Chapitre 19 - Embuscade
5 Avril 1665,
Mon cher Monsieur Gift, j'ai une grande nouvelle pour toi ! Nous approchons de plus en plus de ce que nous recherchons ! Aujourd'hui, le capitaine a annoncé que nous allions faire une dernière escale avant d'arriver au trésor.
Son choix s'est porté sur Caracas, la capitale du Venezuela. La ville est réputée imprenable. Seul Amyas Preston a réussi à la mettre à sac et le capitaine Shark compte bien répéter cet exploit.
Nous nous sommes donc mis en panne à quelques miles de la ville et le capitaine nous a expliqué son plan. Chacun d'entre nous avait un rôle précis. Nous étions comme une centaine de petits engrenages au service d'une plus grande machine.
Enfin, je dis nous mais je devrais dire eux... Shark ne veut pas que je me joigne à l'expédition ! Comme si je n'avais pas fait mes preuves lors de l'abordage ! C'est humiliant. J'ai essayé de protester et de lui demander la raison de cette mise à l'écart mais il n'a rien voulu savoir. Quand je pense que mon propre père m'exclut du plus drôle !
Je suis descendue au pont inférieur et j'ai enfoui la tête dans mon hamac. Non mais ! Pour qui se prenait-il ? J'étais bien assez grande pour décider ce que je faisais et ce que je ne faisais pas !
J'ai senti que le navire reprenait la mer pour se diriger vers son objectif. Dans quelques heures, l'équipage serait sur place. J'ai dormi un peu. Lorsque je me suis réveillée, j'avais furieusement envie de désobéir. J'ai commencé à me préparer pour le combat. Ils ne partiraient pas sans moi !
Alors que je glissais un troisième couteau dans ma botte, Will a surgi près de moi.
– Je savais que je te trouverais ici... Et toute prête à descendre avec nous, a-t-il dit, avec son éternel sourire en coin.
– Vous ne vous débarrasserez pas de moi si facilement, ai-je répondu avec une rage à peine contenue.
– Écoute Ariana, le capitaine a ses raisons. S'il ne veut pas que tu viennes, c'est pour la bonne cause, a-t-il renchéri d'une voix douce.
– Je ne veux pas savoir ! Je suis une pirate, comme vous tous. Je viendrai, ai-je continué tout en ajoutant un pistolet à ma ceinture.
Je lui ai tourné le dos pour parfaire mon équipement. Cependant, il ne voulait pas lâcher prise. Il m'a forcée à le regarder dans les yeux en me tenant par les épaules.
– Ariana, tu n'iras pas. Le capitaine ne voulait pas que je te dise pourquoi mais je vais le faire. D'abord, tu n'es pas assez entraînée et tu ne connais rien à ce genre d'escapade. Tu pourrais te perdre ou te faire tuer. Ensuite, le capitaine ne peut pas te faire entièrement confiance. Il a peur que, en retournant à terre, tu ne retrouves ta vie d'avant et ne veuilles pas revenir à bord du Golden Gem. Enfin, il veut te ménager ! Nous allons combattre des civils, peut-être même les tuer ! Tu n'es pas prête, Ariana.
Je l'ai regardé, interdite. Que dire ? À travers Will, je venais de découvrir que le capitaine, mon père, avait un cœur. Il ne voulait pas que je le sache, ni moi, ni personne. Mais Will savait. Il le comprenait mieux que quiconque. Il avait dû voir une lueur au fond de ses yeux qui disait simplement « Je veux épargner ce spectacle à ma fille ».
J'ai baissé les yeux, en signe de soumission. Il fallait se rendre, pour cette fois.
– Merci Ariana, a murmuré Will dans un soupir de soulagement. Je serais plus tranquille si je te sais en sécurité.
Il a pris mon visage entre ses deux mains et a déposé un baiser sur mon front. Ce geste était si plein de douceur que j'en suis restée chancelante. Il est parti sans se retourner. Comment ce jeune homme pouvait-il être à la fois un chef autoritaire, un guerrier impitoyable et un ami si attentionné ?
6 Avril 1665,
Rien ne s'est passé comme prévu Monsieur Gift ! Tout va bien à présent et nous quittons Caracas. Cependant, le raid a failli tourner au désastre et... je vais tout te raconter.
Au milieu de la nuit du 5 au 6 Avril, j'ai regardé les hommes se glisser hors du Golden Gem et avancer lentement jusqu'à la côte. Ils ne faisaient pas plus de bruit que des ombres. En quelques minutes, ils se sont évanouis hors de mon champ de vision.
La nuit était noire, épaisse. Malgré les torches qui illuminaient le navire, on ne voyait pas loin. La baie, la plage... tout ceci était hors de vue. De plus, une rangée de montagnes masquait la ville.
Je ne pouvais pas détacher mes yeux de l'endroit où mes compagnons étaient censés être. J'avais un mauvais pressentiment. Si quelque chose devait arriver, je ne serais pas là pour l'empêcher.
J'ai fait les cent pas sur le pont pendant des heures. Il me semblait que le temps s'écoulait à la vitesse d'une tortue boiteuse.
Soudain, j'ai entendu un cri. « À l'aide ! » Ces deux mots, terribles, venaient de la côte, là où les nôtres avaient dû amarrer leurs barques. Il n'y avait sur le bateau que quelques matelots et moi. Pourtant, nous nous sommes rassemblés et avons décidé de partir à leur rencontre.
Je me suis laissée tomber dans la dernière barque et j'ai ramé à toute force, avec les hommes qui étaient avec moi. Ce que nous avons vu sur la plage nous a glacé le cœur. La plupart des pirates étaient là, regroupés autour d'un homme, allongé sur le sable.
– Le capitaine est tombé, m'a annoncé Thomas Müller, gravement.
J'ai poussé les matelots qui l'entouraient et je me suis jetée à genoux à côté de mon père. Malgré moi, les larmes ont commencé à couler. J'ai senti une main se glisser dans la mienne.
– Enfin ma fille, je ne suis pas mort, ne pleurez pas tout de suite !
J'ai soupiré de soulagement. Les marins m'ont raconté ce qui était arrivé. Ils étaient tombés dans un piège. Le passage qu'ils avaient voulu emprunter, croyant être les seuls à le connaître, était gardé. Ils s'étaient battus avec acharnement mais le capitaine avait été blessé, ce qui les avaient poussés à battre en retraite. Will était en train de retenir les ennemis avec quelques uns des nôtres.
Devant la mine déconfite des pirates, j'ai pris la direction des opérations.
– Je veux que cinq hommes prennent la première barque et ramènent le capitaine à bord immédiatement. Il a besoin de soins. Que les autres remontent à bord également. Une vingtaine d'hommes resteront sur la plage avec moi pour attendre Will et les autres. Exécution !
Ils ne se sont pas fait prier et ont agît rapidement. Cependant, l'aube s'est levée sans que nous n'ayons aucun signe de Will. Qu'avait-il bien pu se passer ?
Alors que nous étions assis en tailleur sur le sable, inquiets, j'ai entendu un bruit dans les fourrés, suivi d'un gémissement. Je me suis précipitée vers le son et j'ai trouvé Alfonso, couché dans l'herbe, face contre terre. Je l'ai retourné. Une longue éraflure lui barrait le front et il avait pris une balle dans l'épaule.
– Alfonso ! C'est moi, Ariana, ai-je dit pour le rassurer, en lui soutenant la tête. Tout va bien se passer, tu es de retour parmi nous.
Le quartier-maître est arrivé à ma suite.
– Bon Dieu Alfonso ! Que s'est-il passé ? a-t-il demandé.
– Will... les... au-autres... a-t-il bredouillé.
– Et bien ? Sont-ils en vie ? l'ai-je interrogé.
– Ou-oui... pri-prisonniers...
J'ai levé les yeux vers Müller. C'était là des nouvelles alarmantes. Il a hoché la tête et a appelé deux hommes pour se charger d'Alfonso. Nous sommes tous remontés à bord.
J'ai d'abord suivi le quartier-maître jusqu'à l'infirmerie où le médecin du bord nous a affirmé qu'Alfonso s'en remettrai. Par contre, il a dû admettre que le cas du capitaine était incertain.
Lorsque j'ai été autorisée à pénétrer dans sa cabine, j'ai eu du mal à reconnaître le Shark que je connaissais. Mon père était allongé dans son lit, en sueur, et il bougeait sans cesse, comme en proie à de terribles souffrances.
– Il délire, nous a informés le médecin.
– Que peut-on faire ? a demandé Thomas Müller.
– Je pense que la seule solution est de trouver l'arbre de vie, a répondu le médecin.
– L'arbre de vie ? ai-je répété. Qu'est-ce ?
– C'est un arbre aux propriétés médicinales assez incroyables. Si une infusion de ses feuilles ne sauve pas le capitaine, rien ne le pourra.
– Et où se trouve cet arbre ? l'a interrogé le quartier-maître.
– J'ai entendu dire qu'il y en avait un non loin d'ici, au cœur de la forêt.
– Bien, merci docteur, a dit Müller avant de m'attirer par le bras hors de la cabine.
Il m'a menée à l'écart et m'a expliqué qu'en l'absence du capitaine et de Will, c'était lui qui devait prendre la direction du navire. Il désirait pourtant me demander mon avis.
– Mademoiselle Ariana, selon les règles de la piraterie, je me dois de protéger l'équipage coûte que coûte. Je ne dois pas l'entraîner dans des opérations trop risquées. Le mieux à faire serait donc de quitter Caracas, où nous ne sommes pas en sécurité. Les espagnols ne vont pas tarder à trouver le navire, s'ils ne l'ont pas déjà fait. Il faut lever l'ancre.
– Vous oubliez que le remède du capitaine se trouve dans la forêt de ce pays, à quelques pas ! Nous ne pouvons pas partir. Et nous ne pouvons pas non plus abandonner Will et les autres !
– Il n'y a que quelques hommes avec le second. La majorité de l'équipage est ici, encore en vie. Je dois tout faire pour nous sortir de ce mauvais pas.
– À commencer par aller chercher ce fichu remède ! Monsieur Müller, pourriez-vous jamais vous pardonner d'avoir laissé le capitaine Shark mourir ? D'avoir laissé une légende des mers, un ami, un capitaine qui vous fait confiance, brûler de fièvre ?
Le quartier-maître s'est tu quelques instants. Je voyais bien que la décision n'était pas facile à prendre. Il ne voulait pas abandonner Shark mais... Son nouveau rôle lui donnait des devoirs.
– Très bien, a-t-il fini par dire. Je vais prendre quelques hommes et partir de ce pas à la recherche de l'arbre de vie.
– Merci Monsieur Müller. Et que ferons-nous pour Will ?
– Je ne peux pas mener deux batailles. Il faudra le laisser là.
– Non ! Je refuse ! Nous ne pouvons pas faire ça ! me suis-je insurgée. Laissez-moi quelques hommes et j'irai les libérer. Seule s'il le faut.
– C'est du suicide Ariana ! s'est exclamé le quartier-maître.
Je lui ai lancé un regard de défi. Il a soupiré.
– C'est d'accord. Prenez les hommes que vous voulez et allez-y. Vous avez douze heures. Pas une de plus.
Il fallait que je me trouve immédiatement des compagnons pour aller récupérer Will. Mais à qui demander ? Alfonso était hors de course et les autres ne me portaient pas vraiment dans leur cœur. Il y en avait bien un, pourtant...
Je suis allée à l'avant du bateau, où Edward Hawkins trônait sur son éternel tonneau. Il n'a pas bougé en me voyant approcher. Je ne savais pas vraiment comment l'aborder.
– Mademoiselle Ariana, que me vaut ce plaisir ? Vous voulez peut-être un autre baiser pour vous consoler de la disparition de ce pauvre Will ?
– Comment osez-vous... ai-je commencé, sur le point de le gifler. Je me suis pourtant contenue. J'avais besoin de son aide.
– Tiens, vous ne vous énervez pas ? Étonnant, a-t-il continué.
– Monsieur Hawkins, je vous prierais de ne pas faire de l'humour dans un telle situation. Je voudrais que vous m'accompagniez dans une expédition de sauvetage. C'est dangereux et risqué : j'ai donc pensé que vous seriez partant.
– Et pourquoi moi, parmi tous les hommes dont ce navire regorge ? Je suis le moins à même de vous aider. Je ne bougerai pas le petit doigt si ce n'est pas dans mon intérêt.
– Vous n'avez pas de cœur ! me suis-je révoltée.
– Oh là ! Tout de suite les grands mots ! Je n'ai pas dit que je ne vous aiderais pas. Je n'aime pas être sous les ordres de Will mais je ne voudrais pas pour autant prendre sa place. C'est bien trop de responsabilités. Seulement...
– Oui ?
– J'aimerais une petite compensation, a-t-il dit, avec son éternel sourire en coin.
– Vous êtes infernal, ai-je déclaré. Que voulez-vous ?
– Je voudrais simplement que vous me demandiez de l'aide à genoux. Ce serait tellement agréable de voir la grande Ariana s'abaisser à chercher le secours d'un vaurien comme moi.
J'ai serré les poings et j'ai tourné les talons. Je ne pouvais pas faire cela. Il voulait m'humilier. Cependant, alors que je m'éloignais, j'ai réalisé que j'avais terriblement besoin de lui. Qui d'autre m'aiderait ? Qui d'autre était assez fou pour me suivre ?
Je suis donc retournée vers lui et j'ai mis un genou à terre.
– Edward Hawkins, pourriez-vous m'aider ? ai-je bredouillé.
– Vous ne devriez pas tenir compte de ce que je dis, a-t-il dit en me prenant la main pour me relever. Je ne veux jamais plus vous voir vous agenouiller devant quelqu'un. Jamais. Compris.
J'ai secoué la tête en signe d'assentiment. Je ne comprenais plus rien.
– J'ai été acquis à votre cause depuis le moment où vous avez mis le pied sur ce bateau, a-t-il continué. Bien sûr que je vais vous aider à sauver Will et les autres. Partenaires ? a-t-il dit en me tendant la main.
– Partenaires, ai-je répondu en la serrant avec gratitude.
Et voilà un looong chapitre pour compenser le précédent ! Qu'en avez-vous pensé ?
Il y a quelques rebondissements qui étaient assez inattendus, non ? ^^
La situation semble assez désespérée... Comment pensez-vous qu'Ariana va s'en sortir ? Vous le saurez mercredi ! Mais j'aimerais bien avoir vos avis, pour voir si j'ai été aussi imaginative que vous ;)
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