Chapitre VI : L'Asile (1) [Première partie]
There she weaves by night and day
A magic web with colours gay.
She has heard a whisper say,
A curse is on her if she stay
To look down to Camelot.
She knows not what the curse may be,
And so she weaveth steadily,
And little other care hath she,
The Lady of Shalott.
And moving thro' a mirror clear
That hangs before her all the year,
Shadows of the world appear.
There she sees the highway near
Winding down to Camelot:
There the river eddy whirls,
And there the surly village-churls,
And the red cloaks of market girls,
Pass onward from Shalott.
Sometimes a troop of damsels glad,
An abbot on an ambling pad,
Sometimes a curly shepherd-lad,
Or long-hair'd page in crimson clad,
Goes by to tower'd Camelot;
And sometimes thro' the mirror blue
The knights come riding two and two:
She hath no loyal knight and true,
The Lady of Shalott.
But in her web she still delights
To weave the mirror's magic sights,
For often thro' the silent nights
A funeral, with plumes and lights
And music, went to Camelot:
Or when the moon was overhead,
Came two young lovers lately wed:
"I am half sick of shadows," said
The Lady of Shalott.
"'Je suis à moitié malade des ombres', dit la Dame de Shalott..." répéta Earl en caressant tendrement les cheveux de Dolly. Elle demeurait, pâle et blessée, marquée de cicatrice et dans sa chair comme dans son esprit molestée, allongée. Sa peau et ses cheveux semblaient encore plus pâles que d'ordinaire, et ses lèvres, son cou et le bout de ses doigts étaient même légèrement bleutés à certains endroits. Son corps n'était pas froid, il était glacial. Elle respirait si doucement que l'on jurait qu'elle agonisait, silencieusement, calmement, presque... Apaisée. On aurait facilement pu la croire morte. Plus belle encore qu'elle ne l'eût jamais été; dans un lieu plus désolant encore que tout ce qu'elle pouvait imaginer... Faiblement, ses paupières s'agitèrent, comme si le simple fait de les ouvrir, quitter ce sommeil mortel et paisible, lui fût douloureux. Un petit souffle impuissant s'échappa d'entre ses lèvres sèches, et elle commença à péniblement reprendre ses esprits. Le réveil de Dolly s'articula en plusieurs sensations, toutes survenant l'une après l'autre et se couplant aux précédentes jusqu'à former un horrible tout... Elle sentit tout d'abord une main, posée sur ses longs cheveux, les caresser avec douceur. Ensuite... Il y eût... Ces bruits, ces sons... Ils n'étaient rien de ce que Dolly avait entendu de toute sa vie... De lourdes portes en fer étaient claquées, s'ouvraient et se refermaient avec la même violence. Des pas nerveux, mal assurés pour d'autres, s'agitaient dans tous les sens; l'on entendait alors des bruits de gifle, de coups donnés, de la chair battant de la chair... Alors s'en suivaient cris, pleurs, gémissements, suffocations, supplications, faibles ou forts... Les portes se refermaient alors brutalement et les cris et pleurs se multipliaient... D'affreux bruits de métaux rouillés crissaient de toute part, mêlés à d'autres plus terrifiants encore.. Comme si une trappe avait été ouverte vers les Enfers, et que tous les sons en ressortaient, atroces et distordus... Puis les odeurs... Un curieux mélange de produits pharmaceutiques, de sang, d'humidité et de désespoir suintait à travers tout l'endroit comme une mauvaise peste. Qu'en était-il des sensations? Il faisait froid, si froid, si froid... Dolly sentait tous ses muscles, chaque infime parcelle de son corps inertes et gelés. La fièvre seule la réchauffait, elle serait morte de froid sans son mal de tête... A nouveau la main d'Earl passa dans ses cheveux. Les yeux maintenant presque entièrement ouverts, Dolly fit face au visage mélancolique de son frère.
"Earl...?" souffla-t-elle d'une petite voix très faible.
"-Oui Dolly, c'est moi." murmura-t-il très doucement, la gorge nouée. Un sourire forcé avait pris place sur son visage, et Dolly ne s'en inquiétait que davantage. Les souvenirs ne prenaient la forme que d'un épais brouillard dans son esprit. Elle se souvenait avec difficulté...des jolis baisers de Rosy...puis de son père, et de chaque coup qu'il lui porta, chaque injure qu'il prononça... Avait-il seulement? Dolly parvenait à peine à bouger. Le terrible froid la paralysait, elle n'était d'ailleurs, elle le constata avec crainte, pas dans le genre de tenue qu'elle portait d'ordinaire. Sa belle robe blanche, sa crinoline, son corset...elle n'avait plus rien de tout cela. Elle était maintenant vêtue d'une robe droite, trouée en certains endroits, blanche mais tirant sur le gris à cause de la saleté dessus. ...Que pouvait-elle bien faire dans un tel accoutrement... Elle se le demanda, et voulut alors se relever, s'asseoir, peut-être cela l'aiderait-elle à mieux se réveiller, mieux se souvenir. Elle ne le pût. Dans un geste mêlant autant d'effroi que d'incompréhension, elle remua une nouvelle fois chevilles et poignets. Elle était attachée.
"E-Earl...?" répéta-t-elle, la voix toujours aussi basse couplée à une terreur grandissante.
"-Oui Dolly, c'est moi." répéta-t-il, le visage déformé par un terrible sourire qu'il ne contrôlait plus. "Tout va bien se passer..." poursuivit-t-il en caressant d'une main le visage blafard de sa soeur. Dolly fixa de ses grands yeux sanglants son frère, puis ses liens, puis à nouveau son frère. Un geste qui posait la question qu'elle avait à peine la force et le courage de demander...
"-P-Pourquoi?" chuchota-t-elle, ses petites lèvres effectuant un rictus complètement déformé orienté vers le bas. Earl sembla sur le point de fondre en larme quand son regard croisa celui de sa Dolly...
"-Ne vous souvenez-vous pas? C'est ce qui avait été convenu..." articula-t-il difficilement en caressant à nouveau les cheveux de sa soeur. Ce qui avait été convenu? Dolly esquissa une moue pensive qui ressembla davantage à un frisson de douleur, et parût faire un intense effort de mémorisation pour recoller toutes les pièces détachées dans sa mémoire embrumée. Qu'était-il venu ensuite... Elle visualisait à nouveau son père entrain de la frapper... Quand il l'attrapa par les cheveux et cogna sa tête à répétition contre le mur... Quand il saisit le tisonnier en fer encore chaud et qu'il... Assez de tout cela! Et ensuite...? N'y avait-il pas eût des invités à la demeure...? Mais ils n'étaient pas venus prendre le thé, il faisait trop tard pour cela... Et soudain! L'image du père Lawrence Lovedead entrain de l'exorciser refit surface d'un seul coup! Si bien que Dolly en eût le souffle coupé sur l'instant! Comme si derrière le brouillard se cachait un terrible monstre dont elle n'aurait jamais voulu se souvenir... Alors maintenant, elle revoyait ses deux parents lui tenir bras et jambe pour l'empêcher de se débattre, puis le père Lawrence, une main fermement posée sur sa pauvre tête, un bracelet muni d'un crucifix en bois à son poignet, une Bible dans l'autre main, hurler des incantations en latin visant à faire sortir le 'démon' qui devait l'habiter alors qu'elle se débattait, ivre de douleur et folle d'incompréhension face à toutes les horribles choses qu'on lui faisait... Elle ne s'en souvenait maintenant que trop bien, et aurait tout fait pour l'oublier aussi vite qu'elle s'en était souvenue... Que venait après? Elle n'était plus vraiment sûre de vouloir s'en souvenir. En tous les cas, où qu'elle puisse être en ce moment, Dolly pouvait le ressentir, elle était bien loin de Riverhive. Là où elle se trouvait...c'était un endroit hostile, qui ne lui voulait pas du bien. Elle le savait et s'en terrifiait...
"-Ce qui...était...convenu?" murmura-t-elle d'une voix atone et en même temps effarée.
"-Oh, Dolly, vous ne vous souvenez pas...?" articula son frère tout en se retenant de plus en plus de verser des larmes. En seule réponse, Dolly lui lança un grand regard profond et désespéré qui ne l'attrista qu'encore plus. Le simple fait de voir sa soeur chérie en ce lieu, dans un tel état, lui était insupportable... "Père et mère..." commença-t-il en cherchant ses mots avec grande difficulté "Comment dire..." Exactement. "Père et mère ont pensés que...pour...vous guérir complètement de vos...démons..." Ce mot lui heurta la gorge. "...Il fallait...vous..." Il parla de plus en plus faiblement. "Vous mettre...dans un endroit...spécialisé..." Oh non... "Mais ils pensent que vous êtes sur la voie de la guérison!" s'exclama-t-il plus vivement tout de suite après. "Une fois votre traitement achevé, vous verrez, tout redeviendra comme avant..." dit-il en se forçant de nouveau à sourire. Dolly réalisait à peine ce que son frère lui disait. Était-elle... Dans... Tout mais pas ça, par pitié...! Était-elle... Dans... Un...
"Je vois qu'on se réveille?" demanda une voix forte et dérangeante au loin. Earl se retourna, et lui et sa soeur aperçurent un homme s'approcher d'eux. Un grand gabarit dont le seul physique ne dégageait aucune sympathie, aucun charme, aucune gentillesse. Pourtant, il souriait. Un peu. C'était un bonhomme d'un bon mètre quatre-vingt, courbé sur lui-même, comme écrasé sous le poids de cette curieuse apparence. Son crâne était calvitié et semblait rugueux. Son menton fin et méchant arborait une barbiche grise et informe. Il avait de petits yeux jaunes et ronds, observateurs, de grandes mains inquiétantes, et une santé qui semblait fatiguée et énergique en même temps. Tout de sa blouse blanche vêtu, il faisait peur, avec ses dents jaunâtres visibles dès qu'il ouvrait la bouche, son allure ferme, et sa présence qui ne suggérait que du danger... Il s'approcha alors de Dolly sans même tenir compte d'Earl, examina expéditivement ses yeux et pris son pouls de quelques gestes experts. Il avait les mains rêches, ces grandes mains vicieuses; les doigts durs et les ongles coupants. Son regard reflétait comme...quelque chose de malsain, bien que ni Dolly ni Earl, qui avaient tous deux fait ce constat, ne surent expliquer pourquoi sur l'instant.
"Alors, comment va la demoiselle?" dit-il en approchant son visage de celui de Dolly, ce qui ne rassura pas du tout celle-ci. Elle recula au mieux; mais attachée comme elle l'était, elle ne pût aller bien loin.
"Hum. Réactive, mais peu bavarde..." marmonna l'homme à voix haute.
"-Excusez-moi, vous êtes?" demanda Earl en se rapprochant le plus possible de Dolly, de sorte à créer comme une distance de sécurité entre elle et le nouveau venu.
"-Ah, pardonnez-moi." dit celui-ci d'un air méchamment sur de lui... "Docteur Philbert Edmond, du Port Isaac's Asylum For All Kind Of Lunatics. On m'a amené le dossier fraîchement rédigé d'une nouvelle patiente encore dans la salle d'attente, je suppose qu'il s'agit de mademoiselle." poursuivit-il en pénétrant le regard de Dolly avec ses petits yeux jaunes, lui lançant un sourire autant dérangé que dérangeant. Dolly tourna vivement la tête vers son frère. Que venait seulement de dire le docteur? Qu'il travaillait où? Oh que non... Oh que non, ce n'est pas recevable... Ce n'est pas admissible... Dolly, pauvre petite Dolly dans un... Asile?
"-J-Je ne comprends pas..." souffla-t-elle en parlant davantage pour elle que pour Earl ou Edmond. Elle balaya un regard inquiet sur le lieu qui l'entourait, qui lui était maintenant visible. Puis, horrifiée, un second vers son frère, en évitant soigneusement de croiser celui d'Edmond. Il y avait autour d'elle, dans une pièce grise, triste, empestant la détresse, mais assez propre néanmoins, une dizaine de lits où d'autres personnes -toutes des femmes ou jeunes filles- étaient allongées et attachées. Elle tressaillit.
"Miss Heaventon, c'est bien ça?" demanda Edmond, qui entre temps avait engagé une conversation avec Earl. Le frère hocha la tête, bredouilla un petit 'oui' mal affirmé. Edmond poursuivit : "Internée pour... Hum... Dangereuse nymphomanie à tendance saphique, oui, ça me reviens maintenant." se souvint-il en empêchant Earl d'un geste du doigt de répliquer.
"Dolly n'est pas..." commença Earl.
"-Je ne me base que sur ce que dit le dossier. Le dossier ne ment jamais. Et moi, je m'en tiens aux faits, au chose concrète. Après tout, je suis un homme de science." le coupa aussitôt Edmond avec un sourire charmant et un ton sec. "Êtes-vous son époux, mister?" demanda-t-il aussitôt.
"-Non, son frère." répondit celui-ci d'une voix de moins en moins assurée. Edmond ne répondit que par un regard dédaigneux. Après quoi, il passa une de ses grandes mains vicieuses sur son front calvitié, puis, il prit une posture affirmée et commença, en passant deux doigts dans sa barbiche :
"Je vois... Hé bien sur ce, peut-être pourrions nous finaliser la procédure d'internement dès à présent. Si vous voulez bien vous donner la peine de signer ceci..." Il tendit à Earl une feuille de papier pliée en deux et attrapa sur un petit buffet non-loin une plume qu'il imbiba d'encre avant de la proposer au frère, qui signa non sans résignation. Après quoi, posa ses yeux jaunes de mauvaise bête sur les Heaventon, qui tous deux échangèrent un regard désespéré.
"Certainement... Mais s'il ne vous déplaise, pourrions-nous avoir juste un petit moment pour nous dire au revoir?" demanda Earl en prenant la main de Dolly dans la sienne, un geste qui n'échappa pas au docteur.
"-Vous avez cinq minutes." dit-il alors qu'il se retournait. Aussitôt qu'il fût assez loin, des larmes silencieuses se mirent à couler à flot sur le visage de Dolly...
"Earl... Ce n'est pas possible... Ce n'est pas possible...!" gémit-elle en lançant à son frère le regard le plus douloureux et attristé qu'il n'ai jamais eût à affronter chez sa pauvre soeur. Il agrippa alors sa main plus fermement encore, et passa délicatement une main sur le visage de Dolly de l'autre, qui était encore lamellé de petites cicatrices à certains endroits.
"-Dolly chérie... Il vous faut être forte. Cela ne durera que deux semaines...
-Deux semaines?! Mon frère, une seule heure m'est insupportable sans votre présence! Comment vais-je tenir? Loin de vous, avec ce... Ce Edmond qui ne m'inspire vraiment pas confiance? Loin de notre cher Riverhive, de vous et de ma tendre Rosy, et sans violoncelle...? Oh! Mais quelle malédiction m'a frappée pour finir ainsi!
-Dolly...
-Earl, je vous en supplie! Je ne peux rester ici! Je ne veux rester ici! Mon Dieu, Earl, j'ai si peur!" s'écria la malheureuse, le visage déformé par une terrible douleur intérieure. Cela dit, Earl n'était pas vraiment mieux à voir non plus. Comment le pouvait-il? Il avait maintenant l'impression d'avoir emmené sa soeur, sa petite brebis sacrée, à l'abattoir! A nouveau, il caressa ses doux cheveux.
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