III. Le Roi
La cheville enchainée et assis à même la terre retournée, j'ai la chance d'avoir une minuscule petite lucarne dans ma cellule qui donne sur l'extérieur. La fraîcheur de la nuit combinée à l'humidité ambiante me fait trembler de froid, mais je ne vais pas jouer les divas, pour un garçon des rues je vais m'estimer heureux de ne pas avoir été exécuté sur le champ. Bien sûr, tout ça est sarcastique. Car si je ne suis pas encore mort, je me doute que ce n'est qu'une question de temps.
La grande porte en bois percée d'une petite trappe à barreau n'a pas une seule fois bouger depuis qu'on m'a jeté à l'intérieur. Je n'ai pas souvenir que le château fasse tant de prisonnier, alors je me demande quand viendra mon verdict, mais il serait peu probable qu'il se contente de me trancher la main. Après tout, j'ai non seulement volé un Prince en visite diplomatique, mais j'ai en plus infiltré les domestiques lors d'une cérémonie officielle. Ils ne pardonneront jamais une telle humiliation.
Ma tête retombe mollement entre mes bras, un rire mauvais secoue ma cage thoracique et je sens les larmes me piquer les yeux.
« T'es vraiment un imbécile Felix, un putain d'imbécile... »
Il n'y a plus aucun bruit au château. L'extérieur est calme et sombre. Les festivités se sont terminées il y a longtemps maintenant, plus tôt j'entendais les charrettes et chevaux mais maintenant il n'y a pas âme qui vivent au dehors, si ce n'est le passage d'une patrouille, à intervalles réguliers.
Dans le couloir des cachots j'entendais parfois le pas du geôlier. Ça fait un moment qu'il n'est plus passé. Je regarde longuement la porte en bois, sentant une soudaine colère me faire serrer les dents. Je peux pas mourir, pas encore. Il faut que je trouve une solution, que je me sorte de là et puis j'irai au port et je montrai dans le premier bateau. Je ne peux pas mourir avant d'avoir quitter cette île.
Je regarde tout autour de moi, espérant trouver une idée. Ma cheville est tenaillée la chaîne épaisse qu'il me serait impossible de briser. Je viens attraper les maillons, remonter jusqu'au clou planter dans le mur de pierre. Je regarde si je vois une faille, je me demande si je peux le faire bouger, avec un peu de patience et d'effort. Avec mes petits bras de faisan c'est peine perdue. Alors que je me redresse, que je marche le long des murs, jusqu'à tendre la chaine, je cherche le moindre objet, le moindre petit morceau de pierre qui pourrait m'être utile. N'importe quoi.
A nouveau le passage d'une patrouille passe à côté de la lucarne faisant tomber un peu de gravier à l'intérieur de ma geôle. Je m'immobilise et j'essaie de m'approcher du mur donnant vers l'extérieur. Même si je tends les bras, je ne peux pas attendre le rebord. J'ai beau chercher je ne trouve pas. Je tourne sur moi-même comme un animal en cage et porte mes mains à mes cheveux que je tire sous la frustration.
« Aller, réfléchis Felix, réfléchis... »
Je m'avance jusqu'à la porte, je passe ma main sur le bois, essayant d'en sentir la moindre aspérité, le moindre indice d'une faiblesse et en baissant les yeux je tombe sur l'anneau de fer servant de poignée. Je m'accroupis pour l'observer de plus près. La serrure est obstruée, comme si...Non, impossible. Ce crétin de geôlier n'a pas laissé la clé sur la porte, ça serait idiot.
Aussi tôt l'idée de la faire tomber pour ensuite la faire glisser jusque de mon côté me parait plausible. Seulement le seuil de la porte est vraiment étroit, je ne sais pas si une clé aussi épaisse arrivera à la passer. Je me mords la langue avant de la passer sur mes dents. Il faut au moins que j'essaie. Rapidement, je retire ma chemise de mon pantalon, j'arrache un bout de la manche que j'aplatis au maximum avant de m'accroupir et la glisser sous l'interstice, au sol, de quoi la faire dépasser de l'autre côté. J'essaie de juger la chute de la clé, une fois qu'elle tombera sur la manche, je n'aurai plus qu'à la ramener de mon côté.
« Aller, je souffle pour me donner du courage. C'est pas con Felix, c'est pas con...Tu peux le faire. »
Il me faut quelque chose pour la faire tomber. La pousser. Je regarde au sol et remarque un tout petit bout de bois. Rien de bien solide mais suffisant pour donner un petit coup de pouce. Je m'accroupis, prend une nouvelle inspiration puis je commence doucement à glisser le bout de bois dans l'interstice de la serrure. Je pousse d'abord délicatement la clé, pour m'assurer qu'elle n'est pas bloquée et je me retiens de pousser un petit cri de victoire quand je remarque qu'elle bouge. Tout doucement je la pousse, sans brusquer. Millimètre par millimètre. J'ai l'impression d'entendre les battements frénétiques de mon cœur dans ma tête. Ma respiration s'est coupée alors que je sens qu'elle devienne fébrile et qu'elle commence à basculer.
Encore...un...tout...petit...peu.
BAM. La clé tombe. Je m'arrête brusquement et tend l'oreille pour m'assurer que le bruit n'a pas alerté mon gardien. Je prie pour que ça ne soit pas le cas. Mais rapidement, le seul bruit qui est persiste se sont mes palpitations.
« Ok, j'expire bruyamment. Dernière ligne droite. »
Je m'accroupis vers mon petit bout de tissu et tout doucement je le ramène vers moi. Mon visage collé à la pierre froide, je vois les contours de ma seule et unique chance de sortir vivant de cette prison. Tout doucement jusqu'à ce que le métal de la clé lourde touche enfin le bois, c'est le moment de vérité, passera ou ne passera pas. Je déglutis et je tire à nouveau, très légèrement, je sens la clé bouger, se repositionner et manque de sortir du tissu mais elle passe. Elle frotte mais elle passe et encore une fois je me retiens de hurler de joie. C'est qu'une fois que je peux m'en saisir que je saute littéralement, dents serrées, étouffant le bruit des mes éclats de rires.
J'embrasse la boucle rouillée de la clé et je remercie le Roi de Londinium d'avoir engagé une armée aussi stupide pour laisser la clé d'une geôle sur la serrure.
« Bon, il faut encore sortir et éviter les gardes. Ça, je devrais pouvoir le faire sans trop me fouler mais l'endroit grouille de ces crétins, surtout avec le reste des soldats des autres royaumes...Non non, c'est pas le moment d'abandonner. Aller ! C'est ça ou la potence mon gars... »
J'allais presque oublier ma chaine à mon pied, pour ça, j'ai qu'une solution et pas des plus ragoutante mais je n'ai plus le choix. Je déboutonne mon pantalon et quelques secondes plus tard, j'ouvre la porte de ma cellule, observant chaque côté du couloir avant de courir pied nu dont l'un trempé.
***
Tout le château est plongé dans la nuit noir. Je ne peux me guider que par les lueurs de la Lune qui passe les grandes fenêtres. Lorsque j'entends un garde, les ombres me permettent de me dissimuler et ma parfaite discrétion me permet de remonter chaque étage jusqu'à me retrouver dans l'aile des chambres des convives. Je dois encore atteindre l'autre côté, je rejoindrai ainsi l'escalier de service des domestiques et une fois dans les cuisines, je serai à l'air libre. Une fois là-bas, je n'aurai qu'à rejoindre les écuries puis ensuite, dernière étape, mais j'hésite entre voler un cheval et passer en force les grandes portes, ou bien tenter le chemin de ronde et la descente du rempart, mains nues.
J'improviserai.
Je continue mon chemin, croisant parfois quelques servantes avec leur chandelier appeler par tel ou tel invité. Finalement j'ai comme un sentiment de soulagement en voyant à quelques mètres la petite porte qui mène à l'escalier de service. Je ne suis plus très loin de la liberté quand j'entends un nouveau craquement tout proche de mon oreille. Je me glisse une fois de plus dans un recoin sombre et regarde le grand couloir vide que je viens de traverser.
Il n'y a personne, est-ce seulement le bois ? Un rongeur qui a réussi à se faufiler jusqu'ici ? Non. Il y a une ombre projetée sur le mur tapissé et elle vient de l'extérieur. Je regarde les fenêtres du mur opposé et je vois une silhouette fine passer le bord du balcon et enfin pousser une fenêtre.
Je mets quelques secondes à saisir puis lentement je me rends compte qu'il est tout encapuchonné et il ne faut pas être stupide pour comprendre qu'il s'agit d'un assassin. Je vois d'ici la lame de sa dague à sa main et ses pas félins qui retombent sur le tapis du couloir tandis qu'il s'approche de l'une des portes blanches.
Je relève doucement la tête et ferme les yeux pour essayer de faire taire une petite voix qui prend de plus en plus d'importance. Celle de ma conscience. Je ne peux pas intervenir, je dois m'enfuir tant que j'ai encore une chance. Je me mords la langue, les poings serrés. Tu n'as pas le temps de réfléchir, c'est maintenant. Et que comptes tu faire face à un assassin ? Ces mecs sont littéralement des professionnels. Tu vas juste te faire étriper à la place de l'un de ces connards de bourge qu'ils veulent ta peau pour une simple petite bourse piquée à la sauvette.
Seule ta survie compte.
Ta survie.
« Et merde... »
Je sors de mon recoin et m'accroupis tout en avançant dans le couloir. Je fais aucun bruit, pas un déplacement d'air alors que l'assassin ouvre la porte de la chambre de sa victime et qu'il s'y glisse. Je presse le pas jusqu'à elle, puis passe la tête par l'entrebâillement. Je vois les voiles du lit en baldaquin et l'ombre qui se profile derrière, bras au-dessus de la tête et poignard en avant.
Sans réfléchir, je me précipite sur l'assassin provoquant un bruit de tous les diables, ce dernier est surpris et tandis que je l'attrape par la taille, je l'entraine dans ma chute et l'endormi se réveille brusquement tirant sur une corde au bord de son lit qui enclenche différentes cloches à travers tout le château.
Peu de temps après, de nouvelles bougies éclairent la pièce et trois gardes entre dans la pièce, le bruit des lames qu'on tire de leur fourreau ponctué de « Majesté ! » mais c'est trop tard. Après deux esquives et un coup donné en pleine gorge, je maintiens l'assassin au sol, la lame pointée sur sa nuque découverte. Essoufflé, je regarde les gardes, je reconnais le chevalier agorien qui m'avait menacé il y a quelques heures, totalement stupéfait et sur le lit, assis le torse découvert d'un immense tatouage aux motifs floraux, le Roi d'Agora, Christopher Bang.
« Comment...Comment es-tu sorti de ta cellule... », Balbutie le chevalier aux cheveux noirs corbeau.
Les deux autres n'attendent même pas les ordres, tandis que l'un d'eux me saisit immédiatement par le cou pour m'écarter, le second s'occupe de l'assassin qu'il dévoile. Son visage est traversé par une immense cicatrice mais aucun signe distinctif. Il a les dents pourries et des yeux injectés de sang. Le chevalier récupère sa dague que j'ai lâché après que le garde soit venu m'attraper. Il regarde le manche avec curiosité, puis il s'approche du Roi qui a récupéré une robe de chambre posé sur un fauteuil dans le coin de la pièce.
« Tout va bien Majesté ? Demande le chevalier.
- Je vais bien. » Il souffle.
Il récupère à son tour la dague après avoir jeté un coup d'œil à l'assassin puis dans ma direction.
« Lâchez-le. » Dit il en inspectant la lame.
Le soldat qui me tient toujours la gorge hésite une seconde mais il sait que l'ordre lui était destiné. Il finit par obéir et moi par respirer à nouveau correctement.
« Changbin, emmène celui-ci dans les geôles et qu'il y reste. Dit il en appuyant la fin d'un œil torve. On l'interrogera plus tard. D'abord...Je veux parler à celui-ci. »
Ledit Changbin ravale sa salive et la pique, il penche la tête puis il fait signe aux deux soldats de le suivre avec l'assassin entre leurs mains. Je me retrouve seul avec le Roi et même si je pourrai m'estimer heureux de pas avoir encore été jeté à mon tour en cellule, je ne sais pas du tout ce qu'il compte faire de moi. J'ai la sensation je ne pourrai pas l'esquiver facilement, sa simple prestance me fait trembler et ce n'est pas seulement sa silhouette taillée comme une divinité, c'est son aura. Elle m'écrase. Je ne serai pas surpris qu'il ait certaines capacités magiques.
« Avant que je ne décide ce que je vais faire de toi. Dis-moi, comment as-tu réussi à quitter ta cellule ?
- Vous ne me croirez pas.
- Essaie pour voir, sourit le Roi faisant tourner la lame dans sa main.
- La clé...Elle était sur la porte. »
Il lève les sourcils, incrédule puis venu de nulle part, il se met à rire. Un rire franc et plutôt doux à l'oreille. Je ne sais pas si c'est bon signe mais étrangement, je n'ai pas l'impression qu'il souhaite réellement me tuer.
« Effectivement. C'est difficile à croire. D'accord...Disons que tu dis la vérité. Pourquoi ne pas t'être enfui ? Pourquoi être venu arrêter l'assassin ? Sois honnête.
Je hausse les épaules.
- Aucune idée. Ma conscience je suppose.
- Hum...Un voleur avec une conscience. Amusant.
- Voler fait nécessairement de moi un être sans morale ? Ça se voit que nous avez jamais eu faim de votre vie.
- Parce que tu voles uniquement pour te nourrir ?
- Je vole pour survivre. Vous vivez dans un palais. Vous n'avez aucune idée de ce qu'est la vie dans la rue. »
Le Roi d'Agora me jauge, j'ai l'impression d'être à mon procès et en même temps, je ne me vois pas l'amadouer, je sens qu'il ne serait ni heureux ni réceptif. Il n'est pas de ceux que je pourrai facilement manipuler avec un sourire. En revanche, j'ai l'impression que lui, peut manipuler n'importe qui, s'il le désirait seulement.
« Tu as raison. Je ne sais pas ce que c'est de vivre dans la rue. Mais je n'avais encore jamais vu un garçon des rues se battre comme tu l'as fait, qui te l'as appris ?
- Un ami.
- Hum. Un bon professeur. »
Le Roi range finalement la lame dans sa ceinture, il baisse ses yeux sur mon torse totalement noircis par la terre, la poussière et surtout à l'air libre. Puis il remarque finalement le tatouage sur mon avant-bras. Soudainement son expression change.
« Chan ! Tout va bien ? »
Le Prince Hyunjin déboule dans la chambre, décoiffé, une robe de chambre ouverte sur son torse blanc et un pantalon fluide noir en guise de bas. Une épée à la main, il passe nerveusement la deuxième dans ses cheveux avant de croiser mon regard et de froncer les sourcils.
« Non, attends Hyunjin. Il n'a rien fait. Intervient aussi tôt le Roi. Il m'a même...Sauvé la vie. » Finit-il en me regardant cette fois.
Je sens ma poitrine se serrer. Mal à l'aise. En même temps, je sens que mon verdict a été rendu et ma tête et toujours sur mes épaules. Hyunjin aussi le comprend et fulmine tandis qu'il croise le regard de son frère.
« Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
- Un assassin est entré dans ma chambre et plutôt que continuer sa fuite..., il se tourne vers moi et plisse les yeux.
- Felix, je réponds en devinant sa pensée.
- Felix », sourit le Roi en le prononçant ce qui me donne la chair de poule.
C'est pas possible d'avoir un regard aussi intense, un timbre sur doucereux.
« Felix m'a sauvé, il reprend en se tournant vers le Prince. Sans lui, je serai peut-être mort.
Hyunjin recule la tête, pas du tout impressionné par ses mots. A vrai dire, il ne le croit pas et moi non plus. Le Roi pour autant n'en démord pas et ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre.
« Une vie pour une vie. Je l'absous.
- Tu l'absous ? Répète Hyunjin furieux. Et moi ? C'est à moi qu'il a causé du tort ! Il m'a...Il m'a- !! »
Le Prince s'empourpre et tremblant de fureur il laisse simplement filer un grognement avant de quitter la pièce d'un pas furieux. Je cligne des yeux, ne comprenant qu'on puisse à ce point tenir à quelques pièces d'or. Je ne lui ai pas volé une fortune non plus, pourquoi il réagit comme ça ?
« Aah laisse le. C'est un garçon fier, soupire le Roi Christopher. Bien. Je t'absous mais à une condition.
C'est quoi cette entourloupe ? Moi qui me voyais déjà dehors.
- Je suppose que je n'ai pas le choix.
- Bien sûr que si. Je peux aussi demander à Changbin de t'exécuter aujourd'hui, ça nous évitera de perdre du temps. A Agora, le vol est passible de la pendaison. Que préfères tu ?
- J'écoute alors.
Je ne sais pas pourquoi mais il a l'air content. Il s'approche alors et je crois voir son regard dérivé une seconde sur mon visage puis mon tatouage.
- Tu viens avec nous.
- Avec vous ? Où ça ?
- Sur nos terres, dans le Royaume d'Agora.
- Pardon ?
- Je vais faire de toi un membre de ma garde. En réalité, je pense même te nommer en tant garde personnel de Hyunjin.
- Je...Je...Non. Ce n'est pas une bonne idée. Comment..., je bégaie incapable de comprendre sa logique.
Il est devenu fou ? Comment peut il envisager une seconde que c'est une bonne idée ?
- Je vais être honnête. Nous avons eu d'autres attaques de ce genre et cela fait un peu plus d'un mois maintenant, le précédent garde de Hyunjin était un traître et je l'ai fait exécuter. Résultat, sa position est devenue vulnérable alors je lui ai affecté mes propres protecteurs mais c'est maintenant ma position qui se trouve fragilisée. J'ai besoin de personnes de confiance.
- Mais je ne suis pas de confiance ! Je suis un voleur ! Il vous l'a dit, je n'ai aucun scrupule et...
- Permets-moi d'en douter, sourit un peu plus le Roi. Ça ne sert à rien de mentir Felix, je peux le voir, je sais que tu es quelqu'un d'honnête, et n'en déplaise à cette image que tu essaies de renvoyer. Néanmoins, je te laisse vingt-quatre heures pour te décider. Nous partons demain soir, alors choisi. La mort ou moi. Et n'essaies pas de t'enfuir, je saurai te retrouver. Je te l'assure. »
Il tend sa main pour venir attraper mon bras, le fait pivoter pour regarder mon tatouage et je crois le voir changer de couleur à nouveau. Pire, il bouge. C'est impossible. J'ouvre la bouche, stupéfait et quand je regarde son torse où des motifs floraux et branches sont dessinés à l'encre noir, je remarque qu'un autre motif apparait sur son épaule, légèrement dénudée par sa robe de chambre. Une aile. Un oiseau perché sur une branche. Comme le mien.
Un Geai Bleu.
***
J'ai pu sortir par la grande porte du château et sans cheval au galop. Juste léthargique, à moitié nu et je me suis trainé jusqu'à l'auberge des Trois Ours. A l'accueil Eileen manque de s'évanouir en me voyant entrer.
« Par tous les dieux ! Felix tu es sorti ?! Ben m'a raconté et il était mort d'inquiétude ! Comment tu as fait ? Tu es blessé ? Regarde-moi. »
Je relève la tête, blafard mais je n'ai pas de blessure. Je suis perdu, trop de choses se bousculent dans ma tête, tout ce qu'il s'est passé cette nuit, et ma libération aux aurores. Les derniers mots du Roi, sa proposition, son regard, celui de Hyunjin. Le tatouage. Je déglutis et tandis que je fais un pas, je me sens défaillir. Eileen me retient et m'aide à m'asseoir sur une chaise.
« Felix, tu dois être épuisé...Viens. Je vais te mettre dans les sources ça va te faire du bien. »
Elle m'aide à me relever et me déshabille soit juste de mon pantalon, le reste est resté dans ma cellule et mes chaussures sont sans doute bruler dans une cheminée quelconque du château. Elle ne me laisse que le ras le cou qu'elle m'avait donné avant de me plonger dans les bains. Je ferme les yeux aussi tôt, soulagé d'un immense poids qui me comprimait la poitrine.
« Raconte-moi, que s'est-il passé ? »
Je ne sais pas tellement par où commencer mais je finis par lui raconter cette nuit invraisemblable. Je suis obligé de lui raconter aussi comment j'ai piqué l'argent du Prince Hyunjin et elle ne manque pas de me sermonner lorsque je prononce son nom. C'était comme si elle en avait deviné la suite, en tout cas jusqu'à l'emprisonnement. Pour ce qui est du reste, je crois qu'elle peine aussi à assimiler du premier coup.
« Agora ? Il veut t'emmener à Agora ? Mais ça n'a aucun sens !
- Je sais, je soupire.
- Mais et...Le tatouage ? Tu crois que ça a un rapport ?
- J'en sais rien. Mais je suis sûr que le sien et le mien, ont une signification particulière. Je viens peut-être d'Agora ? J'ose prononcer le fonds de ma pensée. Et si c'est le cas, alors aller là bas, me permettre peut-être d'en apprendre plus sur moi, mon passé... »
Eileen est soucieuse mais elle me comprend. Ses épaules s'affaissent et je remarque la tristesse ternir ses magnifiques perles noires. Elle connait déjà ma réponse, de toute façon, je ne compte pas mourir mais en plus de ça, elle me sent animé d'une certaine détermination, d'un certain enthousiasme car j'ai la sensation de me rapprocher d'un but, jusqu'ici confiné dans mon cœur.
« Je savais qu'un jour tu partirais. Je l'ai toujours su, dit-elle la voix basse. Tu ne t'en es pas vraiment caché, sans pour autant l'avouer, je savais que tu voulais quitter l'île mais le temps passant, je me disais que peut-être, un jour tu finirais par abandonner. J'avais espoir que Ben, que moi et papa ont te suffisent. Je sais c'est bête...
- Non ! Je l'interromps en me redressant pour venir prendre ses mains dans les miens. C'est pas bête.
Elle est restée assise au bord de l'eau, le bas de sa robe est tout trempé et me voir aussi touché qu'elle, lui donne encore plus de peine.
- Pardon, elle marmonne. Tu as tout à fait le droit de connaître ton passé ! Et je souhaite que tu réussisses mais tu es mon meilleur ami et tu vas terriblement me manquer !
- Toi aussi. Je...Eileen, je te promets de revenir. Je te promets de ne pas partir pour toujours. Toi et ton père, vous êtes devenu ma famille. Un jour, je reviendrai. Et puis tu sais, peut-être que tu pourrais toi aussi venir me voir, un jour.
- A Agora ? C'est si loin, sourit Eileen en retenant ses larmes.
- C'est vrai. Mais j'en vaux la peine nan ?
Mon grand sourire charmeur lui arrache le magnifie rire que j'attendais. Elle renifle et s'essuie le bord des yeux avant de prendre mon visage en coupe et de déposer un tout baiser sur mes lèvres. Un baiser amical, sans ambiguïté.
- Promets-moi de faire attention. De ne pas jouer les héros.
- Quand est-ce que tu m'as vu jouer les héros ?
- Tu te fiche de moi ? T'as fait quoi cette nuit au juste ? C'était pour sauver tes miches peut-être ?
- Pff, je me suis surtout dit que si je partais et qu'on retrouvait le Roi ou je sais pas quel seigneur mort, c'était bibi qui allait devenir le bouc-émissaire et voleur je peux encore espérer me faire oublier, Régicide, c'était pas pour demain.
- Hum...Mouais. Pas crédible. Et d'ailleurs...Le Roi Christopher, il est aussi beau qu'on le dit ? »
Je secoue la tête, replongeant dans l'eau en me remémorant mes derniers instants dans sa chambre et les sensations que me procuraient sa proximité.
« Très. » Je réponds honnêtement.
***
Après mon bain, je suis allé dormir quelques heures dans une des chambres de l'auberge. A mon réveil, l'après-midi était bien entamé et je me suis fais la réflexion que je n'avais pas vraiment grand-chose à emporter avec moi. En dehors de ma dague que j'avais laissé ici avant d'aller au château la vieille, mes vêtements étaient tous en mauvais état.
Aussi je décide de ne prendre que deux changes, je suppose que les soldats agoriens s'habillent aux couleurs de leur royaume donc j'aurai surement uniforme en conséquence. Quoi qu'il en soit, mon baluchon est minuscule et lorsque je reviens dans la salle, j'ai presque mal au cœur en croisant le regard pétillant de Eileen. Pire encore, je vois son père juste derrière. Sire Neven, un ancien chevalier de la cour, devenu tenancier d'une auberge et qui en dehors de ses cheveux un peu plus gris, n'a pas changé depuis le premier jour où il m'a sauvé d'une mort certaine au milieu des rues de Londinium.
J'étais chétif, mort de faim et rué de coups. Il m'a soigné, nourri et aider à vivre. Il m'a appris à lire, m'a donné quelques cours de combat, d'escrime et même de tire à l'arc. Il a été surpris de voir à quel point je savais déjà bien me débrouiller mais à côté de mes capacités à grimper sur les toits, à chaparder, ce n'était rien. C'était comme un père à mes yeux et j'aurai aimé pouvoir le remercier pour tout ce qu'il avait fait pour moi.
« Mon garçon, tu vas enfin prendre le large ?
- Enfin, je lui souris. Plus besoin de vous inquiéter pour moi.
De sa grande main robuste il me donne un petit coup sur l'épaule puis m'attire dans ses bras pour étouffer dans son étreinte puissante.
- Je m'inquiéterai toujours pour toi Felix. »
Je ravale un sanglot en sentant une dernière fois son parfum rassurant, celui là même qui m'avait enveloppé des années auparavant.
Puis c'est au tour de la jolie Eileen de me serrer contre son cœur, elle me caresse le dos, me faisant promettre de prendre soin de moi.
« Ne joue pas les héros », elle répète.
Un petit rire secoue ma poitrine et je l'embrasse sur le front avant de m'écarter. Un dernier regard, je ressers mon baluchon sur l'épaule, remettant mon lourd manteau en place. J'ouvre la porte de l'auberge et me laisse porter par l'odeur du pain chaud qui se pointe juste sous mon nez. Mon beau boulanger, la larme à l'œil mais avec un grand sourire. Ses boucles blondes aux reflets dorés au soleil vont me manquer, je dois bien l'avouer.
« Pour la route », il me dit la voix chevrotante.
Je lui souris tendrement et récupère le pain avant de franchir les quelques pas qui nous séparent, j'entoure son cou de mes bras et l'embrasse sans attendre. Un profond baiser d'adieu, presque amoureux. Je me hisse un peu plus contre lui et rapidement ses bras couvrent ma taille et m'enchainent encore plus fortement contre lui, souhaitant secrètement me garder à tout jamais pour lui. Mon gentil boulanger a le cœur trop bon et Eileen a raison, cela aurait pu suffire. J'aurai pu l'aimer. Je suis sûr que j'aurai été heureux à ses côtés. Mais je me serai senti incomplet, d'avoir ces cauchemars et j'aurai fini par tout gâcher. Alors je n'ai plus qu'à lui donner un cadeau d'adieu, et si ce n'est pas de l'amour, c'est au moins une grande affection que j'essaie de lui transmettre. En espérant que le souvenir ne soit pas trop difficile et qu'il puisse m'oublier avec le temps. Je ne veux que son bonheur, le sien, celui d'Eileen et de Sire Neven. Ma famille.
« Merci pour tout, je murmure à bout de souffle contre ses lèvres. Tu auras été mon bien aimé pour cette vie.
- Je t'aime Felix.
- Je sais. »
Je l'embrasse une dernière fois.
Il insiste pour m'accompagner jusqu'au port mais je refuse. Je déteste les adieux trop larmoyants et puis je souhaite faire ce chemin seul, comme je l'ai fait tous les jours. Et comme tous les jours, je vais en dehors de la cité, je trouve la charrette du vieux Garett et je monte cette fois à l'avant. Un petit changement ne fait pas de mal. En me voyant, il semble surpris mais pas vraiment mécontent. Je lui donne une petite pièce et ce dernier me gratifie d'un sourire en coin. Il fouette les chevaux et nous remontons tranquillement la route poussiéreuse. Il fait chaud aujourd'hui mais je sens toujours les effluves marines et plus nous approchons de la mer, plus je sens mon cœur se serrer et mes jambes trembler.
Cette fois c'est la bonne. Je vais monter dans un bateau. Je vais quitter l'île. Ma peur ne pourra rien faire contre ça.
« Cache toi Felix ! Ne sors sous aucun prétexte ! Tu m'entends ?! »
« Capitaine, nous avons un clandestin... »
« Tiens...Tiens. Quelle pauvre petite bestiole prise au piège... »
« Tu as le mal de mer petit ? »
Le bruit de l'eau me fait ouvrir les yeux. La houle est calme mais j'ai la sensation qu'elle cogne les coques des bateaux avec plus d'intensité, comme si elle était impatiente, elle aussi, de me voir enfin prendre le large. De m'accueillir à nouveau dans ses vagues et de m'entrainer au loin. Cette vieille amie sadique qui aime se jouer de moi.
Je descends le chemin jusqu'aux quais, regarde les marins, leurs tenues puis j'aperçois le pavillon au lion ailé. J'avance à reculons, la gorge entenaillée, les mains moites ne pouvant quitter des yeux les grandes voiles qui bougent sous le vent.
« Voilà ton choix Felix. Me dit le Roi en me voyant m'approcher du vaisseau.
- Il n'y avait pas de choix.
- Bien sûr. Il sourit en me tendant sa main. Bienvenue à bord. »
◯
○
.
Olà les amis !
Je vous avais dis que ça avançait vite ! Et en même temps assez lentement surtout niveau sentimental ! Je vous dis pas comme Hyunjin est rancunier...
J'espère que vous aimez !
Je vous dis à mardi.
Lundi sera la publication de Titan ;)
D.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro