Etape 1: La rencontre
La pluie frappe la vitrine de la boutique, le ciel gris qui domine les grands immeubles de la ville semble immense et terrifiant. Appaisant quelque part, et ces nuages, qui apportent des nuances supplémentaires de couleurs, ou d'absence de couleurs justement, ne rend ce ciel triste qu'encore plus beau.
Pourquoi le ciel est bleu ? Et pourquoi il vire au gris quand vient la pluie... Et le brouillard, quand il descend et qu'il vient serpenter entre les bâtiments, les passants et les voitures... Est-ce que ce sont des nuages qui se sont perdus ?
La fin de l'automne cette année est anormalement froide, on se croirait presque en hiver, et parfois le ciel gris, qui est devenu une habitude à Tokyo, devient d'un blanc immaculé. Un ciel de neige, un ciel pur et chaste, sans aucune imperfection.
C'est dans cette vieille librairie en plein coeur de Tokyo, un vieux local, tout en boiseries et décorations typiques de l'ancienne Angleterre, qu'une jeune fille, éclairée à la bougie magré le lustre et ses faibles lumières, est avachie sur le comptoir, à regarder la pluie tomber et les gouttes venir s'écraser et couler le long de cette vieille vitrine pour finalement mourir sur la pierre froide du trottoir extérieur.
Bien que très charmante, cette librairie n'a pas le luxe de pouvoir se vanter de sa clientèle. Supplantée depuis maintenant des années par les grandes surfaces, les grandes distributions du livre, l'établissement arrive à peine à s'en sortir en fin de mois. C'est pour ça qu'aujourd'hui, la librairie ne compte plus que la patronne, une dame assez âgée mais très gentille, très calme et attentionnée envers la jeune fille qu'elle a engagée voilà maintenant trois ans.
Sa seule et unique employée.
Durant l'année où les finances étaient au plus mal, la vieille dame a bien pensé à la renvoyer. Non sans peine et sans un petit pincement et sous contrainte bien sûr, mais en voyant cette jeune femme mettre tant de coeur dans son travail, elle n'a jamais pu s'y résoudre. Le sourire et la bonne humeur de cette petite apportait un peu de vie et de fraîcheur dans cet endroit d'un autre temps.
"Mamie... Les livres que tu as ici sont extraordinaires... Je te promets que tout s'arrangera. Il suffit d'une seule personne et tu verras, les affaires décolleront."
Elle avait dit ça alors qu'elle était de dos, en train de mettre de l'ordre dans les recueils de poésie. C'est que la jeune femme avait un vrai don pour décrypter les émotions chez les autres. Et ce, même le dos tourné. Elle avait senti l'inquiétude de sa patronne.
Finalement elle était restée, la vieille dame n'avait pas eu le coeur de la renvoyer. L'amour que la jeune femme portait à ces bouquins et à cette boutique la touchait beaucoup trop, impossible de lui retirer ce travail qu'elle aime tant.
C'est pour cela qu'aujourd'hui, et malgré la pluie battante à l'extérieur, Hanae est affalée sur le comptoir, les bras qui pendent dans le vide, presque endormie sur une pile de vieux prospectus très probalement déposés par un homme d'affaires qui n'a pas su dire que cette boutique était déserte la plupart du temps.
"Mamie... Je m'ennuie... Hanae remue à peine les lèvres, elle se contente de geindre et de grogner à chaque mouvement trop brusque.
- Tu n'as qu'à faire les inventaires si tu t'ennuies tant que ça. J'ai plein de bandes dessinées à mettre en rayon si tu le veux... La voix lointaine de sa vieille patronne lui parvient, presque inaudible.
- Mhhh... J'arrive..."
En passant devant le miroir de la boutique, Hanae se rend compte qu'un des prospectus est resté collé à sa joue. Elle l'enlève donc et l'enfonce dans la poche de son pantalon en se dirigeant vers l'arrière boutique, pour récupérer ce carton de bandes dessinées à ranger.
"Dis Mamie... Je peux te prendre un roman ? Je te le paie demain promis. J'ai vu qu'on avait reçu un de ceux que je lis, tu sais...
- Je t'en ai mis un de côté, mais hors de question que tu me donnes quoi que ce soit. Tu sais très bien que je ne veux pas de ton argent. Je t'en fais cadeau. La patronne sourit à Hanae, et le coeur de cette dernière se serre."
Et dire que si elle n'avait pas été en train de prendre la pluie trois ans plus tôt, elle n'aurait jamais eu vent de l'existence de cette boutique. Quel hasard.
"- Non, c'est le destin. C'est comme ça que ça marche le destin. La jeune femme avait dit ça tout haut, sous le regard bienveillant de son employeuse, qui se contente de lui faire un gentil sourire."
Hanae est une jeune femme en début de vingtaine, aux cheveux noirs comme l'ébène, avec de fines mèches de cheveux d'un blanc immaculé. Des mèches qui sont là depuis sa naissance, même si personne ne veut le croire. Ses yeux sont d'un gris sournois, un gris qui peut paraître aussi clair qu'il peut paraître foncé, de très beaux yeux, striés de petit fils violets qui parcourent ses iris. Des fils discrets, qui se reflètent avec le soleil et qui s'accentuent en fonction de ses émotions.
La jeune femme n'a jamais eu à se plaindre de son physique, elle est d'une taille moyenne pour une femme, un mètre soixante trois, et d'une corpulence correcte, bien qu'elle déplore certaines poignées d'amour au niveau de ses hanches et un peu de ventre, ce qui ne la rend pas pour autant laide, bien au contraire. Même si sa mère lui a toujours dit qu'un homme aimait les femmes minces et "sans plis" comme elle insiste à chaque fois.
Son père lui, inquiet de la voir se priver de repas et de se tuer au sport, est toujours venu lui dire que les femmes avec plus de formes étaient bien plus attirantes pour la gent masculine. Et Hanae croit son père, après tout, c'est un homme, alors il sait de quoi il parle.
D'autant plus que son corps est d'une harmonie saisissante, et bien qu'elle ne soit pas "plate" comme l'a toujours pleuré sa mère, elle ne se trouve pas repoussante non plus.
Hanae a toujours été d'une gentillesse et d'une générosité à toute épreuve, elle voit le bon chez tout le monde et essaie toujours d'aider quand elle le peut. Cependant, la qualifier de naïve serait une belle erreur. Même si elle ne s'est pas laissée corrompre par le vice, ça ne veut pas dire que la jeune femme n'en a jamais été témoin. Hanae connait le vice, elle sait l'identifier, et elle sait comment éviter de tomber dans le panneau.
Elle est un peu maladroite, et sa patronne lui fait souvent remarquer, mais toujours avec ce doux sourire et cette bienveillance qui la caractérisent. Par maladroite, il faut entendre qu'elle veut toujours faire les choses vite, et la plupart du temps, ça se retourne contre elle. Après tout, où a-t-elle prévu d'aller pour se presser ainsi ?
"Mamie, la vie est trop courte pour prendre son temps !"
C'est toujours ce qu'elle répondait après s'être faite prise au piège sous une montagne de nouveaux romans, bandes dessinées, mangas ou autres livres. Bien souvent, au lieu de se relever et de sortir de son calvaire, elle restait là, bras et jambes écartés, sur le sol, ensevelie de bouquins de la tête aux pieds, et elle appréciait seulement ces instants. Même si la vie est trop courte, Hanae sait qu'il faut savoir apprécier des petits moments de rien, des petits moments qu'on apprécie. C'est une grande rêveuse après tout.
Et ce jour là, elle rangeait les nouveaux arrivages de bandes dessinées, sans bien sûr oublier de les feuilleter au passage, un réflexe qu'elle a acquis depuis qu'elle travaille ici et un petit écart que sa patronne lui permet après avoir été témoin du soin qu'Hanae portait aux livres. Et alors que la jeune femme parcourait une magnifique planche, la détaillant attentivement et en caressant le papier glacé, la clochette de la porte retentit, un instant le bruit de la pluie frappant le béton à l'extérieur se fait entendre, puis plus rien. La porte se referme, piégeant la chaleur à l'intérieur de la boutique après avoir laissé entrer un courant d'air glacial.
Plus un bruit sauf une respiration saccadée, probablement de quelqu'un qui avait couru sous la pluie, ou qui s'était tout simplement battu contre le vent. Une respiration grave et rauque. C'est celle d'un homme. C'est certain. Ou celle d'une femme fumeuse. Mais il est plus probable que ce soit celle d'un homme.
Hanae pose la bande dessinée qu'elle tient en oubliant la pile restante dans ses bras et sort du rayon de livres.
"Monsieur... Bonjour, vous êtes notre premier client de la journée, et vu le temps, probablement le dernier... Hanae rit doucement avant d'ouvrir les yeux et de les poser sur cet unique client.
- Bien. Au moins je n'aurais pas à attendre à la caisse je suppose."
Elle avait raison, c'était un homme. Et quel homme. Elle reste là à le contempler, ça ne dure qu'une seule seconde mais la jeune femme a l'impression d'être restée immobile des heures. Pas qu'il soit extraordinairement beau (un peu), mais il dégage un charme et un charisme fou, et ça, Hanae n'y a jamais été insensible. De ses cheveux blonds parfaitement soignés malgré la pluie, en passant par ce long manteau noir, ce costume impeccable et sans plis, la montre à son poignée qui est d'une classe incroyable et des chaussures qu'elle pense de grande marque, Hanae pourrait dire que cet homme est quelqu'un de fortuné.
Mais en détaillant son visage, marqué par la fatigue, elle se doute bien qu'il doit énormément travailler pour pouvoir se permettre ce genre de luxe. Un homme responsable, charismatique, et soigné donc. Il a l'air d'avoir une petite trentaine d'années. Trente ans et déjà éborgné par la vie ?
Hanae est plongée dans une intense réflexion dès lors qu'elle se retrouve face à cet homme, et ne bouge pas d'un pouce lorsqu'il retire son long manteau pour venir l'accrocher au porte manteau de l'entrée.
C'est la voix grave et calme du client qui vient la tirer de sa rêverie.
"Excusez-moi, je voudrais des romans épistolaires. Vous en auriez ? Il tourne la tête de gauche à droite: J'ai fait plusieurs boutiques mais personne n'a l'air de savoir de quoi il s'agit. Après avoir parcouru les bouquins des yeux, il revient les poser sur Hanae, toujours debout devant lui, des bandes dessinées à la main.
- Hein ? Des ? Quoi ? Romans épistolaires ? La jeune fille cligne des yeux comme si elle venait de se réveiller d'un rêve.
- Bon. L'homme soupire: Je vois qu'ici non plus vous ne savez pas ce que c'est.
- Si bien sûr ! Hanae fait un pas en avant pour le retenir: Excusez moi, j'étais dans mon monde ! Les romans épistolaires! Moi aussi j'aime beaucoup ce genre littéraire. Elle sourit et le conduit dans le bon rayon avant de lui montrer les livres d'un geste de la main: Ici vous avez les romans épistolaires historiques, classés par date et par pays, puis ici, vous avez les romans épistolaires récents. Je vous laisse regarder et n'hésitez pas si vous avez besoin d'un renseignement."
Aucune réponse de la part du client, et même s'il lui en avait donné une, Hanae ne l'aurait pas entendue, elle a déjà disparu dans le rayon des bandes dessinées pour finir son rangement. Le travail n'attend pas. Les livres surtout, n'attendent pas. Et une fois son classement terminé, Hanae retourne derrière sa caisse, juste un peu avant que le seul client de la boutique n'arrive.
"Pile dans les temps ehe, je suis trop forte. Hanae affiche une mine triomphante, fière d'elle.
- En fait j'ai fini depuis quelques temps mais vous étiez occupée. Alors j'ai fait un tour. Très jolie boutique soit dit en passant. Il la regarde, toujours ce visage impassible.
- Ah ? La jeune femme a l'air déçue: Et moi qui pensait avoir réussi mon coup. Elle encaisse les bouquins et les mets dans du plastique pour qu'ils ne prennent pas la pluie: Faites attention... Rangez les sous votre manteau... Ce serait dommage d'abimer des livres neufs."
L'homme paye, il la remercie, et lui dit au revoir avant de remettre son manteau, et de quitter la boutique, juste après avoir rangé les livres sous son manteau, comme le lui a conseillé Hanae. Et la jeune femme le regarde partir, il ne court pas et ne semble pas plus dérangé que ça par la pluie.
Et trop absorbée par la contemplation de l'extérieur, elle n'a pas entendu sa patronne arriver derrière elle. Sa voix, bien que très douce, fait bondur le coeur d'Hanae dans sa poitrine, elle a bien cru mourir de peur.
"Un bien charmant jeune homme. Très distingué. La vieille dame regarde l'extérieur puis regarde Hanae avec un oeil espiègle.
- Tu rigoles Mamie... Il décroche même pas un sourire. C'est un robot ce type ou quoi... Hanae ne détache pas ses yeux de la vitrine, puis tourne lentement la tête vers sa patronne, comme si elle venait d'être arrachée à un rêve, et cligne des yeux, en reprenant enfin ses esprits: Ca va pas d'arriver aussi furtivement ? J'ai failli avoir une attaque !"
La vieille patronne se met à rire, et Hanae sourit devant ce spectacle. Si elles n'ont eu aucun autre client de la journée à part cet homme, et bien au moins, elles peuvent se vanter d'avoir eu un client qui a du goût.
Les exemplaires qui sont partis sont les deux romans épistolaires préférés d'Hanae, deux romans français: Les lettres persannes et Les liaisons dangereuses.
C'est le destin. C'est comme ça que ça marche le destin
Mais à ce moment là, Hanae n'y a pas pensé.
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Note de l'auteur:
J'en ai fini avec ce premier chapitre, qui contient beaucoup de descriptions et d'explications, mais je vais pas mentir j'aime bien.
Je tiens aussi à signaler que non, la patronne n'est pas la grand-mère d'Hanae, seulement, elles sont assez proches et la jeune fille a tendance à l'appeler comme ça.
Je voulais aussi obtenir vos avis concernant la longueur de mes chapitres (pour tous les recueils de ff) qui font tous approximativement 2000 mots. Je voulais savoir si vous les trouviez trop courts, ou si la longueur convient.
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