Des cheveux d'azur.
Chan avait longuement observé les traces pailletées et rosées qui s'étaient abattues avec volupté sur le visage du lunarie. Ses tâches de rousseurs en avaient été que plus mises en valeur et avec l'aspect irisé de la poudre, le visage du lunarie paraissait encore plus candide qu'il n'était déjà.
Pour toutes ses constatations, autant que pour d'autres plus évidentes, c'est tout naturellement et sans se poser plus de questions que l'hirisseu lui avait laissé son lit pour dormir dans le salon. L'homme avait besoin de repos et Chan avait bien des choses à faire dans sa journée, se levant toujours aux aurores.
Se rappelant avoir vu quelques fruits sauvages, il demanda à son oiseau, nommé Calion, de surveiller le lunarie et c'est d'un regard entendu que ce dernier s'était tenu transparent devant la porte de la chaumière, le regard sévère. Chan n'avait pas peur qu'il ne lui vole quoi que ce soit, la vérité c'est que sans savoir pourquoi, il s'était mis à craindre que quelqu'un puisse le trouver et qu'il lui fasse du mal en son absence.
Cela semblait peu probable, sa maison ne se laissait voir que des âmes aux intentions les plus pures, mais Chan ne voulait rien laisser au hasard. D'un pas rapide, il était alors aller chercher les fruits tant désirés et c'est d'un mot doux pour ce buisson généreux qu'il l'avait remercié. Ce dernier, reconnaissant de l'attention, fit immédiatement naître un nouveau fruit et c'est avec bonté que Chan le lui laissa.
Quelques minutes plus tard, il avait fini par récupérer l'eau fraîche qui finirait par manquer à son unique ami et il se remit en chemin, couvert par ses compagnons d'infortunes, les éternels frères Ivan et Evan.
- Alors, que comptes-tu faire de ce lunarie ?
- Comment pourrais-je le savoir ! C'est vous-même qui l'avez mis sur ma route...
- Mais personne t'a demandé de le ramener chez toi...
Qu'ils étaient agaçants ! Evan particulièrement, à toujours le taquiner et à soulever des faits qu'il préférait ignorer. Est-ce qu'il aurait pu simplement lui offrir une décoction et le cacher dans un buisson ? Oui. Est-ce qu'il le voulait ? ... Bien sûr que non.
- Je vais le soigner et lorsqu'il sera remis sur pied, je lui dirais de retourner d'où il vient et de continuer à m'ignorer !
- Mais ta chaumière est bien plus confortable et jolie que la sienne, toute primaire. Il survit à peine dans sa solitude.
Chan s'arrêta sur le chemin pour montrer le ciel du doigt. Les sourcils froncés et la bouche légèrement pincée, toute son attitude semblait devenir un avertissement.
- Inutile d'insinuer ce que tu insinues Ivan ! Aussi fleur bleue sois-tu, je ne ferai pas de Félix un colocataire !
Evan lui lança un petit éclair sur le bout du doigt et Chan porta ce dernier à sa bouche. Ça piquait !
- Ne lui parle pas comme ça, tu sais combien Ivan est sensible au ton que tu emploies.
Chan balaya sa remarque de la main tout en bougonnant un pardon avant de reprendre sa route. Oui Ivan était susceptible et sensible, mais qu'en était-il de ses propres ressentis ?
Au loin, son petit terrain se faisait déjà voir alors que les fleurs colorées autant que la petite mare au fond du jardinet, donnait un cachet dont jamais il ne se serait lassé. Encore quelques pas et il serait arrivé. Le seau pesait son poid et le petit cabas en tissu tressé qu'il avait apporté était rempli de fruits tout aussi lourds, mais Calion méritait bien toutes ces attentions et Félix devait se reposer.
L'oiseau parlait très peu, si ce n'est jamais. Pourtant, tous les jours, il était là et sa présence aussi silencieuse que discrète avait toujours été pour Chan d'un confort sans pareil. À ses côtés, il n'était pas tout à fait seul et l'animal non plus. À deux, ils formaient un drôle de duo, mais honnêtement, Chan n'aurait plus su se passer de sa présence.
L'hirisseu continua son chemin sans trop s'occuper des cieux capricieux, déjà partis pour d'autres aventures alors qu'au loin, il observait Félix se mouvoir avec grâce à l'extérieur.
Sur son corps fin, une fine toge blanche se mouvait dans la brise, relevant sa stature svelte et élancée alors que d'une levée de main gracieuse, il toucha une particule de pollen présente dans les airs. De l'autre, il caressa doucement le pétale d'une somptueuse fleur noire, tel que le lunarie n'en avait jamais vu. Son parfum était particulier, du vétiver probablement, il n'en était pas tout à fait sûr. Cependant, quelque chose d'autre était présent, quelque chose de bien plus sucré, de bien plus subtil, comme de la pavlova, peut-être, mais ça, Félix ne savait le dire.
- Ne t'approches pas trop de cette fleur, elle a son lot d'inconvénients lorsqu'elle est manipulée ou inhalée trop longtemps.
- Ha bon ? Elle est pourtant si belle... Je peine à croire qu'elle pourrait me faire du mal !
- Elle est mortelle.
- Alors pourquoi en fais-tu pousser ? C'est terriblement dangereux !
- Mérite-t-elle de mourir car elle est venimeuse pour nos espèces ? Elle était ici avant moi, je suis ici chez elle, pas l'inverse.
Félix observa le propriétaire d'un regard quasi nouveau alors qu'il trouvait cette réflexion charmante. C'était une drôle de manière de voir le monde qui l'entourait et honnêtement, Félix trouvait cela magnifique. Chan faisait gloire à la réputation des hirisseux, aussi solitaires que pourtant terriblement attentifs.
- Je te remercie... Pour ma jambe et pour le repos.
- Je suis étonné de te voir déjà debout.
- Je le suis moi-même ! La douleur est toujours présente, autant que la plaie et les égratignures, mais tes pommades m'ont fait un bien fou. Depuis, j'arrive à me lever, au moins un petit peu.
Chan lui sourit en passant le portail de sa petite propriété alors que Félix l'observait faire, curieux. L'hirisseu déposa le seau sur le sol, proche de l'angle de sa chaumière, comme il en avait l'habitude, alors que Calion avait déjà son bec dans le contenant. Étonné de le voir si social, Félix observa l'oiseau, étonné que cette drôle de créature normalement solitaire puisse vivre ici. À vrai dire, il en prenait tout juste conscience.
- On dirait que vous vous êtes bien trouvés.
Félix pointa de la tête l'animal alors que ce dernier râlait déjà d'un œil sévère d'être ainsi pointé du doigt. Bougon, il regagna le toit en ignorant délibérément le lunarie. Il détestait les étrangers, ou plutôt... Quiconque à part Chan. C'était plus fort que lui, il avait toujours été ainsi. Comme si l'hirisseu était la seule présence qu'il pouvait supporter.
- Et on dirait que tu peux voir ma maison autant que Calion... Normalement, il ne se montre à personne, rendant transparentes ses ailes autant que son corps.
- Sauf pour toi on dirait.
- Sauf pour moi.
Les deux hommes se sourirent d'une manière qu'aucun des deux n'avaient un jour connu alors que Chan retira ses gants pour les poser contre le rebord du seau. Au-dessus d'eux, le soleil tapait fort sans être insupportable et Chan avait le sentiment que les rayons lumineux faisaient très légèrement briller la peau de son invité. Sans le vouloir, il l'observa plus longtemps que prévu et Félix n'attendit pas plus pour répondre à ses évidentes interrogations.
- C'est dû à mes capacités, ma peau réagit à la luminosité pour s'adapter.
- Tes capacités ?
Chan fit semblant de ne pas savoir que les lunaries en possédaient et Félix se dit en lui-même qu'il mentait mal. À vrai dire, Chan ignorait totalement pourquoi il le faisait, ou alors était-ce pour s'assurer que l'homme n'allait pas lui mentir ? D'une certaine manière, il le testait.
Mais dans tous les cas et peu importaient les raisons, ses propres paroles l'incommodaient et Chan sentit tout son corps lui piquer d'inconfort.
- Tu sais bien de quoi je parle ! Les hirisseux autant que les cieux ne mentent pas, jamais, alors qu'essaies-tu de faire ?
- Je ne mens pas, je te demande juste de quel type de capacité il s'agit.
Chan s'était bien rattrapé et Calion au-dessus de lui ne put empêcher son plumage de se gonfler de fierté. Si on l'avait intensément observé, on aurait pu voir comme un sourire en coin, affublé d'un air supérieur. De son côté, Félix émit un sourire rieur et le couple de grenouilles bleues et violacées du fond du jardin, allongé dans la marre, coassa d'amusement. C'était drôle de voir Chan en de telles dispositions.
- Laquelle penses-tu que je possède ?
Félix était joueur et Chan se dit qu'il n'avait jamais aperçu un tel trait de caractère, ni même une telle personne et sans savoir pourquoi, cela l'amusa à son tour. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas parlé à une personne réelle, de la même espèce que lui, si on pouvait dire cela... Dans son peuple, à chaque décès une naissance arrivait, déjà pleinement adulte et c'est bien rarement que les hirisseux croisaient âme qui vive. Peut-être que Nature les avait dotés de ce don de parler aux animaux pour ne pas qu'ils se sentent trop seuls ?
Il l'ignorait.
Chan observa minutieusement son camarade alors que, diverti, ce dernier tournoyait sur lui-même, faisant virevolter sa toge légère en même temps que ses cheveux. Ces derniers, d'un bleu pastel vif, étaient lisses, élégamment longs et à cet instant, ils semblaient gondoler dans les airs en une valse séductrice. Sans savoir pourquoi, l'hirisseu en fut tout retourné. La vérité, c'est que Chan ne lui dirait jamais, mais Félix avait quelque chose de magique.
- Probablement... Un lunarie d'eau douce !
- Tu es donc tombé dans le piège.
Chan arrêta de retourner la terre sur le sol meuble et humide pour le regarder de nouveau, bien étonné. Pourtant, Félix ne se moquait pas de lui, il semblait juste amusé.
- Les lunaries d'eau ont la peau foncée et des yeux presque noirs. Ils sont intimement liés à l'obscurité de la lune et leurs doigts sont légèrement palmés à chaque interstice.
Chan hocha de la tête en essayant d'imaginer à quoi ils pouvaient ressembler, mais les seules images qui lui venaient en tête l'effrayaient quelque peu et Félix le remarqua.
- Ils sont aussi effrayants que tu l'imagines ! Leurs cheveux ondulés ont une allure perpétuellement mouillée et ces derniers sont bleus comme la plus profonde des eaux.
- Sont-ils à se méfier ?
- Ils sont redoutables ! Aussi enchanteurs que la plus douce des mélodies, mais aussi sévères que les mots peuvent être tranchants.
Félix mima un couteau en train de s'abattre dans les airs et Chan ria au geste en tournant sa tête de gauche à droite. Félix était vraiment attendrissant.
- Ils trouvent leur compagnons ou compagnes par des ruses et s'amusent d'eux jusqu'à finalement s'attacher à l'un ou l'une d'entre eux, aimant ensuite éternellement. Ce sont de drôles de cousins que j'évite de croiser.
Chan ria légèrement tout en ayant froid dans le dos et Félix lui retourna l'expression. Quelque peu fatigué et maintenant douloureux, le lunarie s'assit à même le sol, à une distance plus rapprochée de l'hirisseu qui, sans le remarquer, avait frissonné.
- Alors de quelle... spécialité es-tu ?
Félix ria un petit moment au mot choisi en couvrant sa bouche. Il était bien curieux ce Chan et le lunarie se dit qu'il aimait définitivement sa manière de s'exprimer autant que de voir la vie.
Les nuages, gourmands en potins, lui avaient confié son nom des années auparavant et depuis, Félix ne cessait de le jouer dans son esprit. Il aimait bien son prénom. Chan, Chan, Chan... C'était court, c'était facile, c'était doux, c'était lui.
- J'ai un corps élancé et fin, mes oreilles sont pointues à fendre le papier et mon corps est presque aussi clair que du verre, s'habillant au grès des couleurs qui m'entourent. Cela ne te dit rien ?
Félix appuya ses propos en disparaissant sous les airs ébahis de Chan alors qu'au final, il était toujours là, sous ses yeux. Félix avait juste pris la couleur des fleurs, du chemin de pierre et du champ drus et épais qui lui faisait dos. De cette manière, il demeurait quasi invisible, un tour de passe-passe qui le faisait toujours autant rire.
Pris par le jeu autant que par la surprise, Chan avança la main, persuadé qu'il s'était volatilisé et Félix fut surpris lorsque cette dernière atteignit sa joue, comme une caresse quasi proscrite. Troublé, le lunarie réapparut immédiatement alors que Chan recula ses doigts, aussi rouge que les pivoines de son entrée.
- Je... Je... Je pensais que tu n'étais plus là, excuse moi.
- Ce n'est pas grave, les lunaries sont des êtres sociaux et j'aime que l'on me cajole.
Chan s'étouffa avec sa salive face à la sincérité de son nouveau compagnon alors que ce dernier lui sourit, sans voir le moindre mal à ses paroles. Chan n'avait jamais rencontré personne dans sa vie, juste croisé, et à vrai dire, il était certain de s'éteindre seul, tel que tous ses congénères le faisaient. Pourtant, il ne lui fallu rencontrer personne avant lui, ni même avoir déjà expérimenté cette sensation pour comprendre que Félix lui plaisait.
Ce n'était pas bien, ça n'avait jamais été dans ses plans, mais oui, il avait aimé le contact de sa peau douce comme le vent contre ses doigts bourrus. Il aimait la légèreté de son timbre de voix autant que la manière qu'il avait de jouer avec les éléments qui semblaient l'entourer.
Face au fil de ses pensées, Chan tiqua et c'est d'une voix portante et pressée qu'il répondit à Félix.
- UN LUNARIE DES AIRS ! Tu es un lunarie des airs !
Félix ria aux éclats en tombant presque à la renverse avant de finalement se redresser, profondément touché. Chan était définitivement bien trop adorable pour son propre bien. Le lunarie l'avait déjà remarqué des années plus tôt. Il l'avait constaté quand Chan avait caressé ce cerf nouveau né dans la forêt, les yeux embués d'émotion. Ou encore lorsqu'il avait réparé l'aile blessée de ce papillon, sans jamais perdre patience. Chan était une créature issue des plus beaux contes et Félix ne comprenait pas vraiment ce que l'on trouvait à sa propre espèce quand l'une telle que celle de Chan existait.
- Oui Chan, je suis un lunarie des airs. Aussi rapide et gracieux qu'une bourrasque. Aussi fin et délicat que la caresse du vent contre ta peau au bord du ruisseau.
Chan sourit d'un air béat, profondément enchanté par la découverte alors qu'il se remémorait les fois où allongé au bord de l'eau, il avait senti un vent agréable venir lui chatouiller les pieds ou encore venir soulager son corps pétri de chaleur. Est-ce que c'était lui ? Maintenant qu'il y pensait, ça semblait certain...
Félix était définitivement un être particulier.
- Comme tous les lunaries, je peux voir quelques minutes ou secondes de l'avenir, mais grâce à ma... spécialité, comme tu l'appelle, je peux également faire bien d'autres choses.
- Comme disparaitre ?
- Comme me servir de l'air pour disparaître, oui. Les autres lunaries ne le font pas si bien que ceux des airs, c'est l'un de nos points forts.
- Sais-tu faire d'autres choses ?
- Absolument.
Chan le regarda intensément alors que depuis quelques minutes, il s'était assis en tailleur à son tour, captivé par le discours de son nouveau protégé. Calion avait râlé, quelque peu jaloux et d'une pluie torrentielle tombée uniquement sur ses ailes, Evan l'avait calmé.
Chan méritait son instant, tout autant que Félix.
Sous les yeux passionnés de l'hirisseu, le lunarie se leva pour affirmer son propos alors que d'un regard, il demanda l'accord de son compagnon. Chan ne savait pas vraiment de quel type de consentement il s'agissait, mais sans savoir pourquoi, comme un pressentiment qu'il était en sécurité à ses côtés, il valida d'un signe de tête. Alors, Félix le regarda plus intensément et sous l'attente du lunarie, Chan se releva pour lui faire face.
Doucement, Félix déploya alors deux ailes majestueuses, aussi blanches que les premiers nuages du printemps. Sous certain aspect, face au soleil, ces dernières brillaient et Chan avait le sentiment de rêver alors que d'un battement de celles-ci, l'air brassé fit virevolter les cheveux de Félix, aussi cérulés que le ciel. Les rayons du soleil autant que la brise légère du vent, rendaient sa présence séraphique et Chan aurait pu jurer lui offrir son avenir s'il lui avait demandé.
D'un geste gracieux, Félix lui tendit la main et comme hypnotisé, sans la moindre crainte, Chan déposa la sienne dans celle plus fine de son compagnon. D'un mouvement souple et majestueux, Félix s'approcha de lui et Chan rougit légèrement, sentant son souffle chaud s'échouer contre sa peau délicatement hâlée. L'hirisseu ne comprenait pas ce qu'il faisait, mais à peine eut-il le temps de se le demander que d'un saut puissant,
Félix s'enfuit dans les cieux et avec lui, le corps de Chan, chaudement blotti contre le sien.
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Alors, ce lunarie des airs ?
Team Hirisseu ou team Lunarie ? Vous vous reconnaissez d'avantage chez lequel ?
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