Prologue
L'écho d'une mélodie classique lui parvenait à travers les murs épais. La douce cadence de la musique ne correspondait pas au rythme endiablé des battements de son cœur. De l'autre côté de la porte, le couloir menait à de grands salons lumineux où le public pouvait tranquillement s'installer pour lire ou travailler. La pièce où elle était à l'instant présent était sombre et exigüe, et les étagères bourrées de parchemins ainsi que les piles de livres qui encombraient le parquet ne faisaient rien pour y remédier.
D'une main gantée, elle pianotait furieusement sur le bois ciré du présentoir. De l'autre, elle faisait voleter les pages jaunies d'un vieux grimoire à la recherche d'une information qu'elle désespérait de trouver.
Par la Poussière ! Il devait bien y avoir quelque chose quelque part !
Elle jeta un coup d'œil furtif à la porte. Personne.
Heureusement.
Elle n'aurait pas dû se trouver là. Pas pour ce qu'elle était en train de faire, en tout cas. Tout le monde avait le droit de venir consulter les livres de la Grande Bibliothèque – sauf les Fé∙es, bien-sûr –, mais pas pendant ses heures de service, surtout pas dans la section privée où une Orpheline comme elle n'avait définitivement rien à faire. Si on la trouvait ici... elle pourrait dire adieu à toutes ses chances de prouver à l'Orphelinat qu'elle était plus qu'une absence de parents connus. Tous ses rêves de grandeurs, toutes ses ambitions... tout partirait en fumée.
Sauf que si elle ne prenait pas les choses en main un jour ou l'autre, elle finirait enterrée dans sa routine – et cette option-là ne lui faisait pas de l'œil. Redressant de l'index gauche les lunettes qui lui tombaient sur le nez, elle se reconcentra sur le texte qu'elle parcourait en appuyant le doigt sur la ligne calligraphiée à suivre.
Il s'agissait d'un texte ancien qui remontait du temps où les livres étaient encore copiés à la main, avant la mise au point des services d'imprimerie. Il remontait peut-être même à l'époque du Jour de Poussière.
Un livre copié à la main impliquait donc des pattes de mouche, des fautes d'orthographe et des lettres si serrées qu'on avait du mal à les différencier. Un plaisir à déchiffrer.
Mais derrière ces premiers obstacles pour le moins désagréables – auxquels s'ajoutait d'ailleurs l'emploi d'une langue passée qu'il fallait traduire – se cachaient probablement une foule d'informations qu'elle devinait croustillantes. Il fallait juste qu'elle les comprenne.
Elle tourna la page. Son geste découvrit un petit carnet sommairement relié que quelqu'un avait glissé entre les feuillets, juste en dessous d'un nouveau chapitre intitulé :
« De la véritable part des Fé∙es lors du jour de poussière »
Elle marqua une pause.
Huh ?
Qu'est-ce que... (plaçant un doigt en marque-page, elle referma brusquement l'ouvrage pour en étudier la couverture, mais elle n'y trouva aucune note susceptible de l'aider.) Qu'est-ce que l'auteur pouvait bien vouloir y dire ? Le Jour de Poussière était au fondement même de la société, la raison précise pour laquelle les Fé·es étaient banni·es du droit d'existence dans la Cité ; toute information à ce sujet avait été consciencieusement consignée et diffusée afin que chacun soit au courant de ce qui s'était passé ce jour-là.
Si ce livre était conservé dans la section privée, il pouvait y avoir deux raisons à cela : ou bien il s'y trouvait un secret dont il fallait contrôler les détenteurs, ou bien les archivistes avaient mal fait leur travail ; or les archivistes ne faisaient jamais mal leur travail. Alors quel genre de savoir complémentaire pouvait bien contenir ce grimoire ?
Des bruits de pas résonnèrent au loin.
Poussière !
Il suffisait qu'on l'aperçoive ici pour que c'en soit fini d'elle. Mais si elle partait maintenant, elle ne saurait jamais ce qu'avait voulu dire l'auteur.
Les pas ses rapprochaient et l'occasion ne se représenterait pas.
Elle ne réfléchit pas.
Elle tendit le bras, tourna la poignée et sortit de la section privée juste à temps pour faire face à la Directrice de la Grande Bibliothèque. Celle-ci la salua chaleureusement :
⸺ Si ce n'est pas l'Orpheline la plus efficace de tous mes employés ! Le travail se porte bien ?
⸺ Comme toujours, madame la Directrice, comme toujours. (Elle s'inclina respectueusement.) D'ailleurs, si vous me le permettez, je souhaiterais partir un peu plus tôt : ma migraine n'a pas cessé d'empirer depuis ce matin...
Les yeux perçant de la Directrice la fixèrent longuement derrière leurs binocles de verre avant qu'un sourire malicieux ne les viennent les plisser.
⸺ Eh bien, nous pouvons bien nous permettre quelques petites exceptions de temps à autres, n'est-ce pas ?
D'un signe de main, son employeuse lui fit signe de déguerpir – ordre auquel elle s'empressa d'obtempérer. Mais elle eut à peine fait trois pas que la voix de son aînée retentit à nouveau :
⸺ Aliviana ?
Elle se retourna aussi lentement qu'elle put.
⸺ Repose-toi bien.
⸺ Ce sera fait, madame la Directrice.
Elle poussa la grande porte de verre et sortit, le cœur battant. Quoique léger, le petit carnet caché sous ses affaires pesait lourd au fond de son sac.
Quelques mètres plus loin, une corneille s'envola.
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