Chapitre 5
Le rappeur opina et ils se séparèrent en se souhaitant une bonne journée. Il s'éloigna, songeant qu'il aurait peut-être dû rentrer le numéro du jeune homme dans ses contacts, au cas où quoi que ce soit lui arriverait. Il haussa les épaules, peu enclin à retourner dans sa chambre pour s'en charger, et préféra reprendre sa route, aidé par son smartphone qui le guida jusqu'à l'arrêt mentionné un peu plus tôt. Yoongi profita de croiser un Seven Eleven pour s'acheter une bouteille de jus de mandarine, et il attendit le bus un long quart d'heure avant de s'y installer enfin. Comme à son arrivée sur l'île, il passa l'essentiel de son trajet à observer l'horizon, les yeux rivés sur ses pensées et le Hallasan qui approchait à mesure qu'ils le contournaient.
Il descendit à l'arrêt qui portait le nom du chemin, Songpanak, et découvrit devant lui un parking ainsi qu'un haut bâtiment. Il y prêta peu attention, pressé de se lancer dans sa randonnée, et il dépassa des touristes sans lever la tête, sans jeter un seul regard à la carte des sentiers qu'ils scrutaient d'un air soucieux.
Yoongi avait bien assez entendu parler de ces sentiers pour savoir que même la personne la moins douée en orientation ne craignait rien, et pour cause : dès qu'il entama la montée, il se rendit compte que l'itinéraire était tracé de façon prononcée sur le sol et qu'en prime... des tapis servaient à rendre la marche plus confortable et moins dangereuse. Amusé à l'idée que ce qu'il avait imaginé comme des retrouvailles avec la nature risquait de s'avérer moins intéressant que prévu, il esquissa malgré tout un sourire. Au moins, il ne se fatiguerait pas trop. S'il gardait un rythme tranquille, tout se passerait bien.
Décidé donc à gravir le mont jusqu'à son sommet, il s'arma de courage. Après quelques minutes seulement, il aperçut un panneau sur lequel figurait un numéro à contacter en cas d'urgence ainsi qu'une carte qui permettait de comprendre sa progression. Il avait effectué quatre cents mètres. Il étudia la distance parcourue et ce qui lui restait à parcourir – plusieurs kilomètres répartis sur trois niveaux, du facile au difficile. Il fit la moue, scruta les alentours, et se demanda pour la première fois s'il désirait réellement atteindre le sommet.
Il reprit son chemin sans un regard pour les touristes qu'il dépassa et qui discutaient entre eux en riant. Un instant il songea à mettre ses écouteurs ; il y renonça.
Les premiers kilomètres défilèrent et, vers midi, il arriva comme prévu au refuge. Il n'éprouva pas la sensation d'accomplissement qu'il avait espérée ; pire, il se sentait vide, comme si cet exploit ne possédait aucune saveur. Il avait gardé le visage baissé tout au long de son trajet, davantage concentré sur les tapis et les planches installés au sol que sur les bois environnants.
Il s'ennuyait, si bien que la perspective de poursuivre son ascension le lassait déjà. Il observa l'escalier qui menait haut, encore plus haut, et il poussa un soupir. Le ciel était clair, le soleil à son zénith, mais lui se sentait nuageux et sombre.
Il jeta un regard fatigué au sentier d'où il venait, et tandis qu'il grignotait son sandwich, il se demanda s'il ne souhaitait pas plutôt rebrousser chemin. Il était pourtant prêt à avaler les kilomètres comme les bouchées de son déjeuner, mais à présent, il avait perdu tout son entrain.
Le seul fait d'imaginer grimper une marche de plus lui tira un profond soupir, si bien qu'une fois son repas fini et ses mains nettoyées à une petite fontaine formée dans la roche, il préféra s'en aller.
Il ne profita pas du paysage, il y prêta à peine attention. Il ne s'y intéressait pas. Il se sentait comme... trahi. Il avait attendu avec impatience quelque chose qui ne lui procura finalement aucun plaisir. Il éprouvait une immense déception et retrouva le cœur lourd l'arrêt de bus près du parking traversé quelques heures auparavant. Les mains dans les poches, l'air morose, il appuya le front contre la vitre de l'arrêt et, pour la énième fois, soupira de dépit.
Pourquoi ne s'émerveillait-il pas ? Pourquoi ne se régalait-il pas de ce contact tant espéré avec la nature ? Y avait-il une flamme en lui qui s'était éteinte ? Sa célébrité avait-elle affecté sa perception du monde ? Lui qui avait vu tant de choses incroyables n'était-il donc plus capable d'admirer la splendeur des arbres à l'arrivée du printemps ?
Il monta dans le véhicule, s'assit au fond et se posa mille questions qui demeurèrent sans réponse, quand enfin il parvint à destination. Il descendit, effectua le trajet de retour et, en découvrant sa chambre nettoyée, jeta un œil à sa montre : quinze heures trente. Comment s'occuper jusqu'au soir ? Rien ne le tentait, il se sentait si déçu de son ersatz de randonnée qu'il préférait encore végéter sur son lit.
Yoongi se réveilla pour s'apercevoir qu'il s'était assoupir une petite heure durant. Il s'allongea sur le dos, le regard sur le plafond, et se demanda s'il supporterait quatre semaines ici. Il n'oserait pas se rendre dans la ville principale, au nord, là où se trouvait l'aéroport de Jeju : la foule le terrifiait, et d'autant plus maintenant qu'on risquait de le reconnaître. Or, à Seogwipo, la tranquillité dépassait ses attentes au point qu'elle lui semblait exagérée. La randonnée l'ennuyait, il avait déjà profité une fois de la plage – ça lui suffisait – et il craignait que toute excursion finisse comme celle du Hallasan.
Désespéré, il tourna par automatisme les yeux sur sa table de chevet. Le papier avec le numéro de Seokjin n'en avait pas bougé... pourquoi pas, après tout. Il lui servirait de guide. Peut-être sa présence lui apporterait-elle un peu d'enthousiasme. Ou peut-être l'épuiserait-elle davantage.
Il lui enverrait un message demain.
~~~
Au lever du jour suivant cependant, pas besoin d'envoyer le moindre SMS : Yoongi croisa Seokjin qui, en uniforme, recueillait les tickets des clients qui souhaitaient prendre leur petit déjeuner, et il entrait parfois dans la salle surveiller le bon déroulement de la matinée. Bien coiffé, apprêté comme s'il était réveillé depuis des heures – et sans doute l'était-il –, il mit d'emblée le rappeur mal à l'aise. Avec son jogging et son sweatshirt, il n'appartenait pas au même monde. Lui était né dans une famille en difficulté, il avait donné toute son âme pour s'en sortir et réussir enfin dans la voie qu'il s'était choisie. Jamais il n'aurait pu travailler sur une île, dans un hôtel aussi élégant. Avant de devenir connu, il ne possédait pas assez pour s'offrir une chemise...
Il salua le jeune homme de façon timide et mangea sans un regard pour lui. Or, au moment de repartir, de nouveau Seokjin l'interpella.
« Yoongi-ssi, comment allez-vous ce matin ? Votre randonnée fut agréable ? »
Yoongi haussa les épaules.
« Ah ? Un problème ?
— Non, pas spécialement.
— Alors vous avez pu admirer la vue ? Elle est incroyable, n'est-ce pas ?
— Je me suis arrêté au premier refuge, » admit Yoongi.
L'autre parut vouloir le questionner mais s'en retint.
« C'est dommage, j'espère qu'il ne s'est rien passé de grave pour que vous décidiez de rebrousser chemin.
— Non, rien de grave. »
Son ton morne mit la puce à l'oreille de l'employé qui fronça les sourcils.
« Est-ce que tout va bien ? Je... je sais qu'on se connaît à peine, mais vous pouvez me parler, vous savez ? Et sinon, n'hésitez pas à appeler Namjoon.
— J'ai pas vraiment envie qu'il s'inquiète.
— Aurait-il des raisons de s'inquiéter ?
— Je sais pas...
— Je termine ma journée à midi et demi. Appelez-moi, s'il vous plaît, nous pourrons déjeuner ensemble.
— J'y réfléchirai. »
Seokjin s'inclina sans répondre et Yoongi remonta à sa chambre à la hâte, pressé de couper court à cette conversation. Son cœur s'emballa quand il songea qu'il avait accepté de partager son prochain repas avec un presque inconnu, et il se maudit d'avoir acquiescé sans oser refuser. Ce déjeuner risquait bien de figurer parmi les plus gênants de son existence, qu'allaient-ils bien pouvoir se dire ? Yoongi ne comptait certes pas se dévoiler devant lui, de sorte qu'il s'imaginait déjà manger sans un mot, et Seokjin meubler le silence de façon embarrassée.
La journée commençait mal...
Yoongi passa sa matinée à écouter de la musique et à réfléchir à des paroles : quitte à s'ennuyer, autant prendre un peu d'avance dans son travail. Au moins, il pouvait se permettre de peaufiner ses vers pendant des semaines entières sans s'inquiéter de quoi que ce soit, puisqu'il n'était à l'origine même pas prévu qu'il rédige un seul mot.
À midi et demi, il jeta un regard torve au bout de papier sur sa table de chevet, et il se demanda s'il souhaitait réellement ouvrir le dialogue avec Seokjin. Certes, il ne semblait pas méchant, bien au contraire, mais Yoongi ne se sentait juste pas à son aise en compagnie d'inconnus, si affables soient-ils.
Il reprit son travail sur sa musique après avoir avalé un biscuit acheté la veille. Or, une dizaine de minutes plus tard à peine, son portable lui vibra entre les mains, et un numéro apparut à l'écran, avec le SMS reçu :
Inconnu – Salut, c'est Seokjin ! Namjoon-ah m'a passé votre numéro ! Je me doutais bien que vous n'oseriez pas m'envoyer un message, j'espère que vous ne m'en voudrez pas ! Je vous rassure tout de suite : j'ai promis à mon cousin de ne pas vous déranger. Je voulais juste vous prévenir que j'allais déjeuner dans le café restaurant près du Seven Eleven à deux pas d'ici. Ils font des burgers savoureux ! N'hésitez pas à me rejoindre, et sinon tant pis, je ne vous obligerai à rien, profitez bien de votre séjour, à bientôt ! ^^
Yoongi préféra ignorer son message : passer du temps avec Seokjin ne l'intéressait pas le moins du monde.
Deux minutes plus tard, Yoongi se trouvait dans l'entrée de sa chambre, en train d'enfiler ses chaussures en râlant, sans comprendre comment il avait pu céder. Il n'avait même pas répondu à Seokjin, alors ce dernier l'attendrait-il ? Peu importait, de toute façon, qu'il l'attende : le rappeur était affamé, il n'avait toujours pas déjeuné et se convainquit qu'il se rendait au restaurant pour le burger au porc dont Seokjin lui avait rappelé l'existence, et non pour le voir lui. Il n'avait besoin de personne.
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