Chapitre 6
Bonjour les amis !
Aujourd'hui, une image un peu spéciale pour illustrer ce chapitre (cliquer sur la peinture pour l'agrandir). L'image que vous voyez là est une peinture nommée "Among the Sierra Nevada Mountains", réalisée par Albert Bierstadt, un peintre du 19e siècle (milieu des années 1800...). C'est un peintre américain d'origine allemande, connu pour ses paysages de l'Ouest américain. Bierstadt faisait partie de l'Hudson River School, un groupe informel de peintres du 19e siècle pratiquant une peinture romantique, baignée d'une lumière radieuse (merci Wikipedia!).
Pourquoi je vous raconte sa life? Parce que c'est mon peintre préféré! J'ai vu ses peintures pour la première fois au Smithsonian American Art Museum, à Washington, lorsque je vivais aux Etats Unis pour mes études. Dans le musée, j'ai vu cette peinture, et elle m'a juste ébloui. Je suis resté au moins un quart d'heure devant. Depuis, c'est ma peinture préférée.
Lorsque j'ai décidé d'écrire "le gardien des cerfs", cette peinture a été l'une des raisons pour lesquelles j'ai choisi les cerfs comme animaux faisant l'objet de ce roman. Après tout, ça aurait pu être le gardien des chevaux ou bien le gardien des loups. Mais au premier plan de cette peinture magnifique, vous voyez des cerfs près du lac.
C'est ce tableau qui a inspiré la scène des chapitres 5 et 6. Cela se passe près d'un lac à la lumière dorée, dans lequel se déverse une cascade, avec des saules pleureurs au dessus de l'eau et des cerfs. J'avais même hésité à en faire la couverture du roman, mais elle n'était vraiment pas adaptée à ce format. Donc voilà, comme ça vous en savez plus sur la genèse de ce roman :) Bonne lecture!!!
PS: N'hésitez pas à googler Albert Bierstadt. Vous ne serez pas déçus!
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Aislîn se dirigea vers l'endroit d'où il était apparu un peu plus tôt. Gabriel le suivit, son cerveau bouillonnant toujours de questions. Le gardien des cerfs ? Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Si l'on en croyait Aislîn, il s'agissait d'une sorte de protecteur, mais pour les protéger de quoi ? Des prédateurs ? Était-ce pour cette raison qu'il avait toujours été intéressé par les animaux ? À cause de ce pouvoir caché en lui...
Gabriel secoua légèrement la tête. Non, ce n'était pas possible. Aislîn avait fait une erreur. Ou alors... était-il vraiment ce démon que tout le monde détestait ? Il se passa à nouveau une main sur le front. Démon, fils du diable, gardien des cerfs...Tout se mélangeait dans son esprit.
Ils approchèrent des arbres bordant la clairière, et Gabriel aperçut une quarantaine de mâles dissimulés dans la brume. Ils étaient visiblement bien plus jeunes qu'Aislîn —leurs ramures étaient plus courtes et leur pelage plus clairs— et les regardaient approcher d'un air méfiant. Il y avait également de nombreuses biches et quelques faons qui se cachaient derrière les arbres. Certains d'entre eux remuaient anxieusement les oreilles ou frappaient le sol de leurs pattes avec nervosité.
— C'est votre famille ? devina Gabriel.
— Oui, c'est mon clan. Je suis chargé de les protéger.
La harde, voyant qu'il ne semblait pas y avoir de danger, s'avança à leur rencontre. Lorsque Gabriel s'approcha, certains d'entre eux firent une sorte de révérence.
— Pourquoi font-ils cela ? demanda-t-il à Aislîn d'un air embarrassé. Je ne suis pas leur roi ou leur chef de clan.
— Mais vous êtes leur gardien, répliqua Aislîn.
Gabriel se sentit encore plus gêné. Aislîn attendit que tous les cerfs soient rassemblés autour de lui, avant de prendre la parole d'une voix forte et autoritaire :
— Mes enfants ! Je vous présente Gabriel. Il y a quelque temps, il m'a été d'une grande aide. J'ai échappé à un chasseur grâce à lui et je le considère donc comme un ami. Il fait désormais partie de notre clan. J'espère que vous saurez lui témoigner toute la reconnaissance et le respect qu'il mérite, car je pense que notre gardien est revenu.
Les têtes se tournèrent vers Gabriel, comme si le clan attendait quelque chose de lui, mais Gabriel ne savait pas ce qu'il était supposé faire. Il ne comprenait rien à ce qui se passait et se sentait de plus en plus confus.
Il ouvrit et referma la bouche plusieurs fois avant de marmonner vaguement :
— Bonjour...
Aussitôt, le clan laissa éclater sa joie, et ce tapage effraya plusieurs oiseaux qui s'envolèrent avec des piaillements indignés. Les cerfs ruaient, sautaient et bramaient dans l'air du matin.
— Alors c'est vrai ! s'égosilla une biche au museau allongé. Ce qu'Aislîn disait est vrai !
Gabriel se tourna vers la biche et lui adressa un sourire hésitant. Ainsi donc, il arrivait bien à comprendre l'ensemble du clan, et pas juste Aislîn. Sa respiration ralentit, et son stress le quitta. Pris d'un élan soudain, il tendit la main et caressa le museau de la biche. Dès que ses doigts entrèrent en contact avec la fourrure de l'animal, Gabriel eut un flash. Il s'éloigna brusquement, comme s'il venait de recevoir une décharge électrique.
— Ila, dit-il le souffle court. Vous vous appelez Ila, c'est bien ça ?
— Comment le savez-vous ? s'étonnèrent Ila et Aislîn d'une même voix.
— J'ai...je crois que j'ai eu accès à votre mémoire et à vos pensées lorsque...lorsque je vous ai touché...
Gabriel contempla ses mains, à la fois émerveillé et incrédule. Il savait tout d'Ila : son âge ; le nombre de faons qu'elle avait élevé ; son ancienne blessure à la patte qui la faisait toujours souffrir lorsqu'elle courait trop longtemps ; sa rivalité avec une autre biche du clan...
Le pouls de Gabriel s'accéléra. Est-ce qu'il pouvait vraiment accéder aux souvenirs et aux pensées de ces animaux par simple contact ? Lors de la partie de chasse avec Joseph, il avait déjà ressenti une étrange connexion entre Aislîn et lui, et il avait pu lui parler par télépathie. Mais là, c'était tout autre chose... C'était bien plus que de la télépathie...Il pouvait également lire les souvenirs...
Ila lui adressa un sourire radieux puis s'inclina profondément.
— C'est merveilleux ! Gabriel ! Je suis enchantée de vous rencontrer !
— Ravi de faire votre connaissance, répondit Gabriel. Mais relevez-vous. Ce n'est pas la peine de vous incliner devant moi.
Gabriel eut à peine le temps de parler à Ila, que d'autres cerfs l'écartèrent pour prendre sa place. Une bousculade se forma bientôt autour de lui, chaque membre de la harde voulant qu'il lise dans leurs pensées.
Dans la confusion la plus totale, Gabriel tendait la main vers chaque membre du clan à sa portée. Il apprenait leur identité ; recevait leurs pensées ; leurs souvenirs ; et cernait le caractère de chacun d'entre eux comme s'il les connaissait depuis des années. Il avait l'impression d'être une éponge absorbante : une succession d'images et de souvenirs qui n'étaient pas les siens défilait à toute vitesse dans sa tête. En quelques minutes, il connaissait presque tous les membres du clan : Kal, Calahan, Ila, Malia, Kaliska, Diavel...
Soudain, le brouhaha fut interrompu par une biche qui s'approchait de lui. Son pelage roux lui rappelait la couleur des feuilles d'automne. Ses oreilles effilées, ses pattes délicates et son museau levé lui donnaient un air noble. Les autres biches s'écartaient avec déférence sur son passage.
Lorsqu'elle s'arrêta en face de lui, affichant un sourire doux et tendre, Gabriel sut instinctivement qu'il ne devait pas lire dans les pensées de cette biche-là. De la même manière qu'Aislîn, elle avait un statut particulier. Il devait faire preuve de plus de respect envers elle.
— Je te présente Mira dit Aislîn, alors que celle-ci s'arrêtait devant eux. C'est ma compagne. Elle est également la mère d'Olin, mon fils. C'est lui, là, qui se cache dans ses jambes, ajouta-t-il en souriant, alors qu'Olin, un faon au même pelage cuivré que son père, tentait timidement de se dérober à leur vue.
— Bonjour, Gabriel ! dit Mira avec un sourire bienveillant.
Gabriel la salua d'un signe de tête en bredouillant :
— Je...euh... ravi de faire votre connaissance.
Mais tout à coup la vision de Gabriel se brouilla, il ressentit une étrange sensation de vertige. Sa poitrine se serra et un liquide chaud coula de son nez. Il s'essuya avec sa manche et constata qu'il saignait abondamment. Il avait probablement abusé de son pouvoir, en lisant dans trop d'esprits à la fois. Les pensées, les souvenirs et les sentiments qu'il avait absorbés le submergeaient, l'emportaient comme une vague.
— Gabriel, vous allez bien ? s'inquiéta Aislîn, dont la voix se faisait de plus en plus lointaine.
Gabriel fit « non » de la tête. Inquiet, Aislîn proposa au clan de se diriger vers le bord du lac pour le laisser respirer. Ils s'allongèrent sur la berge et Gabriel s'accroupit un peu à l'écart, sous un saule. Il se passa un peu d'eau sur le visage en respirant profondément.
Quelques minutes passèrent, et il se sentit un peu mieux. En relevant la tête, il jeta un regard au clan. Il n'arrivait toujours pas à croire qu'il comprenait la langue des cerfs... C'était fou...Ce genre de chose n'arrivait qu'au cinéma, ou dans les contes de fées.
Tandis qu'il observait le clan, il remarqua qu'une vingtaine de mâles restait en marge de la harde. Ces cerfs-là ne lui avaient pas adressé la parole lorsqu'il était arrivé en compagnie d'Aislîn. À présent, ils veillaient, le regard vif, guettant probablement le danger. Ils devaient constituer une sorte de garde. La harde était beaucoup plus organisée qu'il ne l'imaginait.
Son regard se promena sur le lac, les arbres environnants, le clan. Tout était paisible, et Gabriel se sentit un peu honteux d'avoir eu cette crise. En tant que gardien (peu importe ce que cela signifiait), il devait faire une bien mauvaise impression pour cette première rencontre. Il se redressa, mis de l'ordre dans sa tenue et rejoignit le clan.
Lorsqu'il s'assit à côté d'Aislîn, ce dernier s'apprêtait à lui parler mais il s'interrompit et leva brusquement son museau. Il huma les alentours avec attention et regarda les cervidés qui protégeaient le clan. Ces derniers semblaient également avoir senti quelque chose.
— Tout va bien ? s'enquit Gabriel en fronçant les sourcils.
Aislîn ne répondit pas. Il fit un signe de tête, et les cerfs se dispersèrent pour fouiller les fourrés alentours. Ils revinrent bredouilles au bout de quelques minutes. Aislîn renifla à nouveau, puis se rassit, l'air rasséréné. Il devait probablement guetter les prédateurs.
— De quoi avez-vous peur ? s'étonna Gabriel. Les chasseurs n'ont pas le droit de traquer le gibier puisque la saison de chasse vient de se terminer.
— Les chasseurs ne sont pas nos seuls ennemis, répondit Aislîn d'un air grave. Récemment, une meute de loups s'est installée dans la forêt.
— Des loups ? répéta Gabriel, incrédule.
Bizarre, pourtant l'accès à la forêt n'était pas interdit aux civils. Habituellement, en cas de danger, les autorités locales ne laissaient personne pénétrer dans la forêt. Son père lui avait raconté que cette forêt était d'accès restreint il y a dix ans, mais que depuis ils l'avaient ouvert au public. S'il y avait des loups, les autorités l'auraient probablement remarqué.
— Cette meute-là est très discrète, expliqua Aislîn en voyant son regard interrogateur. Ils ne se sont pas attaqués aux humains et sortent rarement. C'est un comportement très étrange pour cette espèce, je ne comprends pas ce qu'ils veulent. En tout cas, nous, nous restons méfiants.
Gabriel regarda une feuille rousse tomber d'un arbre en se demandant si une meute de loups, aussi nombreuse soit-elle, oserait s'en prendre à Aislîn. Il dégageait une puissante assurance et une fermeté à toute épreuve. Parmi tous les mâles de la harde, il était clairement le plus imposant. La première fois qu'il l'avait vu, Gabriel avait eu raison de supposer qu'Aislîn était un chef de clan.
Assis à côté de Gabriel, Aislîn gardait la tête droite et jetait des regards impérieux autour de lui. De temps en temps, il ramenait à l'ordre les faons trop enthousiastes qui jouaient en se roulant dans les feuilles, ou en se chamaillant ; il donnait des instructions aux cerfs qui montaient la garde.
Au bout de quelques minutes, les autres membres de la harde jugèrent probablement que Gabriel avait meilleure mine, et ils s'approchèrent à nouveau afin de lui parler ou de le remercier d'avoir sauvé Aislîn. Gabriel leur adressait des sourires en se demandant s'ils savaient que le chasseur auquel Aislîn avait échappé était son père, et qu'il l'accompagnait ce jour-là. Il préféra ne pas le préciser.
En compagnie du clan, la journée passa rapidement. Assis en tailleur au milieu de la harde, Gabriel se sentait à l'aise, dans son élément, comme si tout cela était parfaitement naturel. Malgré les questions qui l'assaillaient, il sentait qu'il devait d'abord fournir une présence aux membres du clan, qui voulaient tous lui parler. Les réponses à ses questions viendraient en temps voulu. Il retenait donc sa curiosité pour le moment.
Il avait l'étrange impression d'être perçu comme une sorte de gourou spirituel par la harde. Les cerfs lui apportaient des fruits qu'ils faisaient tomber des arbres alentours, et Gabriel se forçait à les manger pour leur faire plaisir. Après avoir dégusté sa quatrième prune en une heure, il se contentait de les poser juste à côté de lui, et Olin se chargeait de les manger.
Le soleil se couchait et Gabriel discutait avec Calahan lorsqu'Aislîn lui suggéra :
— Il est temps que vous rentriez, Gabriel. Il se fait tard et vos humains vont se demander où vous êtes passé.
Gabriel leva la tête et plongea son regard dans les yeux d'Aislîn. Il n'avait pas du tout envie de partir. La peur de ne pas pouvoir revenir lui remuait les entrailles, comme si on le forçait à se réveiller au milieu d'un rêve extraordinaire, qu'on ne fait qu'une fois dans une vie.
— Je pourrai revenir vous voir ? demanda-t-il avec espoir.
Aislîn sourit et hocha la tête.
— Bien sûr, vous pouvez venir tous les jours si vous le souhaitez. Nous serons toujours heureux de vous accueillir.
Soulagé, Gabriel se releva en époussetant ses vêtements. Une autre question lui vint à l'esprit, comme pour s'assurer qu'Aislîn tiendrait parole.
— Comment ferai-je pour vous retrouver ?
Aislîn sourit à nouveau et répondit de sa voix grave :
— Je suis sûr que vous n'aurez aucun mal pour cela. Vous m'aviez bien trouvé cette fois-ci, n'est-ce pas? Si vous êtes bien le gardien des cerfs –ce dont je suis sûr– vous trouverez facilement votre chemin.
Surpris, Gabriel hocha la tête et retourna à l'endroit où il avait laissé son vélo. Le clan s'était levé et les révérences se multiplièrent sur son passage. Gabriel leur fit un dernier signe de main, enfourcha sa bicyclette, et s'enfonça dans le bois.
Quelques minutes plus tard, Gabriel pédalait machinalement vers la rue Sarasate, perdu dans ses pensées. Il revoyait des images de la journée défiler dans sa tête. Aislîn, Ila, Olin, Calahan, Kal, Mira... Et tous les autres cerfs avec lesquels il venait de passer le plus incroyable moment de sa vie.
Était-il un gardien ? Il n'en était pas sûr. Le doute persistait, il avait toujours l'impression qu'il allait se réveiller d'un instant à l'autre. D'ailleurs, il ne savait toujours pas ce que cela signifiait réellement, d'être un gardien. Mais en tout cas il parlait aux cerfs, et déjà, ce pouvoir lui procurait un intense sentiment de joie.
Il s'arrêta à un feu, un grand sourire aux lèvres. Il aurait voulu raconter son aventure à quelqu'un, mais s'attendait à être pris pour un fou ou pour un menteur. Gabriel se décida donc à ne rien dire, et lorsque sa mère lui demanda où il avait passé la journée, il raconta simplement qu'il avait été à la bibliothèque.
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