Chapitre 22
Bonjour à tous!
Pour info: la photo représente Edmond Fabre dans sa jeunesse. De nos jours, il faudrait l'imaginer avec des cheveux gris, et des lunettes "browline" (comme celles de Malcolm X!).
Enjoy :)
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Penché au-dessus de l'évier de la cuisine, Gabriel se frottait vigoureusement les mains afin de faire partir le sang qu'il avait sous les ongles. Tandis qu'il se nettoyait, la phrase tournoyait dans son esprit : « Tu n'es pas le bienvenu sur cette île ». L'inscription rougeoyante restait gravée devant ses yeux. Qui avait bien pu faire une chose pareille ?
À cet instant, la porte d'entrée claqua. Gabriel tourna vivement la tête.
— Hermann ? appela-t-il, c'est toi ? Je suis dans la cuisine !
L'oxcellor apparut dans l'embrasure de la porte, vêtu d'un costume noir et d'un pull de la même couleur. Son regard exprimait une vive inquiétude. Il s'approcha de Gabriel.
— Ça va, tu n'as rien ? demanda-t-il en posant une main fébrile sur son épaule.
— Non ça va, rassura Gabriel. Il est en haut si tu veux le voir. Moi, je ne peux pas y retourner.
Hermann hocha la tête et monta quatre à quatre l'escalier en colimaçon. Gabriel finit de se laver les mains et referma le robinet. Il se dirigea vers le salon et prit place sur le sofa. L'image de l'homme mutilé lui revint à l'esprit, comme s'il pouvait sentir sa présence dans un coin de la maison. Celui qui avait fait ça l'avait délibérément tué ici, il savait que Gabriel aurait cette maison. Mais comment cette personne l'aurait-elle su ? Elle aurait dû savoir à l'avance quel clan il allait choisir, et lui-même ne le savait pas.
Mal à l'aise, Gabriel remua sur le sofa pour trouver une position plus confortable. La conversation qu'il avait surprise sur le Sans Souci entre le gardien des springboks et le gardien des orques augmentait ses craintes. Ils disaient que les rebelles n'apprécieraient pas le retour du gardien des cerfs. Ils étaient les seuls à avoir une raison pour commettre ce crime ; ils voulaient certainement l'intimider. Sinon, qui d'autre aurait pu lui laisser un tel message ?
Au moment où il arrivait à cette conclusion, Hermann redescendit.
— J'ai appelé les services de l'Ordre pour qu'ils viennent nettoyer ce carnage, annonça-t-il d'une voix rauque, tandis que Gabriel se tournait vers lui. Ils devraient arriver dans peu de temps. En attendant, il faut que nous allions raconter ce qui s'est passé à Edmond Fabre. Je l'ai prévenu en venant ici, il nous attend dans son bureau.
— Je peux me changer avant ? demanda Gabriel en se levant. Je n'ai pas envie de rester avec ce sang sur moi...
— Nous n'avons pas le temps, objecta Hermann. Je suis désolé, mais tu vas devoir y aller comme ça. Il faut absolument que nous informions Edmond le plus rapidement possible.
Hermann ouvrit la porte, ils sortirent et se dirigèrent vers la Flèche. L'oxcellor marchait si vite que Gabriel avait du mal à maintenir l'allure.
— Qui c'était, cette personne ? interrogea Gabriel en trottinant à côté d'Hermann.
— Stanislas Louchenko, répondit ce dernier en jetant des regards furtifs autour de lui, un russe, gardien des caouannes.
— Des caouannes ? répéta Gabriel.
— Ce sont des tortues de mer. En tant que gardien d'une race de tortue, il était considéré comme un héritier de fondateur, au même titre que toi et moi. Il était également le chef du clan des tortues. C'était lui qui devait porter la bannière bleue, ce soir, pendant la cérémonie. Maintenant, je comprends pourquoi il n'était pas là.
— Il avait des ennemis ou des rivaux au sein de l'Ordre ? demanda Gabriel avec inquiétude.
Hermann ne répondit pas. Sa mâchoire était étroitement serrée. Il était visiblement très affecté. Gabriel ne posa pas d'autres questions et ils continuèrent à avancer en silence. À son grand soulagement, les rues étaient désertes et personne ne l'aperçut recouvert de sang.
Ils atteignirent bientôt l'arc de jade qui marquait l'entrée du quartier des cerfs. Les deux gardiens la franchirent sans s'arrêter et se dirigèrent vers la Flèche. Lorsqu'ils furent arrivés devant, Hermann sortit un trousseau de clefs et pénétra dans la tour par une porte dérobée.
À l'intérieur, plusieurs ascenseurs étaient alignés. Hermann se dirigea vers le dernier et appuya sur le bouton d'appel. La porte s'ouvrit aussitôt. Gabriel fut surpris de constater qu'il n'y avait qu'un seul bouton à l'intérieur de la cabine. Hermann l'écrasa sans ménagement, les portes se refermèrent, et l'ascenseur se mit en branle. Ils montèrent pendant un temps qui sembla interminable, avant qu'il ne s'immobilise enfin.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, donnant sur un long corridor, luxueux, tapissé d'une moquette beige. À l'autre bout, il n'y avait qu'une seule porte. Ils toquèrent et attendirent.
— Entrez, dit une voix à l'intérieur.
Hermann ouvrit la porte, qui donnait sur le plus magnifique bureau que Gabriel avait jamais vu. La pièce, éclairée par de nombreuses lampes, était décorée dans un style raffiné et dégageait une étouffante atmosphère de luxe. Les murs blancs étaient recouverts de moulures dorées et le sol était tapissé d'une moquette blanche aux liserés d'or. De nombreux bibelots scintillants occupaient des étagères en bois précieux. À gauche, une baie vitrée laissait voir que le bureau se trouvait tout en haut de la Flèche.
Edmond Fabre était assis derrière un bureau ovale et avait une pile de dossiers impeccablement rangée devant lui. Installé de cette façon, le dirigeant de l'Ordre donnait l'air d'être quelqu'un de sobre et de brillant. Gabriel sentit son angoisse s'apaiser lorsqu'il le vit.
Lorsque Fabre leur adressa un regard, une lueur d'intelligence brilla dans ses yeux noirs par-dessus ses lunettes. La cinquantaine et les responsabilités avaient creusé de longues rides sur son front. Ses sourcils s'étaient arqués à force de se froncer constamment.
— Ah, fit-il en se redressant, vous voilà. Asseyez-vous.
Hermann et Gabriel prirent place dans les fauteuils face au bureau, et Fabre leur servit deux verres d'eau. Il joignit les mains devant lui avant de se tourner vers Hermann d'un air grave.
— Alors, demanda-t-il, qui était-ce ?
— Stanislas, répondit Hermann avec amertume.
— Cela explique son absence à la cérémonie, soupira Fabre en hochant la tête. Monsieur Louchenko était le gardien des caouannes, ajouta-t-il à l'attention de Gabriel. Il était un héritier de fondateur, et le représentant du clan des tortues. Une position enviable. Hermann, d'après vous, qui a fait cela ? Est-ce qu'on peut s'attendre à ce que cela vienne des autres clans ?
Hermann fit « non » de la tête.
— La tension a beaucoup monté entre les clans durant ces deux dernières années, mais je ne pense pas qu'elle soit assez forte pour inciter certains gardiens à faire ça.
Fabre hocha à nouveau la tête d'un air pensif.
— Non, poursuivit Hermann, ce qui s'est passé est bien plus grave. Stanislas a été torturé. Il portait des marques sur les poignets et au cou. À mon avis, ce n'est pas le résultat d'une simple rivalité entre clans ou entre gardiens. Le cadavre a été sciemment déposé dans la maison de Gabriel pour l'intimider.
La main de Gabriel se crispa sur le papier qu'il avait dans la poche.
— Cela ne peut venir que des rebelles, affirma Fabre en se frottant les yeux d'un air las, ils ont bien infiltré l'Ordre. Cela confirme mes soupçons.
— La situation est encore plus grave qu'on ne l'imagine, insista Hermann. En temps normal, les rebelles n'auraient pas permis que nous puissions découvrir leur présence parmi nous. S'ils ont pris le risque de se dévoiler, de sortir de l'ombre, c'est parce qu'ils craignent le retour du gardien des cerfs. Ils pensent comme tout le monde que cela signifie un essor pour l'Ordre, et que cela peut nuire à leur entreprise de déstabilisation. J'en suis convaincu.
— Je suis d'accord, déclara Fabre d'un ton calme.
— Dans ce cas, conclut Hermann, Gabriel est en danger. Les rebelles ne s'arrêteront certainement pas là. Il faudrait lui fournir une protection.
— Non, répondirent simultanément Gabriel et Fabre.
— Non, reprit Fabre en faisant un signe de tête à Gabriel. Si les rebelles souhaitaient vraiment tuer Gabriel, ce serait déjà fait. Ils ont choisi de l'intimider, alors qu'ils auraient très bien pu s'en prendre à lui dès qu'il serait rentré chez lui. Il y a quelque chose qui les retient. Visiblement, ils savaient qu'il allait habiter dans le quartier des cerfs. Je ne pense pas qu'ils essayeront de le tuer. Et puis, cela nuirait à nos efforts pour les coincer.
Hermann n'avait pas l'air d'accord. Il s'apprêtait à protester, mais Gabriel prit la parole :
— Je ne veux pas de protection, affirma-t-il d'un ton catégorique, je peux me défendre tout seul. Je suis d'accord avec vous, Monsieur Fabre. S'ils voulaient me tuer, ils auraient déjà essayé. Je vous promets d'être sur mes gardes, mais je veux suivre ma formation de la façon la plus normale possible, sinon les rebelles penseront pouvoir nous influencer. Je n'ai pas peur d'eux.
— Vous êtes courageux, jeune homme, dit Fabre en plongeant son regard dans le sien, mais vous devez tout de même rester prudent. Est-ce que vous avez vu quelque chose ou quelqu'un de suspect entre la fin de la cérémonie et votre arrivée chez vous ? La moindre information pourrait être cruciale.
Gabriel réfléchit un instant. Il tourna légèrement la tête, et son regard se perdit à travers la baie vitrée. Felestor brillait tranquillement, comme une étoile solitaire au milieu d'un ciel sombre. Les rues se frayaient un chemin à travers la ville en se tortillant comme des serpents. En y repensant, il avait bien vu quelqu'un.
— J'ai croisé le gardien des cobras, dit-il en se tournant vers Fabre. Il est passé dans la rue pendant que je cherchais ma maison. C'est le seul gardien que j'ai croisé sur mon chemin.
Hermann et Fabre échangèrent un regard éloquent.
— C'est lui, affirma Hermann d'un ton catégorique.
— Comment vous pouvez en être sûrs ? s'étonna Gabriel.
— Nous n'en sommes pas certains, intervint Fabre en détachant son regard d'Hermann. Mais c'est vrai que la présence du gardien des cobras dans le quartier des cerfs est suspecte. Il fait partie du clan des loups, alors que faisait-il si tard dans un quartier qui n'est pas le sien ? Il aurait dû se trouver ailleurs. Ça ne m'étonnerait pas que ce soit lui qui ait tué Stanislas ; il a toujours manifesté un soutien à peine dissimulé aux rebelles et à leur cause. Ce qui n'est pas étonnant, quand on voit la façon dont sont traités les cobras, et plus généralement les serpents à travers le monde. Il rêverait de venger son espèce, mais l'Ordre l'en empêche.
— Alors qu'est-ce que vous allez faire ? demanda Gabriel.
— Pour l'instant, rien, dit Fabre. Nous ne sommes pas certains que ce soit lui, nous n'avons pas de preuve. Mais nous allons le placer sous surveillance. Merci pour ta collaboration, Gabriel. Retourne chez toi à présent, tu as une grosse journée demain. Nos services ont dû terminer de nettoyer ta maison.
— Je dois quand même habiter là-bas ? s'exclama Gabriel avec horreur. Il y a eu un mort ! Je ne pourrai jamais dormir dans cette maison !
— Il n'y a pas d'autre choix, répliqua Fabre d'un ton ferme. Nous n'avons pas assez de place pour te donner une nouvelle maison. Mais ne t'en fais pas, je suis certain que nos équipes auront tout fait disparaître.
Gabriel voulut discuter, mais le regard d'Hermann l'incita à se taire. L'oxcellor saisit Gabriel par l'épaule, et se tourna vers Fabre.
— Merci de nous avoir reçus, Monsieur. Je vais raccompagner Gabriel chez lui.
— Et pour ma part je vais retourner à mes dossiers, répondit Fabre d'un air résigné. Quand je vois cette pile de travail devant moi, je me demande si je n'ai pas commis une erreur en acceptant ce poste, il y a deux ans de cela. Bien sûr, mon prédécesseur, le gardien des loups, était bien plus talentueux que moi pour toute cette paperasse administrative...
Gabriel hésita. Fabre avait le regard vague, et semblait parler plus pour lui-même que pour Hermann ou lui.
—C'est vraiment dommage qu'il nous ait quittés. Oui, vraiment dommage. Depuis lors, tout est devenu beaucoup plus difficile. Et le pire dans tout ça, c'est que nous n'avons toujours pas trouvé le nouveau gardien des loups. Cela faciliterait tellement de choses, si l'on trouvait un nouveau gardien des loups...un autre fondateur dans les rangs de l'Ordre...
Gabriel ne répondit rien, mais Hermann se dirigea vers la porte.
— Eh bien bonne nuit Monsieur, dit-il en l'ouvrant.
Fabre sortit brusquement de sa rêverie.
— Oh oui, bonne nuit à tous les deux. Enfin, si cela est encore possible.
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