Chapitre 10 - A bord du Golden Gem (Partie 1)
6 Janvier 1665
As-tu déjà été réveillé brusquement Monsieur Gift ? Non ? Et bien, il n'y a rien de plus désagréable. Ce matin, alors que je m'étais réfugiée dans mes rêves, un matelot a eu l'excellente idée de renverser mon hamac. Je me suis donc retrouvée les dents plantées dans le plancher, ce qui a été salué par un grand éclat de rire du matelot en question.
Je l'ai regardé avec un air qui disait assez explicitement « Non mais il faut être plus stupide qu'un cachalot pour faire une chose pareille ! », ce qui a eu pour effet de le calmer immédiatement. Comme quoi, un regard peu être très significatif. Il m'a prise sous les bras et m'a remise sur mes pieds brutalement avant de dire :
– Ici, on ne fait pas la grasse matinée. Aux premières lueurs de l'aube, on se lève.
– Très bien, ai-je répondu de mauvaise grâce.
J'ai appris, un peu plus tard, que je venais de faire connaissance avec le quartier maître de l'équipage, Maître Thomas Müller. C'était un Allemand qui avait migré aux États-Unis dans le seul et unique but de s'engager dans la piraterie. C'était un homme intelligent. Il savait que la hiérarchie des pirates était égalitaire et qu'on ne s'élevait que par son mérite.
Il était grand, de forte carrure, avec une légère barbe et un pistolet fourré dans chaque poche. Intimidant. Il m'a guidée vers les quartiers de l'équipage où tous se rassasiaient déjà de quelques biscuits secs. J'en ai moi-même pris quelques uns avant de me faire apostropher par le gros marin d'hier soir, Méga je crois.
– Alors la petite, on prend sa ration comme tout de monde aujourd'hui ?
Tous les yeux se sont posés sur moi.
– Si cette ration me permet d'être aussi bien en chair que vous, mon cher Méga, je ne m'en priverai pas en effet, ai-je répondu, ironiquement.
Tous se sont regardés, l'air de se demander quelle attitude ils devaient adopter. Un homme, un des seuls qui n'avaient pas levé les yeux sur moi, étouffa un petit rire. Les matelots partirent alors d'un grand éclat de rire. J'en ai entendu murmurer à leurs voisins :
– C'est qu'elle a l'humour de son père, la nouvelle.
Méga est le seul qui ne s'est pas esclaffé. Il me jetait des regards noirs. Quand le calme est revenu, il s'est raclé la gorge avant de dire :
– Dis donc, ne te prends pas pour plus que tu es. Tu as beau être la fille du capitaine, pour nous tu es un marin comme les autres. Alors, si tu aimes plaisanter, tu dois aussi aimer te battre. Je te défie !
C'était mon tour d'être sérieuse.
– Défi accepté, ai-je dit, simplement.
Méga s'est frayé un chemin à travers ses coéquipiers et je suis sortie à sa suite. La plupart des matelots ont suivi. Nous sommes arrivés à l'air libre, sur le pont. Nous nous sommes placés face à face et les autres ont formé un cercle autour de nous. J'ai vu l'homme qui avait rit en premier s'asseoir sur un tonneau, la pipe à la bouche, comme si le combat ne l'intéressait guère. Le quartier maître à pris position non loin de moi et m'a glissé ces quelques mots :
– Je peux encore empêcher ce combat, si vous le souhaitez.
– L'honneur me force à la faire. N'ayez crainte, lui répondis-je, sûre de moi. En effet, mon adversaire était lourdaud. Il ne devait pas se déplacer aussi vite que moi. J'étais petite et vive, il me serait facile de l'éviter.
Nous nous sommes regardés, longtemps. Puis, au même moment, nous avons dégainé. J'ai attendu patiemment sa première attaque. Il n'a pas manqué de foncer sur moi, sabre pointé en avant. Tel un matador, je me suis décalée vers la gauche, tout en parant le coup. J'ai repoussé son épée. Il s'est replacé devant moi et nous avons enchaîné les attaques et les parades.
Il était lent, certes, mais très puissant. Je me fatiguais vite. Il fallait en finir. Une fois de plus, j'ai esquivé son coup mais vers la droite, cette fois. Ma main gauche, alors libre de ses mouvements, s'est abattue violemment sur la nuque de Méga. Il s'est écarté, étourdi. Ma pauvre petite main, frêle, n'avait réussi qu'à l'ébranler un peu.
J'ai profité de ce moment d'inattention pour trancher ses deux bretelles, ce qui a fait singulièrement descendre son pantalon. Il l'a rattrapé d'une main et s'est apprêté à engager une dernière attaque. Il était déséquilibré, j'ai attaqué la première et l'ai désarmé sans mal.
C'est à ce moment que je me suis rendue compte que tous les marins attroupés applaudissaient. M'applaudissaient. Moi. J'ai salué d'une révérence. Du coin de l'œil, j'ai vu que le pauvre Méga, rendu écarlate par la rage, s'apprêtait à me sauter dessus. Je lui ai de nouveau fait face mais avant qu'il est pu faire quoi que ce soit, la foule s'est écartée pour laisser passer Will, qui s'est interposé entre nous.
– Il suffit. Ariana a gagné. Elle vous a prouvé sa valeur à tous. Maintenant, vous allez regagner vos postes et la laisser en paix.
Les marins s'en sont allés peu à peu mais l'homme à la pipe est resté perché sur son tonneau. Une fois seule avec Will, je lui ai demandé qui était cet étrange personnage.
– C'est le maître d'équipage. Il est chargé de faire régner l'ordre en temps de crise, lors d'une tempête, d'un naufrage. C'est aussi notre meilleur tireur. Il est, en principe, moins influent que le quartier maître mais il a su gagner une grande emprise sur l'équipage.
– En effet, j'ai vu que tous se conforment à son attitude. Quel est son nom ?
– Edward Hawkins. Personnage dangereux, si tu veux mon avis. Je le tiens à l'œil. Si tu le veux bien à présent, Ariana, je vais te montrer chaque poste qu'il est possible d'occuper à bord de ce navire, pour que tu choisisses celui qui te convient le mieux.
Ah. J'allais devoir travailler. Zut. C'est vrai que je m'y attendais et que je n'avais pas peur du travail. Après ce que j'avais enduré sur l'île dorée, ce ne pouvait guère être pire... En plus on me laissait choisir, quel honneur ! Will m'a guidée vers le pont inférieur tout en me donnant quelques explications.
– Tu as déjà fait la connaissance de plusieurs personnages importants. Le Capitaine, ton père, est le seul maître à bord de ce navire. Il e été élu pour son courage à toute épreuve et son sens de la justice.
– Vraiment ? N'ai-je pu m'empêcher de demander. Je ne dois pas avoir la même définition de justice dans ce cas.
Will m'a lancé un regard désapprobateur et je me suis tue pour le laisser continuer.
– Juste en dessous du Capitaine se trouve le Second, qui traduit les ordres et peut diriger tous les hommes, sans distinction. Il doit cependant se conformer aux consignes du capitaine et être à l'écoute des matelots.
– Hum... Laisse-moi deviner... Ce ne serait pas... toi ?
J'ai enfin réussi à le dérider. J'ai vu un coin de sa bouche se soulever et il m'a répondu en souriant :
– Si, c'est bien moi. Et je vous prierai, matelot Ariana, de vous plier à mes ordres.
– Et si je ne le désire pas ?
– Ton sort se réglera par les armes.
– D'accord. Tout se décide ainsi j'ai l'impression. Mais dis-moi Will, que se passerait-il si je gagnais ? Parce-que tu sais très bien que je peux gagner contre toi.
– Je devrais te donner mon poste et tu ferais de moi ce que bon te semble.
– Voilà une proposition alléchante. Ariana, second du capitaine. Et Will, novice, serviteur de son Excellence Ariana. Ça ne te plairait pas ?
– C'est à voir, me répondit-il, amusé. Ensuite vient le quartier-maître. C'est un personnage extrêmement important. Il a presque autant de pouvoir que Shark. En temps normal, ni le capitaine, ni le second n'ont droit de lui donner des ordres. Il est là pour contre-balancer le pouvoir du capitaine et représenter l'équipage. Par contre, en cas de danger ou de tempête, il n'a pas son mot à dire. Tu l'as rencontré ce matin, il s'agit de Thomas Müller. Et je t'ai déjà expliqué le rôle du maître d'équipage, Edward Hawkins. »
Will me montra ensuite la cabine dédiée aux pilotes. Ce sont eux qui aident le capitaine à choisir la meilleure route et savent se servir de tout un tas d'instruments bizarres dont je n'ai pas retenu le nom. J'ai pu aussi voir les cuisines – assez rudimentaires, dois-je dire – avant de descendre à la Sainte Barbe, où loge le Maître canonnier.
Nous avons continué de descendre, pour rencontrer les Maîtres Charpentier et Voilier ainsi que le chirurgien : uniquement des métiers qui ne m'attiraient pas. Will m'a indiqué que le charmant Méga était cambusier, c'est-à-dire qu'il s'occupait des cales ; arrimer les tonneaux, savoir exactement combien de nourriture il restait, ... Ce qui expliquait sans doute pourquoi il m'a chargée. Je commençais à étouffer quand nous sommes (enfin !) remontés à l'air libre. Je ne pense pas que je pourrais travailler dans un des ponts, on y est trop à l'étroit...
SUITE PARTIE SUIVANTE
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