Chapitre 30 - Saint-Martin (Partie 1)
23 Juin 1665,
Nous avons repris notre marche dès l'aube. Will a bien conscience qu'un délai d'un an pour retrouver tous les trésors de Pesadilla est presque intenable. Il nous a fallu un mois entier pour arriver jusqu'ici. Nous ne pouvons pas perdre un autre mois à rejoindre le Golden Gem.
Pourtant, je ne vois pas bien comment nous pourrions être plus rapides qu'à l'aller. Nombre d'entre nous sont blessés, boitent ou gémissent de fièvre et les autres portent le foutu trésor d'Orellana. Enfin, l'espoir nous donnera peut-être des ailes.
Nous avons marché jusqu'à la tombée de la nuit et établi un camp rapide. Will donne les ordres avec fermeté mais bienveillance. Il a fait un tour de l'équipage pour voir l'état dans lequel était chacun et donner des paroles réconfortantes. Je l'observe de loin, sans pouvoir oublier le regard avide qu'il a porté sur les pièces d'or. Qui est-il vraiment ? Le chef droit et plein de douceur qui se promène en ce moment entre ses hommes ? Ou le pirate égoïste qui donnerait tout pour de l'or ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Alors que les hommes s'endormaient plus ou moins paisiblement et que le calme régnait sur le campement, Will est venu s'asseoir à mes côtés.
– Ariana, je sais que tu m'en veux, a-t-il dit.
Je n'ai rien répondu. Mon mutisme étant assez éloquent, Will a soupiré.
– Écoute, je suis désolé, a-t-il repris. Je n'aurais pas dû te parler sur ce ton et monter sur mes grands chevaux. C'est juste que... En quelques minutes, je suis passé du jeune second qui apprenait le 'métier' de capitaine dans l'ombre de ton père, au rôle de capitaine lui-même. Je ne suis pas habitué à donner des ordres sans m'en référer à Shark d'abord. Tout ce que je faisais, tout ce que je disais était approuvé d'une parole ou d'un regard par le capitaine. Et, maintenant, je dois décider de tout, seul, tout en sachant qu'au moindre faux pas, ou je perdrai l'estime de l'équipage et risquerai la mutinerie, ou je serai responsable d'une action qui nous éloignera de ton père. C'est une lourde responsabilité, que je n'étais pas prêt à endosser si tôt.
J'ai regardé Will avec compassion. Je comprenais mieux son attitude.
– Ariana, je ne peux pas y arriver sans toi, a-t-il continué. Si tu n'es pas là pour m'appuyer, me conseiller, je n'y arriverais pas.
Il a tourné la tête, honteux d'avouer qu'il n'était pas invulnérable. Je lui ai pris le menton pour qu'il me regarde dans les yeux.
– Will, tu as toujours eu mon soutien et mon entière confiance. Mais pourquoi, bon Dieu, pourquoi avoir chargé nos hommes de ce trésor maudit ?
Son visage s'est durci un instant.
– Je te l'ai déjà dit, Ariana, nous en avons besoin. Comment crois-tuque nous nous réapprovisionnons en provisions et en armes ? Comment pourra-t-on racheter les trésors de Pesadilla, que nous avons semé aux quatre vents, sans avoir une monnaie d'échange ?
Il avait raison, bien sûr. Mais je ne parvenais toujours pas à me faire à l'idée que nous allions emporter ce trésor qui avait causé tant de désespoir.
– N'y a-t-il pas une autre solution ? ai-je demandé.
– Si tu en as une, je t'en prie, donne-la moi, a dit Will.
Je me suis mordu la lèvre avant de capituler.
– Bon, ça ira pour cette fois, ai-je annoncé. Mais tu dois me promettre que nous ne servirons plus jamais de chair à canon pour obtenir de l'or.
– Je te le promets, Ariana. Nous ne prendrons que les trésors que ne recherche pas Pesadilla, a-t-il dit avec un sourire. Car, qu'est-ce qu'un pirate sans trésor à chercher jusqu'au bout du monde ?
J'ai levé les yeux au ciel et lui ai claqué un bisou sur la joue. Le Will que je connaissais était de retour.
28 Juin 1665,
Alors que le soleil commençait à percer la canopée, en ce sixième jourde marche, nous avons atteint les rives de l'Amazone. Nous avions un jour d'avance, ce qui était encourageant. Nous avons retrouvé nos canots et les avons mis à l'eau. J'ai remarqué qu'ils étaient tout de suite emportés au loin. Bien sûr ! Nous étions dans le sens du courant !
À l'aller, nous avions dû ramer à contre courant, ce qui avait pris un temps infini, mais cette fois-ci, il suffirait de se laisser porter par le fleuve ! J'ai fait part de mes observations à Will et, pour la première fois depuis plusieurs jours, un sourire a éclairé son visage tendu. Nous avons annoncé la nouvelle aux hommes et ils ont poussé des soupirs de soulagement. Leurs muscles fourbus n'auraient pas à nous pousser jusqu'à la côte.
Nous sommes montés dans les canots et avons commencé à descendre l'Amazone. Notre avancée était, en effet, beaucoup plus rapide. Nous n'avions même plus à combattre les crocodiles, qui ne parvenaient pas à nous atteindre.
Lorsque la nuit est venue, nous avons pris des tours. Un homme par canot devait surveiller l'avancée de sa propre embarcation tandis que les autres dormaient sous les étoiles. Ce fut une nuit paisible.
12 Juillet 1665,
Ça y est ! Nous sommes de nouveau à bord du Golden Gem ! Je n'aurais jamais cru que j'aimerais autant ce navire. Mon cœur s'est emballé, rien qu'à voir le haut des mâts apparaître derrière une falaise.
Je me suis rendue compte qu'en réalité, le Golden Gem est devenu ma nouvelle maison. J'en connais chaque planche, chaque cordage. Poser le pied sur le pont m'a donné une impression de sérénité que je n'avais guère ressentie depuis que j'avais quitté mon ancienne maison, sur l'île dorée.
Nous sommes arrivés au petit matin. Le tiers de l'équipage qui était resté à bord nous a accueillis à bras ouverts. Ils étaient un peu moins enthousiastes en apprenant que le capitaine n'était pas parmi nous. Néanmoins, ils se sont pliés aux ordres de Will et nous avons repris la mer. Que c'était bon de sentir le vent du large sur mon visage !
J'ai eu tout le loisir de l'apprécier car John est cloîtré à l'infirmerie, où il récupère de ses blessures. Je suis donc à la vigie jour et nuit. Mon poste est d'autant plus important qu'il se peut que Pesadilla soit dans les parages. Tout cela semble un peu trop simple. Will et moi en avons discuté. Il trouve très étrange que nous soyons encore en vie. Pesadilla n'est pas réputé pour sa générosité et son marché, bien que difficile, semble nous être trop favorable.
Enfin, nous n'avons pas vraiment le choix, n'est-ce pas ?
19 Juillet 1665,
Après une semaine de convalescence, John a pu remonter dans le nid-de-pie et nous avons repris nos quarts. Bien que Will m'ait relayée de temps en temps, je commençais à fatiguer. Désormais, je peux apprécier ce qui ressemble le plus à une nuit sur ce bateau : six heures de sommeil, bercée par la houle.
Nous sommes encore dans l'hémisphère sud et les tempêtes se succèdent avec violence. Rien de comparable avec ce à quoi nous avions dû faire face à l'embouchure de l'Amazone, mais, la pluie et le vent ne nous laissent guère de répit.
Je suis allée voir Will, tout à l'heure. Il ne peut plus monter aussi facilement me tenir compagnie, avec ses nouvelles obligations.C'est donc à moi d'aller lui rendre visite. Il était au gouvernail, quand je suis arrivée, bravant les torrents de pluie.
– Le temps n'est pas avec nous, ai-je crié, par dessus le vent.
– Ça ? a demandé Will en désignant le ciel. Ce n'est rien qu'une averse ! Le Golden Gem en a vu d'autres !
J'ai souri devant tant de confiance. On sentait que Will respirait au même rythme que le bateau qu'il dirigeait.
– Au fait, l'ai-je interrogé, où va-t-on ?
– Où le vent nous mène ! s'est-il exclamé.
– Will... l'ai-je grondé doucement.
– En réalité, a-t-il repris, j'ai discuté avec Thomas Müller, qui est le dernier d'entre nous à avoir vu un des trésors de Pesadilla, la couronne de Saint Édouard. Il dit l'avoir vendue à un mégalomane de la côte Est de l'Amérique du Nord, peut-être à New York. C'est notre seule piste pour l'instant et c'est donc là que j'essaie de nous emmener.
– Cela me semble parfait, ai-je acquiescé. Parviendrons-nous là-bas sans toucher terre ?
– Probablement pas, a concédé Will. Il y a plus de trois mois que nous n'avons pas eu de nouvelles vivres et je doute que nous puissions tenir encore plus de trois semaines. Or, le voyage jusqu'à New York prendra, au mieux, deux mois.
– Nous devons donc à nouveau nous arrêter, ai-je dit.
– Ou prendre un navire d'assaut, a suggéré Will.
– Quelle ville est la plus proche, et la plus facile à prendre ?
– J'en ai discuté avec Diego, mais nous ne sommes pas d'accord. Je pense que nous devrions nous arrêter en Guadeloupe, qui est une île très riche. Diego, quant à lui, pense qu'elle est trop bien gardée, et que nous pourrions aller jusqu'à Saint-Martin. Qu'en penses-tu, Ariana ?
– Je ne peux pas me prononcer sans avoir vu de carte. Je vais aller voir Diego.
Quelques minutes plus tard, j'ai frappé à la porte de la cabine du pilote. Je me suis annoncée et Diego m'a faite entrer. Je lui ai expliqué la raison de ma visite et il a déployé de magnifiques cartes devant moi.
Je n'avais pas idée que les hommes avaient une connaissance si détaillée du monde. Il y avait tant de pays, tant de continents qui avaient déjà été explorés, et tant encore à découvrir. L'inscription « Terra incognita » revenait souvent. Diego m'a montré où nous étions et la route qu'il y avait encore à parcourir.
Il a confirmé les propos de Will : la Guadeloupe était bien plus riche, mais les Français s'y intéressaient beaucoup, depuis peu, et l'île devait grouiller de soldats. Au contraire, Saint-Martin était un minuscule bout de terre, de peu d'intérêt. L'île était aussi sous le contrôle des Français mais le gouverneur était réputé pour son peu d'énergie, et il ne disposait pas de beaucoup de ressources. De plus, cet endroit était à peu près au milieu de notre parcours, ce qui nous permettrait de rejoindre New York directement.
Avec tous ces arguments, je ne pouvais qu'aller dans le sens de Diego. Je savais que mon père le portait en grande estime et prenait son avis pour parole d'évangile – ou presque. J'ai donc décidé que ce serait Saint-Martin.
Will n'a pas beaucoup argumenté. Il me demandait sincèrement mon avis et, à deux contre un, nous avons gagné. Diego a donc repris ses instruments de navigateur pour nous guider vers l'île. Il y avait environ trois semaines de trajet pour l'atteindre, ce qui nous laissait le temps de mettre au point notre tactique.
29 Juillet 1665,
Je suis désolée, Monsieur Gift, de mon absence de tes pages. C'est que je n'ai pas grand-chose à te dire et, même en ce moment, j'ai du mal à aligner mes mots. Je t'ouvre chaque soir et je regarde tes pages, celles qui sont déjà couvertes de phrases, celles qui sont encore blanches... Je prends la plume et je reste muette.
Non pas qu'il ne se passe rien, mais, je n'ai plus envie d'écrire. Que dire ? Je suis une pauvre orpheline maintenant, sans père ni mère. L'atmosphère de ce bateau était plus supportable quand je savais que mon père était là, et veillait sur moi. Il y a toujours Will et les autres, mais sans Shark, c'est comme si l'âme du Golden Gem s'était envolée.
Je devrais surtout arrêter de m'apitoyer sur mon sort et me ressaisir, tu ne crois pas ? Enfin ! Est-ce une façon devoir les choses ? Il ne faut pas se laisser emporter par la mélancolie !
Il nous reste environ une semaine et demi avant d'atteindre Saint-Martin. Je ne sais pas encore comment nous allons nous organiser. Est-ce que nous foncerons dans le tas, comme Shark avait l'habitude de le faire ? Ou est-ce que nous trouverons une idée plus subtile ? Je te tiendrai au courant !
9 Août 1665,
Nous sommes arrivés dans la baie de Saint-Martin ! Nous avons jeté l'encre non loin de la ville principale, Marigot. Comme cette île n'est guère peuplée, personne ne nous trouvera ici. C'est demain que nous lancerons l'assaut.
Nous ne comptons pas perdre trop de temps. Nous entrerons dans la ville et formerons plusieurs groupes chargés d'attaquer les maisons qui semblent les plus riches. Nous ne voulons pas aller titiller les soldats du gouverneur dans le fort ; nous aurons assez à faire sans les lancer à nos trousses.
Par principe, j'ai interdit aux hommes d'entrer dans les maisons des modestes artisans ou des paysans. Je connais leur vie. Je l'ai vécue pendant quinze ans. Pas question de leur prendre ce qui les nourrit à peine.
Parfois, je trouve que j'ai trop de chance. Nombre de personnes vivent dans la misère noire alors que les cales du Golden Gem sont remplies d'or et d'argent. La vie est injuste.
Et voici la fin de cette première partie de chapitre ! Je dois avouer que je n'en suis pas particulièrement fière... Il ne se passe pas grand chose, mais, comme j'essaye de rendre la vie de pirate le plus fidèlement possible et bien... c'est parfois assez ennuyeux !
Enfin bref, j'espère que ce chapitre vous aura quand même plu et rendez-vous au prochain pour l'assaut de la ville !
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