Chapitre 5 - Un bien étrange garçon
28 décembre 1664,
Rien de neuf aujourd'hui. Lever 5h30. Travail au port. Mes mains saignent. Vol de poisson. Payée 3 deniers. Je n'ai pas pu acheter de pain. Repas de poisson et des restes d'hier. Retour au port pour attendre l'arrivée d'un bateau dont je doute la venue.
Au moment où j'écris, je suis assise contre une bite d'amarrage et je regarde les étoiles. Il fait froid. Je suis emmitouflée dans un gros pull de laine et j'ai mon manteau par dessus. Le capitaine ne viendra pas ce soir.
Bonne nuit Monsieur Gift.
29 décembre 1664,
Jour un peu particulier. C'est dimanche et je ne travaille pas, ce qui est bien dommage. Je ne peux pas voler de poisson et je n'ai aucun espoir de recevoir de l'argent. Je suis donc sortie tôt ce matin. Il faut tout de même que je nous trouve de quoi manger. Je n'aime pas voler. Ce serait la solution la plus simple mais j'ai l'impression de ressembler à un pirate quand je fais ça.
Je suis donc partie marcher loin du village, dans la campagne, pour essayer de trouver quelques fruits ou légumes. Rien à faire. J'ai cherché en vain jusqu'à midi. Je me suis décidée à rentrer vers la ville pour faire la manche quand j'ai aperçu un verger. J'ai sauté par dessus la barrière et j'ai grimpé en haut d'un pommier. J'ai pris quatre pommes et je suis descendue aussi rapidement que possible. Trop tard, le propriétaire m'avait aperçue et avait sorti sa carabine. Il a tiré mais a heureusement raté son coup. Je savais qu'il était trop loin pour me toucher ou même voir mon visage. J'ai glissé sous la barrière et j'ai couru à toutes jambes vers la ville. Il ne m'a pas suivie.
Je m'en suis donc sortie avec seulement quelques égratignures et la certitude qu'il ne me reconnaîtrait pas si jamais je le croisais. Mais j'avais le cœur lourd. J'ai volé. Encore une fois. Je sais bien que c'était nécessaire mais j'aurais aimé pouvoir faire autrement.
Je suis rentrée. Maman et moi avons mangé une pomme puis je me suis occupée d'elle jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Ensuite, comme tous les dimanches, je suis allée dans le jardin pour m'entraîner à l'épée. Je me suis construit une sorte d'adversaire de bois et de paille.
Aujourd'hui, j'avais vraiment la rage de gagner, de m'améliorer. Je ne peux m'empêcher de penser que Shark va peut-être venir, un jour. Alors, il faut que je sois prête. Il faut que je sois à la hauteur de mon nom, si ça l'est vraiment. Lorsque la nuit a commencé à tomber, j'ai allumé le feu et j'ai fait bouillir de l'eau. C'est toujours bien de boire quelque chose de chaud, même si ce n'est que de l'eau. Nous avons mangé les deux autres pommes avant que je ne parte de nouveau pour le port. Il n'est pas venu.
Bonne nuit Monsieur Gift.
30 décembre 1664,
Pas de changement. J'ai repris le travail. Payée 3 deniers. J'ai pu acheter du pain. C'est tout ce que nous avons mangé : je n'ai pas volé aujourd'hui. Je me sentais trop coupable. Je suis partie sur le port mais cette fois, j'ai pris mon vieux sabre pour m'occuper. Il n'est pas venu.
Bonne nuit Monsieur Gift.
31 décembre 1664,
Routine quotidienne. Tu commences à la connaître Monsieur Gift, n'est-ce pas ? J'ai volé un poisson. Pas de pain. Entraînement à l'épée sur le port. Il n'est pas venu.
Bonne nuit Monsieur Gift.
1er Janvier 1665,
C'est le premier jour de l'an aujourd'hui ! J'espère toujours qu'il se passera quelque chose d'inattendu ; même si cela n'est jamais arrivé.
Routine. Je n'ai rien de spécial à raconter. Suis allée sur le port avec mon sabre. Il n'est pas venu.
Bonne nuit Monsieur Gift.
Attends ! En fait, ne t'endors pas tout de suite ! Il s'est passé quelque chose ! Il y a quelques minutes, je t'ai refermé mais avant de rentrer à la maison j'ai continué à jouter contre un adversaire invisible, sur le port. J'espérais toujours sa venue, au fond de moi. Bref, je combattais tranquillement quand j'ai senti que mon sabre touchait une autre lame. Étrange non ?
Et là, devant moi, est apparu un jeune garçon. Il était habillé d'une façon que je n'avais jamais vue. Ou plutôt, si, j'avais déjà vu des gens porter ce genre de vêtements mais c'était les pirates qui font de temps en temps escale ici.
Je vais tenter de te le décrire : chemise noire bouffante à manches longues, tunique de cuir descendant jusqu'à mi-cuisse, pantalon noir, bottes de cuir noir, grande cape fourrée au niveau des épaules et ceinture d'où pendait le fourreau de son épée. Ce qui m'a le plus étonnée, c'est la petite dent de requin qui se balançait dans le creux de son cou. Un grand chapeau cachait ses yeux mais j'ai pu voir qu'il avait les cheveux blonds comme les blés.
Il m'a tout de suite semblé que nous étions du même âge mais il avait un air grand et noble dont je ne parvenais pas à définir l'origine. J'avais l'air d'une souillon à ses côtés. Ici, nous avons l'habitude de porter des chemises de lin, et non de coton comme la sienne. Nous nous chaussons de sabots et non de cuir, nous portons des pulls de laine qui grattent et non de longues capes. De plus, en tant que fille, j'avais bien sûr une robe, ce qui marque déjà une grande différence.
Il a abaissé mon épée et m'a souri. Du moins, j'ai cru voir un coin de sa bouche se relever, sous son chapeau. Puis, il a parlé :
– Cela fait déjà deux nuits que je t'observe.
Je ne savais pas vraiment quoi répondre à cela donc j'ai balbutié :
– Ah bon...
Puis, je me suis reprise :
– Cela ne doit pas être très impressionnant. Un pauvre petite souillon qui s'essaye à l'épée...
– Oh, tu n'as pas l'air d'en être à ton coup d'essai. En garde !
Il a levé son épée et nous avons combattu face à face, sous la douce lumière de la lune. Je ne sais pas d'où me venait cette idée, mais j'avais le pressentiment qu'il ne voulait pas me faire de mal. Il voulait juste me tester. Au début, j'ai plié sous ses coups rapides et répétés. Lui non plus n'avait pas l'air d'en être à son premier combat.
Cependant, j'ai rapidement compris sa technique et je suis revenue sur lui. En cinq coups de sabre, j'ai envoyé voler en l'air son épée qui est retombée se ficher sur le ponton d'amarrage. Il est allé la chercher puis est revenu. J'ai cru qu'il allait reprendre le combat mais il a tout simplement enlevé son chapeau et a fait une courbette devant moi. Il s'est relevé et a dit :
– Mademoiselle, vous seriez digne de combattre sous les ordres du capitaine Shark.
Là, j'étais vraiment interloquée. Qui était cet inconnu ? Un pirate ? J'ai répondu :
– Vraiment ? Qui êtes-vous pour me dire cela ?
– Disons que je suis... un ami.
– Un ami ? Quelqu'un que je ne connais pas, qui ne me connaît pas et qui est habillé comme... comme...
– Dites-le.
– Comme un pirate, clame être mon ami.
– Laissez cela et causons.
Il m'a invitée à m'asseoir sur un banc et a continué :
– Quel est votre nom ?
– Étant donné que vous refusez de me dire le vôtre, je ne vois pas en quoi je devrais vous donner le mien.
– Très bien. Je me nomme William, comme trois quarts des garçons de ce pays.
En disant cela, il a relevé la tête de façon à ce que je puisse croiser brièvement ses yeux – noisette – et m'a tendu la main. Je l'ai prise en disant :
– Moi, c'est Ariana.
– Figurez-vous qu'avant de vous affronter, je m'apprêtais à vous proposer de vous apprendre à manier le sabre. Mais j'ai vu que cela ne vous servira guère. Qui vous a appris cela ?
– J'ai appris seule.
– Alors, ce doit être dans votre sang. Qui est votre père ?
– Je n'en ai aucune idée.
– Et bien moi, je pense le savoir.
Je lui ai jeté un regard interrogateur. Il a continué, plus pour lui que pour moi :
– Plus je vous vois, plus je me dis que je dois être dans le vrai. Même yeux verts, même cheveux châtains incoiffables, mêmes dispositions pour le maniement du sabre, mêmes répliques sarcastiques... Oui, je pense que je sais qui est votre père.
– Et c'est ?
– Oh ! Un peu de patience, une telle information se mérite.
Je l'ai regardé comme s'il venait de dire que son plat préféré était le poulpe à la croque au sel.
– Hum... Laissez-moi réfléchir, a-t-il continué, accepteriez-vous de combattre encore contre moi ? Fixons un rendez-vous pour les deux prochains soirs. Si vous êtes vainqueur les deux fois, je vous dis qui est votre père.
– Pas de problème. Je pense que cela na va pas s'avérer trop difficile.
– Très bien. A demain alors.
Il s'est levé et est parti sans se retourner, en me faisant juste un signe de la main. Il a disparu dans la brume aussi rapidement qu'il était arrivé. Je me demande même si je ne me suis pas endormie, tout ceci n'est peut-être qu'un rêve ? Une seule façon de le savoir, attendre demain soir.
Bonne nuit Monsieur Gift.
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