Au matin du lendemain, Yoongi demanda à ce qu'on lui monte son petit déjeuner. Seokjin s'en chargea lui-même, joyeux comme à son habitude, et ils se retrouvèrent en milieu d'après-midi pour un moment ludique à deux.

Trois jours passèrent ainsi, le rappeur ne se souciait plus de sa blessure, au contraire il remerciait le destin de lui avoir joué un tour. D'ailleurs, ce soir-là, sur le point de partir, Seokjin lui adressa sans s'en rendre compte un regard appuyé. Il entrouvrit ses lèvres charnues, s'apprêtait à prendre la parole... puis se ravisa. Il se contenta de lui offrir un sourire en lui souhaitant une bonne journée.

Le lendemain, quand on lui monta son petit déjeuner, Yoongi s'étonna de découvrir qu'il ne connaissait pas l'employé qui le lui avait apporté. Il le remercia néanmoins avec courtoisie, et songea que Seokjin était trop occupé. Puis les heures passèrent, il s'ennuya, et il sentit une bien étrange détresse lui serrer le cœur lorsqu'il s'aperçut que le soleil se couchait.

Même pas un message. Seokjin l'avait oublié. Tentant de faire bonne figure, Yoongi haussa les épaules et se dit qu'ils se verraient demain. Pas étonnant que son aîné ne souhaite pas perdre toutes ses journées à ses côtés.

Seokjin ne vint pas le lendemain.

En se levant le matin suivant, Yoongi essaya comme à chaque réveil d'esquisser quelques pas. Il parvint à marcher sans que la douleur ne lui brûle la jambe. Soulagé, il décida de se rendre au petit déjeuner avec l'espoir de croiser Seokjin et lui demander si quelque chose le gênait : il n'avait pas osé lui envoyer un message de peur de l'embêter, et pour tout avouer, il préférait une vraie conversation à quelques SMS échangés à la va-vite. Et puis... on mentait plus aisément par écran interposé, or il souhaitait la vérité.

Il s'habilla, se coiffa, et s'assura dans le miroir qu'il était devenu présentable. Il comptait bien se montrer sous son meilleur jour. Il descendit ensuite à la salle du repas sans se presser, conscient que sa cheville risquait d'en pâtir. Il veilla même à prendre l'ascenseur plutôt que les escaliers.

Seokjin se tenait à l'entrée de la cafétéria. Il parut surpris de voir son cadet, et Yoongi se planta devant lui. Il lui tendit son ticket-repas que Seokjin vérifia d'un air embarrassé.

« Tu peux entrer, bon appétit.

— T'aurais dû me le dire si t'étais occupé, déclara Yoongi sans le quitter des yeux. Tes jeux sont encore dans la chambre.

— Je suis désolé, je voudrais passer mais chaque fois j'ai un imprévu ou bien je suis juste trop fatigué.

— Et plus sérieusement, c'est quoi le souci ?

— Y en a pas, j'ai juste pas le temps de passer toutes mes journées avec toi.

— Je sais bien, mais... est-ce que c'était bête d'estimer que t'aurais au moins pu m'envoyer un SMS pour me prévenir que t'étais occupé ?

— Non, pardon, t'as raison. J'ai juste... des projets et... je risque d'être vraiment occupé pendant les deux prochaines semaines.

— Je repars dans une semaine et demie...

— Je suis désolé.

— T'es sûr que ça a rien à voir avec moi ? Je sais pas, c'est soudain, et t'es bizarre.

— Je me sens coupable, soupira Seokjin en baissant le regard. Je reporte chaque fois ma visite au lendemain, mais chaque fois j'ai autre chose qui tombe.

— Je comprends, t'en fais pas.

— Merci. Bon appétit. »

Yoongi s'inclina de façon respectueuse, imité par son aîné qui s'en alla manger. Pourtant, il manquait plus que jamais d'appétit. Il poussa un soupir, attrapa un verre qu'il remplit de jus de mandarine, ainsi que des tranches de ce même fruit dans une petite coupelle. Il avala le tout en vitesse en s'en alla, peiné de remarquer que Seokjin ne lui adressa pas un mot, juste un signe de tête poli.

Il ne le reconnaissait pas.

Aussi stupéfait que déçu, Yoongi remonta à sa chambre et réfléchit un long moment. Or, une conclusion revenait chaque fois : Seokjin désirait s'éloigner de lui. Il tenta de se rappeler s'il avait commis une erreur, fait un pas de travers, au cours des derniers jours qu'ils avaient passés ensemble, mais il jurerait que non. Rien ne lui avait mis la puce à l'oreille.

Il jeta un œil au sac de boîtes abandonné près du lit, et il songea à s'en servir pour obtenir la conversation qu'il espérait. Il attrapa son portable.

Yoongi – Salut, hyung. Est-ce que tu pourrais venir rechercher le sac de jeux que t'as laissé à la chambre ? Seul, j'en aurai pas grande utilité, et je préfère te le rendre avant d'oublier. Je serai là toute la journée.

Convaincu d'avoir pris la bonne décision, Yoongi tenta de calmer son cœur qui s'emballait d'anxiété.

Il reçut une réponse quelques heures après le déjeuner, sans doute parce que Seokjin terminait enfin son service.

Seokjin – Ouais, pas de souci. Je peux passer maintenant ?

Le rappeur approuva. Il se donna du courage et, quand il entendit au terme de quelques minutes des pas dans le couloir, il expira dans l'espoir de se détendre. Ça ne fonctionna pas. Son aîné frappa à la porte, il lui ouvrit, ils se firent face. Yoongi s'écarta pour le laisser entrer, et Seokjin s'exécuta après ce qui ressembla à une hésitation. Il s'empara du sac, se retourna. Le cadet avait refermé et lui barrait le chemin.

« J'aimerais que tu sois honnête avec moi, déclara-t-il en réponse au regard appuyé qu'il lui adressa alors.

— Parce que j'ai été malhonnête ? s'enquit Seokjin.

— À toi de me le dire : pourquoi tu m'évites depuis quelques jours ?

— Je t'ai dit que j'étais occupé.

— Tu m'as pas prévenu, tu m'as laissé sans nouvelles. Je pensais qu'on était amis, que tu m'aurais au moins envoyé un message pour me dire que tu ne passerais plus. Mais même pas.

— J'y ai juste pas pensé.

— C'est faux.

— Qu'est-ce que t'en sais ?

— On passait des heures ensemble, et du jour au lendemain, plus rien. Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Rien de spécial, je t'assure.

— Je te crois pas, réfuta Yoongi. Tu peux pas... m'avoir juste abandonné comme s'il s'était rien passé. Et je croyais que t'avais accepté de me servir de guide ici pendant un mois, donc t'avais rien de prévu.

— Ouais, je t'ai dit que ça m'était tombé dessus sans que je m'y attende, c'est pour ça que j'ai pas pensé à prévenir. Et puis avec ta cheville, je pense pas que tu puisses encore visiter grand-chose, alors c'est pas gênant si je me consacre à mes activités. »

La remarque transperça Yoongi qui ne sut quoi répondre. Il resta coi, et Seokjin en profita pour le contourner et ouvrir la porte. Son cadet s'écarta, mais une évidence le frappa : s'il le laissait s'en aller, il ne le reverrait plus jamais en dehors de son travail d'hôtelier. Une voix en lui le hurlait : s'il n'obtenait pas d'explication maintenant, il n'en obtiendrait plus.

Ainsi, alors qu'il se déplaçait, tout à coup son corps s'affaissa. Il poussa un glapissement de douleur qui stoppa aussitôt Seokjin dans son élan. Lui qui s'apprêtait à refermer pour filer, il le fixa en gardant une main sur la poignée.

« Eh, Yoongi-yah, ça va ?

— C-C'est ma cheville, geignit-il alors qu'il gardait un genou à terre et une main sur sa cheville prétendument douloureuse.

— Merde, t'as dû faire un mauvais mouvement. T'as besoin de glace ?

— Non, je voudrais pas te retenir plus longtemps, et puis ça va passer. Juste... tu peux m'aider à regagner le lit ? »

Songeant sans doute qu'il ne s'agissait que de ramener son ami sur son lit, Seokjin approuva. Il déposa son sac dans l'entrée, repoussa la porte et attrapa le bras que Yoongi lui tendait et qu'il fit passer derrière ses épaules une fois à sa hauteur. Il se redressa, imité par son cadet qu'il raccompagna et aida à s'installer sur le matelas. Le rappeur fit mine de vouloir remonter la couverture sur lui, l'autre s'empressa de s'en charger à sa place pour lui éviter tout mouvement.

Yoongi lui saisit alors le poignet d'un geste hésitant.

« Ça va ? » demanda Seokjin.

Yoongi ne répondit pas, il plongea le regard dans le sien, y cherchant les explications qu'il n'avait pas obtenues. Son ami déglutit, perturbé par ces prunelles perçantes.

« Hyung, je t'en prie, dis-moi. »

Ce fut le coup de grâce. Las de jouer la comédie, Seokjin s'abandonna. Il poussa un soupir, ses épaules retombèrent, et il ferma les paupières un instant. Quand il les rouvrit, il semblait différent, du moins son ami lui trouva l'air différent. En vérité, il n'eut pas l'occasion de s'attarder à ce propos, puisque Seokjin s'avança et plaqua ses lèvres sur les siennes. Yoongi le lui rendit sans attendre, par réflexe : il ne se rendait pas tout à fait compte que celui qu'il aimait l'embrassait.