Chapitre 8 - Séléné
Séléné a tout juste terminé sa lecture de l'histoire de Lycaon, quand des coups frappés à la porte d'entrée la ramènent avec brutalité à la réalité. C'est à moitié rêveuse qu'elle descend ouvrir. Elle se demande quelle est la part de légende et quelle est la part de vérité dans ce qu'elle vient de lire. Elle est professeur à l'université de Lettres de Bordeaux, autant dire qu'elle connaît bien la mythologie grecque et que le mythe de Lycaon lui est tout particulièrement familier. Après tout, elle s'est spécialisée dans la littérature qui traite du loup-garou et cette légende est le texte fondateur du genre.
Mais elle a toujours perçu Lycaon comme un personnage mythologique, un être imaginaire. Comment aurait-elle pu deviner que, non seulement il avait réellement existé, mais aussi qu'il était l'un de ses ancêtres ? Cela lui semble tellement saugrenu qu'elle peine à le croire. Serait-ce possible que son grand-père lui ait joué un tour en lui donnant un livre de contes ? Non, cela ne lui ressemble pas de se moquer d'elle. Il avait l'air si solennel en lui remettant cet ouvrage.
Elle ouvre la porte et la personne qu'elle trouve plantée sur le perron est bien la dernière à laquelle elle s'attendait...
— Raka ! Quelle surprise ! Tu es venue voir ma mère ? Elle n'est pas là. Elle avait une réunion à Grenoble. Ne me demande pas à quel sujet, je n'en ai aucune idée !
Séléné réalise qu'elle parle beaucoup trop. Mais c'est une façon comme une autre de cacher la nervosité qu'elle éprouve en se retrouvant nez à nez avec sa cousine.
— En réalité, c'est toi que je suis venue voir. On peut entrer ? demande-t-elle en montrant son fils qui est accroché à son pantalon.
— Oui, bien sûr ! Entrez donc.
C'est la première fois que Séléné rencontre son petit cousin. C'est un tout petit garçon de deux ou trois ans qui a de magnifiques bouclettes blondes et les yeux dorés de sa famille. Il lui sourit avec timidité, en se cachant derrière sa mère. Séléné lui rend son sourire. Cet enfant a l'air adorable, à l'inverse de sa mère.
— Ton fils ressemble beaucoup à son père.
— Oui, c'est l'avis de tout le monde, dit Raka qui essaie de cacher son agacement.
— J'allais me faire du thé. Tu en veux ? propose-t-elle à sa cousine.
— Avec plaisir !
Raka prononce ces mots, mais il est clair qu'elle ne ressent aucun plaisir à être ici ni à boire du thé avec Séléné. Celle-ci se demande la raison véritable de sa visite. La jeune femme continue d'alimenter la discussion depuis la cuisine ouverte sur le salon pendant qu'elle fait bouillir de l'eau. Elle songe que si sa cousine devient menaçante, elle pourra toujours l'ébouillanter. Mais l'instant d'après, elle se souvient de la présence de l'enfant. Si Raka avait des intentions violentes, elle n'aurait pas amené son fils avec elle.
— Comment s'appelle ton fils ? demande-t-elle.
— Minas.
— Minas, enchaine Séléné, veux-tu un verre de jus de fruits ?
L'enfant, qui a gagné en hardiesse depuis quelques minutes, est en train d'explorer le salon. Il offre un grand sourire à la jeune femme et vient la rejoindre dans la cuisine pour récupérer son verre. Séléné ne peut s'empêcher de caresser ses boucles blondes. Comment sa cousine a-t-elle pu engendrer un garçon aussi mignon ?
Elle rejoint Raka, qui est assise sur le canapé, et pose devant elle une tasse fumante d'où s'échappent des arômes de fruits rouges.
— Merci, lâche sa cousine du bout des lèvres.
Elle a toujours trouvé difficile de remercier les gens.
Séléné s'installe dans le fauteuil qui lui fait face et souffle sur son thé pour essayer de le refroidir. Minas, quant à lui, est couché par terre sur le tapis et tourne les pages d'un livre pour enfant que sa mère vient de lui donner. Séléné l'observe, attendrie malgré elle.
— Tu n'as pas d'enfant ? demande Raka qui a surpris son regard.
Séléné reporte son attention sur sa cousine. Son visage reste neutre et elle ne laisse rien percevoir de ses intentions. La petite cicatrice qu'elle a au bord de l'œil droit est toujours visible. Cette cicatrice, c'est Séléné qui lui a faite quand elles étaient encore gamines. Les combats de louveteaux peuvent être assez rudes parfois. La jeune femme sent bien qu'elle est sur une pente glissante et que cette conversation risque de dériver vers des sujets désagréables. Mais elle ne voit pas comment y échapper.
— Non, pas encore, répond-elle.
— Tu comptes en avoir ?
— Oui, un jour... On verra...
— Tu as un mec ?
— Pas en ce moment, dit-elle d'un ton plus sec espérant ainsi la décourager.
Mais sa cousine n'en a pas fini avec elle et l'interrogatoire se poursuit.
— On m'a dit que tu étais prof à la fac de Bordeaux.
— On ne t'a pas menti.
— Et tu aimes ça ? Je veux dire, être prof, ça te plaît ?
Séléné sourit, comprenant quelle va être la prochaine question de Raka.
— Oui, beaucoup !
— Donc, tu n'as pas envie de lâcher ton travail pour revenir vivre ici. Quand est-ce que tu repars ?
Raka est crispée, tous ses muscles tendus, en attente de l'information qu'elle est venue chercher. Séléné prend un malin plaisir à ne pas lui répondre tout de suite. Elle fait tourbillonner son sachet de thé puis le presse contre le rebord de sa tasse à l'aide de sa cuillère. Elle le dépose enfin dans une petite assiette qui est sur la table basse devant elle. Elle regarde sa cousine droit dans les yeux :
— Je reste au moins jusqu'aux funérailles.
Raka semble étonnée. Elle ne s'attendait visiblement pas à ce que sa cousine participe au rituel. Elle laisse échapper un petit rire narquois. La politesse qu'elle affiche depuis tout à l'heure est en train de s'effriter.
— Tu veux assister au rituel ? Es-tu sûre que tu en es capable ?
Séléné sent une colère froide s'emparer d'elle. Sa cousine a toujours cru qu'elle était une meilleure louve qu'elle. Elle a toujours pensé que Séléné n'était pas à la hauteur de leur nom, qu'elle n'était pas digne de faire partie de la meute. Elle sait bien que c'est stupide, mais l'envie la prend de la provoquer. Elle repose sa tasse avant de lui répondre d'un ton glacial :
— Bien sûr. Je suis l'héritière de notre meute, je te rappelle. Je serai aux côtés de ma mère, notre chef, pendant la cérémonie.
Raka lui lance un regard dans lequel brûle toute sa colère. Le masque est tombé. On pourrait presque sentir les ondes d'agressivité qui émanent de toute sa personne. Les deux cousines se défient en silence...
— Maman, t'avais dit qu'on irait commander des pizzas pour ce soir, intervient Minas.
Raka prend son fils dans ses bras tandis que Séléné boit une gorgée de son thé qui a refroidi.
Quelques instants plus tard, Séléné les raccompagne jusqu'à la porte, soulagée qu'ils s'en aillent. Alors qu'elle s'est déjà éloignée de quelques pas, Raka se retourne vers elle et lui dit :
— On se revoit à la prochaine pleine lune.
Séléné ne s'y trompe pas une seconde. Sa cousine vient de la menacer.
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