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X. l'Erudit


Une odeur de pain chaud chatouille mes narines, une odeur familière qui me fait crépiter aussi tôt l'estomac d'une sensation de nostalgie, de bien-être. J'ai encore les yeux fermés et je sens que je suis allongé dans des draps frais, je palpe le matelas à tâtons sur ma gauche, couché sur le ventre et quand mes doigts heurtent une peau brulante et rugueuse, je me tourne dans sa direction.

Des petites boucles qui caressent ses yeux clairs, un magnifique sourire innocent, amoureux, sur des lèvres pulpeuses, plus rose que dans mes souvenirs. Et le regard d'un garçon éperdu qui me gonfle le cœur de tellement de douceur sucrée que je pourrai en choper le diabète.

J'ai envie de rire. Je me sens bien. Il faut chaud ici, il fait doux et j'ai envie de venir me lover dans ses bras protecteurs, où la vie était simple. Sans l'imperfection de mon existence chaotique, j'aurai pu être heureux.

« C'est une illusion. »

La voix de Hyunjin.

Je redresse soudainement mon visage, plaqué contre son torse, les bras autour de sa taille qui devient plus fine, des clavicules plus marquées et un regard hypnotique. Le confort de Ben est remplacé par la silhouette plus gracile du Prince.

Sa magnifique bouche s'étire, ses longs doigts se glissent sur mon oreille, puis s'engouffrent dans mes cheveux qu'il saisit d'une poigne ferme sans être violente me faisant me pencher à quelques centimètres seulement de ses pulpes pourpre. Une brusque bouffée de chaleur m'envahit et me coupe la voix. Je me sens cotonneux, paralysé, comme une proie devant un prédateur à la vue affutée.

« Il n'y a qu'un moyen d'être heureux... »

Sa voix me parait lointaine et si proche à la fois, mon cœur manque de sortir de sa cage tant il bat fort et me fait trembler comme une feuille alors qu'il commence à se pencher, irrémédiablement et diablement lent. Je redoute pourtant l'impact, je redoute leur douceur, leur goût, l'acide et l'amer, je redoute l'éclair qui va me foudroyer et m'envelopper dans une spirale d'addiction. Bordel, je veux qu'il m'embrasse, qu'il me dévore, qu'il m'arrache toutes mes appréhensions.

« Ouvre les yeux. »

Je relève mes paupières, le halo de lumière et d'ombre qui joue sur son visage me parait vaporeux.

« Ouvre les yeux. » Il répète avec un sourire qui ne correspond pas à son intonation.

« Debout j'ai dit ! »

Soudainement j'ouvre les yeux, au bord de la crise cardiaque et la gorge si sèche que le simple fait de respiration me brûle jusqu'au fond de l'œsophage. Je cligne plusieurs fois des yeux, la lumière n'est pas si vive mais j'ai la sensation qu'on vient littéralement de me sortir du coma et qu'en plus de la sensation désagréable de lourdeur de mes muscles, je me sens poisseux et encore trop dans le brouillard pour vraiment comprendre ce qu'il m'arrive.

« Il y a des limites à la paresse. Il faut te lever maintenant. Tu as roupillé toute la matinée. »

Changbin me regarde au pieds du lit, bras croisés sur le torse et un regard furibond.

Je secoue la tête encore une fois, passant ma main dans mes cheveux et je remarque avec effroi que je n'ai plus mon bandage. Mon tatouage est à l'air libre et d'autres symboles semblent maintenant inscrit dessus. Là où je n'avais qu'un oiseau serti de formes géomètres, je me retrouve avec des lignes et points, semblables à un langage que je ne connais pas. Et ça ne semble pas être de la même nature, comme si on m'avait lancé un sortilège ou poser un sceau ?

Voyant mon air perplexe, Changbin fait le tour du lit et vient s'asseoir sur le côté.

« Seungmin t'a posé un sceau. »

Seungmin. Encore une fois je mets quelques secondes à comprendre de qui il s'agit. Puis, je regarde autour de moi, la pièce dans laquelle on m'a couché. Une chambre aux murs de pierres polis, clair. Les tissus sont de bleu et d'or, le couvre lit au milieu des draps blanc arbore le lion ailé de la famille Bang. Je regarde la grande et unique fenêtre, non loin d'une petite cheminée encore crépitante. Il faut grand beau, jour et je comprends que nous sommes arrivés au château.

« Ah ! Enfin réveillé ? »

Un nouvel arrivant que je ne reconnais pas. Je dois avoir l'air complètement perdu mais ça ne le perturbe pas. Indifférent sans être hautain ou dédaigneux, il vient se poser de l'autre côté, et pose directement sa paume sur mon front. Dans sa longue robe bordeaux sans manches, avec un châle beige sur les épaules dénudé, il agite son poignet sertit de multiples bracelets. Je remarque que son bras s'illumine d'arabesque, jusqu'à remonter jusqu'au coup et faisant briller ses yeux sombre. Ses petites mèches brunes découvrant légèrement son front. Il est au moins aussi jeune que Jeongin et pourtant il me parait si mature. Je n'arrive même pas à lui répondre alors qu'il semble concentré sur sa tâche.

« Bien, il conclut. Ton flux spirituel s'est calmé. Ca devrait aller de mieux en mieux maintenant mais il faudrait que tu manges un peu, pour retrouver des forces.

- Je..., je commence sans savoir par où commencer.

Devant mon air hébété, Changbin prend le relais.

- Tu te souviens de ce qu'il s'est passé hier ? Il me demande.

- Je crois. Je me souviens de la forêt, des morts-vivants et...du Roi de Pandore.

Je dis légèrement hésitant. Changbin affirme d'un petit signe de tête.

- Hyunjin a été intercepté par la délégation de Pandore qui se dirigeait vers Mirin. Il voulait demander à Chan de rester quelques jours au Palais, faisant une pause dans le chemin de retour sur leur terre et ils ont croisé le cheval galopant de Hyunjin. Ils ont compris qu'il se passait quelque chose et sont venus jusqu'à toi. Après t'avoir sorti d'affaire, le Roi Minho nous a fait escorter jusqu'au Palais. Avec leur monture ailée, ça n'a pas pris plus de quinze minutes.

- Et il n'aurait pas fallu une minute de plus. Vous étiez rentré en résonnance et la marque de Hyunjin aurait fini par le tuer, annonce l'autre comme si c'était un fait sans grande importance.

Sauf que moi, j'ai eu l'impression de vaciller à nouveau.

- Quoi ?

- Ne t'en fais pas, il va bien, me dit aussi tôt Changbin. Seungmin c'est occupé de lui, dit il cette fois en regardant le mage à mes côtés.

Je m'en suis douté qu'il s'agissait du fameux Seungmin, l'Erudit d'Agora, mais je ne l'imaginais pas aussi jeune. Le garçon me sourit, comme pour affirmer les dires du Commandant.

- Il a plus de résistance que Zaen Philis, je suis surpris.

- Attendez..., je souffle, épuisé. Je pige rien, c'est quoi encore que Zaen Philis.

Je me souviens que le Roi Minho avait déjà évoqué ce nom et je me souviens l'avoir entendu plus tôt, depuis la forêt, comme si quelqu'un ou quelque chose essayait de m'appeler.

- C'est...

- Non ! Interrompt Changbin. C'est pas à nous de lui dire.

Seungmin roule des yeux avant de remettre son châle sur ses épaules et s'éloigner.

- Bientôt toute la nation sera au courant et les autres aussi. Le Geai Bleu est à nouveau réuni, il va bien falloir qu'il l'apprenne.

- Seungmin ! »

La porte s'ouvre à nouveau et cette fois c'est le regard concerné du Roi Christopher qui me fait face. L'espace d'une seconde je me sens nauséeux, j'ai le cœur qui se met à nouveau à battre à vive allure et l'image du Roi se déforme, ses cheveux deviennent soudainement bleu, comme les miens et le fond est remplacé par une forêt. J'essaie de reprendre mes esprits, je secoue la tête et me frotte les paupières.

« Zephilis... »

Et puis le noir total. Le black-out.

Suivi d'un défilé de souvenirs, les extraits d'une autre vie, des sensations que jadis ont été les miennes sans l'être réellement. Un flot de sentiment, la joie, la tristesse, la colère et la toute-puissance aussi horrifiante que jouissive.

***

« Il faut appeler Minho, je vais avoir besoin de lui...

- C'est toi l'expert en sceau non ?

- Ma réincarnation n'est pas achevée, j'ai besoin des compétences du Nécromancien. Je sais qu'il t'énerve mais on a pas le choix.

- Je déteste lui être redevable et surtout, je n'ai pas l'impression qu'il prend son rôle au sérieux. Il se sent surement plus Roi, que Mage.

- C'est toi qui dis ça ? Monsieur je ne veux pas qu'on m'appelle Callum.

- Tu peux parler Iris.

- Je t'ai dit que ma réincarnation n'était pas achevée, je ne peux pas encore porter ce nom. »

Le brouhaha des voix finit par me réveiller. Je suis toujours dans le lit et je vois un halo de lumière au-dessus de mon bras. Seungmin a tracé les mêmes arabesques qui s'illuminent sur son bras d'une lueur azur sur mon propre bras, à proximité de mon tatouage. J'ai une sensation de chaleur intense qui s'en dégage, sans pour autant me brûler.

Voyant que je reprends conscience, il me sourit, plus compatissant que plus tôt.

« Tout va bien Felix, c'est simplement ta réincarnation, le processus de l'achèvement à commencer. Ça fait toujours ça, murmure avec douceur le Roi en se penchant sur le bord du lit.

Il n'a pas changé, il n'a plus les cheveux bleus comme je l'ai cru tout à l'heure. C'était surement une illusion. Ou plutôt un souvenir, un rêve d'une autre vie.

- C'est impossible. »

J'arrive à peine à extraire d'une voix faible et chevrotante. Je me sens perdu, effrayé comme un gamin et le regard attendrit du Roi Christopher aurait dû au moins me calmer, ou me surprendre, je me sens encore plus paniqué. Sans me contrôler je tire alors sur sa chemise, le ramenant à moi pour me cacher contre son buste, suffoquant et le visage ruiné par des larmes d'une crainte viscérale.

J'ai l'horrible sensation d'avoir été condamné. Comme une mise à mort. Je n'ai jamais rien ressenti d'aussi fort, d'aussi incontrôlable. Mon esprit ne cesse de crier son refus.

Je ne veux pas, je ne veux pas être un des leur, je ne veux pas...

« C'est pour ça qu'il met autant de temps, soupire Minho arrivant dans la pièce. Il rejette la réincarnation. »

Adossé à l'encadrement de la porte. Dans sa tunique royale aux couleurs de Padnore, rubis et noir, il balaie la pièce et chacun de ses occupants d'un calme olympien avant de s'arrêter sur moi. Un petit sourire s'étire alors.

« Respire Felix, tu vas t'évanouir à nouveau, murmure le Roi me laissant me cacher contre lui.

- Je...Je...

Rien ne sort. J'ai mal. Ma tête, mon bras, mon corps entier.

- Je n'ai pas le choix... »

Le Roi Christopher me détache de lui et vient déposer un baiser rapide sur mes lèvres.

« Callum...Callum... »

Une voix répète dans ma tête. Une voix qui ressemble à la mienne sans vraiment l'être. Mais aussi tôt mon cœur ralentit sa course, mon esprit et tout le reste de mon corps s'engourdit. Ma respiration est plus calme et tandis que le Roi s'écarte, il me sourit douloureusement.

Ce baiser n'avait aucune émotion ambigüe, pas d'amour, d'attirance, aucun sentiment si ce n'était une profonde tristesse. Une tristesse qui ne nous appartient même pas. Ça ressemblait plus à un sort, un charme pour calmer ma crise de panique. C'était l'autre, l'âme qui accompagnait la mienne qui s'était aussi tôt apaisée.

« Je suis désolé, prononce le Roi du bout des lèvres. Toi et moi, ou plutôt nos deux âmes immortelles, Callum et Zephilis, ils sont liés d'une manière tout à fait particulière. Je sais que ça fait beaucoup, que tu ne comprends pas encore tout mais je te promets d'apporter toutes les réponses que tu souhaites. Toutes celles que je peux en tout cas t'offrir.

- Mais d'abord tu dois te nourrir. Le sceau est stable, déclare Seungmin en se redressant. Minho, il faudra apporter ta touche plus tard.

- D'accord, acquiesce le Roi de Pandore.

- Parfait. Tu vas pouvoir sortir de ta chambre maintenant », me dit le Roi Christopher en se levant. 

Changbin se manifeste enfin et vient m'aider à me relever. Je me sens aussi tôt mal à l'aise d'être traité comme une chose fragile. Ils me regardent tous comme si j'allais à nouveau m'effondrer. Je sens encore mes jambes flageolantes mais j'arrive à mettre un pied devant l'autre. Je renoue la longue robe qu'on m'a donné et nous sortons de la chambre. Je remarque au passage une épée est posée dans le coin de la pièce et sur le bord du bureau jonché de papier, posé sur un coussin, la couronne du Roi d'Agora.

Cette couronne en feuille de laurier, je l'ai vu à Londinium et je prends alors conscience que j'étais dans sa chambre, sur son lit. Ma gêne se décuple, et alors que je jette un regard à Changbin, je remarque sa mine baisse et son air absent. Il feint parfaitement son sérieux mais je sais qu'au fond, il fait simplement bonne figure. Ni ma présence entre ses murs, ni le baiser du Roi plutôt, même si vraiment dénué de tout sentiment ambigüe, n'a dû le ravir. J'ai envie de me confondre en excuse mais ce n'est pas le moment. Je dois déjà essayer de marcher par moi-même, et c'est quelque chose dont je n'aurai pas aimé à m'inquiéter après vingt trois ans.

Changbin reste à ma gauche, posant simplement sa main sur mon dos, prêt à me rattraper alors que le Roi Christopher marche en tête avec le Roi Minho. Derrière nous, Seungmin ferme la marche.

Nous marchons sur un long tapis qui longe un gigantesque couloir aux hauts plafonds. Les peirres blanches du château sont splendides et il s'en dégage une chaleur douce, porter par de grandes fenêtres vitrés et quadrillé d'armature en fer forgé. Les tissus bleus couvrent par endroit les murs, les fleurs dans leurs pots répandent un parfum délicat. C'est agréable et ça me permet une seconde d'oublier mon expérience d'il y a quelques minutes encore.

Je ne cherche même pas à essayer de trouver des explications, je pense avoir un début de réponse et pour le moment, elle est loin de me satisfaire. Elle me terrifie.

« Com... », sentant ma voix déraillée, je me racle la gorge avant de reprendre. « Comment va Hyunjin ? Je demande cette fois en regardant Changbin. Enfin je veux dire, son Altesse.

Changbin tique légèrement à la familiarité soudaine mais au lieu de m'en tenir rigueur, il a un petit rictus amusé.

- Je te l'ai dit, il va bien. Seungmin a consolidé son sceau avec Minho. Il s'est réveillé il y a longtemps et il doit être surement dans le jardin botanique avec Jihyo. »

Jihyo...Ca me dit quelque chose, je songe alors intérieurement.

« Tu le reverras bientôt », il termine.

J'aimerai dire que je m'en fiche, mais ce n'est pas le cas, et ce n'est pas de manière désagréable que je le pense. Aussi surprenant que ce soit, je me suis inquiété pour lui et je m'inquiète toujours.

Nous arrivons enfin sur un immense hall accueillant quatre immenses escaliers. Le hall d'entrée du Palais. Les grandes portes en bois sont grandes ouvertes et laisses entrer un air chargé d'une odeur d'herbe fraichement coupée et de plantes. Je peux voir à travers l'immense baie vitrée en mosaïque, représentant un lion ailé, au-dessus de la porte, les innombrables arbres qui perdent leurs feuilles sous la brise. J'entends aussi des voix, des pas et remarque une tripoter de domestiques s'affairer dans le hall. Lorsque le Roi commence à descendre, il est aussi tôt accueilli par deux servantes. Elles lui tendent un manteau mais ce dernier refuse, la deuxième plus jeune, s'incline avant de déclarer :

« Nous avons préparer quelques mets dans la petite salle à manger. Nous avons également allumé un feu.

- Je vous remercie Rin. »

Nous descendons donc les escaliers et tandis que Changbin m'abandonne en bas des marches, s'inclinant et déclarant qu'il doit aller contrôler les directives qu'il a donné à ses officiers, les trois autres m'accompagnent jusqu'à la fameuse petite salle à manger.

Je me perds dans la contemplation des beaux meubles et des tableaux, je remarque une fresque toute particulière au-dessus d'une arche qui mène à l'aile opposée, salle du Trône et sur la fresque, cinq silhouettes drapées.

« Felix, m'appelle le Roi Christopher.

Je reviens vers lui, voyant que je m'étais immobilisé au milieu du hall. Il a remarqué ce que je regardais plus tôt mais ne dit rient à ce sujet.

Une fois dans la petite salle à manger, qui n'a de petite que le qualificatif ridicule de cette servante car on peut au moins accueillir deux cent personnes à cette table, je me place à l'endroit tout désigné et remarque les plats agoriens disposés. Je n'ai pas faim et ça doit se voir sur mon visage. Néanmoins le regard réprobateur des deux autres – je sors le Roi Minho de l'équation puisque c'est à peine s'il me regarde encore – je me décide à prendre ce qu'il ressemble à une petite brioche avec des fruits confits.

« Bien, commence Christopher. Allons déjà à l'essentiel.

- Tu es la réincarnation de Zephilis, annonce alors Minho.

Aussi tôt fusillé par les deux autres. Il hausse les épaules d'un air de dire « Bah quoi ? ».

- C'est un Mage du Geai Bleu, c'est ça ? Je demande alors d'une petite voix.

Christopher compatit à nouveau, pourquoi est-ce que j'ai l'impression que ce n'est une bonne nouvelle pour personne ? Je baisse alors la tête.

- Rah, voyons, il faut arrêter de prendre des pincettes, ça fait des décennies que Zephilis ne s'est pas réincarné, on a pas de temps à prendre, surtout si l'autre..., rouspète Minho.

- Minho ! » S'exclame Christopher.

Le calme revient. Le bout de brioche ne passe décidemment pas. Finalement c'est Seungmin qui reprend.

« Minho a raison. Tu connais la légende du Geai Bleu, les cinq mages de la forêt des Quatre Cent Dieux ?

- Oui.

- Alors disons que c'est un peu plus compliqué. Voilà, il y des millénaires, avant même la venue de l'homme, notre terre était peuplée principalement de divinités, d'esprit, de démon. Tout le monde sensible faisait partie intégrante du monde spirituel. Et une de ces divinités a décidé de se scinder en cinq autres. Cette scission serait à l'origine de la scission du monde spirituel en trois pôles : d'un côté notre monde, le monde spirituel et les Terres Obscures. Ces trois mondes sont en constantes interactions. La plus grosse frontière est certainement entre notre monde et le monde spirituel mais il est plus facile de passer en Terres Obscures, notamment par des portails dans la forêt des Quatre Cent Dieux. Enfin, laissons ça pour une autre fois. » Seungmin fait un petit geste de la main avant de reprendre.

« Quoi qu'il en soit, ces cinq nouvelles divinités, plutôt des demi-dieux, ont préféré abandonner leur immortalité physique et la vie dans le monde spirituel pour se réincarner en des êtres humains, qu'ils doteraient alors d'une force magique très importante. Des Mages. Le cycle de leur réincarnation a été longtemps le domaine de chamane du peuple de la forêt tout comme les humains choisis, ils étaient nécessairement des descendants de ce peuple, jusque leur extermination par l'Empereur Eivor, il y a un peu plus de cent cinquante ans...

On ne pensait pas qu'un jour le Geai Bleu pourrait se réincarner, car même s'il restait par le plus grand des hasard des descendants, aucun n'a montré des signes. Jusqu'à...

- Moi, sourit alors Christopher. J'ai été le premier à achever ma réincarnation, il confie comme si c'était un lourd secret. Les mages du Geai Bleu se manifestent par différents signes. D'abord, il y a la marque bleu, une marque qui peut se faire par la couleur des yeux, des cheveux, dit il en pointant ma propre chevelure, la peau ou encore le sang. »

Il passe lentement sa main sur sa cuisse.

« Quand j'ai eu dix ans, je suis tombé à cheval, mon père essayait de m'apprendre depuis des mois mais je ne suis vraiment pas doué avec ces bêtes et en tombant, je me suis blessé sur la cuisse. J'avais le sang bleu...Un bleu presque noir et tous les physiciens, les alchimistes, les mages, tous ont cru que j'étais maudit et c'est ma mère qui a fini par expliquer à mon père que c'était seulement le premier signe.

Elle était du peuple de la forêt, en tout cas elle avait des ancêtres qui l'étaient. Elle nous a avoué qu'il en était resté une petite poignée après le massacre d'Eivor et qu'ils avaient vécu pendant longtemps cachés, reclus sur une petite île près d'Haendel. Après une catastrophe naturelle, ils ont essayé d'évacuer des enfants et quelques femmes mais beaucoup sont mort en mer. Les autres ont vécu seuls, cachés, certains sans jamais savoir ce qu'ils étaient vraiment...Comme toi. »

Je reviens soudainement à moi. Jusque-là parfaitement concentré et je me rends compte de ses mots et ils font échos à d'autres souvenirs, les miens, ceux de mon enfance alors que j'entendais des voix me dire de me cacher, me jetant dans une cale de bateau. Mais dans ma tête, ce n'était pas une catastrophe naturelle qui m'avait obligé à fuir. J'entendais des cris de détresse, j'entendais des chocs de lames.

Plutôt que de le contredire, je laisse le Roi reprendre.

« Je le sais parce que ma mère m'a parlé d'un autre garçon, qui avait aussi le tatouage et eu le premier signe. Des cheveux bleus et le tatouage sur l'avant-bras, celui de Zephilis. Son peuple avait même cru que c'était un espoir retrouvé, ils attendaient tous qu'il se manifeste, après autant de temps...Mais ils sont morts avant et ma mère pensait que le petit garçon était mort aussi.

Elle était très fière de voir que j'étais à mon tour une réincarnation. Elle m'a expliqué que j'allais passer par plusieurs étapes. Je venais de voir mon signe physique, j'allais voir apparaître le tatouage, en fonction de son emplacement, je pourrai deviner quel demi-dieu m'avait choisi...Le haut du bras, c'est celui de Callum. Le Mage-Guerrier.

- Comment a reagi ton père ? J'ose demander.

Le Roi est surpris de m'entendre. S'attendait-il à ce que j'avale tout ce qu'il dit sans poser de question ? Mais il a l'air content. Plutôt que réfuter, je lui parais intéresser et c'est à son sens, un bon signe.

- Il a bien réagi. Agora n'a jamais été en guerre contre le peuple de la forêt ou le Geai Bleu. Eivor était un Empereur trop ambitieux et comme tous les hommes de pouvoir, il craignait la chute. Il a décrété seul l'exécution des cinq Mages, sans obtenir l'approbation de ses Seigneurs. A cette époque, c'était a priori mon grand père qui était au pouvoir et je crois me souvenir que mon père disait de lui qu'il était un homme sage. Intelligent et tolérant. Mon père avait donc les mêmes traits de caractères, en étant plus drôle, sourit cette fois Christopher comme un enfant.

Je ne que répondre à son sourire, même si je ne suis pas aussi euphorique que lui.

- J'ai vu mon tatouage à mes treize ans. C'est à cette même période que ma mère est morte. Alors mon père s'est remarié avec une des nobles de sa Cour. Hwang Sunhee et elle avait déjà son petit garçon avec elle, issue d'un premier mari mort avant même qu'elle ne vienne vivre à Agora. La Reine consort..., déglutit plus difficilement le Roi Christopher. La mère de Hyunjin...

- Une autre fois. Intervient Seungmin. Chaque chose en son temps.

Christopher affirme. Minho récupère une orange qu'il pelle tranquillement, assis en face du Roi d'Agora.

- Deux ans plus tard, c'est mon père qui est mort et je suis devenu Roi à quinze ans. Peu de temps après je suis partie pour mon initiation de mage dans la forêt des Quatre Cent Dieux. A mon retour j'ai eu l'achèvement. A cette époque j'ai aussi rencontré Seungmin qui avait eu son premier signe.

Pour confirmer, Seungmin se concentre une seconde et les arabesques apparaissent à nouveau d'une vive couleur bleue, comme d'innombrables point lumineux qui circulent dans ses veines.

- Mes arabesques ne sont apparues que lorsque j'ai eu connaissance de ma force spirituelle, dit alors Seungmin. C'est un des signes les plus tardifs à apparaître. L'ancien demi-dieu qui l'avait récupéré était Enkil, le Mage blanc. Moi moi je n'incarne pas Enkil, j'incarne l'Alchimiste, Iris.

De la même façon, Seungmin ferme les yeux et le geai bleu apparait sur son visage.

- J'essaie de dissimuler leur apparition, je ne veux pas qu'on pose trop de questions.

- Surtout que vous avez une taupe..., marmonne Minho.

- Minho..., gronde encore le Roi Christopher.

J'ai l'impression que ces deux là adore se faire la guerre. Le Roi de Pandore croise mon regard interrogateur et alors qu'il détache le quartier de son orange, il reprend à la place de Christopher.

- Mon signe est spéciale, à cause de la nature de mes pouvoirs.

- C'est le Nécromancien, dit alors Seungmin. Un mage noir. Et le signe bleu devient alors mauve pour lui.

- L'ancienne Félane avait les cheveux lilas, moi c'est les yeux.

Effectivement, je l'avais déjà remarqué hier dans la forêt. La lueur de ses yeux. Cette petite touche de violine.

- Seul le tatouage donne le nom de notre demi-dieu, complète Christopher. Les signes apparaissent aléatoirement en fonction des réincarnations. Tout comme le premier réincarné n'est pas toujours le même. Nos anciens nous, c'était Callum qui avait les cheveux bleus, aujourd'hui c'est toi, Zephilis.

- Alors...Je suis Zephilis, c'est ça ?

- Aucun doute là-dessus, confirme Seungmin. Le tatouage sur l'avant-bras en est la preuve.

- Mais tu n'as pas encore fini ton processus, continue Christopher. J'ai été la première réincarnation achevée, puis ce fut Minho. Seungmin attend toujours et toi...Toi je pense que ça va être compliqué. Tu as l'air de repoussé ton âme immortelle et je pense que c'est à cause de ce qui est arrivé quand tu étais enfant...

- Et surement de la malédiction... »

Christopher se retient de le fustiger, ça ne sert à rien, Minho s'en contre fout voire pire, ça l'éclate.

« C'est pas possible mais dites-lui merde, c'est en grosse partie cette malédiction qui retarde tout. On est même pas sûr pour Enkil et voilà qu'on fait des secrets entre nous. On est le Geai Bleu, rien n'est secret entre nous.

- C'est Hyunjin c'est ça ? Je devine.

Le Roi Christopher se raidit et Seungmin soupire, las ou bien attriste, je ne saurai dire.

- Hyunjin est le descendant d'Eivor. Dit alors Minho voyant que les autres sont muets. De sa lignée. Son père était Kane Vagari, tué par Konrad Vagari pendant la Guerre des Cinq.

la Reine consort Sunhee Hwang, a accouché d'un enfant hors mariage et pour fuir Konrad et éviter la mort assuré à son enfant, elle s'est réfugié à Agora. Elle a été protégée par le père de Chan qui savait exactement qui elle était. Et tu sais pourquoi ? A cause de la marque noire. Hyunjin a manifesté les symptômes dès l'âge de cinq ans. Il n'y a que le Geai Bleu et les membres de la famille Bang qui sont au courant. »

Ca fait beaucoup d'informations mais cette dernière me semble encore plus importante que les autres. Cette épée de Damoclès au-dessus de la tête de Hyunjin, alors que je me rappelle des mots de Wooyoung, des morts inexpliquées de la famille de l'Empereur, du pacte qu'il a rompu en entrainant la malédiction de la lignée. Ce n'était pas qu'une façon de parler et Hyunjin en était la preuve vivante.

J'ai envie de vomir à nouveau, alors que je revois cette masse sombre peint dans son dos, le crâne, le serpent qui l'enveloppait et le faisait souffrir.

« C'est Zephilis qui l'a maudit. Souffle Christopher.

Un électrochoc me traverse, comme si on venait de dire que c'était moi le coupable et on n'est pas loin du compte. Parce que Zephilis, pour le meilleur et pour le pire, c'est moi. Mon futur moi.

- Quand Eivor a prononcé l'exécution du Geai Bleu et du peuple entier de la forêt, il a fait appel à une force spirituelle particulièrement démoniaque des Terres Obscures, pour ça il a dû livrer en sacrifice une centaine d'âmes innocentes. Il ne s'était pas rendu compte encore que le prix était encore plus lourd qu'il pensait...

- Iris, l'Alchimiste a été tuée en premier. Elle a perdue tous ses pouvoirs d'un seul coup, et alors que Félane essayait de la défendre, elle a perdu elle aussi le peu de puissance qui lui restait, elle a tout juste eu le temps de sceller leurs deux âmes pour non pas se réincarner tout de suite mais pour venir habiter le corps temporaire de Zephilis... Ça aussi, c'était un sceau interdit, conte Minho comme s'il l'avait vécu et surement ainsi qu'il le ressent à cette instant. Mais Félane n'est pas du genre conciliante. C'est le mage noir après tout.

Il ne montre pas nécessairement d'émotion et pourtant je sens tout le poids dans sa voix, et cette espèce de petit voile qui passe sur ses pupilles.

- On ne sait pas exactement ce qu'il s'est passé du côté de Zephilis, concède Christopher. On a que les souvenirs de nos propres réincarnations. Mais je sais que je suis mort en dernier. Callum a été tué avec le reste du peuple de la forêt. Enkil, était mort sans doute peu de temps avant. Et nos âmes, comme celles de Félane et Iris plus tôt, ont été liées à Zephilis. C'était donc un mage tout puissant, comme la première divinité, complète, qui a anéanti toutes les forces de l'Empire et qui a maudit Eivor et toute sa lignée. Avec les aptitudes de Félane en lui, il a invoqué la magie noire, sacrifiant par la même occasion le Geai Bleu.

- Pendant un temps, les rares survivant de notre peuple ont cru que plus jamais le Geai Bleu ne se réincarnerait. Ca n'était encore jamais arrivé, explique Seungmin. Il pensait que la boucle était bouclée. En revenant en un seul corps, le dieu premier avait terminé son cycle. Mais comme tu le vois, ce n'est pas le cas.

- Et vous êtes sûr que ça ne peut pas être autre chose ?

- Tu veux vraiment jouer les ignorants ? Se vexe cette fois Minho. Tu as eu des brides de tes vies antérieures, ne fait pas semblant, on a tous vécu la même chose.

- Mais je ne comprends pas...Pourquoi maintenant ?

Les trois hommes ne peuvent me donner de réponse.

- La malédiction a juste retardé les choses. C'est comme ça qu'on le ressent car c'était des forces avec lesquelles même Zephilis n'aurait pas dû jouer.

- Elle risque même de dégénérer. Dit alors Minho. Et je suis bien placer pour le savoir. Si au lieu de mourir, cette fois elle prenait le dessus sur l'hôte et qu'on ouvrait juste la porte à une force spirituelle incontrôlable venue des Terres Obscures ?

- Sans parler du Roi d'Haendel, s'il apprend que Hyunjin est l'héritier non seulement d'Agora mais aussi de l'Empire... Il n'hésitera pas pour réclamer sa tête. 

- Si ce n'est pas ce qu'il essaie déjà de faire. En toute discrétion, se moque Minho. 

Je secoue la tête. Ca fait beaucoup. J'ai du mal à suivre et en même temps, j'ai l'impression que les choses s'éclaircissent.

- Le Geai Bleu doit revenir. Il est l'équilibre », conclut alors Seungmin. « Je sais que c'est beaucoup mais tu dois accepter ta réincarnation. Ça sera la première étape pour l'achèvement.

- Oui mais...Je ne suis pas un mage, je suis...Pas grand-chose.

- Tu es Zephilis. Tranche Minho. Tu es le plus fort des Mages du Geai Bleu. Tu n'as pas le choix, c'est ton destin, que tu le veuilles ou non.

- Minho...

- Non. Il faut arrêter le protéger comme un enfant. Aucun de nous n'a pu choisir. C'est comme ça. Et si Felix ne se ressaisit pas, s'il tourne le dos à son âme immortelle, tu feras quoi avec ton frère ? Il n'y que si nous sommes tous les cinq que nous arriverons à lever la malédiction. Sans parler de Fenrir qui est au moins une aussi grande menace qu'un démon des Terres Obscures. 

- Non ! Il a déjà assez à faire avec ce qu'on vient de lui dire ! Il n'a pas besoin de pression supplémentaire ! 

Minho lève un sourcil. 

- C'est le Roi qui parle ou c'est Callum qui essaie de protéger son ancien amant ? 

Christopher se lève brusquement, près en découdre et me fait sursauter par la même occasion. Seungmin l'arrête aussi tôt, ayant senti toute sa fureur. 

- Stop ! Vous êtes des Rois bon sang ! Comportez vous en tant que tel !  Tranche cette fois Seungmin.

Les deux souverains se regardent quelques secondes en chien de faïence, puis Minho décide de quitter la pièce, sans un mot.

« Je suis désolé, souffle cette fois le Roi Christopher. J'ai perdu mon sang froid. 

Il essaie de reprendre constance. Seungmin soupire et se frotte les yeux avant de me regarder.

- On a quand même beaucoup parlé. Digère tout ça, on en reparlera plus tard. Ca ne change rien à ton statut ici.

- Parfaitement, s'exclame le Roi avec l'expression la plus factice que j'ai vu jusqu'à maintenant. Je reste Roi et toi le garde personnel de Hyunjin. Oublions pour le moment cette histoire. D'ailleurs tu ferais bien d'aller le retrouver, je trouve qu'il s'est pas mal enquit de ton état de santé, et c'est pas si anodin quand on sait à quel point il peut être agaçant quand il veut ! »

Christopher décide à son tour de partir, nous saluant au passage mais je sens bien qu'il est toujours perturbé par son altercation et Seungmin aussi le sait. Il hausse les épaules puis me demande silencieusement si ça va et je ne peux que hocher la tête.

Ça ira quand j'irai me jeter au-dessus des remparts du château. Quelqu'un pourra se débrouiller avec ma réincarnation.

« On se voit plus tard. Il me dit finalement avant de partir à son tour.

- Oui...Plus tard. »

Une fois seul, je laisse ma tête retomber sur le bois de la table. 



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