
17 - Agression
Je n'ai toujours pas revu Édouard, ni la chose qui erre sur le domaine.
En me levant ce matin, je me suis décidé à aller les chercher, je dois être certain que... je suis sain d'esprit. Mais c'était sans compter sur ma mère qui me réquisitionne pour déplacer des meubles.
Je me retrouve donc à obéir à ses directives contradictoires et à bouger dix fois la même commode avant de la remettre à sa place initiale.
– Pousse la bien contre le mur, Thomas.
Je soupire en poussant la commode qui tape contre le mur qui résonne alors. Surprit, je tapote sur le lambris : c'est creux.
– Maman, les murs sont creux ?
Ça m'a l'air dangereux...
– Certains oui, me répond ma mère en me tendant un biscuit. La maison est très ancienne, elle a été rénovée plusieurs fois. Il est fort probable qu'on ait laissé un espace entre les murs de pierre et les murs intérieurs pour l'isolation. Parfois on mettait même de la paille pour garder la température interne stable. C'est assez courant puis ça permettait aussi d'avoir une maison imposante à l'extérieur mais pas trop grande à l'intérieur, c'est plus facile à nettoyer et surtout à chauffer.
Je hoche la tête, fasciné par les connaissances de ma mère. J'aime quand elle est comme ça, pleine d'entrain et de passion, mais une question me brûle les lèvres.
J'hésite puis je me lance.
– Pourquoi on est venu ici ? Même si le prix était super intéressant, cette maison reste à restaurer et elle est beaucoup trop grande pour nous.
– Je croirais entendre ton père... Le prix était en effet une aubaine mais j'ai surtout besoin d'un projet, un grand projet qui m'accapare le plus possible pour...
Elle ne termine pas sa phrase et je la trouve malheureuse tout à coup. Je ne comprends pas mais ça me fait de la peine pour elle.
– Qu'est-ce qui ne va pas ?
Je suis incapable de me taire...
– Rien, Thomas. Ce sont des histoires d'adultes.
– Ça à un rapport avec Laura ?
Je ne sais pas pourquoi ça me paraît si évident soudain.
– Non, tu te fais des idées.
Elle me sourit mais je sens que c'est feint. Je sens que quelque chose ne va pas, mais quoi ?
– Ho, tu as vu l'heure ? J'ai rien fait à manger, reprend ma mère alarmée. On pourrait aller déjeuner en ville ? Oui, ça nous ferait du bien. Va chercher Laura.
Sans me laisser le temps de répondre, elle s'en va. Je souris, j'aime ce côté décalé mais je sens aussi qu'elle cache quelque chose, mais je n'y peux rien. Je soupire puis je vais dans le hall.
Je ne sais pas du tout où peut être Laura.
– Édouard ? Chuchoté-je.
Rien, aucune réponse, mais ça valait le coup d'essayer.
Je commence par la cuisine, puis la buanderie et la réserve mais je n'ose pas sortir pour aller voir le cabanon. Alors que je reviens dans la cuisine j'aperçois Laura qui court dans le verger.
J'attrape ma veste puis je sors mais elle a déjà filée. Je soupire avant de prendre la direction du verger abandonné. Quand je passe près de l'arbre à la balançoire, j'espère presque y voir la fillette sombre. Ça serait la preuve que je n'ai pas tout inventé. Mais il n'y a rien.
Je m'enfonce entre les pommiers ou poiriers ou encore cerisiers, j'en sais rien, mais j'ai un mauvais pressentiment alors que je m'éloigne de la maison. Pour me rassurer j'essaye de m'imaginer ces arbres nus et tordus, couvert de feuilles et de fruits appétissants, mais ça ne fonctionne pas.
Lentement, la peur monte en moi. Je ne sais pas pourquoi mais je ne suis pas tranquille.
– Laura, appelé-je à voix basse.
Aucune réponse. Elle est peut-être déjà rentrée ?
Le pâle soleil disparaît alors derrière les nuages et un brouillard remontant du lac commence à envahir le verger.
Laura a sûrement dut rentrer et je ferai mieux d'en faire autant. Je pivote, aussi raide qu'une planche, et je commence à rebrousser chemin en grandes enjambées. Soudain j'entends un bruit de course sur ma droite.
– Laura, je te cherche depuis une plombe, lancé-je en me retournant.
Un cri de frayeur meurt dans ma gorge alors qu'on me percute sur le côté. Je tombe au sol mais déjà des mains agrippent mon col et me secouent comme un pantin. Je cligne des yeux peu sûr de ce que je vois mais je dois m'y résoudre.
C'est Jason Ters.
La brute du collège dans mon jardin. C'est l'horreur !
J'essaye de me débattre mais il est bien plus fort que moi. Il me plaque au sol m'écrasant de sa masse.
– Tu vas regretter ce que t'as fait, gronde t'il. Putain, tu dragues ma copine et tu me fais renvoyer du collège ! Tu te prends pour qui ? Mais je sais comment m'y prendre avec les merdes dans ton genre !
Il me postillonne dessus mais je n'ai pas la force de le repousser. J'essaye encore de me justifier mais les mots ne sortent pas de ma gorge étranglée. Il me secoue à nouveau et ma tête heurte plusieurs fois le sol.
– Ouais, je sais m'y prendre avec les petits citadins qui se la pètent.
– Lâche moi ! m'écriai-je d'une voix aiguë.
Jason se met à rire, une sorte de hoquet désagréable à entendre. Il lève son poing mais je parviens à l'esquiver en m'agitant comme le pauvre ver que je suis. D'une main, il me redresse et me plaque contre un arbre. Un sourire malsain étire ses lèvres alors qu'il lève à nouveau le poing. Il me tient serré, je ne vais pas pouvoir éviter ce coup là et il va me faire mal.
Résigné, je ferme les yeux et j'attends l'impact.
– Laisse le !
La voix a claquée dans le silence, si grave et sèche que je mets un temps à la reconnaître : Édouard.
Je rouvre les yeux pour voir Jason se décomposer. Le sang a déserté son visage faisant ressortir ses tâches de rousseur et ses yeux sombres.
Il me lâche et titube en arrière, horrifié. Je me tourne et je vois qu'Édouard est là. Il a un air sérieux, voir menaçant, que je ne lui connais pas. Étrangement, je suis soulagé qu'il soit dans mon camp.
Il s'approche pas à pas, son image vacillante comme celle d'une petite flamme.
Jason se met à inspirer bruyamment, comme s'il avait retenu sa respiration durant plusieurs minutes. Il frissonne de la tête aux pieds avant de s'enfuir à toutes jambes.
J'aimerai bien lui lancer une phrase bien acide ou cynique mais rien ne vient.
– Tu devrais rentrer, Thomas, reprend Édouard sans quitter Jason du regard.
A nouveau son sérieux m'étonne.
– Merci de m'avoir sorti de là. J'ai crut qu'il allait me tuer... enfin pas vraiment, juste... Bref, t'as compris.
Édouard a un léger sourire.
– Il faut que tu rentres à présent.
– Je cherche Laura et...
– Je l'ai fait rentrer aussi ,me coupe Édouard avec sérieux. L'Autre est très agitée...
Je comprends de qui il parle et déjà j'en ai la chair de poule.
– Attend, lancé-je alors qu'Édouard semble vaciller. Je suis désolé si je t'ai blessé mais j'ai besoin de savoir. Si cette chose n'est pas ta sœur, c'est qui ?
– Je l'ignore. Rentre maintenant.
Soudain l'image d'Édouard perd en netteté et il disparaît complètement. C'est... troublant à voir. Je décide aussitôt de lui obéir et je cours jusqu'à la maison.
Laura est sur le parvis. Elle sourit en me voyant arriver. Elle attend que je sois à son niveau pour s'agiter en m'indiquant le verger.
– Je sais, Édouard est là-bas, compris-je. Il a des trucs à faire... Viens, maman nous attend. On va aller manger en ville.
Les yeux de Laura se mettent à briller puis elle se précipite à l'intérieur. Je regarde la porte se refermer sur elle tandis que j'hésite. Jason s'est introduit chez nous pour venir me frapper, c'est grave, très grave. Je devrais courir avertir mes parents, mais en même temps comment expliquer la fin de l'altercation ?
Comment expliquer que le fantôme d'un garçon mort dans la maison est venu à mon secours ?
Je vais passer pour un fou... encore.
Ça me fait mal mais il vaut mieux que je ne dise rien.
*****
Je résume en deux mots ce repas en ville : étrange et stressant.
Ça fait du bien de quitter le Mas du Lac, l'animation de la ville qui m'était autrefois familière me manquait et je m'émerveille de tout. Comme Laura sauf qu'elle elle s'arrête devant toutes les vitrines et ce qui agace ma mère. Elle finit par la prendre par le bras et la tirer jusqu'à un restaurant bonne marché. Je suis le plus heureux du monde alors que je mange un simple hamburger avec des frites.
Le repas est assez rapide puis on rentre en silence.
Arrivée à la maison, je monte directement dans ma chambre. J'essaye d'appeler Édouard, je veux vraiment avoir une discutions avec lui, mais en vain. Je me mets alors sur mon ordinateur et je joue toute l'après-midi.
Loin de m'avoir détendu, cette escapade en ville m'a permit de constater à quel point mes parents se sont éloignés. Ils se regardent à peine et ne s'adressent la parole qu'au strict nécessaire. On dirait qu'ils ne s'aiment plus...
Je suis surpris quand ma mère m'appelle pour le dîner.
Je descends les escaliers perdu dans mes pensées, puis je constate qu'ils sont déjà tous à table.
– Franchement je veux passer mon permis au plus vite, clame Jo excité. Faut que je m'y remette grave.
– Je te rappelle qu'on avait tout réglé, répond mon père avec lassitude. Mais tu as préféré traîner avec tes potes au lieu de passer ton code. Maintenant tu vas devoir travailler pour te le payer.
– Je t'ai pas sonné, réplique Jo agacé.
– Paul a raison, on te l'avait payé avec ton père, tempère ma mère. Tu vas devoir faire des efforts si tu veux qu'on t'aide à nouveau.
– C'est votre rôle de m'aider, je bosserai bien assez tôt !
Mon père repose ses couverts avec force en dévisageant ma mère qui soupire.
– On verra...
Mon père la fusille du regard et je sens que la dispute ne va plus tarder. Je me contente de manger en évitant de croiser leurs regards mais soudain Laura s'agite. Elle tend le doigt vers l'entrée de la cuisine.
– Édouard, lance t'elle toujours agitée.
Je mets quelques secondes à comprendre puis je me retourne brusquement. Édouard est là, il se tient au montant de la porte, l'air intimidé. Quand il voit que je le regarde, il me fait signe de venir.
J'en frissonne, qu'a t'il à me dire ?
– C'est qui Édouard ? Demande alors ma mère.
Sa voix teintée d'irritation me ramène à la réalité mais Laura continue à s'agiter en indiquant la porte de la cuisine.
– Édouard, lance t'elle en me tirant sur la manche. Veut te parler...
– C'est quoi cette histoire ? S'agace mon père. Qu'est-ce que tu lui as mis dans la tête, Thomas ?
– On sait tous qu'elle est tarée, s'exclame Jo mécontent. Il suffit de la regarder pour voir qu'elle est pas nette.
Laura laisse retomber son bras puis se retourne vers lui, l'air surprise.
– Ne l'écoute pas, la rassure aussitôt mon père. Il dit toujours n'importe quoi, faut pas devenir comme lui.
– Ça veut dire quoi ? S'emporte ma mère. D'après toi mon fils est mal élevé ?
– J'ai pas dit ça, arrête de déformer !
– Alors va s'y explique toi !
– Il n'a pas à dire des choses comme ça, t'imagines l'impact pour elle ? C'est ton rôle de calmer le jeu mais tu ne fais rien.
– Parce que toi t'es un père modèle peut-être ? T'as rien à te reprocher ?
Mon père s'empourpre et fusille ma mère du regard. Il se penche, menaçant, tandis que Laura commence à sangloter.
– Et toi, tu fais quoi pour eux, à part les emmener dans un trou paumé ?
Ma mère sursaute avant de se lever, les yeux brillants de colère.
– Les enfants, allez vous coucher .
Le ton est calme mais personne n'ose répondre. On se lève en silence et on quitte la cuisine en procession. Laura s'accroche au bras de mon père. Je vois ma mère serrer les poings avant de la tirer en arrière et de la pousser vers la porte. J'ai de la peine pour elle.
Laura me dépasse en courant puis disparaît dans les escaliers. Alors que j'arrive sur le pallier du premier, je vois Édouard qui attend au second, l'air peiné.
Jo et Alix passent à côté de lui sans le voir. Je monte une à une les marches, attendant qu'ils soient entrés dans leurs chambres.
– Je suis désolé, je ne voulais pas ça, s'excuse Édouard alors que je passe à côté de lui.
En bas tout est calme. Je suppose que mes parents attendent que l'on soit tous dans nos chambres pour régler leurs comptes.
Résigné, j'entre dans ma chambre. Je referme ma porte, le signal de départ.
– Tu m'en veux ?
Je me retourne et je vois Édouard assit au bord de mon lit.
– Ils se disputent souvent, on y est pour rien...
– Je comprends. Je suis aussi désolé d'avoir été un peu brusque dans le verger.
– C'est pas grave... Dis, qu'est-ce que mes parents se disent quand ils se disputent ?
– Je ne sais pas, je les évite dans ces cas là. Ça me rappelle mes parents...
– Désolé. J'ai l'impression qu'un truc ne va plus entre eux.
Je m'étire, j'ai maintenant mal au dos à cause du choc à terre ou contre l'arbre. Ça me rappelle ce mauvais souvenir et je frissonne. Jason est venu jusqu'ici pour me casser la figure. Ce type est fou.
– Qu'est-ce qui c'est passé tout à l'heure ? Demandé-je pour oublier cette brute de Jason.
Édouard soupire avant de me regarder avec inquiétude.
– Je ne sais pas trop. Comme toujours, je surveillais celle qui rôde dans le domaine et elle s'est soudain agitée. Elle était très en colère... J'ai aussi crut apercevoir une voiture garée dans un chemin secondaire puis quelqu'un roder près de la maison...
– Ça devait être Jason, le coupé-je. Ce type est cinglé. Je le vois bien voler la voiture de ses parents juste pour venir me coller une raclée.
– J'y ai aussi pensé quand je vous ai vu dans le verger mais je ne sais pas, j'ai l'impression que c'était deux choses différentes. Puis la réaction de la fillette m'étonne. Elle n'a jamais été aussi agitée.
Je frissonne au mot « fillette », elle n'en a plus vraiment l'apparence sauf quand... Je déglutis avec difficulté. Quoi qu'elle soit, elle me terrorise.
– Qu'est-ce que tu sais sur elle ? Demandé-je en m'asseyant à côté d'Édouard.
Il a un pâle sourire mais il me répond quand même.
– Ma dernière vision est la neige qui tombe sur le rebord de fenêtre de la chambre d'à côté, celle de ma sœur, puis tout est devenu... différent. C'est comme si je m'étais réveillé après avoir été malade quelques jours. J'étais perdu et déboussolé. J'ai erré dans la maison mais il n'y avait personne, j'étais tout seul. Je ne comprenais pas puis mes sœurs aînées sont arrivées. Elles portaient des habits de deuil et j'avais beau essayer de leur parler, d'attirer leur attention, rien n'y fit : elles ne me voyaient pas, j'étais devenu invisible pour elles. J'ai eu très peur puis j'étais en colère. Je ne comprenais pas mais j'étais de plus en plus énervé. Plus j'étais en colère, plus je pouvais faire bouger des choses, mais moins j'étais moi-même... Mes sœurs ont eu peur, elles pensaient à un mauvais esprit, ça m'a fait très mal d'entendre ça, puis elles ont fait appel à un prêtre pour bénir la maison.
Édouard marque une pause, le regard dans le vide. J'essaye de ne rien laisser paraître mais je suis captivé par son récit, ce qui est un peu macabre.
– Le prêtre était très gentil, reprend Édouard avec un sourire. Il m'a simplement demandé d'arrêter de faire peur à mes sœurs ou bien de quitter cette maison pour enfin reposer en paix. C'est là que j'ai compris : j'étais mort. Un simple fantôme. C'est aussi à ce moment que j'ai pu sortir de la maison et que je l'ai vu pour la première fois. Une fillette au visage lacéré qui pleurait assise sur la balançoire. Elle me faisait peur mais j'ai quand même essayé de lui parler. Je me suis dis que si j'étais à sa place, j'aurai aimé qu'on fasse attention à moi. Elle me tournait le dos dès que je m'approchais et je n'arrivais pas à lui parler, puis elle a commencée à être en colère. J'ai essayé de la calmer, de la raisonner. J'y arrivais, au début... Il y avait des locataires, parfois même des acheteurs qui venaient à la maison et j'arrivais à la tenir tranquille, puis elle a changée. Pleine de colère et de rancœur, elle est devenue difforme et agressive. Elle devient de plus en plus forte et j'ai maintenant du mal à la contenir. Son cœur est noir et elle veut tuer pour se venger. Je ne sais pas pourquoi elle est ici, ni ce qui lui est arrivé mais elle devient malfaisante. Et ce n'est pas ma sœur.
J'arrive sans mal à mettre des images sur son histoire, même si je suis impressionné par sa gentillesse. Vouloir aider une chose aussi terrifiante que cette fillette c'est courageux, mais ça ne répond pas à ma question.
– C'est qui, alors ? Soufflé-je. Partout on dit que c'est ta sœur qui vous a tué, tes parents et toi, puis qu'elle est morte de froid devant la maison après s'être lacéré le visage.
– Je n'y crois pas, elle n'aurait jamais fait ça !
Je vois combien il est sûr de lui, du coup je doute.
– Tu te souviens pas de... ta mort ? Osé-je.
– Non, tout est flou dans ma mémoire... Je sais que j'étais dans la chambre de ma sœur mais je ne me souviens pas pourquoi, ni ce qui c'est passé. C'est comme si c'était bloqué dans ma tête.
Je me force à respirer avec calme pour cacher mon angoisse. J'ai vraiment peur.
– Cette... fillette, elle risque de finir par nous tuer ? Soufflé-je après un temps.
– Je le pense aussi...
Génial, je crois que je vais m'évanouir.
J'hésite à m'allonger sur mon lit quand, en bas, j'entends un bruit de verre brisé.
Je sursaute, m'imaginant une fenêtre qui explose et je bondis sur mes pieds.
– Elle est rentrée ? M'affolai-je.
Et si c'est le cas, que va t'il se passer ?
Merde, je sais ce qui va se passer !
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