Chapitre XIV : L'Asile (5) [Seconde partie]
Le Port Isaac's Asylum For All Kind Of Lunatics connu en un peu plus de deux mois une vague de rumeurs sans précédent, la nouvelle toujours plus virulente que la dernière. Car, si les suppositions allaient de bon train à l'intérieur du bâtiment, les langues se déliaient tout autant dans la ville; et eurent tôt fait de faire naître des ragots et autres racontars à travers toute les Cornouailles. Il était question, entre autre et parfois, d'une jeune fille pâle comme une morte dont la beauté se sublimait tristement dans la folie. Ailleurs, l'on disait qu'une grandiose mélomane, plus blanche et lumineuse qu'un ange, était retenue captive pour s'être abandonnée à des luxures impies. D'autres encore racontaient qu'un démon avait pris possession d'une jeune fille aux yeux rouges comme le sang, et que, en ayant fait signer un pacte à celle-ci, la possédée était devenue une violoniste d'un talent éblouissant. L'on démentait parfois, affirmant que ce n'était point une violoniste, mais une contrebassiste, ces paroles se heurtant également à d'autres disant qu'elle était violoncelliste. Mais la rumeur la plus populaire et la plus répandue était également la moins surréaliste d'entre tous : celle qu'une jeune fille à l'apparence magnifique, mais aux complexions très étranges, avait sombré dans la folie, et errait depuis dans les couloirs du Port Isaac's Asylum For All Kind Of Lunatics, une couronne de fleurs sur la tête. La nouvelle fit grand bruit et fût de loin la plus virulente de toutes. Elle attira tant les visiteurs impromptus que les gazettes de toute la région ainsi que les curieux et colporteurs en tout genre, faisant même accroître de manière inattendue le nombre de visiteurs dans une petite ville reculée comme Port Isaac. Cette nouvelle se retrouva portée jusqu'à un certain Crichton-Browne. "James Crichton-Browne, psychiatre. Je photographie les folles." comme il s'était lui-même présenté devant Edmond et un autre médecin (sans qu'il ne semble vouloir en dire davantage), en leur montrant certains clichés qu'il avait pris des patientes du West Riding Lunatic Asylum de Wakefield. La rumeur lui plaisait. Quoi qu'elle fusse affirmée ou non, il voulait voir de ses propres yeux celle que certains commençaient à nommer 'La blanche Ophelia', sans doute plus ou moins sous l'influence de quelques linguistes et érudits ayant ramenés de France les vers d'un certain Rimbaud. Edmond accepta finalement, avec quelques réticences au début, mais immédiatement convaincu quand Mr Crichton-Browne se proposa de photographier pour ses travaux la patiente C54F, et d'ensuite les commercialiser afin d'en faire une publicité pour l'Asile, et pour ses propres travaux.
Il était un de ces jours ou Dolly était triste et interdite, morose et mélancolique, ivre d'une grande douleur calme et silencieuse. Edmond lui avait retiré, avec ses longues mains sèches, la camisole serrée qu'il lui avait lui-même enfilé la veille au soir, sans doute parce que qu'il y eût chose dans son comportement imprévisible qui l'ai dérangé. L'exaltation de Crichton-Browne fût béate et comblée. Aussitôt la patiente face à lui, il sembla comme transporté d'un souffle d'extase incroyable, et demanda à se mettre immédiatement au travail.
Ce fût toute une mise en scène. Pour photographier 'la réalité' selon le psychiatre : il fallait modifier et ajouter quantités de détails, arranger tout ce qui n'était pas assez 'authentique', faire apparaître au mieux tout ce qui semblait l'être, et tout cela dura bien une heure. Les drôles de mises en scène que ce furent ! L'on fit tout d'abord changer de tenue à Dolly : sa robe de détenue trop petite et trouée par endroit, blanche-grisâtre et grossière, fût remplacée par une belle robe blanche, que le photographe avait lui-même amenée. On lui brossa les cheveux de sorte à ce qu'ils paraissent 'tendrement ébouriffés', et l'on arrangea au mieux la couronne de fleurs dont elle s'était coiffée, de sorte à ce qu'elles rendent le mieux face à l'objectif, le tout étant question d'axes, de positionnements... Enfin, et ce fût la partie la plus ardue de tout ce curieux manège, il fallût faire poser la patiente de sorte à ce que son corps et ses yeux révèlent, d'après le photographe, "un reflet de folie pure". Une fois son bras n'avait pas l'orientation souhaitée, d'autres fois c'était le regard. Quand chaque membre était enfin placés avec plus de minutie et de règles à suivre qu'il n'en aurait fallût pour tirer le portrait d'une comtesse ou d'une duchesse, il fallut alors arranger l'éclairage de la pièce, le décor alentour, et tant d'autres choses pour enfin parvenir au résultat souhaité... Enfin, après plusieurs heures de préparatifs, l'on obtint un cliché unique et précieux, sur lequel figurait Dolly 'dans toute la démence d'une pauvre jeune folle'. Crichton-Browne n'aurait pu être plus satisfait. Puis, immédiatement, l'engouement le gagna. Lui qui avait longtemps parcourût presque toute l'Angleterre d'asile en asile, porté par une admiration vouée à son prédécesseur en la matière, le psychiatre Hugh W. Diamond, en ce but d'un jour pouvoir mettre la main sur celle qu'il jurerait être 'la véritable Ophelia', avait maintenant la certitude d'avoir trouvé le modèle idéal que son collègue et lui-même cherchaient depuis tant d'années. Aussi resta-t-il à Port Isaac, loua une chambre dans une auberge de la ville, et revint tous les jours à l'Asile prendre clichés sur clichés de sa nouvelle Muse.
Il y avait en Dolly comme une essence, une présence qui le fascinait, presque autant que l'avaient été les nombreux troubles de la jeune filles sur le docteur qui les avaient diagnostiqués. Dolly se laissait faire, acceptait les ordres qu'on lui donnait, le regard absent et le corps incapable de la moindre résistance, trop affaibli. Elle regardait vers le lointain si on le lui demandait, souriait si l'ordre en était donné, et, mieux encore, elle avait d'après Mr Crichton-Browne, une insanité telle que la folie semblait trouver la source même de sa définition en elle; rendant inutile tout besoin de simuler comme il avait auparavant eût à le demander pour certaines de ses précédentes modèles... Les grands moyens furent employés, et rarement il y eût pareille agitation à l'Asile. A cas exceptionnel mesure exceptionnelle : il se trouve qu'il y avait dans une cour à l'arrière du bâtiment une petite mare où les patients les plus sûrs de l'aile masculine avaient parfois le droit de se rendre dans le but de se changer les idées, et de s'aérer l'esprit d'idées nouvelles, comme aimaient à dire les médecins. Exception fût faite pour la patiente C54F, où il fallût que Crichton-Browne ne s'embarrasse de l'idée de recréer avec Dolly la fameuse scène de Hamlet dans laquelle Ophelia se noyait (car il s'était toujours révélé frustré que cet événement ne soit que narré plutôt que montré dans la pièce originale). Alors à nouveau la grande parade d'installations à n'en plus finir commença : ce fût un bousculement sans fin dans l'organisation de tout le monde, mais sans doute fût-ce un dérangement nécessaire pour le résultat souhaité. Il fallut 'arranger' la mare de manière 'romantique', s'assurer à ce qu'elle soit assez grande pour contenir le corps de la modèle, tout en veillant également à ce que la modèle en question ne souffre pas des désagréments d'un soleil timide sur sa peau plus fragile que jamais, et d'autres choses encore. Mais l'émérite photographe, à ses mots n'aurait pu rêver de meilleur cadre, de meilleure folle pour ses travaux. Tout ceci allait être grandiose ! ...Grandiose ?
Quand à Dolly, quand aux pensées de Dolly, celles-ci allaient et venaient, se considéraient et se désarticulaient presque aussitôt, se réparaient et se brouillaient de nouveau, de sorte à ce que jamais elle ne soit complètement sûre de ce à quoi elle pensait, ni même si elle pensait tout court. D'aucuns disaient qu'il fallait être pour penser. Seulement : était-elle ? Fût-elle, est-elle, sera-t-elle ? Dolly n'en savait rien. Elle doutait qu'elle fût un jour, l'Asile ayant englobé toutes ses perceptions d'une vie qu'elle mena ailleurs. Ou tout du moins lui semblait-il en être ainsi. Sera-t-elle ? A considérer qu'il lui fallait déjà être dans le présent pour le demeurer dans le futur, sa perception quand à cela se révéla plus trouble encore que la précédente. Était-elle ? Sans doute que oui si cette pensée vint la heurter, mais sans doute aussi aurait-elle préféré ne pas, ne plus être. Vraiment ? Telle était sa question.
James Crichton-Browne resta en tout et pour tout une semaine entière à prendre photographies sur photographies de Dolly, et ses satisfactions n'auraient pu être plus abouties. Il s' était composé en sept jour une belle petite collection, qu'il avait à cœur de nommer comme un 'miroir', ou encore une 'fresque', en ce sens que le miroir était sa remise aux goûts du jour du portrait d'un des plus célèbres personnages de la dramaturgie Shakespearienne (il avait d'ailleurs demandé à son modèle si celle-ci aimait les œuvres de Shakespeare, celle-ci ayant répondu que oui, et ce qui fit ajouter quelques lignes à son dossier par Edmond), et que la fresque dépeignait celle de la chute dans la folie de ce même personnage, transposé dans la réalité. Rien n'avait été laissé au hasard. Mr Crichton-Browne ayant lu tout Shakespeare, et notamment Hamlet avec une attention toute particulière, il avait été jusqu'à rajouter au dos de chaque photographie une petite note expliquant l'avancée de la jeune fille dans son inexorable déchéance, image par image. Comme il en fût satisfait! "Qui aurait crû que les âmes dépeintes sous la plume du grand Will seraient toujours d'actualité presque trois siècles plus tard ?" marmonnait-il parfois en observant son ouvrage et annotant les clichés.
Peu de temps après, une lettre de Teophilius Hunter parvint à l'attention d'Edmond. Il y mentionnait, entre plusieurs paragraphes élogieux sur la virtuosité sans pareille de Dolly, son désir de la faire sortir de l'Asile au plus vite pour l'emmener à Londres se produire au Royal Philarmonic Orchestra où il enseignait, convaincu qu'un tel talent musical ne devait en aucun cas se faner dans un tel endroit. Edmond ne répondit jamais, et la lettre du professeur se retrouva empilée avec les quelques centaines d'autres dans son office, provenant toutes à l'exception de celle-ci, d'un seul même auteur.
Edmond lui même, toutes ses attentes quand à Dolly furent exaucées, comblées, et même dépassées. Il avait jouit de la plus grande satisfaction à constater le changement progressif des états de sa patiente, et n'aurait pu en être plus ravi; car Dona était en parfaite voie vers la guérison. Son corps, tout son corps, avait été grâce à ses soins attentifs purgé de toutes perversions. Il restait pour sûr tant de troubles à faire disparaître de son esprit maintenant, à guérir eux aussi, mais il avait néanmoins cœur à penser que les maladies du corps engendraient celles de l'esprit. Nymphomanie, saphisme, tant de maux qu'Edmond s'était appliqué à soigner chez sa pauvre patiente. Bien sûr, il en résultat quelques effets secondaires auxquels il n'était pas étranger dans son métier, comme une perte progressive de l'appétit, de la santé mentale, ou bien encore une grave sinistrose et plusieurs tentatives de suicide. Mais il était de son constat que sa patiente allait de mieux en mieux. A la moitié des troubles guéris restait la seconde, et il comptait bien s'y appliquer avec autant de rigueur que pour la guérison des précédents. Il l'avait guérie. D'une part seulement, mais il l'avait guérie. Il recommencerait.
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C'est une malédiction !! Un gouffre sans fond ! Ne le vois-t-on pas ? C'est là que meurent jusqu'aux esprits les plus droits ! Une damnation !! Que fera-t-on ? Toutes et tous, que ferez-vous pour ces pauvres âmes ? Que ferez-vous pour ces malheureuses femmes ?! Enfer ! Que faire ? L'auteure parle peut-être beaucoup, mais elle n'en sait au fond guère plus que vous... Alors malheur à elles, malheurs à nous, joie à nous de n'être point de ces temps, honte à nous d'en perdurer les enseignements. De tout le cœur, de toute l'âme, heh... Drôle de tergiversation... Il y a trop de bruit, dans cette maison, dans cette tête, drôle de mélodie... Difficile d'en composer quoi que ce soit... Malheur, damnation, etc...
In the stormy east-wind straining,
The pale yellow woods were waning,
The broad stream in his banks complaining,
Heavily the low sky raining
Over tower'd Camelot;
Down she came and found a boat
Beneath a willow left afloat,
And round about the prow she wrote
The Lady of Shalott.
And down the river's dim expanse
Like some bold seër in a trance,
Seeing all his own mischance—
With a glassy countenance
Did she look to Camelot.
And at the closing of the day
She loosed the chain, and down she lay;
The broad stream bore her far away,
The Lady of Shalott.
Lying, robed in snowy white
That loosely flew to left and right—
The leaves upon her falling light—
Thro' the noises of the night
She floated down to Camelot:
And as the boat-head wound along
The willowy hills and fields among,
They heard her singing her last song,
The Lady of Shalott.
Heard a carol, mournful, holy,
Chanted loudly, chanted lowly,
Till her blood was frozen slowly,
And her eyes were darken'd wholly,
Turn'd to tower'd Camelot.
For ere she reach'd upon the tide
The first house by the water-side,
Singing in her song she died,
The Lady of Shalott.
Under tower and balcony,
By garden-wall and gallery,
A gleaming shape she floated by,
Dead-pale between the houses high,
Silent into Camelot.
Out upon the wharfs they came,
Knight and burgher, lord and dame,
And round the prow they read her name,
The Lady of Shalott.
Who is this ? and what is here ?
And in the lighted palace near
Died the sound of royal cheer;
And they cross'd themselves for fear,
All the knights at Camelot:
But Lancelot mused a little space;
He said, "She has a lovely face;
God in his mercy lend her grace,
The Lady of Shalott.
...
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