Chapitres 3 et 4
Bonjour à tous :)
Aujourd'hui, j'ai décidé de publier deux chapitres à la fois. En effet, après relecture du chapitre 3, je me suis dit qu'il n'était pas assez long et qu'il allait vous laisser sur votre faim. Je tiens quand même à vous faire plaisir! Au moins, avec le chapitre 4, il y a quand même pas mal de choses à assimiler :)
Merci à ceux qui suivent déjà mon histoire fidèlement alors qu'elle n'en est qu'aux prémices. Je suis vraiment heureux de voir vos visites/vote/commentaires, et je m'estime chanceux d'avoir découvert ce site.
Enfin bref, trêve de blabla. J'espère que vous apprécierez ces deux chapitres :) N'hésitez pas à commenter, voter et partager!!!
Luc.
Chapitre 3
Les congés de la Toussaint arrivèrent comme une délivrance. De longues et grasses matinées s'imposaient. Le premier jour des vacances, Gabriel fut néanmoins réveillé par de légers coups contre la porte de sa chambre.
— Gabriel ? dit la voix étouffée de sa mère derrière la porte, lève-toi, ton père a une surprise pour toi. On t'attend en bas.
Gabriel jeta un œil bouffi sur son réveil. Il était cinq heures du matin et il faisait encore nuit à travers la fenêtre. Qu'est-ce que son père avait bien pu inventer pour le réveiller aussi tôt ? Bougon, il se leva en se frottant le visage, enfila ses vêtements puis descendit à la cuisine. Sa mère, Rose, une femme ronde et joyeuse, s'affairait devant une poêle fumante.
— 'Jour marmonna-t-il.
— Bonjour mon chéri ! chantonna-t-elle avec un sourire.
— Alors, qu'est-ce qui se passe ? interrogea Gabriel en s'asseyant à table.
— Oh tu vas voir ! s'exclama Rose. Ton père ne devrait pas tarder à arriver.
Gabriel mordit sans enthousiasme dans un croissant. Il détestait les surprises depuis que Charles, son frère aîné, lui avait offert une boîte remplie de limaces mortes quand il avait quatre ans. Ses parents ne faisaient pas ce genre de cadeaux, mais ce réveil matinal éveillait ses soupçons.
— Et ça ne pouvait pas attendre le matin ? demanda Gabriel avec une pointe d'agacement. Qu'est-ce qu'il y a de si important ? Je voulais faire la grasse matinée.
Rose lui jeta un regard sévère mais ne répondit pas. Elle posa une assiette d'œufs brouillés devant lui, puis s'assit à son tour avec un thé et une tranche de pain beurré.
Joseph, le père de Gabriel, entra dans la cuisine. C'était un homme grand, sportif, dont la physionomie dégageait une aura de force brute. Sa longue crinière d'or et sa barbe blonde soigneusement taillée lui donnaient l'air d'un lion. De légères rides plissaient son regard vert, et ses mains étaient aussi dures que la roche. Le moins qu'on puisse dire, c'est que Gabriel et lui ne se ressemblaient pas du tout.
Il embrassa sa femme sur la joue et se laissa tomber sur une chaise à côté de Gabriel.
— Alors, t'es prêt ?! rugit-il d'un ton énergique. Aujourd'hui, c'est le grand jour !
— Super, soupira Gabriel, mais de quoi on parle ?
Joseph se mit à dévorer tout ce qui lui passait sous la main. Son regard oscillait entre Rose et Gabriel.
— Tu ne lui as rien dit ? s'étonna-t-il en se tournant vers sa femme, qui buvait son thé à petites gorgées.
Rose reposa tranquillement sa tasse et fit « non » de la tête. Elle se cala confortablement sur sa chaise et entreprit de grignoter sa baguette avec un petit sourire en coin.
— Me dire quoi ? s'impatienta Gabriel en saisissant son verre de jus d'orange. Décidément, il n'aimait vraiment pas les surprises.
Joseph se tourna vers Gabriel et lui annonça d'un ton claironnant :
— Fiston, je t'emmène à la chasse !
Gabriel, qui buvait une gorgée de jus, s'étouffa dans son verre.
— Qu-quoi ? toussa-t-il. Tu m'emmènes avec toi ?!
— C'est ça ! confirma Joseph en piquant des œufs brouillés dans l'assiette de Gabriel. On finit le petit-déjeuner et on y va tous les deux. C'est ton cadeau.
Perplexe, Gabriel regarda son père lui voler son petit-déjeuner. Son cadeau ? Son cadeau pour quoi ? Joseph n'avait pas pour habitude d'emmener ses enfants avec lui lorsqu'il partait chasser. Cette passion était quelque chose qu'il avait toujours gardé jalousement pour lui, et chaque année il profitait de la saison de chasse pour faire de longues escapades en solitaire. La saison touchait presque à sa fin, et cette année Joseph n'avait encore emmené personne avec lui.
Les rares fois où il avait accepté d'amener Charles ou Hubert, c'était pour les récompenser. Hubert avait eu droit à cet honneur lorsqu'il avait gagné un concours de chant, et Charles quand son équipe avait remporté le championnat régional de rugby. Gabriel, qui chantait comme une casserole et détestait le rugby, n'avait jamais eu ce privilège. Il avait toujours voulu y aller, mais cette soudaine faveur lui semblait suspecte. Il n'avait rien fait de spécial pour mériter cette récompense.
Joseph continuait d'avaler ses œufs brouillés à une vitesse ahurissante, et Rose avait perdu le fil de la conversation, le regard errant à travers la fenêtre.
— Merci papa, reprit Gabriel. Mais que me vaut un tel honneur ?
— Qu'est-che que tu veux dire ? répondit Joseph la bouche pleine.
— Pourquoi ai-je le droit de t'accompagner aujourd'hui alors que d'habitude tu y vas seul ?
Son père releva le menton d'un air soupçonneux.
— À ton avis ? demanda-t-il sur le ton de l'évidence.
Gabriel se creusa la tête, mais aucun exploit récent ne lui vint à l'esprit. Rose, revenant sur terre, le regarda avec un sourire navré, visiblement consternée par son incompréhension. Le regard de Gabriel se posa sur le calendrier accroché au mur, et un éclair de clairvoyance surgit dans son esprit.
— Ah mais oui ! s'exclama-t-il, on est le 1er novembre !
Joseph leva les yeux au ciel et mordit à pleines dents dans un morceau de baguette.
— Il lui aura fallu moins de temps que l'année dernière pour s'en souvenir, gloussa Rose. Il progresse. Joyeux anniversaire, mon chéri !
— FOYEUX ANNIFERSAIRE FISTON ! brailla Joseph en postillonnant des morceaux de pain.
Il donna une claque vigoureuse dans le dos de son fils, qui fut projeté contre la table.
— Merci, maugréa Gabriel en se massant l'épaule.
— C'est quand même fou, commenta Rose, cette capacité que tu as d'oublier ton propre anniversaire chaque année.
Gabriel haussa les épaules.
Hubert et Charles ne vinrent pas les rejoindre à table, étant encore endormis. Leurs petits-déjeuners avalés, Joseph et Gabriel sortirent et traversèrent le jardin. Le froid acheva de réveiller Gabriel. La brume ne s'était pas levée et quelques étoiles scintillaient encore dans l'obscurité matinale.
Joseph prit le matériel de chasse dans le garage et le chargea dans le coffre de la vieille Citroën familiale. Ils montèrent à bord et roulèrent en direction de la forêt de Montfermeil.
— Tu vas voir, dit Joseph, ça va être amusant.
Gabriel ne répondit rien. Il trouvait toujours cela suspect. Jamais Hubert ou Charles n'avaient accompagné Joseph lors de leurs anniversaires, bien qu'aucun des leurs ne tombait pendant la saison de chasse.
Ils débouchèrent sur une large avenue bordée d'arbres. Les yeux fixés sur la route, Joseph tourna à droite.
— Alors ?! s'exclama-t-il joyeusement. Nerveux ?!
— Un peu, avoua Gabriel. Je ne sais pas si je pourrai tuer un animal. Je pense que je préfèrerais les attraper et les relâcher. Un peu comme à la pêche.
Il s'attendait à ce que Joseph se moque ou s'énerve, mais il se contenta de hausser les épaules.
— Oh mais tu ne vas pas tuer aujourd'hui, ne t'inquiètes pas. Tu es trop jeune et tu n'as pas de permis de chasse. Tu vas surtout observer.
Ils roulèrent quelques minutes en silence, et la route devint plus étroite. Une forêt se dessinait à une centaine de mètres devant eux.
— On y est, annonça Joseph.
Ils arrivèrent à la lisière d'un bois. À travers la vitre, Gabriel observait les arbres osciller sous le souffle du vent. La forêt semblait profonde et aucune lumière ne pénétrait à l'intérieur. Un étrange sentiment l'envahit. Une impression de déjà-vu.
— Joyeux anniversaire démon... murmura-t-il pour lui-même.
Chapitre 4
Ils se garèrent dans le parking de la forêt, puis descendirent de voiture. Joseph ouvrit le coffre, en sortit une carabine dans un étui ainsi que deux paires de jumelles. Il en tendit une à Gabriel et ils se dirigèrent vers le bois.
— Fais attention, prévint Joseph en écartant les ronces de son chemin, c'est l'une des plus grandes forêts de France. Elle n'est pas particulièrement dangereuse, mais si tu te perds, tu ne retrouveras jamais la sortie.
— D'accord, répondit-il distraitement.
Gabriel regardait autour de lui tandis qu'ils s'enfonçaient dans l'obscurité du bois. D'habitude, la famille Prodel se rendait dans la forêt de la ville voisine, qui était plus proche de chez eux. Joseph était le seul à fréquenter ce bois, pour le gibier. Pourtant, tout semblait étrangement familier à Gabriel.
— Bien, chuchota Joseph, je vais t'expliquer ce que tout bon chasseur doit savoir. La première règle que tu dois retenir, c'est que tu ne dois – jamais au grand jamais – avoir le doigt sur la gâchette si tu n'as pas l'animal en joue. Comme je te l'ai déjà dit, pour le moment tu n'as pas de permis de chasse et tu es trop jeune pour que je te prête une de mes carabines, mais il faut quand même que tu le saches. C'est une règle de base qui te permettra de rester entier et qui t'évitera tout accident fâcheux.
Gabriel avançait en évitant les flaques d'eau sur le sentier boueux.
— OK, répondit-il, ensuite ?
— La deuxième règle, poursuivit Joseph en baissant encore la voix, c'est qu'il faut faire le moins de bruit possible, en toute circonstance. Même si tu penses être seul, le gibier peut se cacher tout près et tu risques de le faire fuir. Essaye aussi d'avancer dans le sens contraire du vent pour dissimuler ton odeur.
Joseph s'arrêta un instant, examina une branche cassée sur un arbuste pendant quelques minutes, puis se remit en marche en choisissant soigneusement où il mettait les pieds. En le voyant marcher avec précaution, Gabriel avait l'impression de suivre un loup solitaire sur la trace de sa proie.
— Si tu retiens ces quelques règles, tu peux commencer à chasser. Après, c'est une question d'expérience. Certains construisent des cachettes et attendent que le gibier passe, d'autres posent des pièges, mais je trouve que ça enlève tout le plaisir de la chasse. Nous, on chassera en traquant. Donc lorsque tu rentres dans le bois, garde les yeux sur le terrain et les oreilles grandes ouvertes. Le gibier laisse souvent des signes qui les trahissent. Ça peut être des empreintes, des excréments, ou des branches qu'ils abîment sur leur passage. Si tu arrives à bien interpréter ces signes, ils t'aideront à localiser ta cible.
Ils avancèrent en silence pendant une trentaine de minutes. Le soleil se levait, éclairant leur chemin. Quelques oiseaux se mirent à piailler. L'odeur des feuilles mortes leur montait aux narines. Joseph s'arrêtait parfois pour examiner des branches d'arbre ou se penchait vers le sol. Gabriel commençait à s'ennuyer lorsque Joseph s'arrêta brusquement.
— Tiens, regarde !
Joseph s'accroupit et lui montra une trace dans la boue. Gabriel examina la trace que son père lui désignait, mais ne comprit pas pourquoi elle avait retenu son attention. Il lui jeta un regard interrogateur.
— C'est une empreinte de cerf, expliqua Joseph. Il y en a pas mal dans cette forêt. Celui-ci doit être adulte et peser environ cent-cinquante kilos.
— Tu arrives à voir tout ça ? s'étonna Gabriel en regardant à nouveau l'empreinte, dont il parvenait à présent à distinguer la forme.
— Oui, regarde. Elle est profonde et fraîche. Ce qui signifie qu'il est probablement lourd et qu'il n'est pas très loin. C'est simplement de la déduction. Vérifie s'il n'est pas dans le coin.
Gabriel saisit ses jumelles et inspecta les alentours. Il scruta les arbres, les buissons, mais il n'y avait aucune trace de la bête aux alentours.
— Rien à signaler, dit-il.
— Bien, il ne doit pas être loin. Regarde ça.
Joseph désigna un châtaignier un peu plus loin, dont le tronc était couvert de longues griffures.
— Ce sont les cerfs qui laissent ces traces en frottant leurs ramures contre l'écorce. Ouvre l'œil.
Après une autre demi-heure de marche, Joseph lui fit signe de s'arrêter. Une légère brise agitait les feuilles des hêtres et les rayons du soleil réchauffaient la terre encore humide sous leurs pieds. Joseph s'accroupit lentement et chargea son fusil. Gabriel, le cœur battant, jeta un regard furtif dans les broussailles environnantes.
Il aperçut un aigle impérial perché sur une branche, qui les observait avec intérêt. Gabriel se figea et l'observa plus attentivement, mais l'aigle disparut aussi vite qu'il était apparu. Tant pis. De toute façon, ce n'était pas l'animal qu'ils traquaient. Il reprit ses jumelles et scruta à nouveau les environs. Il aperçut alors l'animal qui avait retenu l'attention de Joseph.
C'était un grand cerf, magnifique, élancé, au poitrail massif, au cou allongé. Il faisait environ un mètre et demi de haut, avait un pelage brun cuivré et deux yeux noirs brillants. Sa ramure, longue et noueuse, se dressait majestueusement au-dessus de sa tête.
Gabriel avait toujours été fasciné par les cerfs, sans réellement savoir pourquoi. Ça lui était venu comme ça, un jour. Il passait son temps à lire ou à regarder des documentaires animaliers à la télévision. Parmi tous ceux qu'il avait vus, les documentaires sur les cervidés étaient les plus intéressants à ses yeux. En voir un en vrai, là juste devant lui, lui serrait le cœur d'émotion.
Il jeta un regard à son père, occupé à chercher des cartouches dans sa besace. Joseph s'apprêtait à l'abattre. Cette idée le fit soudainement paniquer. Il ne pouvait pas laisser un animal aussi majestueux se faire tuer. Sans réfléchir, Gabriel saisit une pierre sur le sol et visa le cerf. Il la lança de toutes ses forces. Le caillou rebondit sur le flanc de l'animal.
BANG !
La détonation retentit comme un coup de tonnerre et plusieurs oiseaux s'envolèrent des arbres environnants, mais Joseph avait tiré trop tard. Sa proie s'enfuyait déjà en bondissant derrière un buisson. Gabriel soupira de soulagement.
Joseph poussa un juron et se mit à courir, Gabriel sur ses talons. La bête s'était arrêtée une centaine de mètres plus loin. Joseph se cacha à nouveau derrière un arbre et rechargea son fusil. Gabriel regardait le cerf, qui semblait paisible. Pourquoi ne fuyait-il pas ? Le coup de feu aurait dû suffire à le faire fuir sur une plus longue distance. Ces créatures étaient généralement méfiantes.
Tandis que son père rechargeait son arme, Gabriel prit un sentier en contrebas et s'approcha silencieusement du cerf, afin de le voir de plus près. Trop occupé, Joseph ne vit pas Gabriel disparaître. À présent, celui-ci n'était plus qu'à deux mètres du cerf.
Vu de plus près, l'animal était encore plus impressionnant. Gabriel contempla son pelage cuivré, et y distingua des taches brunes, plus sombres. Il pouvait voir chaque détail de son museau, de ses bois aux ramifications complexes.
Soudain, la bête s'aperçut de sa présence et se tourna vers lui. Leurs yeux se croisèrent. Gabriel sentit son estomac se nouer mais il ne détourna pas le regard. Le cerf l'observait d'un air impassible. Gabriel voulait le toucher mais n'osait pas tendre la main, de peur de l'effrayer.
Derrière lui, il entendit un claquement. Joseph avait fini de recharger son arme.
— Il faudrait qu'il s'en aille, pensa Gabriel. Par la gauche !
À peine s'était-il fait cette réflexion que la créature fit un bond vers la gauche, puis s'immobilisa. Il tourna à nouveau son regard brillant vers Gabriel, comme s'il attendait de nouvelles instructions. Celui-ci, tétanisé, eut l'impression que le cerf venait de lui obéir. D'obéir à ses pensées.
— Mais non ! se dit-il, c'est ridicule.
Tout en soutenant son regard, Gabriel lui fit un signe de tête pour l'inciter à s'enfuir. Le cerf bondit à nouveau, sans s'arrêter cette fois, puis disparut derrière un arbre.
Au bout d'une heure et demie de traque, Joseph dut renoncer à une proie pour la première fois de sa vie. Le jour s'étant levé, il était quasiment impossible d'attraper du gibier à présent. Joseph s'appuya contre un arbre et s'essuya le front à l'aide de sa manche.
— C'est... pas... possible ! haleta-t-il, les traits contractés. D'habitude... ils... m'échappent... pas !
Gabriel le regardait reprendre son souffle et se sentait de plus en plus troublé. À chaque fois qu'ils retrouvaient leur proie, ce dernier tournait la tête vers Gabriel, comme s'il attendait des instructions. Dès que celui-ci pensait « fuis ! », l'animal bondissait pour disparaître dans les fourrés, avant de les attendre un peu plus loin.
Gabriel se sentait poussé par un besoin irrésistible de sauver ce cerf. Une voix intérieure lui murmurait que cet animal était un chef, un ancien de la forêt, et qu'il fallait le laisser vivre. Il sentait que si son père parvenait à l'abattre, un sacrilège serait commis et il ne pouvait pas permettre que cela se produise.
— J'abandonne, souffla Joseph. Désolé... Fiston.
Gabriel poussa un faux soupir de déception.
— Pas grave, dit-il, on l'aura une prochaine fois !
— Pas sûr... la saison... de chasse... est bientôt achevée.
Joseph lui fit un signe et ils rebroussèrent chemin. Vexé de revenir sans gibier, son père marchait très vite en écartant brusquement les ronces de son passage. Gabriel, quant à lui, se sentait empli d'un intense sentiment de satisfaction. Il regardait distraitement les environs, lorsqu'il aperçut à nouveau l'aigle impérial perché sur une branche. Il avait un plumage brun-gris, un bec acéré ainsi que de larges ailes.
— Étrange, songea Gabriel, il était inhabituel de voir un aigle impérial dans cette région. Ce ne pouvait pas être un faucon, les faucons n'étaient pas aussi grands.
Tandis qu'il le contemplait, l'aigle déploya ses ailes avec grâce. Gabriel s'arrêta brusquement et cligna des yeux. Il avait l'impression que l'aigle lui avait fait un clin d'œil en s'envolant.
— C'est complètement stupide mon vieux, s'esclaffa une voix sarcastique dans sa tête. Du grand n'importe quoi. Tu dérailles complètement. Cette histoire te fait perdre la boule !
— Tu viens ?! cria Joseph qui l'attendait un peu plus loin, dans les fourrés.
Gabriel trottina vers lui, cherchant l'oiseau des yeux, mais celui-ci avait à nouveau disparu.
— Tu sais, ça ne m'arrive pas souvent de rentrer bredouille, assura Joseph tandis que Gabriel parvenait à sa hauteur. Mais bon, tant pis. J'espère au moins que tu t'es amusé.
— Oh oui, c'était génial ! affirma Gabriel.
Arrivé à la lisière du bois, Gabriel sentit une présence derrière lui. Quelque chose de diffus, comme une boule de chaleur dans son dos. Il fit semblant d'avoir un caillou dans sa chaussure et de s'accroupir pour l'enlever. Joseph poursuivit son chemin sans lui prêter attention, et Gabriel se retourna afin de scruter les alentours.
Le cerf qu'ils avaient traqué toute la matinée émergea de derrière un arbre. Gabriel se figea. L'animal s'approchait en silence, discrètement, tandis que Joseph arrivait près de la voiture et ouvrait le coffre pour y ranger leur matériel.
Gabriel resta immobile, comme hypnotisé. La créature s'approchait toujours. Son pelage cuivré luisait sous la fine pluie qui commençait à tomber. Il s'arrêta à quelques mètres, et Gabriel le contempla dans un mélange de peur, de fascination et d'incrédulité.
Il jeta un œil par-dessus son épaule afin de s'assurer que Joseph n'avait rien vu, puis fit un pas vers l'animal. La bête fit également quelques pas dans sa direction. À présent, ils se tenaient face à face.
Le cerf continua de le fixer quelques secondes d'un regard intense puis inclina légèrement la tête en signe de reconnaissance. Gabriel le dévisagea, bouche bée. D'un geste hésitant, il s'inclina à son tour. Le cerf se retourna et s'éloigna sous le regard de Gabriel, puis disparut dans la forêt.
La scène n'avait duré que quelques secondes. Joseph, occupé à ranger soigneusement son matériel, n'avait rien remarqué. Tétanisé, Gabriel fixait l'endroit où le cerf avait disparu.
Un cerf venait-il réellement de s'incliner devant lui ?
À nouveau, la voix sarcastique s'éleva dans sa tête :
— C'est complètement stupide mon vieux, répéta-t-elle. Du grand n'importe quoi.
— Pourtant je l'ai vu ! protesta Gabriel. Le cerf m'a salué !
Il tendit le cou pour scruter le bois, mais il n'apercevait plus le cerf parmi les arbres.
Était-il en train de devenir fou ?
Il entendit le vrombissement de la voiture et son père qui l'appelait. Gabriel se retourna, courut jusqu'à la voiture et monta à bord sans oser un regard en arrière.
Personne n'ouvrit la bouche durant le trajet du retour. Joseph avait une expression morose sur le visage, et conduisait en fredonnant pour lui-même. Une légère bruine tombait sur la Citroën, et le ronronnement du moteur se mêlait au crépitement de la pluie sur le toit du véhicule. Gabriel regardait une goutte glisser sur la vitre de sa portière. Il tournait et retournait dans sa tête ce qui venait de se passer, mais ses idées devenaient de plus en plus confuses.
Un cerf l'avait-il vraiment salué... ?
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