Chapitre 3 : Séléné
La luminosité qui filtre à travers les volets entrouverts la réveille. Elle se relève un peu trop vite pour descendre du lit...
— Aïe ! Putain, gronde-t-elle, mais qu'est-ce que ce mur fiche ici !
Séléné regarde autour d'elle, son cerveau encore à moitié endormi, et elle se rend compte qu'elle ne sait pas où elle se trouve. Des posters des Red Hot Chili Peppers, l'affiche du film Roméo et Juliette avec Di Caprio, un panneau en liège où sont épinglées des photos d'adolescents rieurs ? Elle retient son souffle quelques instants, paniquée à l'idée de faire un cauchemar ou d'avoir voyagé dans le temps.
Et puis, tout lui revient d'un coup... Le SMS de sa mère, la mort d'Ismène, l'arrivée nocturne au chalet. Elle soupire, agacée par sa propre bêtise et se frotte le front en espérant ne pas s'être fait une bosse. Il ne manquerait plus que ça ! Elle imagine déjà la remarque sarcastique que pourrait lui lancer sa mère.
En parlant du loup, on frappe à sa porte des coups discrets.
— Mademoiselle Lou, dit une voix qu'elle ne reconnaît pas. Si vous êtes réveillée, votre mère vous attend dans son bureau.
L'inconnu marque une pause avant d'ajouter :
— Elle vous demande de vous dépêcher, car elle a un emploi du temps très chargé aujourd'hui.
— Dites-lui que j'arrive dans quelques minutes.
Séléné se lève en râlant. Elle se dit que décidément cette journée ne pouvait pas plus mal commencer. La jeune femme s'étire et s'avance d'un pas souple jusqu'à la fenêtre. Elle ouvre les volets et retrouve un soupçon de bonne humeur à la vue des montagnes qui brillent sous le soleil. L'air frais du matin achève de la réveiller et c'est dans un meilleur état d'esprit qu'elle s'habille le plus vite possible pour aller affronter sa mère.
Il vaut mieux ne pas trop la faire attendre, songe-t-elle, ou cela risque d'être encore plus pénible.
Céline Lou est assise derrière son bureau quand sa fille entre dans la pièce. Elle est occupée à lire de la paperasse et ne daigne pas lever les yeux sur Séléné alors que celle-ci reste debout devant elle.
— Assieds-toi, veux-tu, finit-elle par lâcher. Je termine ça et je suis à toi !
Agacée, la jeune femme se laisse tomber dans un des fauteuils anciens qui font face au large bureau en bois. Elle ne s'attendait pas à ce qu'elle la couvre de baisers, ce n'est pas vraiment le genre de sa mère, mais tout de même, elle pourrait la regarder quand elle lui parle. Après plusieurs années de séparation, son indifférence est toujours aussi glaçante.
Séléné se force à respirer avec calme. À chaque fois qu'elle se trouve face à sa mère, elle ressent la même chose : elle a l'impression de redevenir une adolescente de quatorze ans. Et cela l'énerve au plus haut point. Elle se redresse donc pour adopter une posture plus digne, plus adulte et observe sa mère qui continue d'annoter ses feuilles comme si elle n'était pas là.
Malgré sa petite taille, elle dégage une aura incroyable. Céline n'est pas le genre de personne qu'on a envie de contredire. Elle possède cette autorité naturelle qu'elle a cultivée avec les années pour asseoir sa position au sein de l'entreprise familiale. Sa longue chevelure, qu'elle porte toujours détachée, coule sur ses épaules. Séléné remarque que les cheveux gris sont plus nombreux que les bruns désormais. Sa mère vieillit, comme tout le monde.
Elle tourne la dernière page et lève ses yeux dorés sur sa fille. Son regard la scanne, comme si elle observait la moindre parcelle de sa peau, comme si elle arrivait à s'insinuer dans ses pensées.
Finalement, je préfère quand elle m'ignore, songe Séléné.
Céline continue son examen silencieux quelques minutes, qui semble durer une éternité à la jeune femme, avant de prendre la parole :
— Tu as une mine affreuse, dit-elle d'un ton neutre.
Séléné manque de s'étouffer et se mord les lèvres pour éviter de prononcer des paroles qu'elle risquerait de regretter. Elle s'efforce de sourire, malgré son envie de lui sauter à la jugulaire :
— Merci, ça fait plaisir. Je n'ai pas vraiment eu le temps de me maquiller, ni même de me doucher, vu que tu me faisais l'immense honneur de m'accorder dix minutes de ton emploi du temps de ministre.
Et voilà ! Elle n'a pas pu s'empêcher d'être sarcastique. Elle sent l'adolescente enfouie en elle qui grogne et veut mordre. Elle réalise qu'elle est encore plus énervée par sa propre réaction que par le comportement de sa mère. Celle-ci hausse les sourcils et élève la voix :
— Endymion ? Pouvez-vous, s'il vous plaît, nous apporter deux tasses de café ? Un mug bien rempli pour ma fille ! Elle est toujours de mauvais poil le matin tant qu'elle n'a pas eu sa dose de caféine.
— Oui, je vous apporte ça tout de suite ! répond une voix qui leur parvient depuis la pièce d'à côté.
Quelques instants plus tard, en effet, l'assistant de sa mère dépose une tasse fumante devant elle. Elle hume l'arôme du café avec une délectation non dissimulée.
— Merci, lui souffle-t-elle.
— Je vous en prie, mademoiselle Lou.
Elle remarque qu'il évite son regard et se souvient d'avoir été désagréable avec lui la veille. Dès qu'elle se rapproche de sa famille, elle a l'impression que tous ses mauvais côtés, tous ses défauts, sont exacerbés et qu'elle redevient une personne qu'elle a pourtant cessé d'être depuis bien longtemps. Elle ne veut plus être cette fille-là ! Pour se prouver qu'elle n'est pas juste une petite héritière impolie, elle se creuse la tête pour lui dire quelque chose de gentil. Avant qu'elle ait pu trouver quoi que ce soit, sa mère le remercie et lui demande de fermer la porte en sortant. Endy s'exécute, non sans avoir adressé un sourire éclatant à sa patronne.
De frustration, Séléné lâche à sa mère :
— Pas mal ton nouveau sex-toy !
C'est un coup bas. La jeune femme s'en rend compte trop tard. Elle ne peut plus rattraper ses paroles. Son adolescente intérieure a encore frappé et cela ne va pas arranger sa relation, déjà difficile, avec sa mère. De la surprise se lit sur le visage maternel :
— Il n'y a rien entre nous. Endymion est juste mon assistant...
— Si tu le dis, l'interrompt Séléné.
— C'est la vérité ! s'agace sa mère. Et quand bien même j'aurais envie de prendre un amant, je te rappelle que ton père nous a quittés il y a vingt-huit ans. La période de deuil est largement dépassée !
Séléné se crispe à l'évocation de son père. Des flashs bien pâles de sa présence aux côtés de la fillette qu'elle était l'assaillent. Mais ils sont trop dilués par sa mémoire et elle en vient à douter de leur véracité.
— Et puis, reprend sa mère, maintenant que je suis devenue la chef de meute, je ne peux pas me permettre de batifoler avec le premier homme venu. Endymion n'est pas un loup et il n'est pas au courant de la vraie nature de notre famille. Alors, si tu veux bien arrêter de me faire perdre mon temps avec ces idioties, j'ai à te parler de choses beaucoup plus importantes...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro