IX. le Necromancien
Je passais d'un moment gênant à un autre. Hyunjin grimpait le flanc de falaise sans difficulté, cherchant un point en hauteur pour pouvoir apercevoir nos montures. Je le suivais, la tête ailleurs. J'étais encore un peu ébranlé par ce qu'il s'était passé avec la créature de terre, mais maintenant que nous n'étions plus que tous les deux, je ne pouvais m'empêcher de penser à ce qu'il m'avait pris. Volé plus précisément, comme je l'avais fait le reste de la journée.
J'avais réussi à intégrer l'idée qu'il s'agissait pour lui d'une petite vengeance, la monnaie de ma pièce, mais aussi un moyen de me faire comprendre qu'il acceptait enfin de me donner une seconde chance. En tout cas c'était ce que j'espérais, sauf que pour ça, il aurait fallu qu'il me regarde, qu'il me parle, mais depuis que nous avions quitté le groupe et que nous grimpions, il ne m'avait pas encore adressé la parole.
Est-ce qu'il voulait encore se moquer de moi ? Simplement me perturber et jubiler ensuite de me voir bloquer sur le goût de ma propre médecine ?
Ça serait vicieux, et ça pourrait lui ressembler mais au fond de moi, j'étais persuadé que ce n'était pas le cas.
« Tiens, regarde. » Il me dit essoufflé en pointant l'horizon.
Perché sur un petit rebord, se tenant à une branche qui a réussi à percer la roche par une fissure, il montre une petite plaine à deux ou trois kilomètres de là où nous avons été attaqués plus tôt.
« Viens », il me tend sa main.
Je me mords les lèvres, regardant cette main avec méfiance et ça n'a pas échappé au Prince. Il roule des yeux et secoue à nouveau sa main avec l'impatience qui le caractérise bien. Ca me soulage presque.
« Fais pas l'enfant, prends ma main. Je vais pas te pousser dans le vide.
- Entre ça et m'embrasser de force, votre cœur balance, c'est ça ? »
Hyunjin lève les sourcils, surpris. Il ne devait surement pas s'attendre à ce que je remette l'histoire sur le tapis aussi facilement mais ça aussi, ça semble le soulager. Finalement il laisse filer un petit rire, secouant la tête devant une impertinence qui cette fois me caractérise. Je réponds à son rire, et je lui donne ma main. Ses doigts se resserrent lentement, et il me hisse à ses côtés d'un geste rapide. Je suis surpris par sa force mais aussi tôt son corps d'éphèbe me revient en tête, et finalement je me dis que ce n'est pas si surprenant. Il est fin, longiline, mais il a une poigne ferme et ses muscles sont dense sans être trop volumineux. Un physique parfait. Et alors qu'il me retient fermement par les épaules pour m'éviter de glisser, notre proximité ne manque pas de me donner un petit coup de chaud.
Le vide ou le baiser, moi j'ai fait mon choix. Je crois même voir ses pupilles regarder furtivement mes lèvres, puis sa langue se glisser entre les siennes avant de détourner rapidement les yeux.
« Regarde, il me dit à nouveau en pointant la plaine. Il y a trois chevaux là-bas. Tu les vois ?
- Hum, je crois. Ils ne sont pas si loin. Ça ne prendra pas plus d'une demi-heure de les atteindre.
- Avec la végétation compte plutôt une heure. Il faut traverser la rivière en plus.
- Alors ne perdons pas de temps, le soleil commence déjà à se coucher », je dis en pointant l'astre de l'autre côté de la vallée.
Hyunjin acquiesce et m'aide à redescendre, me tenant toujours la main.
Une fois les pieds sur la terre ferme, je sens ses doigts quitter les miens et cette sensation me rappelle à la nature fondamentale de nos rôles, lui le Prince, moi le Gardien et c'est une sorte de retour à la réalité que je n'avais prévu, même si plutôt logique. Pas nécessairement désagréable mais c'est une sensation de léger vertige que je ne pensais pas ressentir avec le Prince. La déception.
Je me racle la gorge et je secoue la tête, il faut que je me ressaisisse. Son sale caractère devrait suffire à me faire oublier ces petits instants doucereux et ma petite faiblesse momentanée. Il me suffit d'attendre la prochaine offense et à nouveau je pourrai me contenter de rester à deux mètres derrière lui. Comme je suis censé l'être.
Nous remontons le chemin jusqu'au régiment, Hyunjin a l'air bien moins perturbé que je ne le suis et je devrais suivre son exemple. Je reprends donc mon sérieux et nous nous approchons rapidement du Roi qui discute avec ses officiers. Les autres soldats essaient de récupérer ce qu'ils peuvent dans les décombres, se préparant déjà à passer la nuit non loin de la forêt.
« Alors ? Demande aussi tôt Changbin.
- A trois kilomètres au Nord de la forêt, il y a une petite plaine et je pense qu'il y a quelques montures qui sont là-bas. Je vais y aller.
- C'est trop dangereux, la nuit va tomber rapidement, proteste le Commandant.
- Felix sera avec moi ». Il dit alors sans attendre.
Je relève la tête dès qu'il prononce mon nom. Je ne devrais pas être surpris une tête surprise, après tout, je suis son garde personnelle mais je ne suis pas habituée à l'entendre de sa bouche et je ne suis pas le seul. Le changement de comportement du Prince a de quoi décontenancé, surtout que personne ne sait comment nous avons réglé notre conflit plus tôt dans la journée. Mon embarras en me ressassant le baiser volé commence à se voir.
Il va vraiment falloir que je passe à autre chose, sinon je vais me faire cramer.
Changbin me regarde maintenant avec insistance et je me contente d'affirmer d'un signe de tête pour le rassurer mais il fronce les sourcils, il n'aime pas l'idée que le Prince soit hors de sa surveillance, c'est la première fois pour lui depuis des mois, je le comprends. En plus mon air dans la Lune est loin de le rassurer. Après tout, c'est un maniaque du contrôle et je sais qu'il apprécie le frère du Roi, comme il apprécie un ami ou un membre de sa famille. Alors même s'il reconnait mes capacités - quand j'ai pas la tête ailleurs - il ne sera pas là pour sauver tout le monde, comme il a toujours eu l'habitude de le faire.
« Voyons, tu l'as entrainé Changbin, laisse-le faire, le sermonne le Roi Christopher devinant ses pensées. Et puis Hyunjin n'est pas un petit agneau sans défense. Prends ton arme avec toi.
Hyunjin affirme et viens tapoter la garde de son épée resté dans son fourreau, accroché à sa ceinture. Puis il se tourne à nouveau vers moi, me faisait me redresser par pur automatisme.
« Allons-y, on doit retrouver les montures avant qu'il fasse noir. Sinon ils seront trop effrayés.
- Ensuite vous chevauchez jusqu'à Mirin tous les deux et vous faites venir une escouade de récupération, d'accord ? Nous ordonne le Roi.
Changbin n'est visiblement pas d'accord mais il ne peut pas contredire son Roi, il baisse les yeux.
- Faites nous confiance », je rassure mon souverain coulant un petit regard gêné vers mon supérieur.
Il n'est pas le seul qui ne peut pas contredire son monarque. Hyunjin ne perd pas de temps, il se contente d'un petit signe de tête et ça ne surprend personne. Il est vraiment impertinent, et son frère n'est même plus surpris. Tout Roi qu'il soit, il ne semble pas avoir plus d'autorité que le Commandant sur le Prince Hyunjin. J'avais bien compris qu'il n'en faisait qu'à sa tête et je compatis aux tourments qu'il a pu causer à son entourage mais le Roi n'est pas dérangé outre mesure, il semble s'en amusé. Je m'incline alors rapidement puis je me dépêche de rejoindre mon protégé.
« Attendez-moi », je lui dis alors que je cours presque derrière lui.
Lui et ses longues jambes, c'est comme si la nature n'arrivait même pas à freiner ses pas élancés. Il passe au-dessus des petites bosses, des pierres, des amas de terre qui appartenaient encore il y a peu, au corps gigantesque de la créature de la forêt, alors que moi j'ai l'impression de devoir sauter à chaque petit obstacle. Je me suis toujours trouvé gracile, habile comme un félin mais ce n'est rien comparé au Prince. Il a l'air d'un être surnaturel, un elfe ou une nymphe. Un mélange des deux peut-être.
« Si tu es trop lent, je te laisse derrière », il me menace.
Tiens, qu'est-ce que je disais ? L'instant éphémère est terminé. Il est redevenu le Prince agaçant. Enfin.
***
Après une longue marche, nous bordons la petite rivière et je ne vois déjà plus le camp. Hyunjin a ralenti ses pas et les lumières chaudes du coucher de soleil léchaient maintenant son visage plus calme. Soucieux serait plus juste.
Il lève les yeux sur les derniers rayons du soleil qui coloraient le ciel de vagues roses et orangées, et tandis que l'air se fait plus frais, il laisse filer un petit soupire douloureux. Il se masse l'épaule, comme je l'ai déjà vu faire des dizaines de fois.
« Vous voulez qu'on fasse une pause ? Je demande d'une petite voix.
Hyunjin secoue la tête de droite à gauche. Il ferme les yeux, essaye de retenir un nouveau pique et laisse ses épaules redescendre lentement.
- Ca va », il murmure mais c'est nullement convaincant.
Je me mords les lèvres, ne trouvant rien pour le soulager.
« C'est..., il souffle alors que sa tête bascule légèrement en avant. La proximité avec la forêt. C'est toujours plus dur.
- C'est à cause de la forte charge spirituelle ?
Hyunjin affirme.
- Mais pas seulement...Elle a été créée ici, dit-il cette fois en regardant la lisière des arbres plus loin. Ma malédiction. »
Je déglutis. C'est la première fois qu'il verbalise son mal et je sens que ce n'est pas anodin. J'ai l'impression de ne plus tellement entendre sa voix, celle du Prince orgueilleux. C'est plutôt celle d'un homme malheureux, souffrant, qui regarde son bourreau avec colère et en même temps, avec résignation.
« Je sais que je ne devrais pas poser la question, je commence en me pinçant les lèvres. Mais...Il n'y a pas de solution ?
- Il y en a une. Mais elle est impossible », dit-il d'un air las, fatigué.
Il glisse maintenant son regard sur moi et le soleil disparait. Il ne reste que cette lueur au loin et le voile s'assombrit, dévoilant de plus en plus d'étoiles sur la voute céleste. Son visage devient plus sombre, son regard plus brillant et j'ai la sensation que les mètres qui nous séparent sont ridiculement petits, que sa chaleur arrive à atteindre la mienne, tout en étant glacial.
« On doit avancer », il souffle lourdement.
Il se détache et reprend la route. Moi, je dois encore me gifler mentalement pour revenir sur terre.
Encore un peu de marche dans le silence total et bientôt il fait trop noir pour nous permettre de correctement distinguer notre environnement. Heureusement, Hyunjin me fait m'arrêter d'un geste de la main. Nous sommes arrivés sur la plaine que nous avions remarquée plus tôt et trois chevaux sont effectivement en train de paitre tranquillement. Je reconnais la monture de Hyunjin et sa robe grise, avec cette pénombre, ça devient dur à affirmer, mais Hyunjin l'a immédiatement remarqué.
Je reste en retrait tandis que le Prince commence à avancer lentement, prudemment. Chaque pas le rapproche un peu plus de la bête qui relève soudainement la tête, se secouant dans un grognement d'avertissement. Tendu, l'animal recule et Hyunjin chuchote des mots que je n'entends pas. Il essaie de l'apaiser mais elle semble encore stressée, vulnérable et chaque pas que Hyunjin fait la fait s'agiter, réagir par des petits bruits, des battements de queue qui fouettent son flanc.
C'est assez intriguant, de le voir avancer calmement, presque avec tendresse et sa main tendue. Ses cheveux noirs remuent par moment sous la petite brise qui se lève et me fait frissonner. Ses longs vêtements sombre contrastent avec la peau claire de son poignet, de sa nuque découverte. Le soleil n'est plus là pour l'éclairer mais la Lune fait maintenant l'affaire.
Hyunjin esquisse un sourire quand il arrive enfin à poser ses doigts sur le nez de la jument, elle secoue à nouveau la tête, et il s'approche jusqu'à caresser totalement son cou.
Le spectacle est saisissant. La douceur qui se dégage du Prince, sa complicité naturelle avec l'animal qui m'avait déjà frappé il y a des jours. Un aspect de sa personnalité que j'aime observer avec un intérêt curieux.
« Là, il murmure. Tout va bien... »
Je décide de m'approcher, très lentement, puis restant à quelques pas, j'attends l'approbation du Prince pour venir au plus près. Hyunjin me fait un petit signe de tête et je viens enfin me poster à côté de la belle jument.
« On prendra un cheval pour deux, sinon on va perdre encore trop temps. Je ne suis pas sûr que les autres me laisseront m'approcher. Et je ne suis pas rassuré de savoir les autres au camp, il faut qu'on se dépêche.
- Vous êtes sûr ? »
Hyunjin affirme. La selle est encore posée sur l'animal, il la déboucle alors, soulageant de son poids la bête qui va devoir nous supporter, tous les deux.
« Ca sera plus simple sans. Tu es déjà monté à cheval sans selle ?
- Avant vous, je suppose.
- Je parle pas des juments que tu montes à l'occasion, dans les toilettes d'une auberge. »
J'aurai presque pu m'étouffer avec ma salive sous son culot mais au lieu d'avoir ce regard méprisant, il avait l'air plutôt fier de sa pique. Malicieux même.
Faut me comprendre, je suis faible et j'ai toujours eu du mal à ne pas répondre à la provocation. Surtout quand il se révèle être bien plus charmeur que je ne l'aurai imaginé. Alors j'agrandis mon sourire.
« Pour être plus précis, c'était elle qui me chevauchait et votre Altesse, je parle bien de chevaux. Pas de jument. »
Je caresse le flanc de la monture tandis que Hyunjin reste incrédule, se demandant certainement si c'est toujours une métaphore. Mon regard doit parler pour moi car ses lèvres s'étirent un peu plus et ses dents viennent mordiller le croissant inférieur. Mon ventre se tord lentement et ma main ralentit, restant immobile sur le crain du cheval alors que je n'arrive plus à détacher mes yeux de cette chair malmenée.
« Alors, tu vas pouvoir grimper sans mon aide. »
Sur ses mots, il se retourne et se hisse d'un mouvement gracieux sur le dos de l'animal. Le cheval est surpris mais il reste tranquille. Hyunjin le caresse à nouveau pour le rassurer, tandis qu'il me toise d'un air de défi pour que j'en fasse de même.
Je prends alors une inspiration, puis à mon tour je me hisse derrière lui. Ma jambe passe de l'autre côté mais je manque de glisser totalement et Hyunjin me retient juste à temps, la main sur la hanche. Une fois stable, il la retire et me laisse un peu décontenancé. Je me reprends, et lui se saisit des rênes. D'un petit mouvement de bassin, je me rapproche pour être plus à l'aise. Je pose mes mains sur le haut de ses cuisses et je le sens se contracter sous mes paumes. Je m'empêche de faire le moindre commentaire, appréciant l'effet sans me poser de question et me concentre sur sa respiration. Si elle s'est accélérée, c'est assez bien caché. Je sens un léger picotement dans le bas du ventre, un plaisir coupable à le voir réagir, réussir à le perturber est encore plus satisfaisant que lorsque je le mets en rogne.
Après quelques secondes, je pousse le vice et me rapprocher de son oreille.
« Un problème, votre Altesse ? »
Brusquement, il claque la langue et d'un coup de talon, le cheval pivote et se met à galoper, m'obligeant à me plaquer sur son dos et planter mes mains sur ses quadriceps. Je sens mon visage devenir écarlate et je devine la pointe de ses oreilles prendre la même teinte.
***
Nous continuer de cavaler le long de la forêt, jusque-là, je n'avais que les battements du cœur de Hyunjin contre mon oreille pour compagnie, la respiration du cheval qui commence à s'épuiser. Hyunjin ralentit la cadence pour que la bête puisse reprendre son souffle. Je me redresse, regarde les ombres que projettent les arbres sur le chemin et remarque d'innombrables petites lumières scintiller à l'intérieur. Des petits animaux nocturnes, des roches transparentes qui filtre la lumière de la Lune. Toute cette féérie fascinante que je ne peux que regarder de loin au risque de me retrouver piéger dans la toile d'une immense araignée.
Alors que le cheval trottine maintenant, je sens Hyunjin se courber et gémir.
« Prince Hyunjin ? Vous voulez qu'on s'arrête ? Je demande inquiet en posant ma main sur son dos.
Je sens qu'il tressaute sous la sensation, j'ai peur de lui avoir fait mal alors je la retire mais Hyunjin m'agrippe brusquement le poignet, le serre avec force.
- Non, laisse... », il souffle.
Lentement, je viens alors poser mes deux paumes et je le sens à nouveau se baisser, son dos s'arrondit et j'ai l'étrange sensation de sentir une chaleur s'en dégager. Quelque chose bouge, serait ce la marque ? Est-ce qu'elle fait trembler sa peau comme le ferait un animal coincer dans sa chair ? Rien que d'y penser, j'en ai des frissons d'horreur mais le voir en souffrance me compresse la poitrine. J'aimerai tellement pouvoir le soulager mais je n'ai vraiment aucun moyen. Peu à peu, la monture s'arrête, Hyunjin n'arrive pas à se redresser.
« Hyunjin..., je murmure cette fois, oubliant toutes les règles de bienséance. Dites moi ce que je dois faire...
- Re...Retire moi mes vêtements. »
Je m'exécute, je défais sa ceinture qui tient également les pans du haut de sa tunique. Je découvre son torse d'un geste rapide, presque sensuel dans d'autre circonstances, et enfin je le fais glisser sur ses épaules, ses bras et je laisse son dos à l'air libre. La marque noire est en mouvement et me laisse sans voix. Le serpent me regarde, sortant du crâne en son centre. C'est...C'est époustouflant. Et alors que je me perds dans la contemplation, j'ai une autre sensation de chaleur, presque de brûlure qui me réveille brutalement. Mon avant-bras couvert de bandage, mon tatouage que je sens me démanger, me faire mal. Je retiens mon propre sifflement entre mes dents et Hyunjin n'arrive même plus à rester sur le cheval, je le sens glisser.
Merde ! J'oublie ma douleur et je le retiens juste à temps. Il a le front brûlant, il n'arrive même pas à reprendre son souffle.
Mon bras continue de me faire mal et sa marque s'agite encore plus fortement. Je jurais l'entendre siffler contre mon oreille alors qu'un battement d'aile me parvient. Un oiseau. Un oiseau qui chante et qui passe au dessus de notre tête.
Hyunjin ouvre brusquement les yeux et redresse la tête, transpirant mais bien éveillé.
« C'est impossible, il marmonne. C'est...Ah ! Il n'arrive plus à retenir. Aah ! »
Ses bras entourent son corps, la marque n'est plus qu'une tâche informe, je sens une fumée, je la vois. Je recule instinctivement mais très vite j'en oublie ma peur et je reviens poser mains sur ses épaules, le serrant contre moi.
« Hyunjin, il faut descendre, vous allez tomber. »
Il ne résiste même pas, je le fais glisser du mieux que je peux et je le rattrape tant bien que mal avant qu'il ne heurte le sol. Je le laisse s'allonger, tandis qu'il continue de gémir. L'oiseau vole encore de longues secondes puis comme un messager, j'entends ses battements d'aile tout près et venir se poser sur la branche d'un arbre. Dans le noir je ne peux le distinguer complètement, je l'entends simplement et je devine son ombre.
« Il faut partir, il arrive à articuler à moitié dans les vapes. Il faut très vite quitter cet endroit...Il y a...Il y a quelque chose. Le...Le Geai Bleu. »
Est-ce qu'il est en plein délire ? De quoi il parle ?
Sa poitrine se soulève rapidement, je le sens de plus en plus faible et regardant autour de moi, je me sens totalement inutile et démuni.
Soudainement le bruissement de feuilles me fait me relever. Je retire automatiquement mes armes de leurs fourreaux, dos au Prince et face à la forêt. L'oiseau perché sur son arbre n'a pas bougé. Le vent balaie les arbres, une odeur subtile me parvient puis une voix ou plutôt plusieurs. Des voix qui chantent.
« Zaen Philis.
- Qui est là ? »
Pas de réponse. Les chants s'intensifient et puis les ombres, des silhouettes entre les arbres. Des lueurs pourpres, verdâtres, des lumières qui font briller le sol et une odeur plus forte. Celle de la putréfaction.
« Zaen Philis...»
Je fais croiser mes deux lames, ne faisant même plus attention la brûlure que me procure mon tatouage. Puis de nouvelles silhouettes, de nouvelles ombres sortant du sol et des lumières traversant des crânes, des squelettes qui me font tressaillir. Des corps, des morts qui se lèvent, décharnés et reviennent de l'au-delà. J'entends leurs pas, leurs cris étouffés, le grattement de leurs os et mes mains tremblent sur les gardes. Je jette un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule, Hyunjin est inconscient et sa marque noire l'englobe totalement.
« C'est pas vrai..., je chuchote. C'est un putain d'enfer... »
La Lune me montre alors une armée de morts vivants s'accrochant aux branches pour continuer d'avancer, sortir de la lisière. Je ravale ma salive puis finalement je ne vois qu'une solution. Je range mes lames une seconde, pris d'une puissante adrénaline j'arrive à soulever le Prince et sans savoir avec quelle force, je le bascule sur le dos de la jument.
« Réveillez-vous... Hyunjin, pitié.
Ses yeux papillonnent mais il est encore dans le flou.
« Allez à Mirin, faites venir les renforts.
- N-non...Tu ne peux pas...Seul.
- Fermez-la. ALLER ! »
D'une claque sur la croupe, le cheval hennie et part au galop. Je prie pour qu'il tienne le coup et qu'il ne se rétame pas au sol à la première bosse.
« A nous », je souffle en me retournant à nouveau contre les morts qui continuent d'avancer.
Une question me vient, peut-on tuer des cadavres ? Je n'en suis pas certain. Je me mords la langue et je croise mes lames, en position pour me défendre. Je me demande combien ils sont, je ne vois que la première rangée et déjà j'ai du mal à tenir mes épées sans trembler. Combien de temps je vais pouvoir tenir avant de me faire écharper par ces créatures tout droit sortie des tréfonds de l'enfer ?
Ils continuent d'avancer, la mâchoire pendante, les dents, les orbites vide, animé d'une magie noire. Je ne recule par pour autant, j'essaie de trouver le courage, la force de lancer le premier coup et lorsque le cri du premier à seulement un pas me parvient, je frappe. Le tranchant de ma lame, sans retenue vient briser leurs os, puis un second, et rapidement dans une danse effrénée, ondulant entre mes ennemis, je découpe, je casse. J'évite, je recule pour mieux les frapper.
J'ai l'impression que ça ne s'arrête jamais, qu'ils se relèvent, qu'il en sort des centaines de la forêt que je ne fais que frapper des tas d'ossement sans m'arrêter. Je manque même de trébucher sur l'un deux et alors que je sens une main squelettique m'agripper, détacher du reste du corps, puis un second qui m'immobilise et me piégeant face à ceux qui sont encore debout. Mon cœur s'arrête. Je plante mon épée dans un crâne à mes pieds, criant de rage, puis un second et je frappe d'un coup de pieds bien placé mais à nouveau je suis tiré vers le sol. Il y en a trop.
« AEON MORTIS ! »
Crie une voix plus loin dans la plaine. Et surgissant des cieux, une immense vague blanche apparait, des runes dans le ciel qui tournoient puis devenant une fumée épaisse, mauve, prenant la forme d'un archer gigantesque et tire tout juste à mes pieds une flèche qui fait disparaître en poussière tous les morts-vivants.
Je n'en reviens pas. J'arrive à peine à reprendre mon souffle alors que le calme revient mais l'odeur est toujours là, me rappelant que je n'ai pas rêvé. J'entends alors le bruit de pas de chevaux, puis des hommes dans mon dos et finalement j'arrive à me retourne et je vois du haut de sa stature royale, mon sauveur.
Entouré de deux hommes et la manche relevée sur des runes inscrites à même sa peau, il l'abaisse d'un geste vif et s'accroupit devant moi. Son regard félin, je l'avais déjà remarqué, sa peau claire, ses cheveux court, noirs et ce petit éclat mauve dans ses pupilles, la même couleur que l'archer apparu dans le ciel.
« Alors c'est toi. J'aurai dû m'en douter, Chan a l'œil...
- Majesté...Minho ?
- Bonjour à toi, Zaen Philis.
- Comment vous m'avez appelé ?
- Zaen Philis. Ou tu préfères ton nom en langue commune ? »
Je penche la tête. De toute façon je suis encore totalement dans le brouillard, il pourrait m'appeler Suzette que je ne comprendrais rien. J'arrive à peine à croire ce que je vois. La troupe de Pandore juste derrière le Roi Minho. Sur les terres d'Agora, quelque chose ne colle pas.
« Si tu veux, tu peux m'appeler Falen. Ou Minho comme tu préfères.
- Je...Pige rien.
- C'est normal. On en parlera plus tard. Allons chercher Callum avant qu'il ne débarque ici après avoir senti l'invocation d'Aeon. »
Vraiment je suis dans le noir le plus total et rapidement je repense à Hyunjin que j'ai envoyé sur son cheval, je ne sais même pas combien de temps s'est écoulé depuis et voyant mon regard paniqué le Roi Minho comprend et m'aide à me redresser avant de pointer un cavalier de l'autre côté des soldats.
« On l'a récupéré, ne t'en fais pas, c'est comme ça que j'ai su où tu étais. Je suis surpris que tu ne te sois pas évanoui en sentant sa marque. Elle a dû rentrer en résonnance avec ton signe. Moi-même ça me démange rien qu'en étant à quelques mètres, alors toi...Enfin. Laissons, je vois que tu as encore du mal à émerger. »
Il claque des doigts et des hommes viennent me soutenir pour m'accompagner jusqu'à une charrette où se trouve Hyunjin, les yeux ouverts mais mal au point. Je suis soulagé de le voir et j'en oublie tout le discours insensé du Roi de Pandore. Il appelle plusieurs attelages et partent au galop de l'autre côté de la vallée. Je me détourne de lui et je viens glisser ma main dans celle du Prince, attirant son regard sur moi.
« Tout va bien, je lui souris. C'est moi.
- Felix...Tu n'as rien ?
- Non. Je vais bien. Le Roi de Pandore, il nous a retrouvé.
- Minho...Merde. Chan va pas être content... », soupire Hyunjin en fermant les yeux sous la fatigue.
Ses doigts se resserrent autour des miens et je me hisse un peu plus contre lui, le laissant enfin se reposer. A mon tour, je pose mon front sur son bras et rapidement, je suis emporté par mon propre épuisement.
◯
○
.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro