Chapitre 6 - A quelques pas de la vérité
Nicolas était jaloux. Oui, jaloux. Il pensait découvrir seulement la vie d'une jeune pirate en lisant le journal. Mais il savait désormais bien plus que cela. A travers les lignes, il lisait ses émotions, ses tourments. Cela l'avait d'abord attendri mais à présent, la jalousie le rongeait.
Il venait de lire la journée du premier janvier et avait refermé violemment le carnet. Il comprenait sa naïveté. Inconsciemment, il s'était attaché à Ariana et il la voyait maintenant lui glisser entre les doigts. Il croyait être le seul a avoir jamais été son ami – ou le plus proche possible de la personne de l'ami.
Et il venait de lire qu'elle connaissait un autre jeune homme ? Bien plus beau et plus compétent que lui. Bien plus attractif.
Non, il ne voulait plus lire. Il ne voulait pas voir Ariana s'attacher à ce William. La suite de l'histoire était toute dessinée dans son esprit. Il jeta le carnet à l'autre bout de sa chambre et sortit en trombe, sans un regard en arrière.
Il courut à travers la maison et sortit dans le jardin. C'était sans aucun doute son endroit préféré. Un espace ouvert, qui donnait sur l'océan. Nicolas s'y rendait chaque fois qu'il se sentait perdu. Perdu dans ses pensées, dans ses émotions ou quand son cœur balançait. Il s'allongeait dans l'herbe, en pente douce, et regardait le soleil suivre sa course dans le bleu du ciel. Une sorte de méditation.
Cette fois-ci, son cerveau réfléchissait à toute vitesse. Impossible de l'arrêter. Il se sentait trahi par Ariana et en même temps, il se rendait compte à quel point il s'était pris d'affection pour elle. Il n'aurait pas dû réagir ainsi. Elle était son ennemie ! Plus il songeait, plus il se trouvait stupide. Toutes les filles rencontrent des garçons, c'est la vie. Rien ne garantirait qu'elle en ferait un ami. De toute façon, qui était-il pour s'opposer à cela ? Le fils de celui qui l'avait condamnée à mort... Il n'avait aucune chance d'être l'ami de la jeune femme, alors, pourquoi s'en soucier ? Il ferait mieux de continuer à lire pour ''apprendre la vie'' comme elle le lui avait conseillé.
Fort de ces réflexions et de son choix, Nicolas se releva et retourna dans la maison. En prenant l'escalier, il croisa son père. Celui-ci tenait dans sa main gauche un tas de cuir et de feuilles froissées. Le journal ! Nicolas se précipita vers lui et lui arracha des mains.
– Enfin Nicolas ! Qu'est-ce qui te prend ?
– Je pourrais vous retourner la question père. Ce journal vient de ma chambre. Pourquoi était-il en votre possession ?
– Je suis tout simplement passé devant ta chambre et, ayant aperçu cette loque par terre, je me suis dit que tu devais avoir l'intention de la jeter. Donc je l'ai prise pour le faire. Je ne veux pas voir les déchets s'accumuler dans ta chambre mon fils, tu le sais très bien !
– Cette 'loque' n'est pas à jeter.
– Range correctement ta chambre et cela n'arrivera plus. Par terre n'est pas une place pour un livre.
– Très bien père.
Sur ces bonnes paroles, ils se séparèrent et Nicolas remonta prestement dans sa chambre. Il se jeta sur son lit et ouvrit le journal à la page du deux Janvier.
2 Janvier 1665,
J'ai eu une nuit agitée. Pourquoi tant de mystère autour de mon père ? Je n'ai rien d'extraordinaire... Bref, lever à 5h30, comme d'habitude. Écailler des poissons, leur couper la tête, mélanger mon sang au leur, être payée 3 deniers, ne pas pouvoir acheter du pain, manger nos maigres réserves : la routine.
Il est vrai que je ne m'étais pas rendue compte à quel point ma vie est monotone. Je fais littéralement toujours la même chose. Mais aujourd'hui, j'ai fait tout cela avec beaucoup d'entrain car ce soir, il y a du changement. Ce soir, je me bats contre un véritable adversaire en chair et en os !
Je suis donc sortie de chez moi vers 20h30 et je me suis dirigée vers le port. Je me suis assise sur le ponton et j'ai attendu. Une demi-heure. Une heure. Je ne regarde même plus l'horizon, en quête du bateau de mon père présumé. Je fixe l'endroit d'où est apparu William hier. Une heure et demie. Il ne viendra pas. C'est certain. J'ai donc rêvé ? Ou alors c'est juste un méchant garçon qui a voulu me faire une farce. Qu'il aille se faire cuire un œuf, je rentre à la maison.
Au moment même où je me suis retournée, j'ai senti une lame glisser sous mon menton. J'ai dégainé aussitôt. Je ne vais pas me faire assassiner sans réagir ! Je me suis retournée rapidement et c'était bien lui, William. Nous avons croisé le fer pendant une dizaine de minutes avant que je parvienne à lui arracher sa lame.
– Encore gagné ! A-t-il dit.
– Je suis imbattable mon cher William, vous devez vous en être rendu compte à présent.
– Il me reste encore un soir pour tenter ma chance, a-t-il répondu.
– Chance qui risque de vous filer entre les doigts, une fois de plus.
– Vous êtes définitivement bien la fille de votre père.
– Vous êtes définitivement la personne la plus énigmatique que j'ai jamais rencontrée, ai-je renchéri.
– Il n'empêche que vous avez attendu cette personne sur le port.
– Je n'ai pas pour habitude de reculer devant un duel.
– J'ai voulu tester votre détermination ce soir. J'étais là dès 20h30. Mais je voulais voir combien de temps vous seriez prête à attendre.
– Et alors ? Le test est-il concluant ?
– Plus que concluant. J'ai cru que vous ne renonceriez jamais et que j'allais devoir attendre le petit matin pour faire fuir les fourmis de mes jambes.
Je n'ai pu m'empêcher de sourire. Énigmatique mais drôle pour un garçon. J'avais cependant une question en tête :
– Est-ce seulement une impression ou vous me faites passer une sorte d'évaluation ? Vous testez mon niveau d'escrime, ma détermination, ma résistance, ...
– Disons que c'est une façon pour moi de mieux vous connaître.
Et il a disparu. Aussi vite que sa lame avait glissé sous mon menton. J'ai eu beau fouiller la nuit du regard, aucune trace de lui. Prochain combat : demain soir.
Bonne nuit Monsieur Gift.
3 Janvier 1665,
Je n'ai rien à raconter. C'est triste, non ? Ma vie n'est qu'une suite d'événements similaires. Bon, je suis de mauvaise humeur, tu l'as compris Monsieur Gift. Et il y a de quoi ! Je me suis levée ce matin, de la plus normale des manières mais quand je suis allée voir Maman, j'ai remarqué que je ne l'avais pas encore réveillée avec tout mon raffut. Incroyable. Normalement, elle m'attend toujours avec le sourire, le matin.
Je me suis penchée vers elle pour la réveiller et c'est là que j'ai remarqué qu'elle transpirait beaucoup. Vraiment beaucoup. Trop pour une femme affaiblie par une maladie, vivant dans une cabane en bois, en plein hiver. J'ai touché son front. Brûlant. Je me suis donc empressée d'aller chercher un linge que j'ai roulé dans la neige, devant la porte. Je l'ai posé délicatement sur le front de Maman et elle a eu l'air de s'apaiser immédiatement. Elle a ouvert les yeux et m'a souri.
– Bonjour Ariana ma chérie.
– Bonjour Maman. Est-ce que tu vas bien ?
– Mieux.
– Tu as de la fièvre. Il faut absolument que j'aille acheter des médicaments.
– Et avec quoi vas-tu manger ma pauvre fille ? Vas travailler et ne te soucie plus de moi.
Je savais que quand elle prenait ce ton là, il était inutile d'argumenter. Je suis donc sortie et je suis allée écailler mes poissons. J'en ai volé un. Il faut que Maman mange du mieux possible pour se remettre. Je suis rentrée et nous avons mangé. Je suis ressortie le plus tôt possible pour pouvoir faire la manche avant de retrouver William sur le port. S'il arrivait aussi tard qu'hier, j'avais largement le temps.
Je me suis donc assise par terre, à mon endroit habituel et j'ai attendu en prenant l'air le plus triste possible, ce qui n'était pas très difficile étant donné à quel point l'état de Maman m'inquiétait. Mais mes déconvenues n'étaient pas terminées. En effet, j'attendais tranquillement que quelques personnes veuillent bien me donner une petite pièce quand une grosse main m'a attrapée par le bras et m'a soulevée de terre.
– Dis donc ma jolie, tu voudrais pas un peu plus d'argent ? Moi je peux t'en donner mais il va falloir faire tout ce que je te demande, a dit un gros monsieur en rigolant. Son haleine empestait l'alcool.
– Eh, mais on dirait que c'est la fille de la Smith, plutôt jolie non ? A ajouté un autre homme. Une autre main poisseuse m'a relevé la tête.
– Et puis elle a de jolis yeux verts.
Le premier a repris :
– C'est moi qui l'ai trouvée en premier ! Alors vous aller gentiment me laisser m'occuper d'elle. Allons, viens dans ma chambre fillette, ne fais pas ta timide.
J'ai eu peur de comprendre. Il n'allait tout de même pas faire ça...CA ! Avec une jeune fille de 15 ans ! J'ai commencé à me débattre mais peine perdue, il serrait si fort mon bras dans son poing que j'avais l'impression qu'il voulait en faire du saucisson. Et puis, William est arrivé. Avec son air de grand capitaine.
– Lâchez-la grosse brute, a-t-il commencé.
– Et tu crois que je vais obéir à un petit garçon fringué comme un pirate ? Un déguisement ne fait pas tout mon petit.
– Peut-être que ceci fera l'affaire dans ce cas. Il a sorti de son col le petit collier que j'avais remarqué et a montré la dent de requin au gros bonhomme. J'ai remarqué qu'elle était gravée d'un grand S. Un des hommes s'est immédiatement enfui. Un autre a balbutié :
– Il...il est de son équipage. On ferait mieux de décamper les gars.
Et ils sont tous partis en courant. On aurait dit que William s'était soudainement transformé lui-même en requin. Finalement, cette journée n'était pas vraiment comme les autres.
William a pris ma main et m'a entraînée vers le port. Une fois arrivés, il m'a enfin regardée et a dit :
– Qu'est-ce qui t'a pris de faire ça ?
Je ne m'attendais pas à ça. Pas du tout.
– Euh...Mais, je faisais la manche, c'est tout.
– Et il ne t'est pas venu à l'idée qu'en étant seule, dans la rue, aussi tard le soir, des marins alcooliques pourraient profiter de toi ? Heureusement que je n'étais pas loin...
– Désolée...
Attends. Je suis en train de m'excuser ?! En face de lui. Celui dont je ne sais presque rien. Ça ne va pas du tout.
– Je n'avais pas le choix, ai-je repris, je ne suis pas comme toi. J'ai une mère malade qui a besoin de moi. Donc si tu veux bien me laisser essayer de lui sauver la vie, ce serait gentil.
Et j'ai tourné les talons. Non mais ! Pour qui se prend-t-il ? Il n'est pas en droit de me réprimander. Je n'ai pas pu partir bien loin avant qu'il ne me rattrape.
– Ariana...
J'ai continué d'avancer mais il m'a attrapé le poignet pour que je me retourne. Alors, pour la première fois, il m'a regardé dans les yeux. Droit dans les yeux.
– Je sais que tu ne me connais pas mais rassures-toi, je ne veux que ton bien. Maintenant, si tu veux bien, nous avons un duel à exécuter.
J'ai souri. Et j'ai dégainé. Il me faut gagner !
Nous avons combattu pendant ce qui m'a paru une éternité. On aurait dit qu'il était un peu plus fort chaque soir. Mais malgré tous ses efforts, j'ai gagné. Une fois de plus. On dirait vraiment que je suis invincible !
– J'ai gagné William, tu dois tenir ta promesse.
– Appelle-moi simplement Will.
– N'essaye pas de détourner la conversation.
– Écoute Ariana, je ne t'ai pas menti, je sais qui est ton père. Tu comprendras tout demain. Attends-moi ici demain soir, à 21 heures.
Et il a de nouveau disparu. J'ai crié :
– Will ! Ce n'est pas ce que nous avions convenu ! Tu dois me dire ce que tu sais !
Inutile. Absolument inutile. Je ne sais même pas pourquoi j'ai fait ça. Je savais pertinemment qu'il s'était enfui. Comme tous les soirs. Pourquoi tant de mystères ?
Bonne nuit Monsieur Gift.
PS : J'ai bien peur d'avoir déjà compris mais je ne veux pas te gâcher la surprise, tu devras attendre demain soir Gift !
Nicolas releva la tête un instant. Lui aussi avait compris. Il se replongea immédiatement dans le carnet, avide de savoir la suite.
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