Chapitre 49
Gabriel se jeta en avant et se mit à courir à toute vitesse. Les cerfs bramèrent avec force et le suivirent dans la bataille. À part les rats, les rebelles n'eurent aucun mal à franchir la ligne des fourmis et ne se trouvaient plus qu'à vingt mètres... dix mètres... cinq mètres... deux mètres...
Sa ramure percuta violemment la gueule d'un loup qui se jetait sur lui et, ce dernier fut projeté en arrière. La troupe des cerfs s'abattit avec fracas sur l'armée rebelle. Rapidement, tout ne fut plus que confusion.
Gabriel frappait, esquivait, empalait sur sa ramure tous ceux qui se trouvaient autour de lui. Ses andouillers furent rapidement couverts de sang. Les grognements, les brames et les hennissements se mêlaient aux glatissements des aigles et aux croassements des corneilles.
Soudain, un cheval fonça droit sur Gabriel. Il était bien plus grand que les loups, mais également plus lent. Gabriel esquiva son attaque et le transperça au niveau du cœur. Le cheval s'écroula sur le sol et sa respiration s'interrompit presque aussitôt.
La peur s'était envolée à présent. Les cadavres des loups et des chevaux s'entassaient autour de Gabriel, lorsqu'un ours passa près de lui. Son museau était souillé par le sang des coyotes qu'il venait de massacrer. Gabriel se rua sur son adversaire. Il esquiva le coup de patte de l'ours et le percuta avec ses bois. Grâce à son élan, il réussit à renverser la bête, qui fut rapidement recouverte par les fourmis.
Gabriel s'arrêta un moment pour reprendre son souffle. Aussitôt, des cerfs l'entourèrent comme pour former une sorte de garde. Cela faisait quinze minutes qu'ils combattaient, mais Gabriel avait l'impression que cela faisait deux heures. Il profita de cet instant de répit pour regarder autour de lui et jauger la situation.
Au sol, les rats et les fourmis se livraient un combat sans merci, mais l'avantage allait clairement aux fourmis, qui avançaient comme un raz-de-marée et dépeçaient les rats qui se trouvaient sur leur passage. Parfois, elles engloutissaient même des animaux d'une taille plus imposante, tels qu'un cheval ou un ours. Elles se montraient particulièrement efficaces pour achever les animaux qui tombaient au sol ou qui étaient immobilisés.
Au-dessus de leurs têtes, les gardiens des airs avaient également engagé le combat et la bataille aérienne faisait rage. Les aigles et les corbeaux faisaient face aux moineaux, aux faucons et aux chauves-souris qui avaient envahi le ciel. Les tourterelles de Sanchez vinrent bientôt prêter main forte, mais Gabriel n'arrivait pas à repérer l'héritier du clan jaune. De temps en temps, une nuée d'hiboux ou d'autres oiseaux surgissait de nulle part pour prêter main-forte à Hermann et François.
Les corneilles et les aigles impériaux fonçaient sur leurs ennemis, plongeaient, griffaient, les transperçaient de leurs becs dans un tourbillon de plumes. Une pluie de cadavres tombait du ciel et la terre sous les pieds de Gabriel était déjà imbibée de sang.
Hermann était le seul gardien que Gabriel arrivait à reconnaître au milieu de ce chaos. De temps à autre, il rugissait pour effrayer ses adversaires. La panthère ailée fendait les airs à toute vitesse et déchiquetait tous ceux qui se trouvaient sur son passage. Les faucons ne faisaient pas le poids face à lui, ni face aux aigles d'ailleurs.
En regardant avec attention, Gabriel vit que les seules créatures capables de tenir tête à Hermann étaient des sortes de monstres ailés qui participaient également à la bataille. Ils avaient quatre pattes et deux ailes. Leurs rangées de dents acérées coupaient les corbeaux en deux comme s'il s'agissait d'amuse-gueules, et leurs écailles grises étaient maculées de sang. Ils ressemblaient à d'énormes ptérodactyles, mais aucun d'entre eux n'était semblable. Il s'agissait probablement de railles métamorphosés.
Les cerfs, de leur côté, se débrouillaient bien mais perdaient du terrain. Malgré leur acharnement, leur infériorité numérique les désavantageait. Gabriel se concentra pour sentir les troupes de Koga et de Bel, qui attendaient plus loin sans participer à la bataille.
Soudain, Gabriel ressentit un froid dans son corps et une douleur au niveau de la poitrine. Il se figea. Quelques cerfs, submergés par le nombre d'ennemis, commençaient à tomber. Une flamme s'éteignait dans sa poitrine et il sut qu'un cerf, de l'autre côté du champ de bataille, était en train de mourir, égorgé par un loup.
Paniqué, Gabriel se fraya rapidement un chemin à travers le champ de bataille afin de rejoindre le cerf agonisant. Il sautait par-dessus les loups et les chevaux, esquivait, courait, et retrouva enfin le cerf, allongé sur le sol. Ce dernier respirait avec difficulté et des flots de sang s'échappaient de sa plaie au cou.
Gabriel se pencha vers le blessé, mais un cheval se rua sur lui à cet instant, et il dut l'abattre avant de revenir au cerf. Lorsqu'il se tourna à nouveau vers lui, le regard du cerf s'était figé et la flamme dans la poitrine de Gabriel avait disparu.
Une fureur noire s'empara alors de Gabriel. Tuer, il fallait tuer. Tuer tous les loups, les chevaux et les ours. Il fallait tuer. Il se jeta à nouveau dans la bataille et affronta trois loups en même temps. Il en neutralisa un d'un coup de patte et envoya le second s'écraser contre le sol d'un coup de ramure. Le troisième s'enfuit et Gabriel se lança à sa poursuite.
Tandis qu'il lui courait après, Gabriel ressentit à nouveau le froid envahir sa poitrine. Cette fois, c'était plus intense. Il n'y avait pas qu'une seule victime. Son instinct lui disait que c'était toujours le même loup qui était responsable de ces nouveaux morts.
Gabriel se retourna et fila en direction des mourants. En arrivant sur place, il aperçut le loup noir, la gueule ensanglantée, qui trainait un cerf derrière lui par la patte. Lorsqu'il aperçut Gabriel, le loup ouvrit la gueule et lâcha sa proie.
— C'est lui, pensa Gabriel, le gardien des loups. Celui qui avait tout organisé. La raison pour laquelle des cerfs étaient en train de mourir. Son regard, vert et noir, était froid et inexpressif. Tuer ne l'affectait pas. Si Gabriel ne le mettait pas hors d'état de nuire, il tuerait encore jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucun cerf sur l'île.
Gabriel se jeta sur lui. Le loup fit un bond en arrière puis contrattaqua à la vitesse de l'éclair. Gabriel esquiva ses crocs acérés et lui planta sa ramure dans le flanc droit. Contrairement aux autres loups, sa peau était bien plus dure et Gabriel ne réussit qu'à l'égratigner.
Le loup fut projeté un peu plus loin mais il se releva aussitôt. Gabriel galopa vers lui, tête baissée. Ses bois percutèrent violemment la gueule du loup, qui fut à nouveau jeté à terre en laissant échapper un jappement de douleur. Il avait l'air d'avoir son compte. Pourtant, Gabriel sauta sur son adversaire, l'écrasa de tout son poids, et ressentit une jouissance sauvage à voir le gardien des loups souffrir. Il frappait et frappait encore. Le sang giclait sur le sol.
Mais soudain, quelque chose de puissant frappa Gabriel et il fut projeté sur le côté. Il s'écrasa lourdement sur le sol, mais se releva rapidement et jeta un regard à ce qui l'avait attaqué. Il s'agissait d'un ours brun, encore plus gros que les autres, et qui aidait à présent le loup à se relever.
Gabriel voulut se jeter sur eux, mais un cerf lui barra le passage.
— LAISSE-MOI PASSER ! hurla-t-il, aveuglé par la rage.
— Akanak ! cria le cerf, nous avons besoin d'aide !
Gabriel reprit ses esprits et regarda autour de lui. Les cerfs perdaient toujours du terrain. Les rebelles étaient maintenant aux portes de la ville. Ils dévalaient la colline en nombre, et certains d'entre eux tentaient déjà de forcer l'enceinte. Il fallait faire quelque chose. Gabriel se concentra pour atteindre les esprits de Koga et Bel.
Lorsqu'il les ressentit, il leur hurla :
— MAINTENANT !
Aussitôt, les troupes qui étaient restées en retrait attaquèrent par les flancs gauche et droit. Cette attaque surprit les rebelles, qui furent rapidement pris en tenaille. Les cerfs reprirent l'avantage et Gabriel vit quelques loups s'enfuir vers les bois.
Il chargea à nouveau droit devant lui avec une rage encore plus violente. Il ne sentait même plus les coups que lui assénaient les rebelles, ni la peur. Parfois, un cheval l'envoyait au sol d'un coup de sabot, mais il se relevait aussitôt et se jetait à nouveau dans la bataille.
Les cerfs, galvanisés par l'assaut de Bel et Koga, combattaient avec férocité. Ils bondissaient, écrasaient, transperçaient les loups et les chevaux avec leur ramure. En revanche, certains d'entre eux perdaient leurs bois suite à un choc trop violent, et devaient battre en retraite pour aller se réfugier à l'arrière.
La bataille se poursuivit, longtemps indécise. Gabriel allait et venait sur le champ de bataille, comme un électron libre. Il apportait son soutien partout où il le pouvait, tuait d'un coup de ramure, affrontait des loups, des chevaux, des ours, puis poursuivait son chemin en piétinant les cadavres. Il profitait de ses courts moments de répit pour suggérer télépathiquement des mouvements de troupes, afin de profiter de brèches dans les troupes rebelles, et les cerfs suivaient efficacement ses instructions.
Lentement mais sûrement, les rebelles se remirent néanmoins de leur surprise et reprirent à nouveau l'avantage. Gabriel les regardait avancer inexorablement, et tuer de plus en plus de cerfs sans qu'il ne puisse y faire quoique-ce soit.
À part Daniel, les gardiens qui étaient censés l'aider à protéger la ville ne s'étaient pas montrés. Aveuglé par la rage, Gabriel changea son fusil d'épaule : puisque les gardiens ne l'aidaient pas, la bataille irait directement à eux. Il ne voyait pas pourquoi les cerfs seraient les seuls à mourir.
— BATTEZ EN RETRAITE ! ordonna-t-il. DANS LA VILLE ! CACHEZ-VOUS DANS LA VILLE ! ALLEZ !
Les cerfs se replièrent à l'intérieur de Felestor et s'enfuirent par les différentes ruelles des quartiers des cerfs, des loups et des aigles.
C'était exactement ce qu'attendaient les rebelles. Ils envahirent Felestor et détruisirent tout sur leur passage. Les loups attaquaient les gardiens qui se trouvaient sur leur route, leur arrachaient la tête, et poursuivaient leur chemin. En voyant cela, Gabriel, horrifié, se rendit compte de son erreur. Les railles qui vivaient dans l'enceinte de la ville se mêlèrent également au combat, aux côtés des rebelles, et la bataille au cœur de Felestor tourna rapidement au massacre.
Toutefois, l'attaque surprise des railles depuis l'intérieur des murs de Felestor eut l'avantage de provoquer une résistance plus importante de la part des gardiens. Certains d'entre eux, acculés, n'avaient plus d'autre choix que de participer au combat. Gabriel vit notamment une gardienne se métamorphoser en zèbre et se jeter dans la mêlée. Bientôt, une foule de gardiens se rassembla sur la Place des Sept avec leur espèce, faisant face aux ours, aux loups et aux chevaux qui attaquaient de toute part.
Rapidement, la majorité des forces des deux camps se concentrèrent sur la Place des Sept. Même dans le ciel, c'était là que se déroulaient les affrontements les plus sanglants, et c'était de là que Gabriel voyait le plus grand nombre d'oiseaux s'écraser sur le sol. Le cœur de la bataille aérienne se situait au sommet de la Flèche, autour de laquelle les gardiens s'entretuaient avec férocité.
— Ça ne sert à rien, pensa Gabriel en observant les ours détruire le quartier des aigles. Leurs adversaires étaient trop nombreux. Il fallait abattre les gardiens rebelles, sinon ils prendraient définitivement l'avantage. S'il tuait Raphaël, Paul et le gardien des loups, la bataille pourrait peut-être avoir une autre issue.
Gabriel se mit donc à la recherche des gardiens rebelles tandis que les cerfs continuaient à se battre. Il trouva rapidement Paul, le raille-gardien des ours, qui combattait en plein milieu de la Place des Sept. Il était immédiatement reconnaissable par son pelage brun et sa taille, bien plus imposante que celle des autres ours.
Gabriel se rua droit vers lui, en évitant les ennemis qui lui barraient le passage. Lorsqu'il fut à quelques mètres de lui, Paul l'aperçut et évita son attaque. Cependant, il était lent, et Gabriel sentit sa ramure lacérer son flanc gauche. Sa peau résistante ne fut pas transpercée, mais l'ours émit tout de même un grognement de douleur.
Gabriel se retourna et ils échangèrent un regard pendant quelques secondes. Le pelage de Paul ruisselait de sang. Ce sang n'était probablement le sien puisqu'il avait tué de nombreux cerfs. Quand il pensait qu'il l'avait défendu contre Raphaël. Comment avait-il pu être aussi aveugle ? Aussi naïf ?
— Tu te rends compte de ta stupidité ? lança Paul, l'air grave. Nous ne sommes pas tes ennemis, Gabriel. Les cerfs qui sont morts aujourd'hui ont perdu la vie par ta faute. Mais le loup sera toujours disposé à t'accueillir parmi nous, si tu le souhaites.
— Ça ne sert à rien d'insister ! cria Gabriel, ça n'arrivera pas !
L'ours se dressa sur ses pattes arrières d'un air menaçant. En se tenant ainsi, il était si imposant que même les autres ours s'écartèrent de lui précipitamment.
— Que comptes-tu faire ? demanda Paul en dominant Gabriel de toute sa hauteur. Regarde autour de toi. L'Ordre a perdu.
— PAS ENCORE ! hurla Gabriel.
Il courut vers l'ours, bondit de toutes ses forces, et lui transperça violemment le cou de sa ramure. Ses bois s'enfoncèrent si profondément dans la gorge de Paul qu'une de ses ramures se brisa en deux lorsqu'il retomba au sol.
L'ours tituba quelques secondes, puis s'effondra en faisant trembler le sol autour de lui. Une mare de sang se répandit rapidement autour de sa tête. Gabriel le regarda agoniser et tenter de reprendre souffle entre deux gargouillements. Bientôt, le gardien des ours s'immobilisa et le râle rauque qu'il produisait en respirant s'interrompit.
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