mon pied. Elle doit partir maintenant. Je doute de pouvoir le retenir bien longtemps.
– Les Hans de l'Outrière ont donné du travail à vos parents, repris-je en me décalant vers l'allée. Ils n'ont jamais été méchant envers vous.
Hugues s'esclaffe de manière trop forcée pour être honnête.
– Ils n'ont fait que profiter de pauvres simplets qui ne comprenaient rien à rien. Moi je suis plus intelligent qu'eux, j'ai vite comprit comment le monde fonctionne : le plus fort domine et les autres s'écrasent.
– C'est pour ça que vous vous en preniez à de pauvres bêtes, lancé-je acide en le regrettant aussitôt.
Ce n'est qu'une simple supposition mais Hugues émet un sifflement approbateur avant d'applaudir. Le son résonne comme des claques dans le silence et je me sens idiot.
– Tu es malin, plus que t'en a l'air. Tu m'impressionnes, je vais donc te répondre. Les bêtes n'étaient qu'un entraînement, d'abord des veaux à peine nés puis des moutons, des vaches et même des chiens... Je devais peaufiner mon talent.
La peur m'a rattrapée et j'ai de plus en plus de mal à respirer. Je m'efforce de le cacher mais Hugues sourit, je crois qu'il a comprit.
Je lutte pour ne pas trembler tandis que Laura se met enfin à ramper vers la première colonne. Je dois détourner l'attention de ce fou, par n'importe quel moyen.
– Pourquoi nous ? repris-je. On ne vous a rien fait.
– C'est vrai, pour l'instant vous n'avez rien fait, mais je déteste les gens comme vous. Ceux qui
débarquent de leur petite banlieue en pensant qu'ils vont changer le monde... Puis un jour ou l'autre vous allez faire des travaux.
J'arrive pas à le suivre. Je ne sais pas si c'est la peur ou s'il est vraiment fou.
– Je... je comprends pas.
– Bégaies pas, conduis toi comme un homme, Thomy !
Je sens mes joues s'enflammer ce qui le fait rire.
– Tu sais, j'ai entendu de bonnes histoires sur toi, notamment celle d'une sale brute qui dit avoir vu un fantôme en ta compagnie. C'est marrant mais la description correspondait bien à ce très cher Sire Édouard. Le petit saint qui même crevé continu à m'emmerder !
Mon cœur accélère, je ne pige pas la moitié de ce qu'il dit mais le fait qu'il mentionne Jason et Édouard me fait peur.
– Quoi, t'as pas encore compris ? S'écrit Hugues me faisant sursauter. Puis pourquoi je
m'emmerde ? Pas la peine de connaître les détails quand on va mourir.
Je frémis sans pouvoir le cacher Hugues fait mine de s'avancer et je recule d'un pas ce qui le fait rire aux éclats.
– Ça m'intéresse, répondis-je piqué au vif. Je... Je veux comprendre.. ça paraissait être un plan parfait. Alors pourquoi revenir ?
Hugues arrête de rire, j'ai enfin touché un point sensible.
– Tu sais caresser dans le sens du poil, toi, reprit-il après un temps.
– Toute audace mérite récompense, non ?
– Audace ou folie, c'est comme tu veux, mais t'as raison. C'était un plan Parfait. Avoir une petite
attardé incapable de communiquer c'était l'idéal pour moi, mais j'ai apprit à mes dépens que quand on s'en prend trop longtemps à un faible, ça le rend fort. La petite commençait à me poser des soucis, elle n'était plus aussi docile et ça devenait difficile de la faire souffrir, puis j'étais aussi emmerdé par la police à cause de tous les animaux qui mourraient mystérieusement dans le coin.
Hugues se tait un instant comme s'il était plongé dans un doux souvenir avant de sourire puis de reprendre.
– Ça devenait dangereux pour moi. Alors j'ai décidé de changer de zone, mais pour ça je devais tous effacer. A commencer par la petite et sa famille... Et j'ai trouvé le plan parfait pour ça.
– Faire croire qu'elle avait tuée toute sa famille avant de mourir, compris-je.
– Exactement. Les aînées étaient trop loin et trop insignifiantes, des pisseuses qui se prenaient pour des dames ! Rien à faire d'elles ! J'ai commencé par les parents. La mère Agathe n'a rien vu venir. Le père Octave a bien essayé de résister mais sans succès, il savait juste crier fort, rien de plus. Après j'ai voulu m'occuper des enfants... J'avais vu Édouard monter au second, je l'ai suivit mais sa cinglée de sœur m'a attaqué avant que je le trouve. Les choses ont dérapé, pas prévu qu'elle soit si hargneuse la môme. Elle était enragée et vraiment résistante. Elle a réussit à voir mon visage et m'a même laissé un joli souvenir.
Il tourne la tête pour me désigner son hideuse cicatrice à sa joue gauche. Ça serait donc Hannah qui lui aurait fait ça ?
Ça ne m'étonne pas vraiment...
– On s'est battu comme des chiens enragés et les choses ne se sont pas terminées comme prévu... Bien qu'elle soit morte.
Hugues prend un air nostalgique, les yeux dans le vague. Je me risque à un léger regard sur ma droite. Je ne vois plus Laura, elle a dut réussir à se glisser derrière la première colonne. C'est une bonne chose même si elle avance lentement. Trop lentement.
Je remarque alors que Hugues me dévisage à nouveau, l'air impassible. Je fais un pas sur ma gauche avant de reprendre.
– Et Édouard ? Comment l'avez vous tué ?
Hugues fait la moue en haussant les épaules.
– Je l'ai juste trouvé mort sous une couverture. J'ai pas comprit, mais j'ai embellit son corps pour qu'il corresponde mieux à mon plan. Puis comme celui de la petite n'était plus accessible, j'ai dû aller en trouver un autre. J'ai sculpté son visage et je dois avouer que j'ai eu du mal à la laisser. Une chance que les flics d'ici ne soient que des incompétents, ils ne sont pas allés chercher bien loin, elle lui ressemblait puis une folle qui trucide sa famille, c'est banal dans les campagnes.
La nausée se presse à mes lèvres tandis que je comprends. J'avais raison. La fillette noire est bien une enfant enlevée, pourtant un truc m'échappe encore. Où est le corps de Hannah pour être inaccessible ?
Dans la chapelle ? Peut-être...
Je frissonne et avec horreur je vois que Hugues balaye les alentours du regard. Je dois à tous prix garder son attention sur moi. C'est vital, pour Laura.
– Pourquoi s'en prendre à nous si votre plan s'est arrangé ?
Ça me fait mal de le vouvoyer, mais je n'ai pas le temps de cogiter plus car je vois Laura qui rampe vers la seconde colonne. Elle sera bientôt au plus près de Hugues.
Je me décale encore sur ma gauche pour essayer d'éloigner autant que possible son regard d'elle.
– Thomas, réfléchit ! S'écrit alors celui-ci. Tu me déçois, je pensais que tu avais comprit. Fais un effort ! Je croyais qu'avec tes amis de l'au-delà, t'avais trouvé la réponse.
Je sens mes joues s'enflammer à nouveau, je suis en train de me faire sermonner par un psychopathe qui projette de me tuer sous peu...
Hugues se met à rire, toujours ce sifflement déplaisant.
– J'ai toujours eu une certaine crainte et admiration pour les choses paranormales, notamment les fantômes. Sérieux, j'espère vraiment rester aussi dans ce monde après ma mort. Pouvoir jouir de toutes mes envies sans plus craindre la police et ses lois, quel pied !
Ce type est complètement cinglé.
Je vois sans peine l'exaltation dans son regard, il est fier de tous ce qu'il a fait...
– Comme t'es bien sage , je vais te répondre, reprend t-il presque jovial. J'ai continué ma petite vie tranquille, sans encombre, tuant un peu par ci, par là. Puis j'ai vieillit, dure punition de la vie... J'ai dut arrêter car j'étais plus aussi vif, aussi fort. Je dois avouer que je m'ennuyais vraiment de ma petite routine de grand père, alors sur un coup de tête j'ai décidé de revenir par ici. Je voulais juste admirer les lieux de mon premier vrai crime, c'est un peu comme la première fille que j'ai baisé ou le premier alcool avec lequel j'ai prit une cuit. Un souvenir imparfait mais tellement émouvant... puis je suis tombé sur le journal du coin et devine ce que j'ai vu en une ?
– Nous...
– Bravo, Thomy, exulte Hugues en applaudissant. Je te félicite ! J'ai de suite reconnu la maison puis je vous ai bien regardé et j'ai été comme hypnotisé par la petite. Je sais pas pourquoi mais je pouvais plus décrocher mon regard d'elle, j'ai passé une bonne partie de la nuit à la regarder. Elle avait quelque chose d'attrayant pour moi puis elle lui ressemblait un peu, ma première vraie victime... J'ai fini par lire cet article débile, il a vraiment été mal écrit, vous auriez dut vous plaindre au journal, sans déconner ! Bref, c'est là que j'ai apprit que vous vouliez réhabiliter le domaine et réhabilitation égale travaux. Là il y avait un gros soucis pour moi.
Hugues se caresse sa joue barrée de l'immonde cicatrice puis il croise les bras comme s'il s'apprêtait à me faire des remontrances.
– Tu vois, dans les complications que je t'ai expliqué plus tôt, j'ai perdu une chose précieuse et très identifiable. C'est resté avec le corps de l'autre folle et je ne suis pas assez vieux ou assez malade pour qu'on considère qu'il y a prescription. Du coup c'est embêtant. Je suis revenu tâter le terrain et ton idiote de mère a confirmé mes pires crainte, mais surtout tu m'as intrigué, toi. Tes regards vides, tes questions... Je suis souvent venu vous observer et je t'ai plusieurs fois entendu parler tout seul. En fait, non : parler à quelqu'un qui est mort...
Je déglutis avec difficulté. J'ai honte qu'il m'ait observé à mon insu et j'ai aussi très peur. Elle ne me quitte plus.
– Tu sais, continue Hugues intarissable. J'ai toujours un peu crut aux fantômes et pour la première fois j'en ai même eut peur. Je me suis dit : et si ce merdeux découvrait la vérité à cause d'un macabé ? Ironique, mais trop dangereux pour moi. Je pouvais pas laisser faire ça. J'ai donc dû créer un nouveau plan mais je suis vieux, mon cerveau ne fonctionne plus aussi bien puis j'étais obnubilé par Laura... Je veux voir si c'est possible de recréer le même scénario, deux multiples-assassinats à quelques décennies d'intervalle, dans les mêmes circonstances, autant dire que ça va booster la notoriété de Verny-sur-Mont !
Il est complètement fou ! Un vrai psychopathe qui se réjouit de ses plans monstrueux.
Je ne vois plus Laura, j'espère qu'elle ne s'est pas arrêtée derrière une colonne pour pleurer, elle doit fuir et vite. Je sens la fin approcher.
Il faut que je gagne du temps.
– Et comment vous avez fait ?
Hugues, visiblement enthousiaste, reprend aussitôt.
– J'ai dut rouvrir le passage dans le mur et j'ai eu la chance inouïe qu'il donne dans la chambre de la petite, mais elle m'a déçue. Rien à voir avec la folle, non, elle, elle a criée, pleurée, une fois elle a même commencée à convulser. Sérieux, j'ai vraiment flippé, on aurait dit une possédée, alors j'ai fuit.
Je comprends mieux, c'est la peur additionnée au stress qui a déclenché les crises.
– Le problème dans cette maison, continue Hugues imperturbable. C'est qu'il y a trop de monde, ça vient, ça part, un vrai moulin... puis plus j'attendais, plus vous risquiez de le trouver.
– De quoi parlez-vous ? Tenté-je.
– Du vrai corps.
Je frémis mais je me reprends aussitôt. Je dois encore gagner du temps.
– Où il est ?
Hugues ricane puis se contente de me dévisager. Je crois que la discutions est terminée.
Des sueurs froides me coulent dans le dos tandis que mon cœur accélère, j'ai peur. Vraiment peur... Je m'attends à ce qu'il me bondisse dessus d'une seconde à l'autre.
On se fixe en silence, et soudain Hugues bondit, mais pas sur moi, sur le côté. Avec horreur, je le vois attraper Laura par les cheveux avant de la plaquer contre lui, son grand couteau sous sa gorge.
– Où tu comptais aller comme ça ? Demande Hugues dans un ricanement.
– Lâchez là !
Mon cri résonne dans la chapelle comme un écho funeste et seul le rire de Hugues lui répond.
Laura se débat un instant avant de s'immobiliser, son regard ancré dans le mien. Un instant je crains qu'elle fasse à nouveau une crise puis je vois ses lèvres remuer. Elle essaye de me dire quelque chose. Elle semble à présent calme mais le son peine à sortir de sa bouche.
– A... An...
– A... An... répète Hugues moqueur. T'es aussi débile que mes parents ou quoi ?
Soudain j'ai un déclic. Tout s'emboîte enfin.
Le souvenir de sa mort met Hannah dans tous ces états...
Édouard doit déjà lui avoir tous dit et elle doit parcourir le domaine pour essayer de retrouver Hugues...
Ils nous entendent quand on les appelle mais choisissent de venir ou pas...
Édouard ne peut pas venir, il ne nous entend peut-être même pas, et Hannah ne viendra pas si c'est moi qui l'appelle.
Mais si c'est lui : elle accourra.
– C'est le corps de qui qui est inaccessible ? Lancé-je avec calme.
Hugues fronce les sourcils en pinçant les lèvres.
– Tu me déçois, Thomy... Les enfants d'aujourd'hui sont vraiment ennuyeux, vous...
– Le corps de qui est inaccessible ? Répété-je plus fort.
Hugues semble enfin s'agacer.
– Le corps de qui ? Crié-je encore.
Il peste tandis que son visage s'empourpre. Voilà, il est en colère.
– T'es un abruti ou quoi ?
– Qui ?!
– Celui d'Hannah !
Je retiens mon souffle tandis que les échos de son cri s'amenuisent.
Il y a un moment de silence puis soudain il fait plus sombre et surtout plus froid.
Elle arrive...
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