Partie V - Le Doute
Le feu, sans personne pour l'alimenter, s'était peu à peu éteint, ne laissant que des braises rougeoyantes qui projetaient une lumière blafarde sur les deux jeunes hommes allongés côte à côte. Dans les bras de Keriih, Ethanael avait fini par s'endormir. Son compagnon, bien éveillé, l'observait dormir avec une certaine tendresse. Jamais il n'aurait pu imaginer la tournure qu'allait prendre cette expédition, mais il n'en regrettait pas un instant les événements. Il serait même prêt à aller se battre sur le front pendant des mois entiers si cela lui assurait de vivre en paix avec Ethan à la fin de la guerre. Et dire qu'il y a à peine quelques semaines ils étaient encore tous deux en train de s'étriper au camp d'entraînement, cherchant à tout prix le moyen de surpasser l'autre. Il ne saurait vraiment dire à quel moment cette rivalité s'était transformée en autre chose pour lui, peut-être que dans le fond il avait toujours apprécié Ethanael bien plus qu'un camarade ou un ami. Et il avait caché ses sentiments sous une bonne couche d'hypocrisie et de sarcasme, parce que c'était plus simple comme ça : en temps de guerre il n'y avait pas de place à l'amour. Cela lui semblait tellement évident à présent, Keriih passait une bonne partie de son temps à taquiner Ethanael et à le provoquer. S'il se retrouvait en duel avec une autre personne que lui, le combat n'avait plus aucune saveur et c'était sans aucune motivation qu'il se battait. Ethanael était celui qui avait donné du sens à l'existence de Keriih, il lui avait donné un but à atteindre, il lui avait donné envie de vivre, envie de se lever tous les jours et de se battre pour sa survie, pour la survie de l'humanité. C'est pour ça qu'il avait sauté à la suite du jeune roux, en haut du gouffre, parce que perdre Ethanael lui était impensable, parce que s'imaginer une seule seconde ce que sa vie serait sans lui le terrifiait. Il ne pouvait pas le perdre. Jamais. Il n'y survivrait pas. Et pourtant, en y réfléchissant, ce n'est qu'au moment où Ethanael l'avait embrassé la première fois qu'il avait réalisé ce que représentait son compagnon pour lui. Seulement, le caractère explosif du jeune roux et son rejet constant l'avait fait battre en retraite. Keriih était habitué à leurs disputes, mais après avoir mis en lumières ses propres sentiments, se faire envoyer balader une nouvelle fois par Ethan ne lui avait plus semblé aussi simple.
En observant l'air paisible qu'arborait son compagnon dans son sommeil, il se demandait comment il avait vécu cette relation conflictuelle qu'ils entretenaient depuis le premier jour de leur rencontre. Est-ce que Ethanael ressentait aussi quelque chose pour lui ? Ce qui s'était passé dans le puits lui donnait de l'espoir, mais tant que le jeune roux ne verbalisait pas de lui-même ses sentiments, Keriih ne pourrait pas l'affirmer avec conviction.
Il passa ses doigts dans les boucles rousses de son ami, appréciant leur douceur et leur forme unique qui caractérisait si bien le jeune homme. Son index descendit plus bas et vint caresser son sourcil, l'arête de son nez busqué, ses pommettes tachées de son, ses lèvres barrées d'une fine cicatrice blanche, il glissa jusqu'au cou et s'arrêta brusquement à son épaule : Ethanael venait d'ouvrir les yeux.
- Oh, excuse-moi, fit Keriih en retirant sa main, je t'ai réveillé ?
Le jeune roux ne répondit pas et se releva brusquement, s'arrachant à l'étreinte de son compagnon. Un peu déstabilisé, Keriih se redressa à sa suite et avança une main sur l'épaule de son ami en l'interrogeant :
- Tout va bien ? Qu'est-ce que tu...
Le contact des doigts sur sa peau fit sursauter Ethan qui se dégagea violemment. Il fit face à Keriih qui, choqué, n'abaissa pas son bras. L'expression sur le visage d'Ethanael en disait long et répondait aux questions qu'il n'avait plus aucune envie de poser.
- Il faut qu'on parle, asséna le roux après un silence terrifiant, et son regard se perdit dans le sable à ses pieds.
La main de Keriih retomba mollement contre son flanc. Il avait l'impression que le sol s'ouvrait une nouvelle fois à ses pieds, comme lorsqu'ils étaient tombés dans le Labyrinthe la toute première fois. Mais à cet instant, le gouffre qui l'accueillait était bien plus terrifiant.
- Je vois, fit sèchement Keriih. Je comprends. C'était juste une erreur pour toi, n'est-ce pas ? Ça ne représentait rien. Ce n'est pas grave, je ne dirai rien aux autres, on fera comme si rien ne s'était passé.
Il tenta tant bien que mal de garder la tête haute face au regard perçant d'Ethanael qui s'était à nouveau posé sur lui. Torse nu, il eut soudainement froid, il lui semblait ne plus avoir sa place ici.
- Quoi ? Non, ce n'est pas ce que je voulais dire...enfin, il est vrai que je suis quelque peu terrifié, mais pas de la manière que tu penses. J'ai... peur de ce qu'il va advenir après, de ce que la guerre va nous faire. Mais je suis encore plus terrifié de te perdre toi, de te voir disparaître, de me réveiller et de me rendre compte que tu n'as jamais existé. Je crains que tout ça ne soit pas réel et que le Labyrinthe joue avec mes sentiments, créant uniquement ce que j'ai envie de voir et effaçant la réalité. Parce que si c'est le cas, il est hors de question que je me réveille, il est hors de question de te perdre.
Les yeux d'Ethan étaient humides de larmes, il tenta de les dissimuler en passant sa main sur son visage mais son geste les fit couler. Paniqué, il chercha à se détourner mais Keriih lui saisit la tête des deux mains.
- Regarde-moi, ordonna-t-il avec douceur. Je suis bien réel. Tout ça est bien réel et crois-moi, le Labyrinthe n'a rien à voir avec mes sentiments pour toi. Ethan, n'en doute pas.
Il souleva délicatement son menton et vint déposer un baiser sur son front, au coin de son œil, sur son nez, avant d'embrasser doucement ses lèvres. Il essuya les larmes du roux avec son pouce et s'écarta. Ethanael le regardait de ses grands yeux bleus comme s'il était la plus belle chose au monde et à cet instant rien d'autre n'existait pour eux. Keriih posa son front contre celui de Ethanael qui ferma les yeux à ce contact.
- Merci, murmura le roux. Merci d'être toi. Merci d'être réel.
Il rompit le contact, ses traits étaient plus détendus, bien que son visage soit encore humide de larmes. Mais c'est d'une voix légère qu'il annonça :
- En route à présent, on a une troupe à retrouver !
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