11 - Le retour de Wrangel
-Tu te sens mieux ? Je tourne la tête vers Ada qui inspire l'air de dehors, accrochée à mon bras et les paupières fermées.
-Oui, je n'étais pas sortie depuis.. longtemps. Un sourire se colle à mon visage et je regarde devant moi pour éviter les décombres qu'ils restent sur les trottoirs malgré que la ville commence à être nettoyée.
-Il ne viendra plus. Affirme-je en la voyant soudainement perdue dans ses pensées, la blonde plonge son regard azur dans le mien et je peux y lire de l'espoir.
-Merci Gerda. Je me contente d'un hochement de tête pour réponse et nous rentrons chez "nous". Finalement, le commandant Ivanovitch a du parler à Wrangel, étant donné que cela fait deux semaines que nous n'avons plus eu de nouvel de ce monstre. Néanmoins, un pressentiment me reste au fond de la gorge, et une expression me vient en tête : "le calme, avant la tempête". Ce n'est sûrement rien, Mikhail a fait ce qu'il fallait, j'en suis persuadée.
En parlant de ce dernier, nous jouons désormais tous les soirs aux échecs depuis quatre jours et je n'ai encore jamais gagné, ce qui m'irrite fortement, surtout lorsque j'aperçois son air satisfait en fin de partie. Mais ces moments restent agréables, sa compagnie est parfois réconfortante à sa manière, malgré sa froideur impressionnante et son humour peu développé. Concernant mon frère, j'ai l'impression qu'on se rapproche du but chaque jours un peu plus, je le sens. Espérons simplement que désormais, il sache que je suis rentrée en Allemagne et qu'il se mette enfin à ma recherche de son côté également.
-Gerda, pouvez-vous changer le pansement de mon fils ? Me demande une jeune mère en pointant son garçon d'une dizaine d'année. Je me souviens, ce petit était tombé hier en courant après un chat, ce qui a ouvert son genou.
-Bien-sûr. Je prends la valise de secours qui m'a été offerte par le commandant et je change le bandage du garçon. Après cela, je jette un coup d'oeil à mon montre, il va être l'heure de commencer mon "service". Je suis encore à l'infirmerie pour aider les deux médecins, toujours en échange de médicament.
-À ce soir Ada. Cette dernière me lance un petit regard en biais, trop concentré dans sa lecture pour me répondre. J'enfile ma veste puis remonte à la surface, prenant la route à pied. À mi-chemin, je me rends compte que j'ai oublié le paquet de cigarette que m'a offert le commandant il y a deux jours, j'aime bien en prendre une pendant le chemin. Je décide alors de faire rapidement demi-tour et prends un raccourci dans une ruelle étroite pour ne pas perdre de temps.
Alors que je ralentis le pas après avoir entendu un bruit étrange provenant de la maison sur ma droite, je m'avance avec prudence. Serait-ce quelqu'un qui cherche de la nourriture ou simplement un animal qui cherche refuge ? Je passe doucement ma tête à l'intérieur tout en poussant la porte d'entrée qui tient à peine, l'endroit semble abandonné et des trous dans les murs éclairent la pièce. La plupart des meubles sont intacts cependant, le sol est poussiéreux et remplit de de morceaux de bétons.
Soudainement, on m'agrippe le bras pour me tirer à l'intérieur du bâtiment et je termine ma chute en rencontrant brutalement le mur. C'est avec horreur, que je découvre Anatol Wrangel et son regard salace. Je tente de fuir en me relevant pour aller dans une autre pièce mais il attrape ma chevelure bouclée pour m'attirer jusqu'à lui et prendre mon menton dans sa main. Malgré tous mes efforts, sa puissance est bien supérieur à la mienne, je n'ai donc aucune chance de m'en sortir indemne. Ma théorie se confirme lorsqu'il me gifle avec violence.
-À cause de toi, petite salope, j'ai perdu mon influence auprès de Lewinsky, tu vas le regretter. Je hurle lorsque le soldat me frappe de son poing en plein visage, le choc est si violent que je sens ma peau se fracturer dans la bouche et du sang se reprendre un peu partout sur ma langue.
-Tu n'aurais jamais du te plaindre au commandant. Gueule-t-il en me jetant au sol avec brutalité, lorsque je cris se nouveau, il décide de me faire taire en prenant son gant pour me le mettre au fin fond de ma bouche. Si profondément, que je crois m'étouffer durant plusieurs secondes jusqu'à ce que je trouve un moyen de respirer par le nez. Encore sonnée par ses coups, je n'arrive plus à me relever, alors il s'en charge pour venir ensuite me plaquer contre un meuble de cuisine et positionner son visage tout proche du mien.
-Si je ne peux plus avoir Ada, je t'aurais toi. Un haut le coeur me prend lorsque sa bouche plonge dans mon cou et inconsciemment, je cherche de quoi me défendre, je trouve rapidement le manche d'une planche à pain que j'écrase sur sa nuque. À son tour d'être sonné, il recule de quelques pas avant de se rendre compte qu'il saigne à l'arrière de son crâne. J'en profite pour courir dans une autre pièce et au passage, enlever le gant de ma bouche pour hurler, espérant secrètement que quelqu'un m'entende.
J'aperçois une fenêtre au bout du couloir néanmoins, Wrangel me poursuit et me rattrape rapidement pour se jeter sur moi. Nous tombons tous deux au milieu du couloir et j'essaye de ramper pour me dégager de son emprise qui me dégoûte mais encore une fois, je suis prise au piège, il est bien plus fort que moi, même blessé. Mon coeur rate un battement lorsque je me rends compte qu'il essaye de me relever ma jupe tout en retirant sa ceinture. Je hurle de plus belle et me tortille dans tous les sens possibles et inimaginables, presque à m'en faire mal.
-Tu n'as que ce que tu mérites. Il s'en suit de plusieurs insultes dans sa langue, en ayant marre se me voir me débattre, il décide de passer sa ceinture autour de mon cou et de prendre une poigne assez basse pour tirer et m'étrangler. Ce qui a pour effet, de me paralyser sur place. Ce monstre en profite pour continuer de se déshabiller alors que je peine à respirer, je ne peux même plus crier.
En sentant ses doigts passer sous le tissu de mon sous-vêtement, j'espère sincèrement m'évanouir d'ici quelques secondes, ou même mourir, ne voulant pas subir ce qu'il suivra. Le dégoût que je ressens actuellement pour son entre-jambe qui me frôle la cuisse est si indescriptible, que j'en perds l'esprit, et je sombre tout doucement dans les ténèbres, sans aucunes pensées. Puis soudainement, je me sens plus légère, comme si le poids de mon agresseur venait de disparaître, comme si la pression autour de ma gorge n'était plus là, comme si je venais d'être libérée.
Je suis vivement soulevée dans les bras de quelqu'un que je suppose être Anatol alors je lutte quelques secondes jusqu'à ce que mes yeux s'ouvrent sur quelqu'un que je connais très bien.
-Je crois qu'il a compris Dmitri, emmenez-le à la caserne maintenant, je m'occuperai de son cas une fois que Gerda sera en sécurité. Mon regard croise alors ses pupilles d'acier et je lève la main jusqu'à son menton, croyant rêvé.
-Commandant.. ?
-Tout va bien mademoiselle Känsweis. Me rassure-t-il, pour la première fois que l'on se connaît. Je rêve, c'est sûr.
[...]
-Comment vous sentez-vous ? Une fois que ma vue cesse d'être floue, je remarque le commandant Ivanovitch, penché au dessus de moi, les sourcils froncés. J'essaye de me redresser mais ma force est quasiment nulle alors je me concentre plutôt sur cet homme et son inquiétude, chose étrange chez lui, d'habitude si neutre.
-Je crois.. que ça va, et vous ? Cette fois, il semble surpris que je lui retourne la question, et ne répond pas.
-Wrangel vous a attaqué, vous vous en souvenez ? Je suis arrivé à temps avec Dmitri Smirnov et deux autres de mes hommes. Lentement, mes souvenirs me reviennent et un frisson de dégoût me parcourt le corps, que je remarque enfin douloureux.
-Où est-il ?
-Loin de vous, vous n'avez plus rien à craindre de ce type.
-Je.. merci. Mais, comment vous m'avez retrouvé ? Nous sommes coupés par le soldat Dmitri qui entre dans l'infirmerie, le regard curieux face à mon état.
-Bonjour mademoiselle. Je lui donne un léger sourire qui veut tout dire.
-Pour répondre à votre question, le commandant m'avait donné pour ordre de surveiller Wrangel. Lorsque j'ai remarqué qu'il prenait la direction de votre planque sans rien dire à personne et surtout, seul, j'ai immédiatement prévenu le commandant. Heureusement, nous avons pu vous retrouver à temps. M'explique le jeune homme en s'avançant doucement jusqu'au bout de mon lit. Je hoche la tête, essayant de bien comprendre tout ce qu'il me dit. Je sais parler le russe, mais après un choc si brutal et un réveil étrange, j'ai du mal.
-Merci, beaucoup. Je m'adresse cette fois-ci aux deux soviétiques présents dans la salle, ils m'ont sauvé, d'une chose atroce, qu'aucune femme ne devrait vivre.
Dmitri semble ravi de me voir aller mieux néanmoins, Mikhail a toujours l'air inquiet et contrarié, comme si quelque chose n'allait toujours pas. Il ne cesse de me fixer avec insistance ce qui me gêne plus qu'autre chose. Au bout d'un moment, le soldat repart rejoindre son poste, me laissant seule avec le commandant qui semble de plus en plus tourmenté. A-t-il eu peur pour moi ? Ou est-ce que je lui rappelle un souvenir ? Je décide alors de prendre la parole.
-Est-ce que.. vous regrettez votre geste ? Je veux dire, de m'avoir sauvé ? Ses pupilles grises me fusillent du regard et je sers les draps entre mes paumes de mains.
-Je regrette.. Perdu dans ses pensées, il ferme un instant les yeux, trop submergé.
-Je regrette de ne pas avoir pu.. te sauver. En le voyant me tutoyer, j'en viens rapidement à la conclusion qu'il ne me parle pas. Il doit être en pleine imagination. Doucement, son index frôle mon épaule pour descendre jusqu'à mon coude et la tristesse que je peux lire sur son visage me foudroie sur place.
-Commandant.. ? Mikhail Ivanovitch revient soudainement à la réalité et reprend petit à petit son air neutre.
-Au moins, j'ai pu vous sauver, vous, mademoiselle Känsweis. Le soviétique me fait dos et quitte l'infirmerie pour rejoindre très certainement son bureau.
Qu'est-ce que c'était que ça ? Un souvenir douloureux ? Je sais qu'il en possède des tonnes et des tonnes, mais celui-ci semble le tourmenter depuis bien des mois, voir des années. Je devine également qu'il n'a très probablement pas pu éviter l'accident d'un être qui devait lui être très cher, et il serait possible que les nazis en soient à l'origine. Cependant, qu'a-t-il bien pu se passer exactement ? Mes songes sont coupés par une autre entrée, que j'aurais espéré ne pas voir.
-Pourrais-je un jour apprécier votre visage de porcelaine sans blessure qui viennent tâcher cette toile vierge ? Ironise le lieutenant Sergeï Lewinsky, tout en s'allumant une cigarette pour ensuite venir se poser contre le plan de travail. Il manque de faire tomber des outils de chirurgie au passage.
-Que me vaut cet honneur ? Demande-je sur le même ton que lui, je n'ai pas oublié la façon dont il se comportait avec moi, et encore moins le fait que c'était un ami à Anatol Wrangel.
-Simple visite de courtoisie. J'ai appris votre mésaventure avec Anatol.
-Ça vous fait plaisir, je me trompe ?
-Vous vous trompez effectivement, car cela a réveillé de très mauvais démons chez mon ami. Et même si vous ne me croyez pas rouquine, je me préoccupe de Mikhail. Je me trouve alors beaucoup plus intéressé par la tournure de la conversation, c'est peut-être ma chance d'en apprendre plus sur ce qu'il a bien pu lui arriver.
-J'ai cru m'en apercevoir effectivement. C'est un homme qui souffre beaucoup intérieurement. Dérangée par son regard malicieux, je relève la couverture sur mon corps engourdit.
-Alors si vous le voyez, n'essayez pas d'empirer les choses. Le sérieux de sa phrase sonne plus comme une menace qu'autre chose.
-Ce n'est pas mon intention, au contraire.
-Mikhail vous apprécie, c'est très rare de le voir apprécier quelqu'un, et encore moins une femme allemande. Malgré tout, je note qu'il utilise enfin le terme allemande au lieu du terme nazie qui m'irrite plus qu'autre chose.
-Quel est le but de cette conversation lieutenant ? L'homme crache sa fumée et hausse les épaules, je peux voir un sourire en coin se former au coin de ses lèvres.
-Il n'y en a pas, c'est à vous de le créer, rouquine. Il jette sa cigarette par la fenêtre avant de quitter les lieux pour laisser place au médecin qui vient enfin s'occuper de moi.
Mais personnellement, je suis plus perturbée par les conversations que je viens d'avoir plus que par mon agression de ce matin. Durant la guerre, j'ai pu en voir des horreurs, alors je devrais plutôt m'estimer heureuse que je m'en sois sortie avec quelques égratignures superficielles.
❝ ❞
Précision : ne faites pas comme Sergeï, si vous fumez, ne jeter pas le cadavre par la fenêtre.
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