Chapitre 28
Lors de ses passages à la bibliothèque de l'Ordre, Gabriel eut l'occasion de faire connaissance avec les autres gardiens qu'Hermann avait recrutés au cours des mois précédents.
Il rencontra notamment Daniel Vamos-Fetcher -un suédois de 25 ans, d'un mètre quatre-vingt-dix, aux épaules solides- en faisant la queue à l'accueil de la bibliothèque pour emprunter des livres. Ses cheveux bruns et ondulés étaient plaqués en arrière. Il avait les yeux bleus, un dos légèrement voûté, et parlait avec un fort accent scandinave. Daniel était l'un des gardiens qu'Hermann avait recruté cette année, en plus de Gabriel.
Daniel avait interrompu ses études à Paris pour suivre sa formation de gardien. En voyant sa broche, Gabriel avait d'abord pensé que Daniel était le gardien des loups.
— Non, non, avait répondu Daniel en lui montrant sa broche. Je suis le gardien des coyotes. C'est une espèce différente. Le dernier gardien des loups est mort il y a environ deux ans. Mais j'ai intégré le clan des loups parce que ça correspond mieux à mon espèce.
Daniel et Gabriel étudiaient ensemble quelques fois, et le gardien des coyotes lui raconta comment il avait découvert son pouvoir lors d'un voyage aux États-Unis. Daniel était un globe-trotter, qui avait une passion intarissable pour l'Amérique. Un jour, il crapahutait au milieu du désert du « Midwest », et aperçut un coyote en train de manger.
— Je n'ai pas pu détacher mes yeux de sa fourrure, lui raconta Daniel.
Il était resté là à le contempler jusqu'à ce que la nuit tombe. Au bout d'un certain temps, il entendit le coyote se demander à haute voix si l'humain finirait par décamper au lieu de le fixer comme une statue.
— Et c'est là qu'Hermann est venu me chercher, conclut Daniel de sa voix rocailleuse.
Gabriel fit également la connaissance d'Arnaud Cassel, un avocat d'affaires d'une trentaine d'années. Il avait découvert qu'il était le gardien des lapins de garenne lorsqu'il entendit Fripouille, le lapin de sa fille, lui reprocher de ne pas nettoyer assez souvent sa cage.
Depuis, Arnaud avait abandonné toutes ses affaires rentables et s'était lancé dans la lutte pour le droit des animaux. Il voulait faire cesser l'utilisation des lapins par les laboratoires de cosmétiques, et sa nouvelle vocation lui prenait tout son de temps. Il dormait à même le sol dans la bibliothèque, pour pouvoir travailler plus longtemps, et Gabriel avait trébuché sur lui alors qu'il se dirigeait vers la section des cerfs.
Tout comme François et Daniel, Arnaud ne le pensait pas coupable du meurtre que les autres lui reprochaient. Le gardien des lapins s'était montré très intéressé par l'histoire de Gabriel et de sa relation avec les cerfs.
Lorsque Gabriel lui décrivit sa relation avec Aislîn, qu'il considérait comme un ami et un mentor, Arnaud lui avoua que sa relation avec Fripouille était bien plus tendue. Ils se disputaient sans arrêt.
— Entre nous, c'est l'amour vache, disait-il en bâillant.
Trois mois s'écoulèrent ainsi, entre la bibliothèque où Gabriel empruntait des livres, les visites de ses nouveaux amis, et sa chambre où il se réfugiait pour étudier. Finalement, sa vie sur l'île n'était pas si différente que celle qu'il menait à Montfermeil : il était impopulaire, avait quelques rares amis, et passait son temps à lire.
Le dernier matin du troisième mois, Gabriel tentait d'apprendre un chapitre avant que François n'arrive. Ce dernier lui avait dit la veille qu'il passerait le voir. Assis devant un bol de chocolat, Gabriel lisait à voix haute un énorme volume posé sur la table.
— ...Un mammifère herbivore...En hiver, il se nourrit de bois, surtout l'écorce des arbres....Il a comme prédateurs principaux l'homme et le loup...Les cerfs mesurent entre un mètre vingt et un mètre cinquante... La biche a le corps plus fin que celui du cerf et peut mesurer jusqu'à un mètre trente de haut... Ils pèsent entre cent-soixante-dix et deux-cent-cinquante kilos...
À ce moment, il entendit une corneille gratter à la fenêtre de sa cuisine. Gabriel se leva pour lui ouvrir, puis reprit sa lecture : il fin était presque à la du chapitre. Le corbeau sauta à l'intérieur.
— Leurs pattes sont fines et terminées par des sabots très pointus adaptés à la course et aux bonds...S'il se sent menacé, le cerf peut faire des bonds de plus de trois mètres de haut et de dix mètres en longueur... la coloration du pelage varie d'une teinte brun-roux en été au gris-brun en hiver...Le cerf est présent dans toute l'Europe à l'exception des pays les plus nordiques tels que la Finlande et l'Islande...
— Oh mais arrête ça ! grommela François en refermant brusquement le livre que Gabriel lisait. Faut savoir te détendre un peu ! Comment fais-tu pour ingurgiter tous ces manuels ? Je suis sur cette île depuis six mois de plus que toi et je n'ai pas ingéré la moitié de ce que tu as déjà lu !
Gabriel haussa les épaules en finissant son bol.
— J'aime lire, dit-il après avoir avalé la dernière gorgée.
— Bah aujourd'hui tu vas faire autre chose, répliqua François en s'asseyant sur une chaise. T'as pu regarder ton bracelet hier ?
Gabriel fit « non » de la tête. Il n'y avait pas jeté un œil depuis un sacré bout de temps.
— Eh bien t'aurais dû, poursuivit François en faisant tourner la molette de son bracelet. Regarde.
Le bracelet projeta un hologramme sur le mur, qui représentait un lion et un tigre en train de s'affronter, comme sur la fresque de la Salle des Mémoires. Cela ressemblait à une invitation pour un évènement.
— Combat de gardien, expliqua François. Ils en organisent un aujourd'hui.
— Quoi ? s'étonna Gabriel. Des combats de gardiens ?
François hocha la tête d'un air grave.
— Ça fait une éternité qu'il n'y en a pas eu, expliqua-t-il. Au moins cinquante ans. En principe, lorsque les tensions entre les sept clans augmentent trop, ces combats permettent de calmer le jeu, parce que tout le monde prend conscience de ce qu'une guerre entre gardiens entraînerait. Ça permet d'évacuer les tensions, de défouler tout le monde. Mais ça veut aussi dire que l'Ordre va mal en ce moment.
— Tu parles, répliqua Gabriel avec amertume. Ils ont tué un gardien. Ce n'est pas étonnant que Fabre tente d'apaiser les choses. Et si cette méthode fonctionne...
— Bref, l'interrompit François en se relevant. Tu ferais mieux de t'habiller. On est tous obligés d'y assister. Tous les gardiens qui sont présents sur l'île. Hermann se doutait que tu n'avais pas lu ton bracelet et il m'a demandé de venir te chercher. Alors vas-y, dépêche-toi.
Gabriel monta s'habiller en vitesse, puis dévala les escaliers pour rejoindre François sur le palier. Ils ouvrirent la porte et sortirent de la maison. Le printemps commençait à se faire sentir, et la chaleur se répandait dans les ruelles de l'île, exhalant de puissantes odeurs de goudron et de fleurs calcinées. Le ciel était clair et le soleil, se levant encore au loin, baignait l'île d'une lumière orangée.
— Où est-ce que ça se passe ? demanda Gabriel, en s'apercevant qu'ils ne prenaient pas le chemin habituel pour rejoindre la Flèche.
— Dans le Colisée, répondit François. C'est à l'extérieur de l'enceinte de Felestor, au nord-ouest de la ville.
Sur le chemin, ils croisèrent un nombre inhabituel de gardiens qui affluaient dans la même direction. Ils cheminèrent une dizaine de minutes avant d'arriver devant l'enceinte. La foule empruntait une allée à droite. Ils suivirent le mouvement et franchirent les portes d'enceinte. François et Gabriel gravirent les collines en silence avant d'arriver enfin sur le plateau. Lorsqu'ils arrivèrent au sommet, Gabriel aperçut au loin un immense amphithéâtre d'allure romaine qui se dressait au milieu d'une plaine. Ils marchèrent dans sa direction, et arrivèrent bientôt à proximité.
Le Colisée faisait près de deux cents mètres de long et présentait quatre étages. Les trois premiers étaient portés par de larges colonnes. Le quatrième étage était un mur percé de fenêtres. Au sommet, des excroissances servaient à soutenir d'immenses voiles qui protégeaient les spectateurs du soleil. Plusieurs membres du personnel, apparemment des railles, s'affairaient dans les gradins, transportant du matériel, indiquant des places libres aux gardiens surexcités qui venaient assister aux combats.
Gabriel et François prirent place au milieu de la foule. Une fois que les gradins furent presque entièrement remplis, une femme brune à l'air sévère, d'une cinquantaine d'années, s'avança au milieu de l'arène et prit place devant un pupitre.
Elle tapota le micro et s'éclaircit la gorge :
— Bienvenue à tous ! Je m'appelle Jade Eckleburg, gardienne des papillons Azuré, et je serai votre commentatrice au cours de cette journée !
Des applaudissements accueillirent cette déclaration, mais elle fit un mouvement sec de la main et les applaudissements s'évanouirent aussitôt.
— Que les choses soient bien claires, dit-elle avec raideur, ceci n'est pas un évènement festif. Nous ne sommes pas aux Jeux Olympiques. La tradition des combats entre gardiens remonte à l'origine de l'Ordre, quand le monde était encore déchiré par les guerres inter¬espèces. À travers ce rituel, nous nous remémorons notre passé, et cela nous rappelle l'importance de cette institution, qui a permis le rétablissement d'une paix durable et l'équilibre des forces entre les gardiens.
Un silence grave accueillit cette déclaration.
— Néanmoins, plusieurs évènements récents menacent cette paix. Je fais référence aux nombreuses rixes entre clans qui ont éclaté dans les rues de Felestor au cours des derniers mois. Ceci est intolérable. Comme vous le savez tous, les différends entre gardiens doivent faire l'objet d'une médiation. Un terrain d'entente peut toujours être trouvé afin d'éviter que deux espèces animales ne s'entretuent. J'aimerais que chacun d'entre vous prenne le temps de méditer sur ces paroles, et de réfléchir à ce que pourrait entraîner une guerre entre gardiens. Aujourd'hui, regardez ce douloureux spectacle, gravez-le dans vos mémoires, et rappelez-vous que les blessures infligées aux combattants peuvent également toucher vos espèces.
Gabriel et François échangèrent un regard. Il ne savait pas qu'il y avait eu des bagarres dans les rues.
— Si certains d'entre vous ont du mal à comprendre leurs responsabilités en tant que gardiens, qu'ils soient bien attentifs aux choses qui vont suivre. Sans plus attendre, je vous demande d'accueillir nos deux premiers combattants. Les gardiens des airs : Olivier Bonne, du clan rouge, qui nous vient d'Angleterre, et Alix Bodier, du clan jaune, et qui est française !
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