25 - Compte à rebours
Alix a fait une simple salade et des sandwichs. Ça a l'air appétissant mais j'ai l'estomac noué.
La peur ne me quitte plus. Bientôt la fillette noire risque d'entrer dans la maison, alors on sera à sa merci... et Édouard ne peut rien pour nous.
Je me force à manger pour ne pas inquiéter Alix. Prendre une bouchée, mâcher, avaler, c'est dans mes cordes et ça ne me demande pas trop de réflexion, pîle ce qu'il me faut.
Le repas se passe dans un calme inédit. On parle que pour se passer les plats et les condiments, c'est inouï.
Alors que je prends un yaourt, le téléphone sonne. Jo se lève, sans râler pour une fois, et décroche.
Il écoute en hochant la tête et ne dit que des « Ouais » et « Ok » avant de raccrocher.
– C'était votre père, fait-il en revenant à table. Maman va rentrer en taxi et lui va rester à l'hôpital, apparemment Laura en a encore pour quelques jours.
– Je vais lui mettre une assiette de côté, acquiesce Alix en se levant.
– Je suis étonné que maman ne reste pas aussi, reprend Jo. On dirait qu'elle se fiche complètement de Laura.
Alix échappe sa fourchette qui rebondit au sol avec fracas. C'est vrai que Jo n'est pas au courant. Alix m'adresse un regard que j'interprète comme : je dois lui dire ou pas ?
Je me contente de hausser les épaules. Je ne veux pas prendre parti.
– Qu'est-ce que vous avez tous les deux ? Demande Jo perplexe.
Alix se mordille la lèvre inférieur, elle hésite.
– Bon écoute, on a apprit ça il n'y a pas longtemps, fait-elle mal à l'aise.
Elle me jette un nouveau regard, implorant mon soutien cette fois.
– A la dernière grosse dispute des parents, ajouté-je à voix basse.
Jo ne fait aucun commentaire et je l'ai rarement vu si sérieux.
– En fait, Laura n'est pas une cousine, reprend Alix hésitante. On a entendu maman dire que... qu'elle est la fille de Paul, notre père. Il l'a eut avec une autre femme alors que Thomas était tout bébé.
Jo écarquille les yeux puis nous dévisage à tour de rôle.
– Alors ça... Je m'y attendais pas, souffle t'il. Même si ça me concerne pas vraiment, c'est votre demi-sœur pas la mienne, mais quand même... C'est fou. Maman doit être sacrément amoureuse pour accepter cette situation loufoque.
– Je pense qu'ils ne veulent pas se séparer à cause de nous, avoué-je. Ils font chambre à part depuis l'aménagement.
– Comment tu le sais ? Me demande Jo.
– Papa n'est jamais à l'étage, il dort dans son bureau.
Ma tirade jette un froid et Jo a l'air mal à l'aise de toute cette histoire.
– Le prenez pas mal mais s'ils ne s'aiment plus autant se séparer Ça vaudra toujours mieux que toutes leurs disputes. Ça devient invivable, c'est pour ça aussi que je préfère traîner dehors, plutôt que rester ici...
– Je suis d'accord, répond Alix avec calme. Je pense que l'achat de cette maison et leur grand projet de chambres d'hôtes c'est juste un moyen d'essayer de recoller les morceaux.
– Sauf que ça marche pas, soufflé-je amer.
– On est d'accord, admet Jo.
Le silence tombe. Pour une fois qu'on est d'accord, on a plus rien à se dire. Pourtant j'ai déjà peur de ne plus revivre ça. J'aime mes parents, je veux qu'ils soient heureux tous les deux mais une séparation me fait peur.
Beaucoup de choses me font peur aujourd'hui.
Sans un mot, Jo se lève.
– Tu vas où ? S'enquit Alix surprise.
– Je dois retrouver des potes. Je sais pas à quelle heure je vais rentrer, m'attendez pas.
– Ça va encore créer des disputes, s'agace Alix.
– Tu sais, ça changera pas grand chose...
Jo nous regarde chacun notre tour puis il s'en va. A croire qu'il n'a aucune conscience, aucun remords d'agir ainsi
– Son égoïsme est aussi élevé que son QI est faible, peste Alix en laissant ses couverts dans l'évier.
Je souris à la comparaison mais je ne sais pas quoi en penser. Je ne comprends pas pourquoi Jo agit comme ça, on dirait qu'il se fiche des conséquences.
On débarrasse la table en silence puis on attend dans le salon. La télévision est allumée mais on ne la regarde pas vraiment.
Ma mère finit par rentrer, bien après que la nuit soit tombée. On l'accueille dans le hall sans trop savoir quoi lui dire, mais c'est sans compter sur son sixième sens.
– Où est Jo ? J'ai pas vu sa moto.
Alix me lance un regard en biais avant de répondre.
– Il est parti tout à l'heure. Il a dit qu'il avait des amis à retrouver.
– J'en était sûre ! Il fallait pas lui rendre cette satanée moto. Il va m'entendre quand il rentrera !
Rageuse, ma mère jette son manteau qui manque le porte-manteau et tombe au sol. Elle ne s'en aperçoit même pas et ouvre les lettres qu'elle tient.
Il y a vraiment que ma mère pour penser à relever la boite aux lettres dans une situation pareille.
Elle parcourt rapidement la première, fronçant les sourcils au fil de la lecture.
– Et voilà que le lycée nous envoie une lettre, gronde t'elle. Monsieur Jonathan sèche très souvent les cours et quand il est là, il joue les perturbateurs ! Génial ! Si c'était pour faire ça, autant qu'il reste chez son père !
Cette fois ma mère est vraiment en colère. Elle jette aussi le courrier par terre puis lève les yeux vers nous. Je sens le dommage collatéral...
– Vous avez vu l'heure qu'il est ? Vous avez école demain, allez vous coucher !
Alix lève les yeux au ciel avant de partir sans un mot. Je m'empresse de la suivre, il s'agit là d'un combat perdu d'avance.
Je suis presque content de me retrouver seul dans ma chambre. J'ai passé une journée épouvantable, une soirée horrible et la peur ne me quitte plus. Si ça continue, à treize ans je vais avoir plus de cheveux blancs que mon père...
Je me laisse tomber sur mon lit puis j'hésite à appeler Édouard. C'est étrange comment en étant dans une famille assez nombreuse je me sens quand même très seul.
Je me couche avec cette idée en tête. Les autres se sentent-ils aussi isolés que moi ?
Peut être.
Je passe une nuit à l'image de ma journée : mouvementée.
Au réveil, j'ai les traits assez tirés pour espérer une journée de repos mais, Jo n'étant pas rentré de la nuit, ma mère n'est pas d'humeur à négocier.
Je me retrouve donc à remonter l'allée dans la pénombre et le brouillard.
– Il abuse Jo, siffle Alix de mauvaise humeur. Je ne sais pas ce qu'il cherche mais il met vraiment maman dans tous ses états.
– Je crois qu'il est juste paumé...
Alix rigole avant de reprendre.
– Tu vas aller voir Laura ce soir ?
– Je ne sais pas, pourquoi tu me demandes ça ?
– Je croyais qu'elle savait un truc important pour... tu-sais-quoi.
Je souris, c'est sympa comme nom pour une histoire de fantôme, dont l'un veut notre mort...
– Ça serait bien de lui parler au plus tôt mais je ne pense pas que...
Je me tais car Alix s'est arrêtée, l'air surprise. Je tourne la tête pour voir ce qu'elle fixe et je suis surprit par la voiture rouge vif garée devant notre chemin.
– Sébastien ? S'étonne Alix alors que le blond sort de sa voiture.
– Salut vous deux, je me suis dit que ça vous ferez plaisir d'éviter encore le bus.
– T'es génial ! M'exclamai-je ravi.
– Et pour Monsieur Hons ? S'enquit Alix.
– J'ai négocié avec ma morveuse de sœur pour qu'elle l'avertisse.
– Elle ne prend pas le bus, relevé-je.
– Mais sa meilleure amie, enfin l'actuelle, le prend. Ça m'a coûté chère cette histoire.
– Merci, c'est vraiment sympa de ta part.
Soudain je me sens un peu de trop entre Alix et Sébastien et je m'empresse de monter à l'arrière.
Le trajet jusqu'au collège n'a jamais été aussi sympa entre discutions animées et musique à fond, mais dés que j'aperçois les blocs de béton et les élèves agglutinés devant, je me sens à nouveau mal.
Sébastien se gare sur le parking où l'on reste jusqu'à la sonnerie.
Résigné, je remonte les couloirs sous les rires, commentaires et parfois injures des autres élèves. J'essaye de les ignorer autant que possible mais ce n'est pas simple. Aux intercours, je presse le pas, tête basse.
Quand sonne l'heure du déjeuner j'ai l'impression que cette journée est sans fin. Je prends mon plateau puis je vais m'asseoir à l'écart en espérant qu'on m'oublie un peu.
Je commence à peine mon repas quand Alix arrive.
– C'est prit ? Demande t'elle en désignant la place devant moi.
– Fais comme chez toi.
Ma sœur rigole avant de s'installer bruyamment.
– T'as entendu les supplices qu'on voulait me faire aujourd'hui ? Demandé-je curieux.
– Non mais tu es mon petit frère, alors le premier qui vient t'enquiquiner me servira de déjeuner.
Surprit, je la dévisage. Parfois je ne sais pas quoi penser d'elle.
Elle doit voir mon désarrois car elle ne tarde pas à reprendre à voix basse.
– Tu n'es pas seul, Thomas. Je ne suis peut-être pas... parfaite mais je ne peux pas laisser mon
frère se faire emmerder de la sorte sans réagir. Je crois que c'est ce qui manque à notre famille...
– C'est à dire ?
– Le fait de se bouger pour aider celui qui en a besoin. J'ai bien réfléchi, tu sais. En fait, on tire chacun de notre côté sans faire attention aux autres et du coup Laura et toi vous vous retrouvez au milieu de toute cette pagaille. C'est pas normal.
Je suis sans voix.
Je ne sais pas quoi dire, si je dois la remercier ou alors lui dire que tout va bien... Je ne sais pas alors je ne dis rien.
On mange en silence sans plus échanger un mot.
L'après-midi me paraît alors moins pénible, bien que je sois plus que heureux lorsque la sonnerie de fin des cours retentit enfin.
Comme convenu, Sébastien nous attend à nouveau sur le parking. Le retour à la maison se fait dans la même ambiance que l'aller.
Alors que Sébastien nous dépose devant la maison, je vois la moto de Jo couchée sur le flanc à côté de la voiture de maman. Papa, lui, n'est toujours pas rentré.
– Ça promet une super ambiance, souffle Alix après avoir remercié Sébastien.
A peine entrée, maman nous appelle de la cuisine.
– C'était qui cette voiture ? Demande t'elle sans se détourner de sa vaisselle.
– Sébastien Tamy, répond Alix sans une hésitation. Il passait prendre sa sœur et comme le bus
était plein il s'est proposé de nous ramener.
Je suis toujours aussi surprit de la capacité d'Alix à inventer une excuse. Maman se contente de hocher la tête, elle la croit.
Alix prend un paquet de gâteaux puis file pendant que j'hésite.
– Maman, t'as des nouvelles de Laura ? Demandé-je après un temps.
– Pas vraiment, ton père doit me rappeler dans une heure environ.
– D'accord. Je... Je suppose qu'elle va rester encore un peu à l'hôpital, je pourrais peut-être aller la voir ? Ça lui ferait plaisir.
– Pas pour l'instant, Thomas, me répond ma mère sans même me regarder.
– Pas forcément aujourd'hui mais...
Soudain Édouard apparaît à côté de ma mère. Il me fixe en secouant la tête. Je comprends, Jo et ma mère ont du s'engueuler, ce n'est pas vraiment le moment d'insister.
– Un autre jour, conclus-je.
– On verra... Va faire tes devoirs.
J'acquiesce puis je m'empresse de quitter la cuisine.
Édouard m'attend déjà au premier.
– Qu'est-ce qui s'est passé ? Demandé-je à voix basse.
– Ils se sont disputés vraiment très fort... puis ta mère a fait tomber la moto. Ils ont dit des choses horribles...
Édouard a l'air peiné mais je suis content de ne pas avoir assisté à ça.
En enfant modèle, je fais mes devoirs tandis qu'Édouard reste à la fenêtre, avant de disparaître sans un bruit.
Le dîner se passe aussi dans le silence, ce qui est étrange. Je ne sais pas ce que Jo et maman se sont dit, mais ils n'ont plus l'air d'avoir envie de se parler.
Ma soirée est toute aussi morose. Je pense à Laura, à ce qu'elle sait peut être et j'ai du mal à m'endormir.
Quand le réveil sonne j'ai l'impression que je viens juste de me coucher. Heureusement qu'on est mercredi, je n'ai que la matinée de cours.
A nouveau Sébastien nous attend à l'entrée de notre chemin. J'aime bien cette nouvelle routine, loin du chahut et des commérages du bus.
Ma matinée passe relativement vite, j'ai presque l'impression que les choses se tassent. La bande de Jason me rappelle qu'ils vont me casser la figure un jour ou l'autre mais je commence à m'habituer puis je ne suis pas si mal tout seul.
Quand Sébastien nous dépose devant l'allée, à la demande d'Alix, je m'empresse de rentrer à la maison. Maman est dans le salon et elle a l'air de meilleure humeur que hier, je décide de tenter ma chance.
– Maman, je pourrais aller voir Laura ? Demandé-je de mon ton le plus innocent.
– Oui mais pas aujourd'hui, elle a des examens à passer et les visites sont suspendues.
Je me mords la langue pour ne pas lui dire que je vois bien qu'elle me ment et je la remercie avec autant de gratitude que je peux feindre.
– Je crois qu'elle ne veut pas que tu ailles la voir, me souffle Alix alors qu'on monte dans nos chambres.
– C'est aussi l'impression que j'ai mais je ne veux pas la braquer.
– Sage décision. Tu auras peut-être plus de chance avec papa ?
– Oui, s'il rentre un jour...
Alix s'arrête alors qu'on arrive au pallier du second. Elle a l'air soucieuse tout à coup.
– Tu sais, je ne vois toujours pas la fillette qui est dehors, reprend t'elle après un temps. Mais je la sens... parfois j'ai peur sans savoir pourquoi et j'ai l'impression d'entendre des pleurs près de l'arbre à la balançoire.
– Ne t'en approche surtout pas.
Je tourne la tête pour voir Édouard qui sort de la chambre de Laura.
– Elle t'attaquerait et je ne pourrais rien faire pour t'aider...
– Elle est si forte que ça ? M'inquiétai-je.
– Un peu plus chaque jour puis... je ne voulais pas t'en parler hier, mais la voiture est revenue.
– La voiture ? S'étonne Alix.
– Une voiture se gare parfois devant le chemin, expliqué-je. C'était peut-être pas la même ? C'est sans doute rien...
Édouard baisse la tête. Alix se tourne vers moi quand la porte d'entrée s'ouvre pour laisser entrer quelqu'un.
– C'est votre père, renseigne Édouard qui est déjà descendu au premier.
– Va le voir, me pousse Alix. Joue l'inquiet et demande lui de t'amener voir Laura.
– Tu crois ?
– On a apparemment plus trop de temps, alors magne !
Alix sait être convaincante quand elle le veut. Je dévale les escaliers, Édouard m'adresse un sourire encourageant quand je passe à ses côtés.
Papa est encore dans le hall, il a l'air épuisé. Je surjoue l'inquiétude en accourant vers lui.
– Ça va ?
Il a l'air surprit puis touché.
– Oui, un peu fatigué, c'est tout.
– Et Laura ?
Je fais mine de me pencher pour regarder derrière lui, bien que je sais que Laura n'est pas là.
– Elle est toujours à l'hôpital, me répond mon père en posant sa main sur mon épaule. L'équipe médicale est au top et elle est bien entourée, elle...
– Elle doit se sentir si seule, le coupé-je. La pauvre... j'aimerai pas être à sa place. Elle qui sort si peu, elle doit être perdu sans visage connu.
J'en rajoute peut être un peu mais mon père a l'air de me croire. Il se pince les lèvres avant de regarder autour de lui.
– Elle va rester encore quelques jours à l'hôpital, reprend t'il mal à l'aise. Il faut que j'en parle avec ta mère... mais ça te dirait d'aller la voir ?
Je n'ai aucun mal à paraître ravi.
– Cette après-midi ? Demandé-je envieux.
– Non, plutôt demain soir, après l'école.
C'est déjà mieux que rien.
– Super, merci beaucoup.
J'hésite un instant puis je me contente de lui sourire avant de remonter au second.
Alix est partie dans sa chambre, je l'entends parler, elle est sûrement au téléphone. J'exulte mais je n'ai personne à qui parler, même pas Édouard.
Je l'aperçois alors dehors, assit sur la balançoire. La fillette noire s'agite autour de lui comme une menace silencieuse. La peur revient chassant ce moment de soulagement.
Je tue le temps en jouant sur l'ordinateur mais j'ai du mal à plonger dans mon univers virtuel. Pour la première fois, je n'arrive pas à quitter la vie réelle.
Le lendemain je sors de la maison presque avec entrain. Ma bonne humeur se ternit quand Sébastien nous apprend qu'il ne pourra pas venir nous chercher ce soir car il a un entretien d'embauche en ville. Il ne sera pas rentré à temps.
– C'est pas grave, répond Alix alors qu'on est arrêté sur le parking. C'est déjà super ce que tu fais pour nous.
– Je le fais avec plaisir.
Ils échangent un tel regard que je me sens soudain de trop. Je sors de la voiture alors qu'Alix lui répond une phrase complètement clichée.
Des élèves me montrent alors du doigt en rigolant, certains me font même des gestes obscènes.
Bienvenue dans la réalité...
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