Samedi 28 nov 2020 - Grenoble

Presque deux semaines s'étaient écoulées depuis que Balto avait déménagé provisoirement avec moi et Ophélia.

Mais aujourd'hui était un jour bien plus particulier que cela, nous étions le samedi 28 novembre. Et aujourd'hui, cela faisait 4 ans.

Je me lève avec difficulté, les yeux rougis et les joues gonflés par les larmes. Balto m'aboie dessus comme pour me soutenir mais même lui, aujourd'hui, ne peut rien pour moi.

Je rejoins la salle de bain sans passer par la case petit déjeuner car évidemment je ne peux rien avaler...

Je me déshabille maladroitement et je risque à deux reprises de finir la tête dans le miroir, ceci ne m'arrête pas et je pénètre dans la douche, la baignoire, à ce moment précis, ne me sera d'aucune utilité.

Je reste immobile sous le jet d'eau bouillant qui me brûle la peau et qui me fait presque aussi mal que mon cœur, ma chevelure blonde s'écrase le long de mon corps et recouvre partiellement mon visage. A présent, mon corps est entièrement rouge mais je ne bouge toujours pas, seules mes larmes coulent encore. J'entends simplement la porte se déverrouiller de l'extérieur, ma vision est flou, il me semble qu'une ombre rentre dans la douche à toute vitesse et éteint l'eau. Je m'écroule au sol, mes mains recouvrent mon visage et mes ongles entrent peu à peu dans ma chair, je ne suis plus moi-même. Comme toujours à cette date.

J'entends à peine les voix qui s'agitent autour de moi.

- Passes moi une serviette, vite ! crie une voix féminine.

- Tiens ! Cette année c'est pire que d'habitude ? demanda une voix plus lointaine, sûrement derrière la porte.

- J'en ai bien peur...

Les voix se stoppent, un aboiement atteint mon oreille et bientôt, en plus de la serviette qui repose sur mes épaules, je sens une douceur extrême contre mes jambes puis des pattes, Balto.

Mes sanglots se font de plus en plus bruyants, je ne peux plus retenir toute cette peine qui en temps normal reste tapis dans un coin de mon cœur.

Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé, je suis toujours au sol avec Balto dans les bras et ma meilleure amie qui me sert de toute ses forces. Je n'ai plus de larmes en réserve alors je relève doucement la tête, elle me fait mal.

Ma coloc me voyant bouger, se détache de moi et m'aide à me relever tant bien que mal. Elle me fait enfiler un peignoir étant bien trop faible pour m'habiller, et nous nous rendons dans le salon pour s'asseoir sur le canapé. Ethan m'apporte un verre d'eau et un Doliprane. Alors c'était lui qui avait été témoin de cette scène avec Ophélia... La honte m'envahit peu à peu.

- Merci..., balbutiai-je.

- C'est normal Taïa, nous restons ensemble quoiqu'il arrive.

- Hm.. je suis.. quand même... désolé, bégayai-je.

- Désolé de quoi ? s'empressa de répondre Ophélia.

- Que vous ayez assisté à ça...

- Ne t'inquiète pas pour ça.

Un silence s'installe alors entre nous trois, j'avale mon médicament et je ferme les yeux comme pour oublier ce début de matinée.

J'ouvre de nouveau les yeux, ils me piquent mais c'est supportable. Je suis allongé sur le canapé, le chiot assoupi contre moi, j'ai dû m'endormir d'épuisement. Je me redresse doucement, j'ai l'impression qu'un bus m'est passé dessus, mes membres sont engourdis et mon ventre grogne.

Je me rends à la cuisine où Ophélia est en train de faire ses fameux pancakes allégés que j'affectionne tant. Elle se retourne à l'entente de mes pas et me sert dans ses bras, je ne peux m'empêcher de la serrer davantage, cela me fait tellement de bien.

Je m'assois autour de la table où m'attend une assiette et une pile de pancakes, autour de celle-ci se trouve du sirop d'érable, du Nutella, de la chantilly et des fruits pour la bonne conscience. Elle accompagne cette merveille d'un verre de jus multi-vitaminé et d'un café.

Ethan avait déjà dévoré la moitié de sa pile et il se stoppa net dans son élan en nous voyant l'observer en rigolant.

- Me regardez pas comme ça, c'est pas de ma faute si c'est trop bon ! se défendit-il.

- Nous n'en doutons pas vu à l'allure à laquelle tu fais disparaître ces pauvres pancakes ! rions nous de bons cœurs.

Une fois ce délice finit par tous et la table débarrassée, je rejoins ma chambre pour m'habiller de mon jogging préféré, la "fête" n'a lieu que dans la soirée alors j'aurais tout le temps de me mettre sur mon 31 un peu plus tard.

Mes amis m'attendaient sur le canapé avec une liste de courses pour le soir, je m'assis en tailleur à même le sol à leurs côtés.

- Taïa justement on t'attendait pour savoir combien nous serons ? me dit Ethan avec précaution.

- Approximativement 15 personnes, dis-je de façon neutre.

- Parfait, alors nous avons déjà marqué les bières ce qui est le plus important, s'exclama t-il en riant.

- Vous voulez manger quoi ? Pizzas ?

- Ouiiiiiiiiii ! s'écria Ophélia.

- Parfait ! vodka ? Redbull ?chips ? bûche ? café ? macarons ? cannelés ? énuméré-je.

- C'est noté ! J'ai tout mis sur la liste, répondit le jeune homme.

Ethan partit chercher ce dont nous avions besoin pour le soir, c'est-à-dire tout ce que nous venions de choisir ensemble. Pendant ce temps, Ophélia et moi, nous mirent à la décoration.

La table une fois installée, je récupère une nappe blanche que j'installe puis les assiettes bleues turquoises posées sur des serviettes moutardes.

Ma coloc installe de son côté les ballons de lettres formant le prénom de Logan. La sono est installée sur la table du salon, et pour finir, nous posons diverses photos de notre ami et de nous.

Je me retiens de fondre en larme en les regardant, j'inspire un grand coup et regarde le résultat. Il aurait adoré.

Il est possible que peu de gens organisent ce genre de rassemblement, surtout de manière festive, mais c'est notre moyen à nous de lui rendre hommage et de nous remémorer nos moments passés en sa compagnie.

- Il me reste seulement à me rendre au fleuriste... ,dis-je doucement

- Oui... Tu en as pris pour l'appartement ou seulement pour... ,commença t-elle

- J'en ai prévu pour les deux. C'est pour cela que j'irais les chercher en allant..., je marquai une pause, au cimetière, finis-je par dire tristement restant immobile devant une des photographies de mon meilleur ami.

Ce jour faisait remonter en moi pleins de souvenirs, les meilleurs comme les pires.

Ethan rentra rapidement, nous avons ensuite rangé les courses puis mangé. L'heure passa vite et le moment tant redouté arriva.

Après m'être changé pour une robe noire que Logan m'avait offert, nous partîmes tous les trois direction le fleuriste où je récupérai en premier lieu les fleurs pour le soir, des gros bouquets blanc, rose et rouge où diverses fleurs se rencontraient.

Ensuite, je pris le bouquet prévu au cimetière, c'était un magnifique mélange de roses jaunes orangés, de fleurs aux clochettes blanches, de pivoines jaunes, d'œillets blancs, avec quelques fleurs d'or autrement appelé chrysanthème jaune pour la signification et en son centre une superbe rose blanche. Cela représente toute notre amitié, mon amour, la pureté de sa personne et l'importance de son souvenir.

Nous sommes devant le cimetière, bouquet en main. Ethan et Ophélia avancent silencieusement et moi je suis derrière, chaque pas que je fais me semble durer une éternité. J'avance la tête haute, le poids de mes pieds me rappelant la douleur que je porte en moi, mes larmes sont retenues par mes deux yeux brillants qui deviennent presque turquoises.

Je me tiens maintenant devant ce qu'il est à présent, une tombe, une grande pierre creusé où repose ses ossements, une putain de boîte recouverte de terre. La rage brise ma carapace et les larmes vacillent sur mes joues, tout ce qui me reste de lui à présent est une plaque en marbre où est noté : Logan Jones, Ami sincère et frère. Décédé le 28 novembre 2016, Grenoble. Repose en paix.

Je tombe à genoux dans l'allée gravillonnée accompagné de mes amis et je dépose à côté de sa photo le bouquet que j'ai acheté. Je le regarde, mes mains posées sur la plaque froide qui le recouvre et je commence à lui parler, la main serrée dans celle d'Ophélia dont les larmes commencent à couler.

- Bonjour Logan... Nous sommes venus tu vois, comme promis... Je sais que tu ne voudrais pas que nous soyons triste, c'est pour cela que nous t'avons prévu une fête ce soir... comme celles que tu adorais tant... C'est dur sans toi tous les jours pour m'encourager mais je tiens le coup, je vis pour toi, pour nos souvenirs... Tu me rends plus forte, là dans mon cœur... A jamais, tu resteras mon frère, déclarais-je en sanglotant.

La douleur me déchire les entrailles et je ne peux me retenir d'avantage. Je fonds en larmes et je laisse échapper un cri de désespoir, la vie t'a enlevé à moi bien trop tôt, tu sais. Je suis forte dise t-il... C'est ce que je leur montre mais je ne le suis pas. Je souris mais la plaie reste ouverte et la douleur qui s'en échappe me tue à petit feu de l'intérieur. Je te jure que j'essaye de m'y faire mais c'est tellement dur. Tu es là, partout autour de moi et pourtant sans y être vraiment. Je te parle et j'imagine ce que tu me répondrais mais ta voix je ne l'entends pas, elle me manque d'ailleurs... Tes yeux, la pureté et la sincérité dans ton regard, je les retrouve dans tes photos mais tu ne clignes plus des yeux et ils ne brillent plus non plus. Et le pire manque c'est tes bras, si réconfortant... Je m'imagine te tenant la main pour m'endormir le soir mais ta chaleur s'est dissipée. Je t'aimais tellement Logan et je t'aime toujours autant mon meilleur ami.

Après ce moment qui me laisse vide et épuisé, nous rentrons à la maison finir les préparations. Je prends une heure pour me reposer, puis je me mets en cuisine.

Les invités vont arriver d'ici 2 heures et mon discours est prêt. Un dernier hommage et pour cela une dernière chose doit être faite.

J'ouvre l'armoire de l'ancienne chambre de Logan et en sort ma tenue de moto noire et turquoise. Je m'équipe et prends mon casque dans la main jusque devant le garage. C'est l'heure de la promenade. J'ouvre ce grand portail en fer et elle est là, une magnifique BMW S 1000 RR HP4 de 2013 bleue et noire.

Je la pousse hors du garage, je monte dessus, enfile mon casque, met le contact et je pars à la sortie de la ville pour rouler à vive allure à travers les collines. Je me sens libre.

Je rentre, il est 18h. Je cours à la douche et je m'habille d'une jupe droite et d'un chemisier, cheveux lâchés. J'entends sonner, c'est l'heure.

Nous accueillons les invités, Lucie ainsi que son frère Charly sont ici ainsi que des amis et collègues de Logan. Mais surtout elle est là, Marion, elle s'avança et me prit dans ses bras. Ses cheveux noirs bouclés retombés sur ses bras nus et ses yeux marrons brillaient d'émotions. Logan et elle s'étaient séparés la semaine qui a précédé son décès, mais une chose est sûre ils s'aimaient toujours.

Nous prenons tous une bière et nous trinquons à celui que nous aimions.

Chacun à notre façon, nous laissons paraître et s'exprimer nos émotions. Certains ont les yeux qui rougissent et s'embrument, tandis que d'autres ont leur visage impassibles voir fermés.

Ma patronne connaissait bien Logan et l'aimait beaucoup. Elle répétait souvent qu'elle aurait aimé avoir une fille pour la marier avec lui, elle étant trop âgée pour le courtiser ! Ce soir son visage en disait long sur sa tristesse, sa bouche se tordait afin de ne laisser aucune larme s'aventurer sur ses joues.

Son frère lui avait le visage fermé, les yeux sans expression. Plus que de la tristesse, la colère qu'il soit parti si tôt ressortait.

Je passai un long moment avec Marion, nous parlons de nos souvenirs respectifs et elle en a un en particulier qu'elle chérit tant. Logan l'avait emmené pour leur premier rendez-vous dans une course de 5 km pour une œuvre caritative. Ils se mirent à courir l'un à côté de l'autre tout en riant. Tout se passa bien mais Marion commença à s'essouffler. Pour l'encourager à parcourir les derniers mètres il lui prit la main et lui dit : A deux on est plus fort ! Et c'est là qu'elle comprit et qu'elle tomba amoureuse de lui. Cette histoire je l'ai entendue des centaines de fois racontée par Logan, lui aussi ce jour-là il su. Pour lui ce rendez-vous fut une révélation, il eu un véritable coup de foudre pour cette belle brune. Elle finit de me la raconter les larmes roulant sur sa joue d'émotions mitigées entre le bonheur de l'avoir vécu, la nostalgie et la tristesse de sa perte.

C'était l'heure du discours.

- Bonsoir à tous et merci d'être venu. Aujourd'hui cela fait 4 ans qu'il nous a quitté et qu'il ne cesse de nous manquer. Je me repasse en boucle cette journée vous savez..., commençais-je.

L'agitation fait place au silence. Personne ne m'a jamais entendu raconter ce qu'il s'était passé dans son entièreté, je me suis toujours arrêté au stricte nécessaire: il est partit.

- Il pleuvait ce jour-là, et Logan devait aller à un rendez-vous à Voiron. Il insistait pour prendre sa moto... mais moi je n'étais pas rassuré, je connaissais sa manière de la conduire et le temps n'était pas au beau fixe. Nous nous sommes engueulés, très fort...peut-être trop après tout... Et il a fini par prendre sa voiture..., au fur et à mesure que je leur raconte cette journée, ma vue se trouble et je la revis une seconde fois.

- L'aller c'est passé normalement, il m'a appelé une fois là bas et nous nous sommes réconciliés... Du moins, nous avons parlé et nous devions faire la paix le soir même autour d'une pizza et d'une bière... Il repartit aux alentours de 16h30, le temps s'aggravait et le vent était de la partie... Il m'a envoyé un dernier sms me disant qu'il serait en retard en vue de la météo accompagné d'une photo où il tirait la langue..., Je souris faiblement, mon cœur s'emballe à chaque parole et mes mains tremblent. Je sens les regards sur moi. Ethan a le regard baissé pour cacher sa peine.

- D'après les gendarmes, tout se passa très vite... Sa voiture glissa dans un virage et percuta un arbre. Une voiture vint s'encastrer à l'arrière, ce qui donna une dernière secousse à ce vieux chêne, qui était déjà malmené par le vent, et il s'écroula sur l'automobile. Logan fut transféré aux urgences mais il succomba à ses blessures avant mon arrivée... Je l'ai vu une dernière fois, mais il ne restait que son corps froid et sans vie... Je me sens coupable, si seulement il avait pris sa moto... J'ai récupéré sa voiture que j'ai entreposée dans un champs et je l'ai défoncé à coup de batte et de marteau... Mais ma culpabilité est toujours présente... Je suis tellement désolé Logan, si seulement j'avais su..., à peine les mots sortent de ma bouche que je sens mon corps s'écrouler au sol.

Je reste pétrifié. je sens qu'on m'aide à me relever et qu'on m'emmène à l'extérieur pour m'aider à reprendre des couleurs.

Le vent fouette mon visage comme une claque, le froid, à ce moment précis, me fait me sentir vivante et m'insuffle la force nécessaire pour retourner à l'intérieur. Je m'apprête à franchir la porte mais je me sens comme retenue, une pensée fugace me fait lever les yeux... Je fixe le ciel une dernière fois et une étoile filante le traverse d'un seul coup, rapide lumière d'espoir.

Un sourire naît sur mon visage, il est toujours là. Logan.