Chapitre 29 - Un marché
22 Juin 1665 – Suite
– J'ai été impressionné, c'est vrai, a continué Pesadilla. Tu as déjoué tous les pièges de cette grotte avec une facilité déconcertante. Mais tu te fais toujours avoir dans la dernière ligne droite. Et oui... Vois-tu, cela fait un mois que je suis sur tes traces. Depuis le jour où tu as aperçu mon navire, dans la tempête, je te suis. Lorsque vous étiez sur le fleuve, nous vous suivions, à terre, sous le couvert des arbres. Vous avez pris un peu d'avance à ce moment, mais seulement pour vous faire prendre par les Amazones, ce qui nous a permis de vous rattraper. Ce n'était pas bien difficile, vous faisiez des feux de camps toutes les nuits, il n'y avait qu'à repérer cette lumière insolite. Et ensuite, nous avons pu entrer dans cette caverne sans mal, puisque tu nous as ouvert la voie. Comment peut-on être aussi intelligent et ne pas penser que l'on puisse être suivi ?
– Oh, mais j'y ai pensé, rassures-toi, a dit mon père, avec une assurance que j'étais loin de ressentir.
– Et ? a demandé Pesadilla, qui doutait visiblement de la parole de Shark.
– Et vous êtes à ma merci, a déclaré mon père.
À ces mots, des membres de notre équipage ont surgi de nulle part et se sont répandus dans la caverne. Les hommes de Pesadilla étaient pris en tenaille. J'ai soupiré de soulagement. Nous avions de nouveau l'avantage.
– Crois-tu que j'ai été assez bête pour penser que tu ne voulais pas la même chose que moi ? a demandé le capitaine Shark à son interlocuteur. Je savais que le désir de l'or t'aveuglerait au point que tu fixes ton regard sur nous, sans surveiller tes arrières. Ainsi, Monsieur Müller avait ordre de vous prendre en chasse s'il s'avérait que vous nous suiviez. Je n'aurais pas laissé deux tiers de mon équipage garder le navire, non. Il suffisait que tu le croies. En réalité, deux tiers de mes hommes sont ici. Et vous êtes en infériorité numérique, cher ami.
Je trouvais que mon père parlait divinement bien. Il avait la situation entre les mains. Tout se passerait bien, finalement. Pesadilla a eu une réaction inattendue. Il a éclaté de rire. D'un rire sonore, tonitruant, qui me broyait les tympans comme si le tonnerre résonnait dans la caverne.
– Je n'ai que faire de ta bouchée de gamins, Shark, a-t-il dit. Tu n'as jamais su te constituer un vrai équipage de pirates. Regarde autour de toi ! Un minable second, une frêle fillette ! Je vais les écraser comme des moustiques !
Lorsqu'il a prononcé ces mots, j'ai su que c'était vrai. Que nous ne faisions pas le poids. Un regard aux alentours suffisait pour s'en rendre compte. Les hommes de Pesadilla étaient grands et forts. Leurs visages portaient les marques de nombreux combats remportés et leur regard ne trompait pas. Ces hommes n'hésitaient pas à tuer. C'était leur passe-temps favori.
Leur chef a donné le signal de l'assaut et nous avons tiré nos sabres dans un vacarme assourdissant. Même si la lutte était sans but, nous combattrions. Pour le capitaine, pour nos amis, pour notre honneur qui venait d'être bafoué. Pour notre vie.
Nous avons livré bataille pendant ce qui m'a semblé durer des heures. Je n'avais aucune indication temporelle, comme nous étions coupés de toute lumière naturelle, au fond de la grotte. C'était peut-être la nuit. Et nous nous battions toujours.
Nombre de mes camarades étaient tombés. Certains gisaient au sol, le sang s'écoulant à flots d'une blessure béante. D'autres étaient encore debout mais leur jambes tremblaient si fort que je doutais qu'ils puissent encore se défendre longtemps. Will et moi étions dos à dos, le sabre dans la main droite, le pistolet dans la main gauche. Nous nous battions avec l'énergie du désespoir.
Soudain, je me suis retrouvée face à Pesadilla. Il a rangé son pistolet, signe qu'il souhaitait faire ce duel à la loyale, au sabre seulement. J'ai suivi son exemple et nous avons enchaîné les feintes et les offensives, les parades et les ripostes. Mon bras était lourd d'avoir déjà protégé ma vie pendant des heures. Il peinait à parer les coups puissants de Salem Pesadilla. Je n'avais jamais affronté un tel adversaire. Ce pirate était un vrai artiste du duel, un maître de l'escrime.
Il a su se jouer de ma fatigue et a fait voler mon sabre hors de ma main. Avant que j'ai eu le temps de réagir, il s'est saisi de mon poignet et m'a plaquée contre lui. J'ai senti le canon de son pistolet contre ma tempe et j'ai fermé les yeux, sûre que c'était là ma fin.
– Mais qui ai-je là ? a-t-il dit, prenant le soin de faire résonner sa voix dans la caverne. On dirait bien que c'est la fille du capitaine Shark.
Mon père s'est retourné d'un seul geste. Son regard a brillé de rage.
– Rendez-vous, Shark, ou je lui tire une balle dans la tête, a continué Pesadilla.
Mon père a fermé les yeux et s'est pincé l'arrête du nez, signe qu'il réfléchissait. J'ai eu l'impression qu'il se résignait à obéir à son pire ennemi.
– Capitaine ! ai-je crié. Ne faites pas ça ! Il vous tuera si vous vous rendez !
Shark a relevé la tête et a plongé ses yeux verts dans les miens. J'ai remarqué que nous avions exactement la même teinte d'iris. Mon père. Je ne pouvais pas le perdre.
– Très bien, a-t-il dit. Je me rends.
Il a laissé tomber ses armes. Sur un signe de tête de Pesadilla, des hommes se sont emparés du capitaine. Lorsqu'il a été maîtrisé, j'ai entendu le bruit de la gâchette contre mon front et, dans un effort désespéré, je me suis dégagée de l'étreinte du pirate. J'ai couru, avec le pressentiment que Pesadilla visait ma tête. J'ai plongé à terre et la balle a sifflé au dessus de moi.
– Oups... Elle est partie toute seule, a siffloté le forban.
Il a rangé son pistolet et j'ai rejoint Will. Tous les combats avaient cessé. L'équipage de Shark et celui de Pesadilla se toisaient.
– Écoutez-moi, a dit Pesadilla. Je veux que vous me rapportiez tous les trésors que vous m'avez volés.
– Nous ne les avons plus, a craché Will.
– Et bien trouvez-les ! En attendant, je garde votre capitaine. Si dans un an, jour pour jour, vous n'êtes pas de retour avec l'intégralité de mes richesses, je tuerais ce bon vieux Shark. Puis, je vous tuerais tous un par un, même si c'est la dernière chose que je dois faire.
– Vous nous tuerez de toute façon, lorsque nous vous apporterons ces richesses, a dit Will.
– Oh non ! Vous vivants, je pourrai clamer sur tous les toits que le célèbre capitaine Shark m'a restitué de lui-même ce qu'il m'avait volé. Et vous serez la risée de la piraterie. Or, vivre dans la honte, c'est pire que la mort, n'est-ce pas ?
– Vous vous servez de nous, ai-je remarqué.
– Exactement, Mademoiselle Shark ! Comme quoi, vous n'êtes pas si bête, s'est-il exclamé. Maintenant, reculez tous !
Nous avons fait un pas en arrière, à contre cœur. Pesadilla maintenait son pistolet pointé sur le capitaine. Si nous tentions la moindre chose, il lui tirerait dessus. Nos ennemis sont peu à peu sortis de la grotte, par une porte dérobée. Ils ont emmené Shark sans que nous ne puissions rien faire. J'ai regardé Will, Hawkins, Müller. Tous trois réfléchissaient mais ne donnaient pas l'ordre de les poursuivre ou de combattre. Je me suis résignée à laisser partir mon père, le seul membre de ma famille qu'il me restait.
Une fois que le bruit des pirates s'est atténué, nous sommes sortis de la torpeur qui nous avait saisis. En l'absence de Shark, c'est Will qui donnait les ordres. Il nous a d'abord attribué la triste tâche de regarder tous les corps qui jonchaient le sol pour voir si certains des nôtres étaient encore en vie. J'ai trouvé Diego, respirant à peine, sous la bedaine d'un ennemi. John aussi était en mauvais état, mais son cœur battait à mon oreille.
Nous avons rassemblé tous ceux qui vivaient d'un côté, et les avons soignés du mieux possible, avec le peu de matériel que nous avions. Puis, nous avons fait une brève cérémonie pour ceux qui avaient donné leur vie dans ce combat, et les avons enterrés non loin de la cache au trésor. C'était mon deuxième contact avec la mort et je ne l'en aimais pas plus. J'ai essuyé mes larmes avec rage. Pesadilla paierait pour tous ces hommes !
– Que tous ceux qui peuvent encore marcher et porter des choses rassemblent des pièces d'or et autres richesses, a annoncé Will. Nous allons emporter ce que nous pouvons.
Je me suis rapprochée de lui.
– Will ! Nous n'allons pas nous embarrasser de ce trésor ! C'est à cause de l'attrait de ces pièces que mon père est prisonnier et que ces hommes sont morts !
– C'est vrai, Ariana, a dit Will, avec froideur. Mais, sans cet argent, nous n'irons pas loin. Nous en avons besoin pour acheter des vivres et des armes.
– Ce trésor est maudit ! Il a déjà causé trop de pertes et continuera de le faire.
– Nous n'avons pas le choix ! Tu es à mes ordres, Ariana, alors exécution !
J'ai secoué la tête en signe de désapprobation et je me suis éloignée de cet homme que je ne reconnaissais plus. L'or brillait dans ses yeux, coulait dans ses veines.
Je n'ai pas touché à une seule pièce. J'ai laissé les autres se remplir les poches, bien qu'ils soient las de tout ça, comme moi. Will a ensuite donné le signal du départ et nous avons quitté ces lieux funestes. Nous avons avancé dans la jungle pendant l'après-midi et avons installé le camp pour la nuit.
C'est de là que je te raconte notre mésaventure, Monsieur Gift. J'espère que les jours à venir nous seront plus favorables, et que Will redeviendra lui-même. En ce moment, il est assis seul, près du feu, plongé dans de sombres pensées. Je ne lui ai pas parlé depuis notre dispute et cela me pèse. Mais je veux lui montrer que je n'approuve pas sa décision.
Enfin, la nuit porte conseil. À bientôt, Monsieur Gift.
Bonjour ! Je me suis faite attendre, je m'en rends bien compte... Avec les vacances et la rentrée, je n'ai pas eu une minute pour Wattpad !
Enfin, voilà la suite de la rencontre avec Pesadilla, qui n'a pas pris une tournure très favorable à nos pirates...
Plus que deux chapitres... (qui vont arriver bientôt, comme nous n'avons plus cours ^^) !
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