Allongé sur un socle de pierre rectangulaire, les yeux couverts d'un long tissu rouge. Les mains jointes sur la poitrine, allongé de tout son long au centre d'une immense salle éclairée de torches. L'odeur de la bougie, du bois crépitant et des encens embaumait complètement l'espace et commençait même à faire grimacer l'Empereur Aden. Au pied de l'autel, son épouse sanglotait, les mains appuyées sur petits orteils de son défunt fils. Un petit garçon d'une dizaine d'année, tombé à cheval et mort sur le coup.

Contrairement à Kane, le petit Zoran était un garçon vif d'esprit, comme l'avait été jadis son grand-père Ewan. Zoran était plus malin alors qu'il était encore un petit garçon, il ne parlait jamais pour ne rien dire et apprenait vite. Et comme son grand oncle Gwendel, ancien empereur et frère d'Ewan, il avait une sensibilité spirituelle. Le garçon parlait aux esprits. Qu'ils aient été vivants ou qu'ils soient simplement originellement de l'autre monde, ils communiquaient avec eux et apprenaient d'eux.

Cela avait été un choc pour ses parents. L'Empereur Aden n'avait aucun souvenir de son oncle mais il savait comment il avait fini, ce qui l'avait tué. C'était le destin de chaque descendant d'Eivor, depuis la disparition du Geai Bleu et dans le grand secret de la famille Vagari : sa descendance était maudite. D'une façon ou d'une autre, tous porteraient la marque. Les mages se succédaient pour freiner la progression de la tâche et si la douleur disparaissait parfois, il n'en demeurait pas moins qu'il vivait rarement plus de trente ans. En tout cas ce fut le cas jusqu'à sa propre malédiction.

Il avait fini par croire qu'il était une exception car il atteignait bientôt les quarante et sa marque était encore il y a peu de temps qu'une petite tâche le long de sa nuque. Les symptômes, il n'en avait presque pas. Il s'était même demandé si la malédiction n'avait pas faibli avec les années. Son fils Kane avait lui aussi les mêmes stigmates et Zoran en avait été dépourvu jusqu'à son décès.

Alors que cette dernière apparaissait habituellement à l'âge de cinq ans, Zoran n'avait même pas ressenti une démangeaison et sa peau était resté aussi immaculé que celle de sa mère. L'Empereur Aden pensait réellement qu'ils en avaient peut-être fini. Aucuns autres mages n'avaient pu l'expliquer, la malédiction lancée par Zephilis était la malédiction de l'ancien dieu Maah, une divinité primaire et dont les écrits étaient si rare que seul le Geai Bleu semblait réellement en connaître l'origine. Difficile donc de savoir ce qu'il pouvait se passer mais tous semblaient septique quant à une disparition soudaine.

Aden s'était cru à l'abri, il avait baissé sa garde et son fils était mort.

Le jeune Zoran trottinait tranquillement sur son cheval et il s'était brusquement arrêté, levant ses yeux vers le ciel comme il le faisait parfois quand un esprit voulait lui parler. Puis le cheval avait cabré soudainement, partant au galop avant d'éjecter son cavalier contre les barrières de l'enclos. Le petit Zoran était mort sur le coup.

Enfin, pas tout à fait. D'après le physicien, le jeune héritier était déjà mort avant l'impact. Son cœur s'était arrêté sans aucune explication rationnel.

Et son corps était maintenant noir de cet immense dessin en forme de crâne enroulé de serpent de fumé. Comme si jusque-là il avait été protégé par une entité, un esprit sympathisant avec l'enfant. Peut-être Ashaï ou Ghoulis, deux des esprits dont parlait le plus Zoran et qui le suivaient depuis sa plus tendre enfance. Ce n'était que des spéculations, des hypothèses avancées par les mages de l'Empire. Sa protection s'était même surement étendue à Kane et à lui-même car au lendemain de la mort de Zoran, sa marque s'était étendue et celle de Kane atteignait même son cou.

On échappait pas à son destin funeste, de ça Aden était maintenant certain.

Prenant une grande inspiration, au milieu de la grande salle et sous les pleures de sa femme, il quitta le chevet de son fils, décidé à vivre les dernières années de vie comme il l'avait vécu jusque-là, sans se soucier de ce qu'il adviendra de l'avenir. Il était Empereur et il le sera jusqu'à la fin, en ça, le Geai Bleu n'avait aucune emprise.

« Majesté Impériale, s'inclina son chevalier. Le Seigneur Fenrir d'Haendel vient d'arriver des contrées du Nord.

- La cérémonie n'aura lieu que dans deux jours, que fait-il ici ?

- Il vous demande audience Majesté et il n'est pas seul. Il est accompagné d'un vassal des îles d'Oran. »

L'Empereur se renfrogna. Les îles d'Oran étaient des cités libres mais bannerets des terres d'Haendel. Le chevalier s'inclina une seconde fois pour le laisser passer et tandis que l'Empereur arrivait enfin dans la grande salle du trône, ses pas faisant échos jusqu'aux grandes voutes ornées de statuts représentant la Bataille du Gouffre, la bataille qui a anéanti la cité d'Insomia, deux hommes près du grand siège se tournèrent d'un même élan. L'Empereur balayait l'allée de pierre jusqu'au siège d'une longue cape noir, boutonnée juste sur son épaule droite et passant sous son épaule gauche. Le blason du loup blanc cousu sur son torse dans le tissu de velours, il claquait ses bottes et ses longs cheveux sombre attaché sen une longue tresse battaient le rythme dans son dos.

Les deux hommes s'apprêtaient à s'incliner quand l'Empereur leur fit signe de se relever.

« Majesté Impériale, nous vous présentons nos condoléances, s'inclina aussi tôt le vassal d'Oran.

- Seigneur Fenrir vous m'avez demandé audience pendant la veillée de mon fils, j'espère que c'est important.

- Ça l'est », salua Fenrir à son tour.

Ses cheveux déjà grisonnant alors même qu'il n'est pas plus âgé que l'Empereur lui-même, son regard aussi clair que la glace et son air tout aussi austère avaient toujours mis l'Empereur sur ses réserves. Il n'avait aucune confiance en celui qu'on appelait le dragon de glace. L'héritier d'Haendel était ambitieux et gravitait autour de l'Empire depuis son accession à la gouvernance des contrées du Nord. Il n'avait jamais montré d'hostilité directe mais Aden n'était pas assez stupide pour se fier aux apparences. Les terres d'Haendel étaient isolées et rêvaient depuis toujours d'indépendance. Et Fenrir avait des rêves encore plus grands.

Ce qui le sauvait était qu'à son extrême opposé, le Seigneur Bang était fidèle et loyal, il ne trahira jamais son Empereur et sans Agora pour l'épauler, Haendel ne tentera jamais rien.

« Il y a des rumeurs. Commençait le vassal. Des rumeurs sur des survivants de la forêt qui aurait trouvé refuge sur l'une des dix-sept îles d'Oran...

- Vous en êtes sûr ? Demanda aussi tôt l'Empereur.

- Ce n'est pas tout, continua Fenrir.

- Non Majesté...Il y aussi...Un enfant. »

L'Empereur attendait patiemment mais le vassal semblait hésiter, peut-être qu'il ressentait une certaine gêne, une certaine culpabilité car il savait quand continuant, il ne pourrait pas revenir en arrière mais le regard qu'avait maintenant Fenrir lui glaça le sang. Il était déjà trop tard.

« Un enfant au cheveux bleus...

L'Empereur se figea.

- Le premier signe ? »

Le vassal affirma d'un hochement de tête, la mine basse et le dos recourbé. Fenrir se tenait droit à ses côtés, le regard acéré alors que l'Empereur semblait comprendre ce que cette révélation impliquait. 

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