XXXI. La Chamane
Minho bouscula Jisung dans le recoin d'une petite bâtisse alors qu'un régiment courait de l'autre côté, sifflant et vociférant des ordres. Les deux hommes étaient essoufflés de leur course.
A peine avait-il été téléporté sur le sol d'Haendel qu'ils étaient tombés au milieu d'une garnison en place juste avant l'île d'Alfost, à l'entrée de la passerelle d'Aurora.
La situation était cocasse, assez pour que toutes les personnes en présence se retrouvent à s'observer, sans bouger, prenant peu à peu conscience de l'incongruité de leur apparition soudaine. Minho jura à peine le nom de Seungmin, le maudissant entre ses dents, qu'il entraina aussi soudainement Jisung à sa suite, dans une fuite effrénée à travers les rues étroites et humides d'Aurora.
Ni une ni deux, les hommes s'étaient tous rués sur eux pour les attraper, saisissant maladroitement leurs armes, remettant leurs chaussures dans un méli-mélo de gestes maladroits et prêtant à sourire mais il était trop tôt pour en rire. Ni Minho ni Jisung ne souhaitait prendre le risque de se faire trancher la tête simplement pour le plaisir de se moquer d'eux.
Dans leur dédale, Jisung se servait des éléments qui tombaient sous sa main pour essayer de ralentir les soldats, passait au milieu des commerçants des habitants, bousculant des charrettes glissait parfois par une fenêtre pour courir dans un local traversant pour rejoindre l'autre côté de la rue. Il fallut bien une vingtaine de minutes pour enfin mettre assez de distance et pouvoir se cacher le temps que le plus gros des troupes se dispersent.
Minho était essoufflé, Jisung dans le même état regardait au-dessus de l'épaule du Roi.
« Il va quand même falloir qu'on traverse pour rejoindre Alfost. Ils vont surement renforcés les surveillances aux différents ponts, alerta Jisung.
- C'est surement déjà fait. Ils sont en guerre, ne l'oublie pas. »
Jisung gonfla sa joue puis parcourant les alentours d'un regard circulaire, il tomba sur l'enseigne d'une maison de passe aux écritures rappelant étrangement les dessins peints sur le corps du peuple d'Insomia. Il pencha la tête et se souvenait alors des tenus des nomades du désert.
« J'ai un plan, mais ça va pas te plaire », lui dit l'ébène.
Minho suivit son regard, tombant à son tour sur l'enseigne et regarda cette fois la porte d'où s'échappait un homme passablement éméché, les joues rouges de sueur et remontant leur pantalon maladroitement. Un marin accompagné du gloussement de trois employées de la maison de passe, toutes drapées de voiles aux couleurs pourpre. Le ventre découvert. Il battait les paupières à plusieurs reprises, puis fronça les sourcils avant de regarder brusquement Jisung qui lui souriait. Rien de moqueur ou d'espiègle, il semblait presque désolé et quand le Roi de Pandore comprit où il voulait en venir, il ouvrit la bouche comme un poisson hors de l'eau. S'empourprant à vue d'œil.
« Qu-Que quoi ?! Tu penses quand même pas...Oh non non.
- Je suis sûr que tu sais bien danser, Minho Reis.
- Arrête, n'essaie pas de m'amadouer, on peut trouver une autre solution.
- Sauf qu'on a pas le temps et que Fenrir va bien vite être au courant de notre arrivé.
- Je... »
Minho regardait une fois de plus l'entrée de l'enseigne, le parfum des épices et des encens, le gloussement des employées qui s'élevaient depuis les fenêtres à l'étage.
Ces considérations d'égo étaient loin de celles qui animaient Changbin, de l'autre côté de la mer. Après la téléportation des deux mages, le Roi avait rapidement regagné ses appartements pour prendre quelques heures de repos. Changbin avait pris sur lui de ne pas le déranger, bien qu'il eût depuis quelques temps des choses à dire à son monarque, plus précisément à celui qu'il aimait.
Les mots du Roi de Pandore tournaient en boucle dans sa tête et il n'en avait pas reparler avec Chan parce qu'il estimait que ce n'était pas le bon moment mais forcer de constater, qu'il n'y aura jamais de bons moments. Pas en période de guerre. Vulci avait été attaquée, la guerre déclarée envers leur allier du Sud, c'était une question d'heures avant qu'Agora ne se positionne à son tour et que le Roi de Londinium doive donner son appui à un camp ou à un autre. Le temps filait, le chrono était lancé et lui se sentait coupable d'avoir des préoccupations personnelles. Des états d'âmes qu'il n'estimait pas digne d'un Commandant mais Minho avait mis le doigts sur une donnée importante : Le Roi Christopher ne prendra aucune décision raisonnable seul.
Changbin croyait sincèrement avoir été à ses côtés depuis le début, l'avoir justement épaulé en faisant en sorte de mettre son cœur de côté, mais il se rendait douloureusement compte qu'il n'avait pas été à la hauteur. Son Roi avait besoin de quelqu'un pour l'aider à porter le poids de la couronne pas d'une ombre en retrait qui ne faisait que le protéger.
Il était seul et Changbin le vivait comme un échec personnel, en tant que chevalier, en tant qu'homme.
Changbin regardait la porte de son monarque désespérément close. Il patientait devant elle alors que le ciel se couvrait peu à peu d'étoiles, le bruit de la vie extérieur devenait plus ténu et bientôt les rondes commenceraient autour du château. Il n'osait le déranger, observant le passage des ombres à travers l'interstice du bas de porte, qui laissait filtrer la lumière d'une bougie à intérieure. Il serrait les poings, essayant de se donner du courage. Ça semblait presque ridicule, pour un guerrier comme lui, féroce, aux contes qu'on aimait extrapoler dans une taverne entre chant de bardes et bière débordante. Les faits d'armes de Changbin étaient à peine exagérés et le voilà qui tremblait à l'idée de prendre la parole et de parler de ses sentiments à la personne qu'il estimait le plus au monde.
Si son père était là, il se serait allégrement moqué de lui, sans parler de Ryujin.
Il ferma les yeux, gonflant sa poitrine d'un souffle qu'il bloqua une seconde avant de relâcher et s'avancer d'un pas décidé. Il ne devait pas hésiter, il ne devait pas penser, sinon il partirait en courant. Le bruit de son armure couvrait tout l'espace, il rabattait sa cape en arrière et tendit sa main gantée jusqu'au bois qu'il cogna par trois coups successifs.
Son cœur battait à tout rompre, sa gorge devenait sèche et ses lèvres tremblaient imperceptiblement. Il lui semblait qu'il avait conscience du moindre bruit. Le moindre froissement de vêtement à l'intérieur, du souffle régulier du Roi qui s'était arrêté au moment où il avait frappé.
Ne voyant aucune réaction, n'entendant aucune réponse, il allait réitérant quand finalement les pas se rapprochaient. Décidés, rapide, battant la mesure avec son palpitant qui s'arrêta net lorsque la lumière jaillit sur son visage troublé.
Changbin ouvrit les bouches, recula même d'un pas avant de s'arrêter complètement devant celui surpris de Christopher.
« C'est toi qui as frappé ? Il demanda étrangement calme.
Enfin pas si étrange mais vue la panique qui se jouait dans la tête du chevalier, tout lui paraissait étrange.
- O-oui. »
Et voilà qu'il bégayait sa réponse d'une voix qui lui était inconnue. Pourquoi était-elle si dure à extirper ? Ses mains s'agitaient, sans savoir où se poser.
« Tu aurais pu rentrer directement. Ça ne va pas ? S'interrogea le Roi. Hyunjin ? Il paniqua subitement.
- Non ! Réagit aussi tôt Changbin. Il va bien ! Il dort toujours. Ryujin est devant sa porte jusqu'au retour de Felix et...Il n'y a rien...C'est juste. Moi ? »
Son visage chauffait, il était certain de ressembler à rien et mourrait de honte à l'idée de devoir continuer à se dévoiler. Les mots étaient vides, il n'avait rien préparé, bien qu'il avait vécu cette scène dans sa tête un million de fois depuis qu'il attendait devant la porte. Mais il ne pouvait pas reculer. Il ne devait pas reculer.
« Oh », sourit cette fois le souverain.
Le Roi disparaissait pour laisser place à l'amant de ses nuits, son regard devenait plus doucereux et sa voix plus rocailleuse, comme s'il ne voulait pas qu'on l'entende. Même sa posture se faisait plus détendu et basculait négligemment sur l'encadrement de sa porte, bras croisés. Il observait le chevalier dans son armure, le haut de ses joues rougies et son regard brillant d'une émotion qu'il interprétait comme une inhabituelle timidité, lui rappelant les premiers jours de leur relation. Quand Changbin se découvrait encore et qu'il rougissait à chaque caresse dérobée de son aîné, par peur d'être découverts. Il ne comprenait pas pourquoi elle revenait soudainement mais cela ne lui déplaisait guère, il avait toujours aimé la vulnérabilité de son Commandant, contrastant avec sa force qu'il montrait aux autres.
« Et tu n'entrais pas pour le plaisir de me voir t'inviter ?
- Ce n'est pas... »
Changbin n'eut pas le temps de finir que déjà il était tiré à l'intérieur. La porte refermée et les mains du souverain glissaient subtilement vers les boucles qui maintenaient les pans de son armure. Son plastron tomba en premier, Changbin retenu un hoquet, se tournant sur lui-même alors que le Roi, s'attaquait à la ceinture qui maintenant son épée.
« Attends, Chan, attends... »
Mais il ne l'écoutait, ou bien s'en délectait. Chan adorait voir ses mains venir se poser sur ses poignets, essayer de le retenir d'une poigne si faible qu'un enfant aurait pu s'en défaire. Il le pressait en arrière et Changbin reculait, à chaque fois un peu plus, il posait ses mains sur ses bras maintenant alors que le Roi coulait un regard de plus en plus désireux sur son corps qui se dévoilait sous le reste des tissus.
« Chan...
- Je t'ai déjà dit à quel point j'aimais ton corps tout en muscles ? J'aime voir ton buste épais se soulever à chaque respiration saccadée quand tu es excité...J'aime voir le creux de tes clavicules, les cicatrices de tes entrainements. J'aime l'arrondi de tes épaules, la lumière qui se reflète sur ta peau.
- Chan...S'il te plaît écoute moi. » tremblait Changbin de plus en plus fébrile.
Chan s'arrêta, Changbin sentit alors le pied du lit à seulement trente centimètre derrière lui. En une poussée, il tomberait à la renverse et ne pourrait plus rien pour arrêter l'avidité de son amant. Lui-même ne se sentirait pas capable de lui dire non. Il était essoufflé, les yeux rivés sur ceux de son Roi qui l'observait, attendant patiemment l'autorisation de continuer. Le noiraud se mordit les lèvres, nerveux et finalement décida de poser ses mains sur ses bras et de s'asseoir sur le lit, entrainant le brun à ses côtés.
Un long silence perdura entre eux. Un silence qui se fit de plus en plus lourd et voulant comprendre, le Roi s'apprêta à l'interroger mais Changbin l'arrêta.
« Ne l'épouse pas. »
Chan resta interdit. Ne comprenant pas tout de suite ce qu'il voulait dire avant de finalement se souvenir du dernier conseil, des mots qu'il a eu avec Minho. Il regardait le visage baissée de Changbin, sentant presque son appréhension et la tension grimpée entre eux, et elle n'était pas celle qu'il espérait il y a encore une seconde. Le Roi poussa finalement un long soupire, se détachant de la prise du chevalier.
« Pourquoi tu parles de ça maintenant ? On était d'accord. Je dois me marier. Tôt ou tard. Avec Jihyo ou une autre. Alors autant que ça nous serve aujourd'hui.
- Non. Tu...Tu n'es pas obligé.
- Bien sûr que si. Si je veux le soutien de mon peuple, de mes vassaux, je dois perpétuer la famille Bang et Changbin, tu ne peux pas m'offrir d'héritier...Bien que je le regrette », sourit maladroitement le Roi.
Chan se leva alors du lit et Changbin vacilla une seconde en avant, sentant sa poitrine se comprimer. Il savait à quoi s'attendre, il avait tout imaginé mais avait surestimé sa capacité à le supporter. L'imaginer et l'entendre, c'était deux choses différentes, et voir la détermination de Chan lui être directement adressé, c'était encore plus dur. Lorsqu'il restait en retrait pendant les réunions du conseil, il était le Commandant, à sa place, mais dans l'intimité de leur chambre, il était son aimé. Il le croyait.
« Je ne veux pas..., souffla cette fois le noiraud. Je ne veux pas que tu l'épouses...Ni elle, ni personne.
- Changbin, soupira Chan.
- Non, ne prends pas ce ton avec moi.»
Changbin releva soudainement un regard furieux sur lui. Chan eut un instant de stupeur. Il allait à nouveau répondre mais Changbin se redressa subitement, le rejoignant si vite qu'il fit un pas en arrière, d'instinct.
« Je sais que jusqu'ici je n'ai pas été à la hauteur.
- Qu'est-ce que tu racontes...
- Laisse-moi finir ! L'interrompit Changbin. Je me suis comporté avec toi en me mettant toujours en retrait de tes décisions, de ton rang. Tu es Roi, tu as les responsabilités d'un pays tout entier sur tes épaules et je me croyais assez, en restant simplement à tes côtés comme je l'avais fait mais...Je mettais en réalité un mur entre nous. Je jouais le jeu. J'étais un Commandant, un soldat, un homme...Je ne pouvais rien de plus alors je t'ai laissé prendre toutes tes décisions sans jamais t'aider réellement. Sans jamais te dire ce que je voulais, moi. »
Changbin glissa doucement ses doigts entre les siens, devenant plus doux et sentit le léger frémissement dans la respiration du souverain. Il s'approcha un peu plus, jusqu'à se trouver au niveau de ses lèvres sans réduire davantage la distance. Simplement pour les sentir, pour s'imaginer encore plus près. S'imprégner des sentiments qui couvraient le regard du Roi. Entre peur et amour.
« Je veux être ton égal Chan, je veux pas seulement te soutenir, je veux porter ces responsabilités avec toi. C'est ma place, pas celle de Jihyo ni d'aucune autre. C'est ma place, tu me l'as déjà donné il y a longtemps et je ne pourrai la céder à personne.
- Ce n'est pas si simple, souffla Chan d'une voix tremblante.
- Rien de ce qui est important n'est simple. Mais je me battrai pour toi, comme je l'ai toujours fait. Sur le champ de bataille ou devant tes vassaux ventripotents, je me battrai parce que je t'aime et je sais que tu m'aimes aussi.
- Bien sûr que je t'aime, plus que n'importe qui en ce monde », expira Chan.
Ses mains se glissèrent sur sa joue, rapprochant leur visage un peu plus pour poser leur front l'un contre l'autre.
« Tu es le seul qui compte Changbin. Le seul de toute ma fichue vie. Sans toi, je suis une coquille vide...Mais je ne pourrai pas tourner le dos à l'héritage de mon père. »
Changbin sentit une nouvelle douleur dans sa poitrine. La distance. Le fossé se creusait subitement alors que Chan avait choisi la peur, plutôt que l'amour. Ce qu'il croyait être le bon chemin en tournant à le dos à ce qu'ils ressentaient. Il allait partir, il allait terminer d'achever ce mur entre eux pour toujours.
Pris de panique, Changbin le retint subitement alors qu'il sentit le souverain s'écarter. Il le serrait si fort contre lui qu'il avait l'impression de s'accrocher à sa vie. Leur vie.
« Et si ton père nous avait accepté ? Si c'était ce qu'il voulait ?
- Changbin c'est idiot, il était Roi. Roi d'Agora. Tu ne peux pas juste me...
- Ton père savait pour nous. »
Chan allait rétorquer que non mais comprenant qu'il ne s'agissait pas d'une question et que Changbin détournait aussi tôt le regard, gêné, il comprit que c'était un aveu.
« Je l'avais dit à mon père et il m'avait interdit de continuer...A ressentir ce que je ressentais. A vrai dire, je n'avais pas encore de mots à mettre dessus, j'étais justement venu me confier pour comprendre et mon père m'avait seulement dit d'oublier. Que j'étais un soldat et qu'il n'y avait pas de place pour les sentiments dans le rôle qui m'incombait. Ta mère venait de mourir, je ne voulais pas t'accabler davantage mais je m'étais senti si mal...C'était la première fois que mon père ne m'approuvait pas. La première fois que je me suis senti rejeter par lui alors que j'ai tout fait pour l'écouter, jusqu'à complètement enterrer ce début de sentiments, et c'est ton père qui m'a ouvert les yeux. Peu de temps avant sa mort. Il m'a demandé de veiller sur toi. Il m'a fait promettre de ne jamais te laisser tomber et de veiller à ton bonheur, quoi qu'il arrive. Sur le coup, je pensais qu'il parlait au garde, voire à l'ami mais avec le temps j'ai compris que c'était un autre qu'il voyait en moi. Ton père connaissait mes sentiments et si le mien n'avait pu les approuver, lui le faisait. »
Chan était interloqué, ses yeux papillonnaient dans ses souvenirs et revenant sur son garde, il ne trouvait pas les mots.
« Pourquoi ne m'as tu rien dit avant ? Il demanda néanmoins.
- Je croyais que c'était ce que je faisais, je veillais à ton bonheur en acceptant tes choix mais...Je me rends compte que les choix que tu fais ne sont jamais guider par ton cœur mais par ta raison. En ça, j'ai échoué. Ton père m'a dit de veiller à ton bonheur, pas à ta réussite.
- En quoi est-ce différent ?
- Te marier avec Jihyo te rendrait heureux ? Dis-moi la vérité. »
Chan ouvrit la bouche mais il n'eut pas de réponse. Rien d'honnête et mentir à Changbin n'a jamais été une option. Il se ravisa, sans réussir néanmoins à lui donner raison. Il commençait à s'éloigner mais Changbin le retint.
« Et avec une autre ? Tu serais heureux ? Qui tu veux sur cette planète, qui tu veux qui n'est pas moi, tu serais heureux ? »
Son cœur se pressait et Chan n'arriva même plus à soutenir son regard si déterminé. Changbin n'avait jamais été aussi vindicatif, aussi téméraire dans ses actions pour le garder près de lui, pour lui faire comprendre ce qu'il ressentait. A vrai dire, c'était surement la première. Et il doit bien l'avouer, le voir se battre, le faisait chavirer un peu plus, si c'était même possible. Au-delà du bonheur qu'il ressentait à le voir s'accrocher, il voulait le remercier, lui dire à quel point il l'aimait lui aussi et à quel point il était fier, chanceux de pouvoir l'embrasser, d'être la personne qui lui donnait le courage de se dresser contre tout ce qu'on lui avait appris, même si cela signifiait renier les enseignements de son propre père. Cela pouvait sembler triste de tourner le dos en tout ce qu'il avait toujours respecté mais c'était en réalité un soulagement et une nécessité. S'il ne le faisait pas, il le perdrait.
Chan aurait voulu céder mais tout restait bloquer, au milieu des regrets et des avertissements de sa raison. Le poids de sa couronne, du royaume. Le poids de ses chaînes qu'il avait lui-même verrouiller sur ses poignets, son cou, sur son corps tirer en arrière tandis que Changbin lui montrait une autre voie.
« Et que veux-tu que je fasse ? Qu'espères-tu de moi ? Il expira douloureusement.
- Choisis-moi. Choisis ce que les dieux t'ont apporté. Mon amour. Ma dévotion. Je sais que tu m'aimes, je le sens au fond de moi et je sais que jamais je ne perdrai ma place. Quoi que tu décides. Mais je veux être plus pour toi, je veux que me tenir avec toi. A tes côtés.
- Tu veux que j'annonce officiellement notre couple ? Tu veux que je t'épouse ? »
Changbin devint soudainement muet, il n'avait pas imaginé un tel lien et bien qu'il n'y songeât pas une seconde, l'idée le fit soudainement dérailler. Il déglutit difficilement, ne trouvant pas d'excuse pour s'écarter, trop gêné, et c'était au tour de Chan de le faire relever la tête en appuyant sur son menton.
Ses yeux se perdaient à nouveau dans les siens. Est-ce qu'il le poussait à bout ? Est-ce qu'il voulait lui donner un dernier test ? Un dernier défi ? Comme si ça réponse allait déterminer la sienne ?
« Tu as fait ton serment envers ton Roi, je peux t'en libérer, je peux faire de toi mon Prince consort...
- Inutile d'en arriver jusque-là, ravala sa salive le noiraud, essayant de rester sérieux. Je veux seulement que tu fasses ce que ton cœur te dicte. Je veux que tu sois heureux.
- C'est toi qui me rends heureux. »
Changbin se sentait faiblir, totalement à sa merci et à la fois stressé. Ses mains s'accrochaient au tissu de sa chemise ouverte sur son torse imberbe, il déglutissait nerveusement sans savoir s'il devait parler, essayant de trouver une échappatoire mais son cœur cognait et faisait simplement jaillir l'insensé qui trouva le chemin jusqu'à ses lèvres.
D'une voix à peine audible, le désir secret, la réponse évidente.
« Oui. »
Chan se figea une seconde. Il redressa la tête, celle de son amant avec lui et plongea son regard dans le sien. Il parcourait ses pensées dans le silence le plus totale, à la lueur de cette unique bougie qui faisait briller les iris noires du chevalier.
« Oui ? »
Changbin sentait son corps s'alourdir, résigné et résolu à la fois. Son visage s'adoucit, sa bouche s'écartait et ses yeux glissèrent sur les pulpes vibrantes, rougissante de son Roi qui les humectait inconsciemment.
« Oui. Je veux bien t'épouser. »
Un coup de tonnerre silencieux. Les chaînes se brisaient. Son cœur aurait pu rompre la barrière de sa cage thoracique qu'il n'en aurait pas été surpris. Il était tétanisé, totalement submerger d'une puissante émotion qui humidifiait ses yeux écarquillés. Changbin paniquait à la seconde mais quand il voulut parler, la bouche de son Roi se posait brutalement sur la sienne. Faisait tout disparaître dans le néant. Plus rien n'avait d'importance.
Il avait fait le bon choix. Qu'importe comment ils allaient s'en sortir, comme depuis le premier jour, depuis qu'il avait vu le sourire rayonnant du petit garçon aux boucles brunes dans les bras de son père, depuis que lui-même était caché derrière les jambes du sien. Il serait à ses côtés. Dans l'ombre comme dans la lumière. Qu'on les traite de fou s'il le faut. Ils l'étaient surement. Fou l'un de l'autre.
***
Après m'être remis de l'annonce, j'avais suivi celle qui disait être ma grand-mère. La nuit tombait sur la forêt mais il ne m'effrayait plus. La pluie avait censé et le sol dégageait cette odeur caractéristique de la terre humide. La vieille femme aveugle s'orientait pourtant si bien, touchant par moment le tronc des arbres comme si cela l'aidait à se réparer. Je n'avais pas prononcé le moindre mot, me contentant de la suivre comme elle me l'avait demandé peu de temps auparavant.
Nous nous enfoncions un peu plus dans la végétation, ne sachant pas si je pourrai me souvenir du chemin du retour ou même d'une quelconque sortie. A vrai dire, je pensais partir du principe quoi qu'il arrive, je pourrai réussir à trouver l'issu. Après tout, j'étais Zephilis, d'autres vies à la mienne avait arpenté ces mêmes recoins. Je ne craignais pas grand-chose.
Finalement, après encore un peu de marches, les arbres s'écartèrent à nouveau pour laisser place à de nouvelles constructions. Des enchevêtrements de branches, de bois, comme des sculptures magnifiques, naturelles et pourtant créer par je ne savais quel sort pour former des loges. Elles étaient recouvertes de fleur ce qui leur donnaient un aspect encore plus féérique.
J'étais impressionné, je ne sais pas pourquoi j'imaginais que les chamanes de la forêt vivaient dans des lieux austères, cachés. Je les imaginais davantage comme le culte du Phoenix en réalité.
La vieille femme me conduisait jusqu'à une petite entrée taillée, gravée de symboles noircis par le feu. J'observais les motifs avec intérêt, ne reconnaissant ni la langue, ni la signification de ces traces. Me voyant faire, elle sourit en revenant légèrement en arrière pour se poser juste à mes côtés. C'était la première fois qu'elle était aussi près et bien que je me suis soudainement senti interpellé, je n'étais pas sur la défensive, j'étais curieux. J'essayais de me souvenir d'elle. De son parfum, de ses traits.
« C'est un sort de protection, dit elle en passant son index sur une ligne à même le bois de la porte. Un sort propre aux chamanes, que nous nous transmettons à l'orale, de génération en génération. Même les Mages du Geai Bleu ne pourrait en connaître le secret.
- C'est pour ça que vous avez survécu, grâce à ces sorts ? »
La vieille femme aveugle esquissa un peu plus grand sourire teinté de tristesse, tournant sa tête dans ma direction.
« Tu vas droit au but, comme toujours. »
Elle s'éloigna à nouveau, entrant dans la grande pièce circulaire qu'elle révéla après avoir allumer diverses bougies disposer tout autour. Je remarquais des livres, des objets de préparations magiques, tableaux. Faite de bois du sol au plafond, dans les racines visibles de l'arbre qui lui servait d'abri. Je m'avançais vers les livres ouverts, les petites fioles disséminées et vers ce qui ressemblait à un autel au-dessus duquel était posé un tableau représentant cinq hommes encapuchonnés. Je pense avoir déjà vu cette fresque, dans le hall du château de Mirin.
« Tu as toujours été un petit garçon curieux, direct. Tu passais ton temps à poser des questions. Pourquoi est-ce que j'ai les cheveux bleus ? Pourquoi j'ai pas le droit de jouer avec les autres garçons ? Et il y avait cet autre petit, qui te courait après et qui voulait être ton ami mais tu n'arrêtais pas de lui dire que tu n'avais pas le droit. Puis tu l'as ramené à la maison, tu l'as imposé à ta mère comme si tu avais trouvé un petit animal de compagnie...Tu étais capricieux mais elle ne pouvait rien te refuser. Tu avais le sourire magnifique de tes ancêtres. Ta mère était fière de toi.
- Je n'ai aucun souvenir d'elle, j'avouais.
- Je sais. »
La vieille femme s'avançait dans la pièce jusqu'à venir récupérer un petit livre. Elle en sortit une petite feuille carrée qu'elle me tendit. A peine l'avais-je saisi entre mes mains que je me raidis. C'était un dessin, un portrait pour être exact. Une femme aux cheveux ondulés, tressés sur le côté et un sourire discret. Le haut des joues piquetées de petit point.
« C'est elle ? Je demandais aussi tôt.
Elle acquiesça.
- Ta mère était aussi une chamane. Mais les chamanes ne doivent pas avoir d'enfant, elle voue normalement leur vie aux anciens dieux. Lorsqu'elle a appris qu'elle était enceinte, elle a renoncé à sa voie pour t'élever. La vie d'exilés n'était pas facile, mais nous étions solidaires les uns des autres. Nous avons vécu et construit en espérant un jour pouvoir regagner nos terres...Cela aurait été le cas, si les dragons n'étaient pas venus pour tout ravager... »
Je restais silencieux, j'avais la gorge nouée bien que je ne me souvenais pas, j'avais la désagréable impression de ressentir encore ce que le moi, enfant, avait ressenti. J'avais la sensation d'entendre sa voix m'appeler, d'imaginer des scènes qui auraient pu arriver.
« Peu de temps avant, tu as eu la marque. Le tatouage. En le voyant, nous savions tous ce que cela signifiait. Zephilis n'avait plus choisi d'hôte depuis sa disparition deux cents ans auparavant. Les autres étaient souvent revenu mais Zephilis, pas une seule fois. En voyant le tatouage sur ton avant-bras, tout le peuple s'était senti gagner d'un nouvel élan. Un espoir. Si nous caressions l'idée de partir, nous savions que c'était un espoir utopique et puis soudainement, ce fut comme un besoin viscéral. Un rêve qui devenait réalité. Ta venue au monde, ta réincarnation a été un miracle qui nous a donné envie de nous battre.
- Et qui vous a condamné..., je murmurais en regardant à nouveau le portrait.
La vieille femme aveugle sourit tristement. Le bandeau qui recouvrait ses yeux remuait parfois, je devinais qu'elle retenait ses larmes.
- Nous l'aurions été quoi qu'il arrive. Tu n'étais pas le premier à être revenu. Il y avait l'épouse du Roi d'Agora, elle était une élue potentielle. Puis cet autre garçon, celui que tu n'arrêtais pas de ramener à la maison.
Ecoutant attentivement, je me rendis alors compte qu'elle devait parler de Jisung.
- Comment il s'appelait ? Je demandais subitement.
Elle fronça les sourcils.
- Il n'étais pas...Ce n'était pas celui qu'on espérait revoir un jour. Tu sais mon garçon, après ce qu'il s'était passé avec les anciens mages. Nous avons tous appris ce qui était arrivé, nous avons tous compris pourquoi notre peuple avait été exterminé...Enkil. Sa trahison. Bien qu'il était un demi-dieux que nous devions tous respecter. Il n'était plus le bienvenu et...Ce petit... »
Elle avait du mal à s'exprimer, je voyais la peine que cela lui infligeait autant que je sentais l'irritation, l'incompréhension dans mon propre cœur à mesure que je me souvenais.
Des brides d'un petit garçon au joues rondes qui m'appelait à l'aide alors que son frère était repoussé. Les deux enfants étaient traités comme des indésirables, sans pour autant les toucher, leur faire du mal directement. On les avait reniés, on les mettait de côtés.
« Vous...Vous avez banni ces garçons ?
- Nous ne pouvions pas les bannir, ils avaient le premier signe mais il représentait une honte pour leur famille. Et pour leur éviter de mourir de faim, nous les avons recueillis.
- Parce que je vous l'avais demandé..., je constatais avec dureté. Comment ils ont su ? Je veux dire, Jisung n'a pas eu le tatouage avant d'être à Haendel, je le sais, alors comment ?
- Je... »
C'était elle. Je le savais. Au fond de moi je ressentais son sentiment de culpabilité et je me doutais de ce qu'elle allait dire. Bien que je ne la connaissais pas, que je commençais à peine à croire en ces mots quand elle disait être de ma famille, je me rendais compte de qui elle était réellement. La chamane des Quatre Cent Dieux et comme tous ses prédécesseurs, c'était elle, l'annonciatrice de chaque réincarnation. Avant même que le tatouage n'apparaisse, elle savait de quel demi-dieu il était question, pour chacun de nous.
Je lui rendis subitement le portrait de ma mère, me sentait étrangement mal à l'aise à l'idée de continuer à la regarder et à regarder même cette femme. Le souvenir revenait peu à peu, des images d'elles à mes côtés, des émotions qui traversaient leurs visages que je n'avais pas compris à l'époque mais qui me répugnaient aujourd'hui.
La façon qu'elles avaient eu de traiter Jisung et son frère comme des êtres dont ne pouvait se débarrasser mais qu'on acceptait par obligation, par devoir, pour faire plaisir aux dieux. Pour faire plaisir à Zephilis, leur enfant capricieux.
Lorsqu'elle m'avait annoncé être ma grand-mère, j'avais ressenti sur le coup de la joie puis de l'inquiétude parce que cette joie était supposée. Elle résultait d'un préjugé. Si elle était de ma famille, alors je devais être heureux. C'était forcément une bonne chose. C'était forcément bien de trouver sa trace comme si j'allais pouvoir ressentir l'amour filiale, pour une fois de ma vie. Comme si j'avais retrouvé mes racines. Je croyais que c'était l'achèvement du bien être que j'avais ressenti en foulant les terres de mon ancienne vie. Et finalement je me rendais compte que c'était loin d'être le cas. Je n'avais pas été leur fils ou leur petit fils, j'étais un hôte. Le futur mage. Une fierté qu'on exposait et qu'on vénérait mais pas d'amour inconditionnel dans leurs yeux. Pas comme celui que j'avais pu voir dans ceux de Sire Neven, quand il regardait sa fille, ou qu'il me regardait, moi. Pas quand Chan s'inquiétait pour la vie de frère, se damnait pour qu'il perde la sienne. Et même de la Reine consort Soyeon, quand Minho avait le dos tourné.
« Et mon père ? Je demandais alors la voix grave. Qui était il ?
- Ton père n'était pas...Ce n'était pas quelqu'un d'important.
- Mais qui était il ? Je me fiche de savoir son importance.
- Il était étranger, ce n'était pas un homme de notre peuple. Il n'était pas question d'amour entre eux. »
Je fronçais à nouveau les sourcils comprenant qu'elle en savait plus que ce qu'elle voulait me dire. Elle mentait. Elle savait parfaitement qui il était. J'aurai pu la pousser, lui tirer les vers du nez mais je n'avais plus qu'une envie, c'était de partir. J'étais déçu. Retrouver ma famille était loin du plaisir que j'avais imaginé, cette vieille femme, ma grand-mère dont je ne voulais même pas connaître le nom, était une étrangère. Une femme de passage dans mon existence. Je voulais partir. Je regardais autour de moi une dernière fois, puis sans plus de formalités, je commençais à me diriger vers la sortie. Elle s'agita, paniqué et essaya de me retenir.
« Attend, j'ai encore des choses à te dire !
- Pas moi.
- Zeph...
- Felix. Mon nom est Felix. »
La vieille femme se mordit les lèvres. Je regardais une dernière fois son visage ridés, ses cheveux blancs et sa tenue traditionnelle de chamane. Une de ses mains était posée sur sa poitrine, la deuxième sur le dossier d'une chaise qu'elle utilisait pour se maintenir. Elle était une inconnue et ce qu'elle m'apportait n'était que la cruelle réalité. Celle que mon enfance, bien que parmi les miens, n'avaient pas nécessairement été plus heureuse que celle aux côtés du Capitaine Alios, de Sire Neven. Finalement, j'avais peut-être eu plus de chance que je ne l'aurai cru.
Plus de chance que Jisung en tout cas.
« C'était notre façon de vivre, elle dit pour se rattraper. Ce n'était peut-être pas la bonne mais c'était la nôtre. Et il n'a jamais été question de faire du mal à qui que ce soit, nous avions toujours vécu ainsi !
- Je sais. Je ne vous en veux pas. C'est du passé de toute façon, je lui avouais avec sincérité. Mais ça ne change rien au fait que...Vous n'êtes personne pour moi. J'ai déjà une famille. Alors je suis heureux d'avoir pu vous rencontrer, cela m'aidera à recoller les morceaux flous de ma mémoire, j'en suis certain mais je suis attendu. Je dois rentrer.
- Non Zeph...Felix attend, je suis la seule chamane encore en vie des Quatre Cent Dieux, je dois encore te parler d'une chose avant que tu ne partes !
- Doren, c'est ça ? Je dis en me souvenant subitement de son prénom. Vous vous appelez Doren.
Elle ouvrit la bouche surprise puis hocha la tête.
« Je ne crois pas avoir encore besoin d'une chamane. Mes prédécesseurs se passaient déjà de vous une fois qu'ils ont tous été réincarnés complètement.
- Parce qu'ils avaient eu tous les enseignements ! Vous êtes encore des enfants, vous avez encore beaucoup de chemin à parcourir.
- Je sais. Mais nous y arriverons, je lui souris à mon tour. Merci de m'avoir dit tout ça.
- Non, s'il te plaît Felix. Attend une seconde. »
Elle farfouilla rapidement dans ses affaires puis en sortit une petite enveloppe, elle me la tendit, à nouveau les lèvres pincées et un air de honte. Elle recula, se frottant les mains sur sa tunique avant d'attendre que je ne décide de l'ouvrir.
Je pouvais au moins lui accorder encore quelques secondes. Je défaisais le papier pour le déplier. Les mots étaient en langues anciennes, l'écriture était travaillée mais me semblait étrangement vieillis, comme ceux des parchemins que trouvaient Sire Neven dans ses expéditions.
« D'où cela vient il ? Je demandais en commençant à lire.
- Peu importe d'où ça vient, c'est important que tu le saches. Important que vous le sachiez tous. Qui vous vous apprêtez à combattre.
- Il...Ca ne se peut pas...Fenrir il est... »
◯
○
.
*Fenrir
ou alors reponse E : l'auteur n'est pas encore décidée...XD
Alors les petits choux à la crème ! Ce chapitre ?
On sait au moins que le Binchan c'est du solide ! Ca roucoule, ça fait des bébé ! (enfin pas dans cette histoire mais vous voyez l'idée !)
Prochain chapitre : retour dans le passé pour Felix et le reste de l'épopée du Minsung à Haendel...
Un Minho en femme en courtisane, moi j'adore l'idée...
A bientôt !
D.
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