IV. Le Chevalier
Penché au-dessus de la barrière, je vomis pour la troisième fois une absence totale de nourriture dans l'estomac. J'ai mal à la gorge, à l'œsophage et mes yeux sont gonflés à force de pleurer sous les déglutitions. C'est une belle punition dont je me suis assez vite souvenu. Ma première transversée, quoi qu'un peu floue, est parsemé de ce genre de bruits appétissant. J'ai le mal de mer. Rien d'inconnu pour moi.
Je respire difficilement, la tête chancelante et les jambes flageolantes. Le soleil est insupportable, l'odeur de l'eau, le bruit même des vagues me donne le tournis. Je vais mourir avant d'arriver, c'est certain. Et ça ne fait que quelques heures que nous sommes partis.
« Tu parles d'une garde royal...Il est incapable de lâcher la barrière sans tomber dans les vapes », marmonne Hyunjin à quelques pas derrière moi.
Le Prince croque dans une pomme, accoudé à un tonneau alors que Changbin se tient non loin, affutant son épée sans lever les yeux vers moi. J'assassine du regard le Prince, non pas que j'essaie d'être provocateur, mais je n'ai vraiment pas la santé suffisante pour faire semblant.
« Si on tombe sur des pirates, il pourra toujours leur vomir dessus, continue le monarque dont les cheveux noirs virevoltent sous la brise. J'ai du mal à croire qu'il a arrêté un assassin, es tu certain que c'est bien lui qui a sauvé mon frère ? »
Il demande directement au chevalier. Ce dernier lève les yeux vers moi dans un premier temps, ses yeux sombres passent à peine les mèches épaisses de sa crinière qui a fini par bouclés sur l'air marin. Il tourne ensuite lentement son regard vers le Prince.
« Nous verrons ce qu'il vaut, quand il se sentira mieux. S'il n'est pas à la hauteur, nous pourrons toujours le jeter par-dessus bord. » Répond Changbin.
Hyunjin semble satisfait, pas vraiment souriant mais il doit intérieurement jubiler à l'idée de me voir prendre une racler par le chef de la garde royal. Car oui, Seo Changbin est le chevalier Commandant de la garde royal d'Agora, à l'origine le garde personnel du Roi mais qui a été affecté à la protection du Prince Hyunjin depuis la trahison de son ancien garde. Je soupçonne l'ancien garde du Prince d'en avoir eu assez de son air suffisant, en dehors de son physique avantageux et de sa belle gueule, tout chez lui me donne envie de le tuer. Le plus étonnant et qu'il ne semble pas nécessairement être désagréable avec les autres. Si Changbin est taciturne, ne montre pas beaucoup ses émotions, le Prince lui parle comme à son égale et le chef de la garde ne donne pas l'impression d'avoir un quelconque ressentiment à son égard. Au contraire, malgré l'absence de réponse du chevalier, Hyunjin lui parle facilement et ils semblent plutôt proches.
Pour ce qui est des autres gardes, aucun des membres de la famille royal n'est dépeint comme des êtres arrogants, cruels ou imbus. Que ce soit le Roi ou le Prince, ils sont tous les deux très respectés voire admirés par leur armée, tous autant qu'ils sont, ils leur sont dévoués. C'est encore plus vrai pour ce qui concerne le souverain, qu'ils encensent comme un monarque juste et fort d'une autorité naturelle, comme pouvait l'être son père avant lui. Certains lui trouvent même des qualités encore plus grandes que feu l'ancien Roi Marius Bang, Ce qui me propulse moi rang de héros après lui avoir sauvé la vie, au risque de perdre la mienne.
Les gardes qui étaient présents cette nuit-là, n'ont pas hésité à vanter mes louanges, exagérant les évènements comme le ferait n'importe quel soldat qui raconte une épopée magique. C'est quelque peu humiliant quand le héros passe ses journées à dégobiller par-dessus la barrière du bateau.
Fermement tenu, et après avoir calmer mes dernières régurgitations, je me laisse tomber contre le pont, épuisé et plus blanc que les grandes voiles ouvertes et gonflées sous le vent. Après quelques minutes, sentant le soleil réchauffer ma peau tiraillée par le sel, je vois une ombre passer devant mes yeux.
« Tiens. Ça va t'aider. »
Un jeune soldat aux yeux fins me tend une petite racine que je reconnais comme du gingembre.
« Crois-moi, je suis passé par là. »
Je déglutis et je suis prêt à tenter tous les remèdes de toutes les sorcières du pays pour faire passer mon mal. Je prends la racine d'une main tremblante et n'hésite pas à croquer, grimaçant sous le goût prononcé et piquant.
Le jeune soldat en tenue de cuir, bien moins lourde qu'une armure ou une cuirasse mais tout de même en uniforme, l'épée sur la ceinture, s'accoude à la barrière à ma droite. Il jette un regard circulaire au pont où l'équipage s'attèle à différentes tâches, puis il regarde le Capitaine qui discute avec le Roi sur le pont supérieur.
« Sa Majesté nous a dit que tu serais surement le prochain garde du Prince.
- Hum. Il parait. Je réponds en mâchouillant ma racine.
- Tu sais vraiment te battre ou c'était de la chance ? Il me demande en m'observant du coin de l'œil.
Bon, je veux bien lui accorder que sous mes guenilles je n'ai pas vraiment l'air d'un super combattant mais je cache juste bien mon jeu. Et puis, mon vis-à-vis n'a pas vraiment l'air d'une montagne de muscle, alors je me contente de hausser les sourcils.
- Ce n'est pas ce que je préfère, j'avoue. J'ai toujours fait en sorte de ne pas me battre, je suis très bon en esquive mais je sais manier différentes épées et je suis un bon archer. Maintenant, devenir garde n'a jamais été ma vocation, disons que je n'ai pas vraiment eu le choix. »
La vérité. J'ai opté pour l'honnêteté et je pense que ça porte ses fruits car le jeune soldat semble surpris mais rapidement laisse paraître un grand sourire. Il faut dire que je n'ai vraiment la tête à mentir et je doute que ça soit efficace. Les soldats agoriens ont l'air bien moins crédules que ceux de Londinium.
« J'ai hâte de te voir à l'œuvre contre le Commandant. Ce sont souvent les plus modestes qui sont les plus fort. »
Ce dernier se tourne cette fois en direction de la mer, regardant l'horizon et profitant du vent sur ses cheveux bruns. Je croque un nouveau morceau de gingembre puis je porte mon attention sur le pont supérieur et croise le regard du Roi qui m'observe avec un fin sourire. Un tantinet mal à l'aise, je ne peux m'empêcher de détourner les yeux et préfère regarder l'autre côté du pont.
***
Le soir, le soldat Jeongin me propose de manger avec lui et ses compagnons. Il me présent trois de ses amis, Yeonjun, un autre soldat, Jake également soldat mais dans l'unité de l'archerie et Beomgyu un herboriste.
« A défaut d'avoir notre mage avec nous, c'est Beomgyu qui s'occupe des soins. C'est lui qui m'a donné le gingembre.
Le garçon aux cheveux longs et au visage doux me sourit discrètement.
- Ca a fonctionné ? Il me demande
- Je crois, je réponds n'ayant effectivement pas vomi depuis que je mange mon poids en gingembre.
- Il faut bien t'hydrater aussi, ça passera après quelques jours. Ton corps s'habitueras aux secousses.
- On a une semaine en mer avant d'atteindre les côtes d'Agora puis encore trois jours à cheval avant d'arriver Mirin, la Capitale, me dit Jeongin.
- Parait que tu avais aucune arme, que tu as réussi à le désarmer et à l'immobiliser ? Me demande Jake tout excité.
- Jake, laisse-le avec ça, soupire Yeonjun. Excuse-le.
- C'est rien. Tu sais, j'ai bénéficié de l'effet de surprise et du noir. J'étais là au bon endroit au bon moment.
- Une chance pour notre Roi.
- Et une malchance pour notre Commandant.
Jake jette un coup d'œil de l'autre côté de la salle, sur des tables plus loin Changbin mange avec d'autres soldats haut gradés.
- Il a voué sa vie à la protection du Roi, répond Jake à mon interrogation silencieuse. Et il a failli pour la première fois.
- Le Roi m'a dit qu'il avait été assigné à la protection du Prince, il ne peut pas être à deux endroits en même temps », je dis en levant les sourcils.
J'ai toujours eu du mal à comprendre comment on peut se flageller pour des choses sur lesquelles on a aucune emprise. Je comprends bien que c'est le propre d'un chevalier, qui prête serment à son souverain et qui se jetterait au feu pour lui, s'il lui demandait, mais comment pourrait-il se sentir coupable alors qu'il n'a fait que son devoir ? Obéir à son Roi quand ce dernier lui a demandé de protéger le Prince.
« Là-dessus, encore une fois, permets-moi de te rappeler, qu'il a aussi failli à son devoir, rappelle Jeongin en me pointant du doigts. Tu as volé sa bourse, alors qu'il était juste à côté de toi.
- Dis comme ça, je marmonne. Je comprends un peu mieux ses regards noirs.
- Et moi je commence à me dire que votre futur petit combat risque d'être une boucherie, grimace Jeongin.
- Dire que je pensais qu'il n'y avait que le Prince pour me détester, je soupire.
- Non. Rassure-toi. Le Commandant ne te déteste pas. Il est frustré et c'est plutôt à lui qu'il en veut. »
Comme si ça changeait quelque chose. Je vais me faire trucider. Seo Changbin est un épéiste hors pair, il a gagné plusieurs tournois, n'a perdu aucun combat. Il est de loin le chevalier le plus redoutable de sa génération et il a voué sa loyauté au Roi, corps et âmes. Je peux sentir au regard des autres soldats, le respect qu'il inspire autour de lui. A l'instar du Roi, ils le tiennent tous en haute estime, Jeongin le premier qui semble totalement admiratif. Nul doute que le Commandant va vouloir regagner son honneur et me mettre une raclée.
Changbin est chevalier plein de fierté sans pour autant être arrogant, il sait quand éviter les combats inutiles et accepte la défaite, si tant est qu'elle se soit un jour présenter à lui. Il vient d'une famille de chevaliers valeureux dont le père a combattu aux côtés de l'ancien Roi pendant la Guerre des Cinq, le protecteur du Royaume, Seo Bohyun a gagné des batailles décisives, notamment celle du Pont des âmes, qui est pour beaucoup un tournant dans la victoire de l'Alliance.
L'honneur, le courage, font partis de son crédo.
Rien que de penser à la violence qu'il va mettre dans notre futur duel, je suis tenté de me laisser mourir dans mon vomi.
« Ne t'en fais pas. Le Roi t'a choisi en personne, me dit Yeonjun en voyant ma mine inquiète. Changbin ne fera rien qui puisse aller contre son souverain.
- Il lui a voué corps et âmes, continue Jake en croquant dans un morceau de pain.
Je sens bien que la formule a une certaine importance, je les regarde tour à tour, intrigué. Jeongin avale son morceau de viande et m'éclaire.
- Ça veut dire que sa vie entière sera consacrée au Roi. Il ne se mariera jamais.
- Vraiment ? Je réponds stupéfait. Il a fait un vœu de chasteté ?
- En quelque sorte. Il peut continuer d'avoir des relations sexuelles mais jamais rien d'engageant.
- C'est bien dommage si vous voulez mon avis, beaucoup de filles de la cour rêverai de pouvoir lui mettre le grapin dessus ! S'exclame Jake.
- Donc il n'aura jamais de femme ou d'enfant.
- Non. La lignée des Seo s'arrêtera avec lui.
- Tu oublies Ryujin, lui dit alors Beomgyu.
- C'est une femme, elle ne transmet pas le nom.
Les garçons se regardent puis éclatent de rire devant la phrase de Jeongin qui semble réfléchir avant d'approuver leur moquerie.
- Ryujin est..., commence Jake. Tu verras. Il me dit finalement.
- Quoi ? Je demande quand même.
- Difficile à décrire, me dit alors Yeonjun. C'est une Changbin. En plus fille.
- Et bien plus mignonne.
- Mais avec un caractère mon gars...
- Je plains le garçon qui s'y risquera.
- Tu veux dire que tu plains le Prince ?
- Chut ! S'exclame Jeongin en regardant autour de lui.
Jake étouffe son sourire alors que Beomgyu lève les yeux au ciel.
- Le Prince est avec la sœur du Commandant ? Je comprends.
- Non, m'interrompt aussi tôt Jeongin. Et fais gaffe de ne pas lancer ce genre de rumeur, c'est très grave.
- Ryujin est la petite sœur du Commandant et elle est aussi dans l'armée.
- Une femme dans l'armée ?
Ce Royaume m'étonne de plus en plus.
- Bien sûr. Ce n'est pas si extraordinaire tu sais. La plupart des Royaumes ont des femmes dans leur armée. Du moment qu'elles ont les compétences, pourquoi s'en priver ?
- Ryujin est dans l'unité magique longue distance.
- C'est une Mage ?
- Oui, avec des compétences aussi au corps à corps, bien moins doué que son frère mais elle est loin d'être mauvaise. Avec sa magie en plus, sur le champ de bataille, personne n'a envie de se frotter à elle.
- Et c'est quoi le rapport avec le Prince ? Je demande alors.
Je ne suis pas vraiment friand des ragots en temps normal, mais on parle de l'homme qui me voue une haine viscérale, j'ai bien envie d'en savoir davantage. Si je peux apprendre une petite faiblesse au passage.
- Rien. Il y a pas de rapport, chuchote Jeongin en fusillant du regard Jake.
- Oh pitié, il va bien finir par le voir. Le Prince en pince pour la sœur du Commandant. En tout cas c'est ce qui se dit. Ils sont proches depuis l'enfance et avec elle, le Prince se transforme en guimauve.
- Un serpent qui se transforme en guimauve, c'est un phénomène rare, je n'arrive pas à retenir un sourire moqueur.
- Ca suffit, intervient cette fois Beomgyu.
Jake soupire en haussant les épaules. Ils ont l'air gêné et mal à l'aise. Je ne sais pas ce qu'il y a de si grave, en dehors du fait qu'il n'y aucune honte à avoir le béguin pour quelqu'un, rien de ce que j'entends n'est répréhensible. Même pour un membre de la famille royale, il ne s'est pas non plus entiché d'une roturière, ça reste la fille d'une bonne famille de la noblesse.
- C'est à cause de la mère du Prince Hyunjin, me souffle alors Jeongin voyant que je ne percute pas. C'était la seconde épouse du Roi Marius et elle est assez, comment dire...Elle a de grand projet pour son fils et elle veut pour lui un mariage encore plus avantageux. Pas un mariage avec une soldat, tu vois ? Elle punie sévèrement ceux qui colportent ce genre de rumeur.
- La Reine consort n'est pas comme le Roi Christopher, ou même comme le Prince, continue Yeojun. Elle est plus sévère. On ne la voit pas beaucoup car elle est souvent malade mais elle a toujours une forte influence sur ses fils, surtout sur le Prince.
- Il vaut mieux arrêter d'en parler, tranche Beomgyu. On va s'attirer des ennuis. Désolé Felix. »
Ce dernier se lève de table avec son assiette et repart en direction des dortoirs. Jeongin soupire en le voyant faire. Jake grogne à son tour, de mauvaise humeur et débarrasse sa propre assiette avant de prendre le même chemin que son camarade plus tôt.
Je termine mon repas en silence, ne mesurant pas vraiment l'importance de leur avertissement. Je n'avais pas encore rencontré à ce moment-là, la Reine consort, Hwang Sunhee.
***
Les nuits sur le bateau ont toujours été les plus dures. Il n'y a que le bruit sourd de l'eau, le craquement par instant de la coque qui résonne dans les cabines comme un monstre qui avance lentement et qui se manifeste par instant. Le corps qui tangue constamment, comme si on essayait de me réveiller sans assez de vigueur mais maintenant dans une situation de somnolence constante. Mes nuits d'insomnies ont commencé sur le bateau qui m'emmenait sur Londinium et je constate avec lassitude que ça ne changera pas ce soir.
Si le gingembre avait eu son effet jusque-là, je sens à nouveau un le haut cœur me gagner.
Les cabines sont réparties par quatre, dans la mienne, Jeongin est sur la couchette au-dessus de la mienne, en face Beomgyu et Jake, respectivement sur le lit bas l'herboriste, le second dans le lit supérieur. Le plus discrètement possible, je me hisse hors de ma petite couverture et je m'avance pieds nus jusqu'à la porte que je fais coulisser.
Le couloir des dortoirs est étroit, à chaque mouvement du vaisseau je me cogne l'épaule contre les murs et avance difficilement. Je claque la langue alors que je bascule une nouvelle fois. Je vais mettre une heure à faire dix mètres, c'est insupportable. Je tends la main pour m'aider à me tirer en avant et tandis que la nausée reprend de plus belle, je ferme les yeux pour essayer de calmer le retour acide mais c'est encore pire. Quand le corps chancelle, fermer les yeux n'est vraiment pas une bonne idée. Je ravale ma salive et je reprends mon ascension, plus pressé. Je n'ai vraiment pas beaucoup de temps, je dois vite remonter sur le pont pour prendre l'air. Je cours pratiquement jusqu'à l'escalier, je loupe deux marches au passage et étouffe un juron avant de prendre de plein fouet le vent marin nocturne. Puissant, froid. Le bruit de l'eau qui s'écrase sur le bois bruni me donne un frisson désagréable et me fige devant la vision de l'étendue agitée. Sombre et couverte par endroit d'une mousse blanche, comme la bave d'un monstre mythique qui gronde du profond des entrailles de la Terre.
Le ciel est couvert mais aucune pluie à l'horizon. Je remarque que le second a pris la barre et qu'il semble serein. Peu de risque qu'une tempête se lève, alors et cette pensée suffit à me rassurer.
J'appuie ma main sur ma poitrine, je n'avais même pas remarqué jusque là que les battements de mon cœur étaient devenus si rapides. Je m'avance doucement jusqu'à la barrière, inspectant les alentours. A une heure aussi tardive, il n'y a que quelques membres discrets de l'équipage en poste mais aucun soldat ou membre de la famille royal en vue. Sommes toutes, je suis seul. Je prends une grande inspiration et je viens me tenir à la barrière. Mon endroit préféré sur ce bateau, il faut croire. J'essaie de faire en sorte de calmer mes palpitations en même temps que mon mal au cœur. Lentement je me laisse glisser contre les barreaux et je glisse mes jambes entre eux, laissant mes jambes de l'autre côté et mon visage appuyé contre le bois.
Lentement mes paupières battent sous le souffle froid, les vagues successives qui montent et descendent devraient aider à me détendre mais c'est tout le contraire, ces dernières réveillent des souvenirs enfouis. Des cris, des voix qui m'appellent, le choc de lames et le tranchant d'une chair sanguinolente tandis que le moi enfant ferme les yeux.
Ce soir encore, je dormirai peu.
Des brides de souvenirs de ma première traversée me reviennent à nouveau à l'esprit. Les premières nuits que je passais dans ma petite caisse, caché aux brigands qui avaient envahis le navire après un abordage. Des pirates. Combien de journées suis-je resté dans mon caisson à l'époque ? Je n'en ai aucune idée. Le traumatisme ou la malnutrition, je me souviens que peu de choses, du temps passé, des visages de ceux qui étaient à la fois mes geôliers et mes gardiens.
Je me souviens avoir été forcé de participer avec le reste de l'équipage aux tâches, alors que je nageais dans mes vêtements, que j'avais des plaies à cause des rats et du sel qui rongeaient mes maigres chairs. Je me souviens des repas une fois tous les deux jours et des rires tonitruants des matelots ivres qui parfois me confondaient avec un singe divertissant qu'on faisait danser sur une table ou sur le mât pour gagner un pari.
Puis une fois devenue inutile, jeté par le Capitaine, comme les restes de poissons, au port de Londinium dans les bras d'une prostituée au visage ravagé par les larmes et la colère.
« Tiens puisque tu veux un gosse, je te laisse celui-là »
Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé. Surement des heures. Au milieu de mes divagations, je me suis perdu dans la contemplation de l'horizon sombre, dans la même position et profitant que la nausée se soit calmée. C'est à peine si on distingue la ligne qui sépare la mer du ciel tant ce dernier est noir. Puis doucement, une première lueur traverse les nuages et illumine une mer plus apaisée, jusqu'à découvrir totalement un croissant de Lune. Je pourrai presque entendre un soupir de soulagement du second toujours à la barre. Sa vision devient plus claire et le vent moins imprévisible.
Je me sens moi-même prêt à revenir à l'intérieur. Les jambes engourdies et gelées, je peine à me redresser sans trembler. Avec mes mains, je frotte ma peau vigoureusement pour les réveiller, puis j'emboîte le pas vers les escaliers. Il est plus facile de se déplacer quand le navire n'est pas balloté dans tous les sens, je reviens donc presque détendu sur mes pas, passant devant les calles vides, les cuisines puis longeant le couloir des cabines des officiers et de la famille royale. La cabine des matelots et de l'armée est tout au bout du couloir. Sauf qu'un bruit étrange me fige brusquement. Je regarde derrière moi, personne, devant moi, rien. Pas un rat. Puis à nouveau un bruit de choc étouffé, suivi d'une plainte.
Je regarde sur ma droite, tombe sur la porte de la cabine d'où semble provenir le bruit et me rends compte qu'il s'agit de la cabine du Roi. Il ne peut pas être à nouveau attaquer ? Ce mec a la poisse c'est pas possible. Le fenêtre sur la porte est couverte d'un petit rideau mais je distingue des ombres. Cependant, pas assez pour me faire idée de la pièce ou même des personnes présentes à l'intérieur. Je me mords les lèvres, hésitant. Est-ce que je ne vais pas faire une bêtise ? Ce bruit était étrange mais il ne ressemblait pas vraiment à quelqu'un en danger. Bien au contraire, il me rappelait un autre type de situation et plus j'y pense, plus je sens mon visage se réchauffer.
Je déglutis, me concentrant un maximum sur le moindre son, jusqu'à presque coller mon visage sur la porte.
« aaah... »
J'ouvre soudainement les yeux. Ce n'est clairement pas une attaque, rien de mortelle en tout cas. Enfin. Je présume qu'ils n'iront pas jusqu'à la mort. Je secoue doucement la tête, m'insultant mentalement de trouver de l'humour dans une situation qui me met irrémédiablement dans une position délicate. Je dois retourner à ma cabine discrètement.
« Ma...Majesté...
- Non...Pas ce soir.
- Mmh...Chan...
- Oui. Je suis là mon ange...»
J'étouffe littéralement sous la chaleur qui m'envahit. Je dois repartir, rapidement, avant de me faire repérer et de réellement me faire exécuter parce que j'aurai été trop curieux. Mais je suis toujours là.
« Chan...Je...Là...
- Chut...Mon ange...On va finir par t'entendre.
- Fais-moi taire alors. »
Oh bordel.
Un couinement, de respirations saccadées, des gémissements rauques, puis plus aigües. Mon cœur palpite, il va exploser et ma bouche s'entrouvre, manquant d'oxygène. Ma tête tourne et mes mains tremblent, me raison me hurle de partir mais mon corps refuse de bouger.
« Umpfff...Aah ! »
Soudainement une porte s'ouvre à quelques pas derrière moi et me fait sursauter. Sans réfléchir, je cours littéralement sans m'arrêter jusqu'aux cabines du régiment. Je n'ose même pas jeter un regard en arrière que je plonge dans ma cabine, me jetant littéralement dans ma couchette avant de me cacher sous ma couverture, comme si cette dernière me conférait une immunité incontestable.
Je me mords la langue, la main plaquée sur ma bouche pour empêcher mes respirations paniquées de réveiller toute la chambrée et a fortiori, trahir l'énorme délit dont je viens de me rendre coupable à savoir espionner mon futur Roi en plein ébat sexuel.
Pire que la chose, c'est bien avec qui, qui risque au pire de remettre en question mon statut vital sur ce navire. Si le Roi et son « compagnon » n'ont rien remarqué, il n'en est pas moins sûr de celui qui a dû me voir détaller comme un lapin.
Cette fois je suis sûr, le Commandant va me découper.
***
Au levé du jour, à l'aube précisément, je sens qu'on me secoue et je tressaille à nouveau. Vu ma fatigue et la lourdeur de mes muscles, je comprends que j'ai dû m'assoupir une petite heure depuis mon arrivé précipité. Mes yeux me brûlent et si je mets une seconde à me souvenir où je suis, rapidement je me souviens comment j'y suis arrivé et précisément, ce qu'il s'est passé durant ma nuit courte et agitée. Mon visage s'empourpre automatiquement alors que ma voix se bloque dans ma gorge. Jeongin fronce les sourcils, il ne voulait pas me faire peur, je vois la culpabilité sur son visage mais rapidement, il semble soucieux. Sans doute à cause de l'air horrifié que j'affiche.
« Tout va bien ? Il me demande.
- Quoi ? Euh...Non. Oui. Ca va. J'ai mal dormi c'est tout.
- Ok. Il faut que tu te lèves, un soldat ne fait pas de grasse mat' », sourit le plus jeune.
J'aurai dû m'en douter. Je me frotte le crâne et je m'assois sur le bord. Jeongin regarde maintenant mes cheveux avec curiosité. Doucement, il apporte sa main au sommet de mon crâne pour en dégager une mèche qu'il regarde de plus près.
« Tu as des racines bleues, c'est une teinture ?
- Oui. Une teinture, oui. »
Je n'ai franchement pas la tête à expliquer les étrangetés qui marquent mon corps. Je suis préoccupé par autre chose et notamment un moyen d'esquiver le Roi, le Commandant, le Prince et tous les officiers qui auraient pu me voir hier soir.
Devrais-je tenter une échappée par la mer ? Je pique une chaloupe et je prendre la tangente. Sauf que je ne sais ni naviguer, ni nager. J'ai toutes les chances de me noyer, en plus d'avoir la phobie de l'Océan, alors autant me livrer au jugement du Roi, je suis sûr qu'il sera clément et ne me fera pas souffrir inutilement. L'épée du chevalier Changbin a l'air suffisamment tranchante pour détacher ma tête du reste de mon corps rapidement, sans risquer de m'entendre dévoiler le secret de son souverain.
« Tu viens ? Il faut que tu prennes un petit-déjeuner copieux. On a du boulot aujourd'hui.»
Je lève les yeux vers mon camarade de chambre. Le premier jour était un jour de repos de toute évidence, je m'en doutais un peu. Voyons le bon côté des choses, je me sens un peu moins nauséeux que d'habitude.
A peine suis-je sorti de la cabine que Beomgyu nous rejoint et me tend un verre d'eau avec une petite décoction. Je le remercie pour son aide et je bois ma tisane tout en rejoignant le reste des soldats déjà installé sur les tables.
J'ai un peu plus d'appétit et puis si ça doit être mon dernier repas, autant que je me fasse plaisir. J'ose à peine regarder de l'autre côté de la pièce, vers la table des officiers mais je m'y risque quand même, me cachant derrière la silhouette de Jeongin qui discute tranquillement avec l'herboriste. Changbin mange sereinement, répondant parfois aux officiers par des mots courts. Il n'est pas bavard, contrairement à d'autres et puis plus je pense à sa voix grondante plus je me sens rougir.
« Ma...Majesté... »
« Ca va bien se passer.
- Nan ça sent la merde, clairement... », je soupire.
J'ai répondu instinctivement mais je sais que Jeongin ne parle pas de la même chose que moi.
« A quel propos au fait ? Je demande alors après quelques secondes.
Jeongin est surpris mais rapidement il se met à rire, suivi par Beomgyu qui manque de s'étouffer avec sa boisson chaude.
- Ton duel.
- Mon duel ?
- Avec le Commandant, insiste le jeune soldat. Tu as l'air d'aller mieux aujourd'hui, il va pas te louper. »
Et il n'avait pas tort.
Quelques minutes plus tard je suis sur le pont, le régiment forme un cercle autour de nous et le Commandant s'approchant en retirant sa chemise, dévoilant son buste épais, musclé par des heures d'entrainement. Sa peau est parsemée de cicatrice, légèrement doré et demeurent à ses poignets ses bracelets en cuir. A côté, j'ai l'air d'une fillette.
« Felix, m'appelle Jeongin. Attrape. »
Le jeune soldat me jette une épée de bois. Une épée d'entrainement et en voyant la même dans les mains du Commandant, je me sens un peu soulagé. Au moins, au lieu de me découper, il pourra me battre à mort avec un jouet pour enfant.
« Prêt ? » Me demande le chevalier en faisant tournant la garde entre ses mains.
Sa dextérité me noue l'estomac.
« Ma...Majesté... »
Bordel de merde Felix ! C'est pas le moment !
Soudainement je sens une première attaque, je recule d'instinct mais je n'ai rien vu venir. Une première exclamation soulève nos spectateurs alors que j'ai réussi à parer son épée. Je suis totalement paniqué et Changbin laisse échapper un sourire amusé tandis qu'il recule à nouveau son bras. Je n'ai pas le temps de comprendre, d'anticiper, il repart à l'assaut et cette fois le coup me fait plier les genoux. Il met plus de force et de pression, et tandis que j'essaie de tenir, je vois son poing se préparer de l'autre côté et fendre l'air pour s'abattre sur mon visage. Heureusement je le repousse juste à assez pour me baisser, je lance à mon tour l'épée accroupi, mais le Commandant recule.
Je me relève, déjà essoufflé et lui transpire à peine. Pourtant, il semble satisfait.
« Allez Commandant ! Montrez lui ! » Cri un soldat.
« Courage Felix ! Tu peux le faire ! » Je reconnais la voix de Jeongin.
Les autres se mêlent aux encouragements, je suis surpris d'avoir d'autres admirateurs et ça me fait sourire. Comme s'ils espéraient secrètement que leur chef soit un petit peu bousculé, pour une fois. Mon regard est aussi tôt attiré par une autre silhouette, sur le pont supérieur, accoudé en avant, le Roi nous observe avec le même petit sourire habituel. Sur sa droite, légèrement sur le côté et les bras croisés sur le torse, le Prince nous observe avec beaucoup moins d'enthousiasme. Pourtant j'aurai cru que voir le chevalier me mettre une raclée, le mettrait un peu plus en joie. Il murmure quelque chose à son frère qui l'entend mais ne répond rien.
« Concentre toi, m'appelle mon adversaire. On est loin d'en avoir fini. »
Je reviens à notre combat, tenant fermement la garde de l'épée de bois avant de la basculer sur l'autre main. Changbin lève un sourcil.
« Tu es ambidextre ?
- Disons que je n'ai pas de main dominante, lorsque je me bats à l'épée. »
Changbin sourit à nouveau. Vraiment, je commence à croire qu'il a un côté sadique, lui qui était si impassible depuis notre rencontre.
« Parfait. Tu es prêt ? Je vais pas me retenir cette fois.
- Pardon ? »
A nouveau il m'attaque, pivote cette fois et m'envoie un coup d'épée dans les côtes ce qui me fait grimacer. Je n'ai pas réussi à l'esquiver mais déjà, alors que je pose un genou à terre, il abat l'épée de face et m'oblige à rouler sur le côté droit. Je grince des dents, et je m'élance à mon tour. Jambe tendue, je leurre un coup de pied, avant de changer de ma main et de frapper du revers de l'épée sur son côté faible : son flanc gauche. Il pare quand même le coup de sa lame, le choc des morceaux de bois fait exulter les soldats et nous nous lançons dans un ballet de coups lancés, parés.
C'est impressionnant comme il arrive à changer de style en une fraction de seconde, son rythme est fluide, il a une agilité impressionnante pour quelqu'un avec une carrure aussi large. Et d'un autre côté, il a une force brute, je sais que s'il réussit à me toucher avec son poing, il fera de sacrés dégâts, peu importe ce qu'il touchera. Presque autant que s'il me frappait de son épée de bois.
Alors je remonte mon bras, je sens le bois frapper ma main et me désarmer. L'épée vole de son côté et il la rattrape, victorieux. Le torse soulevé, sourcils froncés, je n'arrive pas à m'avouer vaincu.
« Tu abandonnes ? Il me demande avec les deux épées dans les mains.
Non Felix. Fais pas ça...Non.
- Désolé mon ange, je suis encore debout », je souris.
◯
○
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Olà !
Ouais je sais je devais publier Titan mais j'ai pas eu le temps de finir le chapitre et comme j'ai de l'avance sur le Geai Bleu, je voulais au moins vous donner un peu de lecture :)
Est-ce que Felix aime jouer avec le feu ? Totalement haha !
A bientôt !
D.
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