7 Janvier 1665,

      Bonjour Monsieur Gift ! Lorsque j'ai écrit la date de ce matin, j'ai eu du mal à réaliser qu'il s'était écoulé si peu de temps.

      Cela fait seulement deux jours que je suis sur le Golden Gem et j'ai l'impression que cela a duré une éternité. J'ai dû faire face à tant de choses, et mes coéquipiers sont loin de me faciliter la tâche... À part Will, que je vois monter dans les haubans pour me rejoindre.

7 Janvier 1665 – Suite

      Je viens de terminer mon quart. Nous nous sommes partagé le temps, avec John. Je me charge de la vigie de quatre heures du matin à huit heures, puis de midi à seize heures et enfin de vingt heures à minuit. Autant te dire que mes nuits sont courtes. Je ne sais pas si j'arriverai un jour à m'habituer à ces horaires ingrats. C'est épuisant !

8 Janvier 1665,

      Je crois que la situation ne s'améliore pas pour John... Je le vois toujours avancer les épaules voûtées et faire un bond d'un mètre de côté à chaque fois qu'il croise quelqu'un. Mais que puis-je faire ?

      Quand je ne suis pas en train de veiller sur lui, je regarde Will et le capitaine. Je me demande bien ce qu'ils font toute la journée. Ce matin, j'ai vu le second entrer dans la cabine de Shark pour n'en ressortir qu'à midi, l'heure où il me retrouve tous les jours à la hune, pour manger. Le capitaine est alors sorti pour prendre la barre. Je ne l'ai jamais vu utiliser ni boussole, ni carte. On dirait qu'il dirige le navire de façon complètement instinctive.

      Malgré tous mes efforts, je n'ai pas réussi à tirer une seule information de Will. Je n'ai aucune idée de la direction où nous allons, de ce que nous cherchons. Rien. Et on dirait que je ne suis pas la seule. Notre destination est un secret pour tout l'équipage. Will m'a seulement dit « Fais-moi confiance. » Rassurant.

9 Janvier 1665,

      J'espère que c'est une blague ! Non seulement j'ai un poste qui demande beaucoup de vigilance et de temps mais en plus, quand je ne suis pas à la vigie, on m'oblige à faire le ménage !

      Aujourd'hui, j'ai appris une autre règle de la vie de pirate, et je ne suis pas prête de l'oublier Monsieur Gift !

     À huit heures, lorsque je suis descendue de la hune, le capitaine nous attendait sur le pont, accompagné de Will. Il a rassemblé tout le monde avant de prendre la parole.

– Aujourd'hui, comme vous le savez, c'est le jour du ménage. J'invite donc chacun à remplir la tâche qui lui est attribuée, dans les plus brefs délais. Monsieur Parker veillera à ce que la journée se déroule comme il faut. Rompez.

      Tous les marins se sont dispersés pour vaquer à leurs occupations et j'ai essayé de m'éclipser discrètement.

– Mademoiselle... , Ariana, m'a interpellée le capitaine, ne sachant visiblement pas quel nom me donner, vous ne croyez tout de même pas échapper aux corvées ?

– Là n'était pas mon intention, mon capitaine, ai-je répondu, avec un grand sourire.

– Dans ce cas, je vous confie le lavage du pont inférieur. Personne ne le fait jamais. Vous allez bien en avoir pour la journée.

      J'ai failli répliquer que j'avais bien mieux à faire mais Will m'a fait signe de me taire. Je me suis renfrognée et je suis descendue par l'escalier sans me retourner. Apparemment, être la fille du capitaine n'apporte vraiment aucun privilège. D'autant plus que le capitaine lui-même n'ose pas m'appeler par mon nom, le même que le sien.

      Une fois arrivée sur le pont inférieur, je me suis rendue compte que je n'avais aucune idée du lieu où se trouvait le matériel de ménage. Will est apparu dans mon dos, portant un grand seau d'eau et une éponge.

– J'espère que tu ne comptes pas sur moi pour laver entièrement le pont, avec une éponge...

      Il a haussé les épaules en signe d'impuissance et m'a laissée là, à contempler la montagne de travail qui m'attendait. Autant vouloir nettoyer une étable avec un mouchoir.

      Je me suis donc attelée à la tâche de mauvaise grâce et il m'a fallu la journée entière pour faire reluire le plancher du pont. L'endroit que je devais nettoyer était en réalité le dortoir mais aussi la salle des canons. J'ai même pris le temps de détacher chaque hamac pour aller le secouer dehors.

      Juste avant le dîner, je suis remontée, triomphante mais couverte de crasse de la tête aux pieds. Je suis allée voir Will qui m'a regardée de haut en bas avec un sourire qui ne présageait rien de bon. Il m'a demandé de rester là une seconde. J'ai obéi : j'étais trop éreintée pour faire un pas de plus.

      C'est alors que des litres d'eau se sont abattus sur moi, me douchant de la tête aux pieds. Je me suis retournée, prête à en découdre avec celui qui avait osé faire une chose pareille, et j'ai vu Will se rouler par terre, tordu de rire.

      Ma colère s'est évanouie en un instant et je me suis jointe à lui, faisant résonner l'océan de ma voix claire. Décidément, la vie de pirate n'est pas de tout repos !

10 Janvier 1665,

      Lorsque je me suis levée ce matin, j'étais fourbue. Il fallait pourtant bien que je monte à la hune, il n'y a pas de jour de congé sur un navire. Avec son habituelle anxiété, John est descendu, me laissant la place.

      Le temps n'était pas particulièrement beau. Il y aurait sans doute de la pluie. J'ai commencé à regarder de tous côtés, cherchant une quelconque terre, un bateau. Rien. Je n'avais pas vu de signe de vie humaine depuis presque une semaine. C'était désespérant.

      Tout à coup, j'ai entendu des éclats de voix. En bas, on se battait pour savoir qui aurait l'honneur de jeter John par dessus bord. J'ai paniqué. Je lui avais promis de les empêcher de lui faire quoi que ce soit et, à mon insu, ils avaient réussi à lui ligoter les pieds pour pouvoir le faire descendre dans la mer et le remonter ensuite. Un jeu terriblement puérile, mais qui semblait les amuser beaucoup.

      J'ai tout de suite décidé de descendre. Je n'avais aucune idée de ce que je pourrais bien tenter face à eux, mais mon sang n'a fait qu'un tour. Je me suis approchée silencieusement avant de venir glisser ma lame sous le menton du marin le plus proche. C'était un des canonniers, Pedro je crois.

– Vous allez cesser immédiatement, ai-je dit, en articulant lentement et distinctement.

      Ils ont tous pris un air faussement effrayé en murmurant des « oh » de stupeur ironique. La partie n'était pas gagnée d'avance.

– Et pourquoi vous écouterions-nous ? demanda une voix grave, sombre. C'était Edward Hawkins, bien entendu.

– Parce-que vous savez que vous ne faites pas le poids, en combat singulier, ai-je répondu, resserrant mon emprise sur le pauvre Pedro et leur adressant un sourire moqueur.

– Et parce que je vous l'ordonne ! a dit Will, comme d'habitude, surgi de nulle part. Les marins se sont tout de suite éloignés, la tête basse. Hawkins m'a jeté un regard noir, qui signifiait « Tu ne perds rien pour attendre ».

      Will m'a tirée par le bras, pour m'emmener à l'écart, tandis que John enlevait péniblement les liens qui enserraient ses chevilles.

– Pourquoi te mets-tu toujours dans des situations inextricables ? a dit Will, d'un ton réprobateur.

– Je ne pouvais pas les laisser faire ! Ils allaient jeter John par dessus bord !

– Je sais, m'a répondu le second, comme s'il s'agissait d'un détail. Mais je ne pourrais pas te sortir aussi simplement de tous les conflits. Ne te mets pas les hommes à dos Ariana !

– N'as-tu donc aucune notion de justice, Will ? Quoi que tu dises, je ne permettrais pas qu'on s'attaque aux plus faibles sous mon nez, ai-je dit, en élevant singulièrement la voix.

– Ce n'est pas ce que je voulais dire...

– Ah oui ? Et que voulais-tu dire ? Que John méritait de goûter l'eau de mer peut-être ? Ou que j'aurais dû laisser Monsieur le second gérer l'affaire seul ?

– Ariana, calme-toi... a tenté de dire Will. Mais c'était trop tard, je me suis éloignée sans un regard.

Je croyais que nous étions sur la même longueur d'onde. Apparemment, j'avais tort.

Bonne nuit Monsieur Gift.

Voilà ! Le chapitre 11 est terminé !

Je vous avoue que je n'en suis pas particulièrement fière et qu'il n'est pas très palpitant. Mais, je ne vois pas comment faire autrement. Il faut faire évoluer les relations des personnages et montrer un peu la réalité de la vie à bord, alors...

Je vous promets que les chapitres suivants seront mieux (enfin j'espère ^^) !

En tout cas, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ou ce qu'il faudrait améliorer !

À lundi pour un nouveau chapitre ☼